M. Louis Duvernois. C’est exact !
M. Laurent Fabius, ministre. Il serait d’ailleurs intéressant de transmettre à nos collègues cette étude qui montre que la francophonie n’est pas une vieille lune,…
M. Louis Duvernois. Tout à fait !
M. Laurent Fabius, ministre. … mais un élément d’avenir jouant un rôle positif à tous points de vue, tant culturel qu’économique, ainsi que sur le plan des valeurs.
La francophonie ne concerne évidemment pas simplement la France : nous sommes cocréateurs de la francophonie, avec beaucoup d’autres pays.
Avec eux, nous avons mis sur pied un plan d’action : consolider la famille des pays francophones, en particulier en Afrique et dans les pays arabes ; renforcer l’enseignement du français dans les pays non francophones ; promouvoir le français dans la vie internationale.
Je tiens à dire à cet égard, puisque les propos que nous tenons à cette tribune sont destinés à être reproduits, que je ne trouve pas absolument indispensable, lorsqu’une assemblée totalement francophone est réunie, que les personnalités présentes s’expriment en anglais (M. François Trucy sourit.), et ce pour deux raisons. Tout d’abord, ils ne rendent pas, en général, un grand service à l’anglais, qu’ils parlent souvent de façon approximative (Sourires.)
M. Bernard Fournier. Tout à fait !
M. Laurent Fabius, ministre. Par ailleurs, peut-on imaginer qu’un parfait francophone, voire même un Français, s’exprime en anglais à une tribune, tandis que lui fait face un collègue francophone d’un autre pays qui a passé des années à apprendre le français, et qui le parle dans un milieu parfois hostile ? Non ! (Applaudissements.) Ne soyons pas non plus chauvins.
L’anglais est une langue-outil, comme l’est l’informatique. Je devrais d’ailleurs plutôt parler de l’américain. En effet, ce n’est pas faire grande injure à nos collègues britanniques que de dire que la langue anglaise aurait une influence bien plus limitée si elle n’était parlée qu’en Grande-Bretagne.
Permettez-moi, à cet égard, de vous citer une anecdote historique, qui pourra vous servir à introduire un propos devant une assemblée francophone.
Lorsque les États-Unis d’Amérique ont eu à choisir leur langue, étaient en concurrence le français, l’anglais et l’allemand.
L’allemand n’a pas obtenu beaucoup de suffrages.
L’anglais, qui n’était pas un choix évident pour les Américains, compte tenu de leurs rapports conflictuels avec le colonisateur britannique, ne l’a emporté que d’une voix.
M. Gérard Longuet. Comme l’amendement Wallon !
M. Gérard Longuet. Et pour la tête de Louis XVI !
M. Laurent Fabius, ministre. L’histoire dit que deux des votants, qui avaient, paraît-il, l’intention de donner leur suffrage au français, sont arrivés en retard. Je vous laisse imaginer ce que serait la francophonie si ces deux retardataires – je ne fais pas allusion à M. Longuet qui vient de nous rejoindre, et que je salue (Sourires.) – étaient arrivés à l’heure !
Pour la francophonie, l’enseignement du français est absolument décisif. Il s’appuie sur un magnifique réseau d’établissements scolaires, l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger – AEFE–, l’opérateur de l’État, et la Mission laïque française.
Le label FrancEducation lancé en 2012 est une bonne initiative. Il encourage le développement d’un enseignement bilingue francophone d’excellence à l’étranger.
Ce réseau d’établissements à l’étranger est un atout que nous voulons tous développer. J’ai demandé à Mme Conway-Mouret de me faire des propositions pour son renforcement. Elle me rendra son rapport au mois de juin, après qu’elle aura procédé à une large consultation des acteurs de la communauté éducative française à l’étranger. Cette réflexion prendra en compte les conséquences possibles – ce point a été évoqué par Mme Lepage – des développements juridiques. Il s’agit d’un exercice important, auquel vous serez associés, si vous le souhaitez, mesdames, messieurs les sénateurs, afin de donner votre opinion.
