M. Jean-Pierre Raffarin. Très bien !
M. Louis Duvernois. ... et s’ouvrir parallèlement à l’apprentissage d’autres langues vivantes.
Monsieur le ministre, votre volonté de développer une « diplomatie économique » au sein de la Direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats aux côtés de la « diplomatie culturelle » et du français participe, me semble-t-il, de cette prise de conscience. N’avez-vous pas d’ailleurs été surpris par une récente étude, d’origine suisse me semble-t-il, qui démontre que les échanges commerciaux induits par l’appartenance à l’espace géographique francophone se sont traduits ces dernières années par un supplément de PIB par tête de 6 % en moyenne dans les pays concernés ?
M. Jean-Louis Carrère. Oui !
M. Louis Duvernois. Voilà de quoi méditer !
Au regard de ce fort « désir de France » observé à l’international, monsieur le ministre, le moment n’est-il pas venu de « ré-enchanter » à notre tour le « rêve de France » sur le territoire national ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la diffusion culturelle au sens large est plus que jamais un enjeu politique et économique que l’on ne peut ignorer. Figurant parmi les premiers pays pratiquant une diplomatie culturelle depuis le XVIIIe siècle, la France conserve une place de choix dans ce domaine, mais elle doit s’adapter aux nouveaux défis contemporains.
Notre pays attache depuis longtemps une grande importance aux échanges culturels – cinéma, théâtre, arts, livres, idées, médias –, à la promotion de la langue française et au plurilinguisme. C’est pourquoi, je le rappelle, la France s’est battue pour obtenir de l’UNESCO, en 2005, une convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Elle entretient également un important réseau d’instituts culturels, d’Alliances françaises et de lycées français à travers le monde. Elle contribue au renforcement de la présence de ses médias avec TV5 Monde, France 24 et RFI, au sein de l’Audiovisuel extérieur de la France.
Nos principaux moyens d’actions sont la mobilité des étudiants, le développement de la recherche et des échanges de scientifiques et, bien entendu, la langue, avec l’expansion et l’affirmation de notre politique en faveur de la francophonie.
La construction d’équipements phares et le développement d’offres événementielles à portée internationale, comme les capitales européennes de la culture ou les expositions universelles, sont autant d’exemples de moyens d’influence et de diffusion de la culture.
Néanmoins, il est nécessaire de s’interroger sur notre stratégie de rayonnement culturel, ainsi que sur les moyens que l’on souhaite, et peut, y consacrer. Ce débat est donc le bienvenu.
Plus que jamais, nous vivons dans un monde globalisé et standardisé. Plus que jamais, la diffusion massive, de par le monde, de la culture mainstream nord-américaine met, d’une certaine manière, en péril notre identité culturelle, et pas seulement la nôtre au demeurant ! Ainsi, plus que jamais, la France et l’Europe ont besoin d’affirmer et de défendre les valeurs qui leur sont propres, valeurs que notre collègue Louis Duvernois a fort bien rappelées.
Telles sont les conclusions du rapport sur la gouvernance européenne du numérique, que je viens de terminer au nom de la commission des affaires européennes.
L’avènement de l’internet représente un potentiel énorme de promotion de la richesse et de la diversité culturelles française et européenne. Mais elle peut également, si nous n’y prenons garde, être synonyme d’homogénéisation culturelle. On le sait, internet déstabilise les modalités actuelles du financement de la culture, à la fois par son apparente gratuité et son absence de territorialité, qui lui permet d’échapper aux régulations nationales.
Si l’expression des contenus émane des territoires nationaux, il revient à l’Europe d’organiser la stimulation de la création et la transition numérique de l’ère industrielle. En ce domaine, plusieurs instruments que j’évoque dans mon rapport sont mobilisables, mais l’Union doit savoir si elle veut poursuivre cette politique culturelle ou se livrer, pieds et mains liés, à quelques géants, principalement américains, qui ambitionnent d’organiser l’information du monde.