Cette mission fait également suite à la suppression de la prise en charge des droits de scolarité à l’étranger. Ce sujet ayant été évoqué, il ne me semble pas utile d’y revenir. Je précise simplement que sa suppression était la première étape d’une réforme plus globale d’aide à la scolarité. Nous allons progresser dans cette voie.
Une fois la mission de Mme Conway-Mouret menée à bien, un contrat d’objectifs et de moyens sera conclu avec l’AEFE.
La troisième priorité est l’attractivité pour les étudiants et les chercheurs étrangers. Cet élément essentiel de notre rayonnement passe par la promotion de l’enseignement supérieur français, l’amélioration de l’accueil des étudiants et des chercheurs étrangers, et la mobilisation de nos scientifiques partout où se créent des normes, où se développent des idées, où se forment des élites.
C’est la mission confiée notamment à Campus France. À cet égard, monsieur Beaumont, le contrat d’objectifs et de moyens devra être conclu avant l’été. Là encore, le Sénat sera consulté, afin que les choix retenus soient pertinents.
Nous travaillons avec le ministère de l’éducation nationale à renforcer le lien entre Campus France et les universités. En appui de ce dispositif, le Quai d’Orsay finance chaque année un grand nombre de bourses pour permettre à des étudiants et jeunes chercheurs à potentiel élevé de poursuivre leur cursus en France. Malgré la contrainte budgétaire, nous avons maintenu les crédits qui sont alloués aux bourses étudiantes pour soutenir la destination France.
Comme vous le savez, et j’espère ne fâcher personne en disant cela, nous avons abrogé la circulaire Guéant parce que, indépendamment d’autres considérations, elle nous paraissait ne pas comprendre exactement le monde de demain.
M. Jean Besson. Tout à fait !
M. Laurent Fabius, ministre. Ce monde de demain est un monde ouvert, qui a besoin de brassage. C’est un grand atout pour la France que d’accueillir des étudiants étrangers qui se forment chez nous, qui peuvent occuper un premier emploi ici, et qui, revenus chez eux, seront les meilleurs ambassadeurs de la culture française.
Cette circulaire, prise sans doute pour remplir d’autres objectifs, ne procédait pas d’une vision moderne du monde ; je crois donc que nous avons eu raison de la supprimer d’entrée de jeu.
Nous voulons attirer la mobilité étudiante – 300 000 étudiants étrangers ! –, car celle-ci répond aux besoins de nos écoles, qui doivent demeurer dans le peloton de tête de l’économie de la connaissance, ainsi qu’à ceux de nos entreprises, lesquelles se tournent vers ces étudiants qualifiés pour développer leurs activités internationales.
Vous connaissez tous des entreprises qui souhaitent recruter d’excellents étudiants étrangers. Il nous faut aller dans ce sens. C’est une immense force pour notre pays que de savoir accueillir, le temps de leur formation, ces étudiants qui retourneront, le moment venu, dans leur pays.
Vous avez tous évoqué la question de la concurrence. Celle-ci ne saurait consister à nous refermer sur nous-mêmes !
Je travaille, avec M. Valls, sur le moyen de préciser les conditions d’accueil des étudiants étrangers sur notre territoire, afin que nous puissions tenir notre rang dans la compétition internationale.
Toute politique de visas comporte deux aspects.
Le premier aspect, c’est la politique migratoire. Je n’ai pas besoin de vous rappeler, à cet égard, la formule célèbre de Michel Rocard,…
M. Gérard Longuet. Eh oui !
M. Laurent Fabius, ministre. … que vous avez tous à l’esprit. Il est vrai que nous ne pouvons pas laisser nos frontières ouvertes sur le monde entier.
Le second aspect, c’est la dimension d’attractivité. Il est évident que nous devons adopter, à l’égard de maintes populations, une attitude bien plus réactive et pertinente que dans le passé.
Si nous distinguons politique migratoire et attractivité, si nous gardons à l’esprit les deux facettes de cette même question, nous pourrons alors mener une politique adaptée dans ce domaine.
L’accent mis sur l’attractivité de notre pays pour les talents est indissociable d’une réflexion sur les visas. Nous voulons que la France devienne le pays de ceux qui développent des échanges, qui participent à la recherche ou qui contribuent à l’effort de création artistique.
Combien d’entre nous – même s’il est plus facile pour moi que pour vous de délivrer des visas – ont connu ces situations où tel artiste étranger était accueilli dans un festival, tandis qu’un autre qui devait l’accompagner ne pouvait venir, faute de visa ! Ces « sottises » donnent de la France une image négative ; nous devons donc adopter une vision beaucoup plus adaptée. Mme Blandin y a insisté, à juste raison, sont concernés des hommes d’affaires, des universitaires, des scientifiques, des artistes ou des touristes ayant la France pour destination privilégiée.
Nous avons donné, avec Manuel Valls, l’instruction au réseau diplomatique et consulaire d’améliorer, partout où cela est possible, le taux de délivrance des visas dits « de circulation », c’est-à-dire de court séjour, ainsi que leur durée de validité.
Ces visas permettront notamment à leurs titulaires d’entrer et de sortir à plusieurs reprises de l’espace Schengen, sans être contraints de demander un nouveau visa à chaque déplacement. Cette nouvelle politique est équilibrée : elle répond, d’un côté, aux exigences de maîtrise des flux migratoires et des enjeux de sécurité, et, de l’autre, à la volonté d’accroître l’attractivité de notre pays. Ces sujets, que vous aborderez certainement avec le ministre de l’intérieur, nous continuons à y travailler ensemble. C’est en dépassionnant le débat que l’on peut parvenir à mener des actions intéressantes.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Laurent Fabius, ministre. Enfin, nous mettons également en œuvre, en concertation avec le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche et les autres acteurs français concernés, une stratégie cohérente de diplomatie scientifique avec des outils comme le réseau des instituts français de recherche à l’étranger, qui développent une coopération scientifique d’excellence en sciences humaines et sociales avec nos partenaires, les missions de fouilles archéologiques à l’étranger, qui approfondissent notre connaissance de l’histoire des pays concernés, ou encore les programmes de recherche pour le développement, lesquels contribuent à la constitution de capacités de recherche au Sud.
Pour relever les trois défis que je viens d’évoquer, ainsi que ceux que vous avez mentionnés, mesdames, messieurs les sénateurs, notre dispositif doit évidemment tenir compte des évolutions du monde.
Le premier chantier, c’est la modernisation du réseau culturel. Le ministère des affaires étrangères doit évidemment participer à la maîtrise des dépenses publiques. Cela a été souligné, nous avons déjà beaucoup contribué à cet effort, sur le plan tant des effectifs que des moyens financiers. Mais si nous voulons faire œuvre utile, nous devons définir précisément nos actions. Cela implique de fixer nos priorités géographiques et stratégiques tout en développant des méthodes de travail nouvelles. Mes services me feront des propositions de redéploiements pertinents de nos ressources pour accompagner l’émergence de pays ou de régions du monde devenus ou en passe de devenir prescripteurs.
Il ne s’agit pas de négliger le rayonnement de la France dans des pays qui sont des partenaires traditionnels, comme l’Italie ou l’Allemagne, mais nous devons projeter aussi notre pays dans d’autres zones à très fort potentiel, où se trouvent de plus en plus les enjeux de l’influence internationale. Je pense aux grands émergents – la Chine, l’Inde, le Brésil –, mais aussi à d’autres pays d’Asie, d’Amérique latine ou d’Afrique. Il nous faut répondre à ce que vous appelez le « désir de France », et même le susciter.