Un débat au sein de l’Union est en cours. Douze États, dont la France, ont appelé en novembre dernier la Commission à soutenir la culture, par une lettre conjointe adressée aux commissaires Vassiliou, Barnier et Kroes, dans laquelle ils les invitaient à faire de la création culturelle en Europe un enjeu majeur.
Dans ce domaine principalement, nous avons besoin de renouveler totalement notre stratégie, faute de quoi nous sommes voués au sous-développement et à n’être qu’une colonie du monde numérique.
Cela étant dit, j’aimerais revenir sur quelques autres aspects de notre rayonnement culturel.
Tout d’abord, il me semble opportun de pouvoir faire un bilan des deux premières années de fonctionnement de l’Institut français, présidé par Xavier Darcos, et chargé, dans le cadre de la politique et des orientations arrêtées par l’État, « de porter une ambition renouvelée pour la diplomatie d’influence et de contribuer au rayonnement de la France à l’étranger dans un dialogue renforcé avec les cultures étrangères ».
Comme l’a rappelé Louis Duvernois, l’Institut a vocation à s’imposer comme l’opérateur central de notre action culturelle extérieure, en déclinant selon les zones géographiques les priorités stratégiques de notre politique d’influence. Pour ce faire, il doit articuler et soutenir la programmation culturelle développée par notre réseau de 98 établissements à autonomie financière culturels et le réseau associatif des 445 Alliances françaises conventionnées. Il lui appartient, en particulier, de professionnaliser les leviers de notre dispositif d’influence culturelle à l’étranger, en mettant l’accent sur la formation de nos agents culturels et le développement des outils numériques de diffusion culturelle et d’enseignement du français. L’Institut a d’ailleurs commencé à s’acquitter de cette mission.
En revanche, comme le soulignait le rapporteur pour avis sur la mission budgétaire, Louis Duvernois, les « relations avec les Alliances françaises mériteraient d’être clarifiées ». Celles-ci ne doivent en effet pas être marginalisées parallèlement au développement de l’Institut français.
Je conserve encore le souvenir ému de cette toute petite Alliance française, îlot de résistance, au cœur de la forêt amazonienne, à Manaus ! Dans le cadre de notre mission sur l’année de la France au Brésil en 2009, les membres de la commission de la culture avaient rencontré sa directrice, qui se sentait bien seule et démunie. Et pourtant, quel travail elle accomplissait ! L’activité des alliances est précieuse, comme notre commission le constate à chacun de ses déplacements.
Aussi, le travail de l’Institut français devrait se concentrer sur l’animation effective et efficace de tout le réseau culturel extérieur. Quelle est, à cet égard, monsieur le ministre, votre ambition ? Quelles missions nouvelles et innovantes souhaitez-vous confier à l’Institut français, pour qu’il rivalise avec ses concurrents britanniques ou néerlandais, très bien organisés ?
J’aimerais à présent revenir rapidement sur les crédits de la mission « Action extérieure de l’État ». On ne peut que constater et regretter les coupes budgétaires opérées dans le cadre de la loi de finances pour 2013, dans un secteur déjà très contraint. Naturellement, je partage la nécessité de maîtriser nos dépenses publiques ; néanmoins, la diplomatie culturelle et d’influence a déjà subi d’importantes contractions de ses moyens.
On peut regretter que les efforts de réduction des dépenses portent principalement sur des politiques fondamentales.
Les crédits dédiés à l’animation du réseau, qui comprennent non seulement les frais de communication, d’informatique, de missions et de représentation, mais également les moyens consacrés à la formation des agents, diminuent de 6,4 %, les crédits de soutien au réseau culturel étant en particulier réduits de 5,6 %.
Les crédits de la coopération culturelle et de promotion du français accusent pour leur part la baisse la plus importante du programme, de l’ordre de 6,5 millions d’euros, soit une diminution de 7,66 %. Or, concernant la francophonie, un appui politique fort et déterminé est nécessaire.
Je ne rappellerai pas le rôle fondamental que joue l’Organisation internationale de la francophonie, qui rassemble 63 États, dans la promotion de la langue française, notamment face à la prééminence de l’anglais. Tous les moyens doivent être mis en œuvre, y compris les plus innovants, pour maintenir, à travers le français, une nécessaire diversité linguistique et des idées. Quelle est la réflexion du ministère à ce sujet ?