Nous devons également mieux coordonner nos missions, notamment avec l’action extérieure des collectivités territoriales ou avec l’action des grandes ONG et de la société civile.
Nous devons aussi coordonner notre action au niveau européen pour lever des financements communautaires ou monter des opérations conjointes, par exemple au sein du réseau qui rassemble les agences culturelles européennes, réseau dont la France assure actuellement la présidence.
À cet égard, je veux répondre à M. Besson et à M. Beaumont en rappelant que notre réseau culturel a tout de même levé en 2012 plus de 180 millions d’euros de cofinancement, une somme non négligeable.
Une approche « régionale » de nos actions a été développée sur certains programmes de recherche, par exemple au Maghreb.
La modernisation de notre réseau passe aussi par celle de ses emprises et de ses supports techniques, par une adaptation de la formation professionnelle de nos agents, qui doit s’accorder avec l’évolution de nos industries culturelles. Ces hommes et ces femmes, qui, pour l’essentiel, sont non pas des diplomates statutaires, mais des contractuels, sont vraiment le cœur battant de notre réseau d’influence dans le monde. Ils accomplissent un travail remarquable, qui demeure malheureusement souvent méconnu. En votre nom à tous, en mon nom, je veux les féliciter et les mettre en valeur. Un chantier est en cours visant à valoriser leur parcours professionnel, au Quai d’Orsay et à l’extérieur.
Je veux également, s’agissant de l’évolution du réseau, évoquer la question du rattachement du réseau à l’Institut français.
En 2010, à la suite de l’adoption d’un amendement parlementaire, une disposition législative a été votée autorisant, à titre expérimental et pour une durée de trois ans, le rattachement du réseau de coopération et d’action culturelle à cet opérateur, expérimentation conduite dans douze pays, selon un cahier des charges établi en 2011, et mise en œuvre à compter du 1er janvier 2012.
Une première évaluation interne de l’expérimentation a été conduite par Pierre Sellal, le secrétaire général du Quai d’Orsay. Ces éléments sont repris dans le rapport annuel, au titre de 2012, d’évaluation des résultats de cette expérimentation, qui, conformément à la loi et au décret d’application, sera remis avant le 31 mars 2013 aux commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat.
Pour ma part, je retiens du travail de M. Sellal la nécessité de conforter l’EPIC Institut français à Paris. Dans cet objectif, le ministère a veillé à ce que son budget soit préservé. Grâce à la prise en charge de la réserve légale, la subvention à l’Institut français est quasiment stabilisée en 2013.
De plus, l’Institut français doit être conforté dans son rôle d’opérateur culturel au service de l’ensemble de nos postes qui doit l’inciter à développer ses capacités en matière de levées des fonds européens et de mécénat et encourager la mobilité entre les personnels.
Ces évolutions n’ont pas d’influence déterminante sur la question du rattachement de l’ensemble du réseau, dont le coût – 50 millions d’euros sur trois ans, selon M. Sellal – est difficilement compatible avec le contexte budgétaire que nous connaissons.
Il nous faudra avoir l’ensemble de ces éléments à l’esprit lorsque nous devrons prendre une décision.
La prochaine étape est l’élaboration d’une nouvelle stratégie culturelle. Des consultations sont en cours, notamment avec la mission d’évaluation menée actuellement par la Cour des comptes sur le réseau culturel. Cette mission a lieu à la demande du comité d’évaluation et de contrôle de l’Assemblée nationale. Plus largement, j’ai demandé que soient recueillis et intégrés les avis et les attentes des acteurs du monde culturel, des personnels du réseau, des parlementaires, des autres ministères, des établissements culturels, des collectivités territoriales, des organismes professionnels de la culture et des industries culturelles.
Je disposerai cet été des éléments qui me permettront de préciser nos grandes orientations stratégiques et de décider de la configuration d’ensemble de notre réseau.
Mesdames, messieurs les sénateurs, pardonnez-moi d’avoir été un peu long, mais je voulais répondre à chacun d’entre vous et vous exposer une vision prospective, à la hauteur des propos remarquables que nous avons entendus cet après-midi. Il n’y a pas d’un côté la diplomatie des capitales et des chancelleries et, de l’autre côté, l’action culturelle et éducative ; il n’y a pas d’un côté l’action économique et, de l’autre côté, l’action culturelle. La France est influente à la fois par son image, par son message et par sa présence. La diplomatie culturelle est tout entière au service de ces différents volets. Elle vise à faire rayonner la France à l’étranger et, pour reprendre l’expression très juste qu’ont utilisée plusieurs d’entre vous, à donner aux étrangers et aux Français une véritable, profonde et justifiée « envie de France ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et sur plusieurs travées de l’UMP.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le rayonnement culturel de la France à l’étranger.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente-cinq, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de Mme Bariza Khiari.)
PRÉSIDENCE DE Mme Bariza Khiari
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
7
Débat sur les enjeux et les perspectives de la politique spatiale européenne
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur les enjeux et les perspectives de la politique spatiale européenne, organisé à la demande de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.
La parole est à M. Bruno Sido, président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, corapporteur.
M. Bruno Sido, président de l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, corapporteur. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous avons le plaisir de vous présenter aujourd’hui, avec Catherine Procaccia, le rapport que nous a confié l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, saisi par la commission des affaires économiques du Sénat, sur les enjeux et perspectives de la politique spatiale européenne.
En tant que président de l’Office parlementaire, je suis particulièrement heureux que ce débat puisse avoir lieu.
Tout d’abord, parce que ce débat est l’occasion de mieux faire connaître les travaux approfondis menés par l’Office et les suites qui y sont données. Vous le savez, l’Office est la seule délégation commune à l’Assemblée nationale et au Sénat. Les sujets que nous traitons sont parfois ardus, mais ils occupent une place croissante dans le débat public. Les questions technologiques sont en effet au cœur de nombreuses préoccupations de nos concitoyens. On le constate dans des domaines comme l’énergie ou la bioéthique, qui sont l’objet de nombreux travaux de l’Office parlementaire.
Ensuite, je suis particulièrement heureux de ce débat sur la politique spatiale parce qu’il nous semble, avec Catherine Procaccia, que l’espace n’a peut-être pas – justement – la place qu’il mérite dans le débat public et parlementaire.
Comme on a pu le voir récemment avec les images du satellite Planck de l’Agence spatiale européenne, qui dévoilent les débuts de l’univers, la recherche française et européenne a conduit à des résultats remarquables. Mais ceux-ci demeurent trop méconnus. Qui sait, par exemple, parmi nos concitoyens, que le robot Curiosity, que la NASA a fait atterrir d’une manière remarquable sur Mars au cours de l’été dernier, est en réalité issu d’une coopération franco-américaine ?
Nous souhaitons instamment que la politique spatiale ait, à l’avenir, une place accrue dans les travaux parlementaires. C’est déjà le cas aujourd’hui grâce à ce débat, qui se déroule peu après l’audition par la commission des affaires économiques, cet après-midi, du candidat pressenti à la présidence du Centre national d’études spatiales, le CNES – l’agence française de l’espace –, et dont je salue la présence dans nos tribunes. (Mme Sophie Primas applaudit.)
J’en viens à la présentation de nos conclusions, en remerciant Mme la ministre – ancienne membre de l’Office parlementaire – d’être présente pour répondre à nos interrogations.
Je présenterai nos recommandations concernant la gouvernance de la politique spatiale et la préservation de notre autonomie d’accès à l’espace. Puis, Catherine Procaccia présentera nos conclusions concernant les objectifs et la durabilité de notre politique spatiale.
Nous avons intitulé notre rapport « Europe spatiale : l’heure des choix », car il a été élaboré dans la perspective de la réunion des ministres en charge de l’espace des pays membres de l’Agence spatiale européenne, l’ESA, qui s’est déroulée les 20 et 21 novembre dernier, à Naples.