Aussi, il est important que la France renforce sa position sur le marché international de l’économie du savoir, en exportant l’enseignement supérieur en français ou à la française et en cherchant à attirer et à fidéliser les jeunes générations, notamment les meilleurs étudiants étrangers, par des programmes d’échanges et de mobilité.
Là encore, il faudra s’appuyer sur l’Institut français pour moderniser l’enseignement du français dans les systèmes éducatifs locaux, à tous les niveaux d’enseignement.
Je voudrais également dire quelques mots des années croisées qui ont le bénéfice de l’échange et portent le dialogue des cultures.
En 2009, dans le rapport d’information que nous avions rédigé, à la suite du déplacement de la commission de la culture au Brésil, nous concluions que le bénéfice de tels investissements devait induire des prolongements en matière de coopération. En a-t-on aujourd’hui les moyens ?
On notera que le rayonnement extérieur de la France ne passe pas exclusivement par l’État et que les territoires développent souvent des politiques durables, comme nous avons pu le constater, voilà encore deux semaines, lors du déplacement de notre commission au Vietnam. La coopération entre la province de Hué et la région Nord-Pas-de-Calais a entraîné d’autres coopérations et des réflexes dans les échanges. Certains pays de la francophonie sont très demandeurs du renforcement de ce type de coopération.
Pour prendre un exemple concret, l’orchestre du troisième cycle du conservatoire de la ville de Rouen, que vous connaissez bien, monsieur le ministre, est intervenu avec ses enseignants à Hanoï à l’occasion de son millénaire en 2010, en échange de quoi des étudiants vietnamiens sont venus dans notre ville apprendre la musique et la langue.
On constate donc que les bénéfices sont réciproques.
Pour terminer, il me semble indispensable, pour soutenir et mettre en avant toute cette politique de rayonnement et d’influence, que la France s’appuie sur un audiovisuel extérieur totalement imprégné par cette réflexion. Là encore, la concurrence avec les autres pays doit nous conduire à renforcer notre pôle audiovisuel extérieur.
Forte de l’expérience de TV5 Monde, la nouvelle présidente de l’Audiovisuel extérieur de la France, l’AEF, Marie-Christine Saragosse, a bien engagé son mandat. Il convient de saluer son travail.
Fin 2011, un rapport de l’inspection générale des finances sur la santé financière des chaînes de l’AEF soulignait que, si les chaînes avaient su s’imposer malgré un environnement fortement concurrentiel, l’application d’un principe de précaution budgétaire et le renforcement des synergies au sein du groupe devaient être mis en œuvre.
Sur ce sujet, je vous remercie de bien vouloir nous éclairer, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées de l'UMP et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues : « Tout a changé, nous ne sommes plus les rois du monde... » Voilà ce que déclarait Bernard Kouchner, alors ministre des affaires étrangères, en juillet 2010, lorsque fut lancé l’Institut français, la nouvelle agence pour l’action culturelle extérieure de notre pays.
C’est probablement, en partie, parce que nous avons cru trop longtemps que nous étions « les rois du monde » que notre diplomatie culturelle accuse un certain retard et souffre parfois d’un manque de légitimité.
L’anthropologue Philippe Descola, professeur au Collège de France, a bien résumé le défi auquel est confrontée notre diplomatie d’influence : « Incarner une civilisation singulière, sans pour autant présumer de la supériorité de sa culture. »
En ce sens, l’expression apparemment consensuelle de « rayonnement culturel de la France » mérite d’être questionnée. Ne fait-elle pas référence en creux à une certaine « splendeur passée », que d’aucuns aimeraient retrouver, sans pour autant remettre en question notre modèle ? Ne nous ramène-t-elle pas à une époque désormais lointaine où la culture française dominait, si ce n’est le monde, du moins l’Europe ?