Cette réunion de l’ESA a constitué un tournant, avec des décisions importantes prises dans un contexte économique et financier ne permettant pas d’envisager un subventionnement massif du secteur spatial, alors même que l’Europe dépense déjà six fois moins que les États-Unis pour l’espace.
L’Europe est dotée aujourd’hui d’au moins deux politiques spatiales : celle de l’Union européenne, que le traité de Lisbonne a doté d’une compétence spatiale depuis 2009 ; celle de l’ESA, première institution à avoir incarné l’Europe de l’espace, à sa création en 1975.
Par ailleurs, les États membres, notamment la France, demeurent très actifs, car la politique spatiale comporte trop d’enjeux de souveraineté nationale pour ne pas reposer, en dernier ressort, sur leur volonté.
L’industrie spatiale a également un rôle à jouer, puisqu’elle est seule garante in fine de l’autonomie de l’Europe.
Cette énumération des principaux acteurs de la politique spatiale européenne laisse déjà entrevoir les difficultés de gouvernance susceptibles d’en résulter. Ce « mille-feuille » spatial européen peut être source de confusion dans les objectifs et de dispersion des moyens.
Dans ce contexte, nous proposons de clarifier la gouvernance de la politique spatiale.
En France, il nous semble qu’il faudrait réintroduire l’espace dans l’intitulé d’un ministère chargé d’en valoriser l’utilité auprès du grand public : en effet, l’ambition spatiale est trop peu portée aux niveaux politiques et administratifs ; en conséquence, elle est peu partagée par l’ensemble des Français.
Toujours en France, et comme je l’évoquais précédemment, il serait souhaitable d’associer davantage le Parlement à la programmation spatiale. Nous avons été frappés, lors de notre déplacement aux États-Unis, par la place que le Congrès occupe dans l’élaboration de la politique spatiale. La NASA est en effet en constante négociation avec les deux chambres du parlement pour la définition des objectifs et des budgets de sa politique. Le secteur spatial n’est certes qu’une illustration parmi d’autres des différences d’approches entre les parlements français et américain. Il nous paraîtrait néanmoins légitime qu’en France le Parlement puisse être saisi à intervalles réguliers de la politique spatiale française et de la vision défendue sur le plan européen par notre pays.
Par ailleurs, lors de nos auditions, les industriels ont exprimé le sentiment de ne pas être associés comme ils le souhaiteraient à la définition de la politique spatiale. Il nous semble qu’un dialogue pérenne doit être organisé, grâce à la création d’une structure de concertation État-industrie, présidée par une personnalité indépendante.
Quant à l’ESA, elle doit faire évoluer sa règle de « retour géographique », selon laquelle plus un État contribue à un programme, plus son industrie reçoit de contrats pour la réalisation de ce programme. Suivant une logique inverse, une règle de « juste contribution » de chaque État, en fonction de l’implication de son industrie dans les projets, paraîtrait préférable.
S’agissant enfin de la politique spatiale de l’Union européenne, c’est un processus en devenir dont les objectifs et le cadre de gouvernance demeurent pour le moins flous. Le budget de l’Union finance le programme de navigation-localisation-synchronisation Galileo, qui doit aboutir d’ici à 2015, ainsi que le lancement du programme de surveillance pour l’environnement et la sécurité, le GMES, dont le financement, demeuré longtemps incertain, semble aujourd’hui garanti, mais a minima.
Si elle veut exercer pleinement la compétence que lui a confiée le traité de Lisbonne, l’Union devra élaborer un véritable programme spatial plus exhaustif dans ses ambitions.
Elle devra également élaborer un cadre juridique pour la gouvernance de cette politique spatiale, en faisant de l’ESA son agence spatiale, sans que cela remette en cause par ailleurs le fonctionnement intergouvernemental de l’Agence.
L’Union doit aussi pouvoir faire appel aux compétences des agences nationales et privilégier, plus généralement, le recours aux organisations existantes, plutôt que de créer ses propres structures de gestion opérationnelle des programmes spatiaux, redondantes par rapport aux compétences existant déjà sur le territoire européen.
Enfin, l’Union doit reconnaître comme prioritaire l’application d’un principe de préférence européenne. Ce principe doit entraîner l’obligation de recourir à ses propres lanceurs. Ce n’est pas le cas actuellement, comme l’illustre le recours à un lanceur russe – au demeurant excellent – pour la mise en orbite de certains satellites du programme GMES.
Ce constat me permet d’en venir à la question, cruciale, de la préservation de notre autonomie d’accès à l’espace.
D’abord, je le rappelle, c’est par l’intermédiaire d’Arianespace, créée en 1980, que l’Europe accède aujourd’hui de façon indépendante à l’espace.
Arianespace exploite à ce jour trois lanceurs depuis le centre spatial guyanais.
Tout d’abord, Ariane 5 – à tout seigneur tout honneur, allais-je dire –, dont la capacité d’emport, dans sa version ECA, est de 10 tonnes vers l’orbite géostationnaire, et qui se caractérise par des lancements doubles. Ariane 5 est le n° 1 des lancements en orbite géostationnaire, avec près de 50 % de parts de marché et, à ce jour, il faut le souligner, 54 succès d’affilée.
Le deuxième lanceur d’Arianespace est Soyouz, exploité depuis Baïkonour, par l’intermédiaire de la filiale d’Arianespace, Starsem, créée en 1996. Depuis 2011, Soyouz est aussi lancé depuis la Guyane, avec une capacité d’emport de 3,2 tonnes vers l’orbite de transfert géostationnaire, en application d’un accord intergouvernemental franco-russe, signé en 2003.
Enfin, le dernier-né des lanceurs européens est Vega – lanceur italien riche de promesses – dont la capacité d’emport est de 1,5 tonne en orbite basse, mais qui a vocation à monter en puissance.
Cette gamme devra, à l’avenir, répondre à l’évolution prévisible des marchés. Il faut d’abord répondre à la demande institutionnelle.
À l’heure actuelle, le lanceur Ariane 5 est surdimensionné pour ce marché. L’Europe a donc recours à Soyouz, ce qui n’est pas complètement satisfaisant, car il ne s’agit pas d’un lanceur développé par l’Europe, et parce que la coopération avec la Russie n’est assurée que jusqu’en 2020. La qualification du lanceur Vega devrait résoudre une partie du problème, en permettant à tout le moins d’éviter le recours aux lanceurs russes dérivés, il faut le souligner, d’anciens missiles intercontinentaux. Il n’en reste pas moins qu’Ariane, conçu pour des objectifs de souveraineté, est en réalité peu utilisé pour le lancement de nos satellites gouvernementaux.
Il faudra aussi, à l’avenir, répondre à une demande commerciale, dont l’Europe dépend pour ces lanceurs, en raison de la faiblesse de son marché institutionnel. Or de nouveaux acteurs émergent. Ainsi, l’Américain Space X a récemment remporté plusieurs contrats de lancement de satellites de télécommunications. Cette entreprise est directement héritière du tournant pris par la politique spatiale sous la présidence de Barack Obama, consistant à recentrer la NASA sur sa mission de recherche et développement en vue de l’exploration lointaine, et à octroyer des subventions à des entreprises privées pour la reconquête de l’orbite basse, c’est-à-dire la desserte habitée de la Station spatiale.
Nous avons visité Space X dans le cadre de nos travaux. Cette entreprise est fondée sur un principe tiré, a contrario, des leçons de la navette spatiale : de la simplicité découlent à la fois la fiabilité et la modicité des coûts ; son lanceur est fondé sur un système modulable et sur une simplification de l’organisation productive.