Or, les choses ont bien changé, notamment depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, après laquelle Paris a perdu sa place de capitale des artistes et du marché de l’art. Il est sans doute temps d’en prendre véritablement conscience si nous voulons construire la diplomatie culturelle du XXIe siècle.
Quand on aborde l’action culturelle extérieure de la France, deux types de chiffres sont à distinguer.
Certains témoignent de la vitalité et de l’attractivité de la culture made in France dans le monde : 50 000 manifestations culturelles organisées chaque année par le réseau culturel français, 101 instituts français, plus de 8 000 artistes, auteurs ou professionnels de la culture soutenus dans plus de 150 pays.
D’autres en revanche, moins glorieux, reflètent le déclin apparemment irréversible de notre diplomatie culturelle traditionnelle : un tiers de nos centres et instituts culturels à l’étranger ont été fermés depuis l’an 2000, le budget de l’action culturelle extérieure a baissé de plus de 20 % depuis 2007…
Cela explique notamment que, dès 2007, un rapport d’information sénatorial s’interrogeait sur « les réponses [à] apporter à une diplomatie culturelle en crise ».
Le chercheur et journaliste Frédéric Martel a dressé un constat volontairement provocateur : « Notre réseau culturel est déprimé, ses moyens dilués, sa gouvernance obsolète, ses nominations politisées ou dictées par l’énarchie diplomatique – bref, il ne fonctionne plus. »
Même si je n’adhère pas à de tels propos, ils ont le mérite de soulever un certain nombre des difficultés réelles que rencontre notre diplomatie culturelle depuis plusieurs années.
Que pouvons-nous donc faire pour redynamiser ce ressort essentiel de toute politique étrangère complète et efficace ?
Les Chinois l’ont bien compris, eux qui investissent massivement dans leurs instituts Confucius, présents à ce jour dans une centaine de pays, alors que les premiers ont ouvert leurs portes voilà seulement quelques années.
Si les baisses drastiques des moyens accordés à notre réseau culturel à l’étranger ne sont pas acceptables, elles ne nous empêchent pas de nous interroger sur les alternatives possibles pour développer un véritable soft power à la française.
D’ailleurs, particulièrement en matière de diplomatie d’influence, l’argent n’est peut-être pas le « nerf de la guerre », si je puis m’exprimer ainsi. Ce n’est pas parce que l’Institut français a un budget supérieur à celui des instituts Goethe et Cervantes ou du British Council que notre diplomatie culturelle est nécessairement plus efficace.
M. Jean-Louis Carrère. Elle ne l’est pas nécessairement moins non plus !
Mme Françoise Laborde. D’ailleurs, comment mesurer la réussite et l’efficacité en la matière ? C’est une question délicate. Si la diplomatie culturelle est un aspect essentiel de la diplomatie, elle ne doit pas, pour autant, être laissée entre les mains des seuls diplomates, aussi brillants soient-ils.
Par exemple, si le British Council ou le Goethe Institut sont de véritables bras armés de la diplomatie culturelle, ils restent autonomes vis-à-vis des ministères des affaires étrangères de leurs pays respectifs. Est-ce ce qui fait leur force ?
Le mot « culture » est tout aussi essentiel que celui de « diplomatie ». C’est peut-être, non pas aux diplomates, non pas aux pouvoirs publics en général, mais avant tout aux artistes, aux professionnels de la culture et aux industries culturelles elles-mêmes qu’il incombe de faire vivre la culture française à travers le monde et de faire vivre, dans le même temps, la francophonie.
Le rôle de la puissance publique est alors d’encourager, d’accompagner, de favoriser les synergies plutôt que de définir elle-même les standards culturels qu’elle voudrait voir « rayonner » dans tous les pays. Il faut arrêter, comme c’est encore malheureusement le cas dans certains services culturels des ambassades, de vouloir imposer de façon unilatérale notre culture, nos artistes, nos œuvres.
Laissons au contraire les acteurs et les institutions étrangères venir elles-mêmes, naturellement, vers eux, grâce à une diplomatie d’influence subtile et véritablement efficace.
C’est au nombre de commissaires d’exposition étrangers qui présenteront des artistes français et de théâtres qui programmeront des auteurs ou collaboreront avec des metteurs en scène français que nous pourrons mesurer ce fameux rayonnement culturel.
Plutôt que de fournir à des professionnels des expositions d’artistes français « clés en main », aidons ces derniers à les construire. Il s’agit d’ailleurs d’une condition indispensable pour offrir à nos artistes une véritable légitimité internationale.
Un certain nombre d’initiatives de notre diplomatie culturelle vont d’ailleurs dans ce sens, tel l’échange entre galeries d’art contemporain françaises et allemandes à travers le projet Paris-Berlin, rendu possible grâce au soutien des services culturels de l’ambassade de France à Berlin.
Le numérique, encore trop souvent considéré comme un danger alors qu’il constitue également une chance incroyable pour le développement de notre soft power, présente un potentiel dont notre diplomatie culturelle devra également se saisir pleinement.
Enfin, le rayonnement de la France passe par la capacité de notre réseau diplomatique à susciter et à encourager le débat d’idées et les échanges avec les autres cultures. Cet axe essentiel de notre diplomatie culturelle, dont nous pouvons être particulièrement fiers, mérite d’être préservé et renforcé.
La diplomatie culturelle peut également se manifester par d’autres canaux, notamment ceux d’une diplomatie plus classique – ou hard power – dans le domaine commercial, par exemple.
L’annonce récente de l’engagement des négociations sur un accord de libre-échange historique entre l’Union européenne et les États-Unis a relancé le débat sur l’exception culturelle. Défendue par certains diplomates français dans les coulisses du GATT puis de l’OMC, dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, cette notion a finalement abouti à la convention de l’UNESCO sur la diversité culturelle, adoptée en 2005.
Constant sur ce point, le Président de la République a déclaré, le 15 mars dernier, que l’exception culturelle ne devrait donc plus faire partie des points de négociation de l’accord de libre-échange entre Union européenne et États-Unis.
Pour conclure, je souhaite insister sur la nécessité de donner une dimension européenne à la diplomatie culturelle. C’est en construisant avec nos voisins l’identité d’une culture européenne, dont la force réside dans la diversité et qui ne signifie en rien l’effacement des cultures nationales ou régionales, que nous pourrons construire un soft power véritablement puissant face aux États-Unis, qui demeurent pour l’instant les maîtres en la matière, et aux puissances émergentes, telles que la Chine ou les pays du Golfe. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si la compétition est une réalité dans le monde actuel, la culture mérite mieux que l’exacerbation des rivalités. Même avec des moyens modestes, et particulièrement avec des moyens modestes, c’est la qualité des liens tissés qui importe.
Riche, de par son histoire, en ressources, compétences et institutions en charge de l’action extérieure, la France doit veiller à ne pas faire montre de supériorité face aux autres pays, qui ont bien compris l’importance de la diplomatie culturelle et de la sobriété de ton dans le monde d’aujourd’hui.
Une grande attention doit être portée à ce que nos opérateurs ou représentants ne se fassent pas de concurrence déconcertante sur le terrain.
La réforme de la précédente mandature a donné la main au Quai d’Orsay, qui a ses propres stratégies et qui s’inscrit dans des conflits mondiaux auxquels la France a décidé de prendre part. Mais la culture est un dialogue permanent entre les peuples, qui ne s’arrête ni aux frontières, ni aux conflits, dans lesquels elle doit rester le fil ténu qui permet encore de s’entendre et de faire résonner les atouts de la diversité culturelle.
Le rayonnement ne se décrète pas ; il s’apprécie a posteriori dans l’estime que nous gagnons chaque fois que nous ouvrons des espaces de formation, que nous faisons se rencontrer des artistes ou circuler des œuvres, dans les deux sens, bien sûr, ou chaque fois que des équipes mixtes de recherche travaillent pour répondre à de vrais besoins et partagent la signature de publications.