Par ailleurs, la Chine, l’Inde, le Brésil et la Russie développent d’autres lanceurs potentiellement concurrents des nôtres. Or cette concurrence croissante intervient sur un marché où la demande est appelée à demeurer stable, autour de 20 à 25 satellites de télécommunications par an.
Dans ce contexte, deux projets de lanceur, conçus à l’origine comme complémentaires, sont devenus progressivement concurrents.
Démarré après la conférence ministérielle de l’ESA de 2008, Ariane 5 ME, ou Midlife Evolution – pardonnez-moi cet anglicisme –, est une évolution du lanceur actuel vers un lanceur plus performant – douze tonnes – et plus « versatile », c’est-à-dire doté d’un étage supérieur réallumable grâce au moteur Vinci, développé par notre entreprise Safran.
Ariane 6 est un lanceur de nouvelle génération, doté du même moteur réallumable pour son étage supérieur, mais plus modulable – de deux à huit tonnes – et surtout susceptible de procéder à des lancements simples, c’est-à-dire monosatellites.
Le lancement double est en effet devenu très problématique pour Arianespace, car il implique l’appairage des satellites, susceptible, vous l’avez bien compris, de faire perdre du temps et donc de l’argent aux opérateurs.
Notre rapport fait état de tous les arguments avancés au cours de nos auditions, en faveur de l’un ou l’autre de ces deux projets.
Il nous a semblé in fine qu’Ariane 6 apportait une réponse plus tardive qu’Ariane 5 ME, mais plus durable, aux évolutions en cours.
Procédant à des lancements « simples », Ariane 6 doit permettre d’accroître la cadence de production, afin de ne pas passer sous le seuil de cinq lanceurs par an, en deçà duquel il est unanimement reconnu que la fiabilité et la viabilité financière d’Ariane seraient remises en cause.
Dans sa version dite PPH, ou poudre-poudre-hydrogène – veuillez m’excuser pour ces termes un peu techniques –, le lanceur de nouvelle génération serait complémentaire de Vega, et privilégierait la poudre, technologie très fiable – je dirai même qu’aucun lancement ayant échoué n’est dû à l’étage poudre – et peu coûteuse. Cette configuration permettrait de bénéficier d’effets de standardisation.
D’un coût de production moindre, ce lanceur est sans doute plus susceptible qu’Ariane 5 ME de réduire la subvention publique actuellement versée pour garantir l’équilibre de l’exploitation d’Ariane 5, c’est-à-dire 120 millions d’euros par an.
C’est pourquoi nous avons préconisé de développer aussi rapidement que possible ce lanceur de nouvelle génération en mettant la priorité sur la réduction des coûts.
En novembre dernier, la Ministérielle de l’ESA a ouvert la voie au développement, en synergie, des deux lanceurs Ariane 5 ME et Ariane 6. L’idée est de développer un étage supérieur commun aux deux lanceurs, dont les caractéristiques doivent être définies au cours des prochains mois. La décision définitive de développement d’Ariane 6 doit être prise lors d’une nouvelle Ministérielle en 2014.
L’objectif est de développer en sept ans un lanceur dont le coût unitaire devrait être d’environ 70 millions d’euros, à condition de réorganiser la production industrielle du lanceur, actuellement trop éparpillée.
À ce sujet, je souhaiterais, madame la ministre, que vous puissiez nous informer des conditions industrielles et financières de développement de ces deux lanceurs. Comment l’Europe, qui traverse actuellement l’une des plus graves crises de son histoire, va-t-elle développer parallèlement deux projets d’une telle envergure ? N’aurait-il pas fallu – mais je sais que c’est compliqué – passer directement à l’étape « Ariane 6 » ? (Mme Sophie Primas s’exclame.) Enfin, l’industrie est-elle prête à se réorganiser pour diminuer les coûts de nos lanceurs ?
Je laisse maintenant la parole à Catherine Procaccia pour développer les autres aspects de notre rapport. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Jean-Pierre Plancade applaudit également.)