L’impératif de maîtrise des finances publiques ne doit pas nous faire perdre de vue que l’action culturelle extérieure de la France doit être appréhendée comme un investissement d’avenir. Nous sommes attendus sur la formation des formateurs en enseignement artistique, sur la francophonie et les échanges de professeurs et d’étudiants, sur les meilleures méthodes d’aide au cinéma, à l’édition, à la protection des droits des artistes, à la gestion du patrimoine...
Nous avons à apprendre et à nous émerveiller des cultures à découvrir.
Nous navrons nos amis quand, au nom de la prévention de l’immigration clandestine, nous bloquons aux frontières le violoniste du sextuor à cordes, les percussionnistes africains du festival de Bidon, un jeune chercheur en informatique qui sera accueilli à bras ouverts chez Apple. Et l’incompréhension est totale quand notre consulat de Yaoundé ne délivre pas de visa à la déléguée africaine de l’école Freinet, l’empêchant de participer au congrès mondial de cette institution, malgré son billet de retour payé, malgré son hébergement assuré, malgré l’invitation montrée et malgré les interventions de plusieurs parlementaires.
Tout cela, c’était avant 2012. Les écologistes attendent le changement et les preuves de ce changement...
Nous sommes convaincus que la réciprocité est davantage porteuse d’espoirs de retombées d’échanges plus marchands et durables que la simple volonté offensive de rayonnement motivée par la seule envie de conquérir de nouveaux marchés.
Malheureusement, les missions culturelles du ministère des affaires étrangères ont souffert d’une baisse significative de leurs crédits.
Si nous voulons repenser notre politique de coopération culturelle en sortant des vieux schémas hérités de la période postcoloniale, la culture ne doit pas être la « cerise sur le gâteau » de notre politique de développement.
Dans un monde en tension, la coopération culturelle constitue un moyen de prévention des conflits. Sans culture, pas de paix ; sans paix, pas de développement possible. Je pense donc que l’Agence française de développement gagnerait à soutenir de tels projets.
De retour d’un déplacement au Vietnam avec une délégation de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, j’ai noté que le financement de la saison croisée était assuré pour plus d’un tiers par des entreprises. De fait, l’attaché d’ambassade en charge des questions économiques gérait davantage ce dossier que le conseiller culturel. Le mécénat ne saurait dissimuler un désengagement financier de l’État. Il ne s’agirait pas d’un bon signal envoyé à nos partenaires
Savez-vous que l’École française d’Extrême-Orient ne compte plus qu’un seul chercheur en poste à Hanoï, contre trois auparavant ?
Toujours en matière de recherche, alors que l’Europe nous emmène vers une mutualisation de nos outils de coopération, notre Agence nationale de recherche ne finance pas les projets montés en collaboration avec des équipes étrangères. N’est-ce pas contradictoire ?
Pour éviter de vous dresser un tableau trop noir, je tiens néanmoins à saluer l’excellent modèle que constitue le laboratoire de recherche consacré à la génomique du riz, partenariat exemplaire de chercheurs français et vietnamiens, avec de jeunes étudiants, sur un sujet essentiel pour l’avenir et la sécurité alimentaire du Vietnam, et cela sans OGM ni brevets confiscatoires.
Je suis en revanche toujours déçue du peu d’importance accordée par l’État à l’action de nos collectivités territoriales, parfois réduites au simple statut de co-financeur, alors qu’elles savent souvent tisser des liens plus étroits dans la durée.
Enfin, je souhaite que la France fasse vivre partout la convention de l’UNESCO relative à la diversité culturelle. Ce texte de référence doit s’appliquer dans toutes ses dimensions et inspirer de multiples chantiers auxquels nous pourrons participer grâce à des coproductions et à une diffusion de qualité, en lien avec nos partenaires et dans le respect de leurs attentes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Jacques Legendre applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. René Beaumont.
M. René Beaumont. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous savons tous que la dimension culturelle et linguistique constitue un atout incontournable pour le développement de l’influence de notre pays et la promotion de nos intérêts.
Héritière d’un patrimoine prestigieux, d’une culture vivante et d’une certaine singularité dans l’expression de ses positions, la France bénéficie encore d’une forte attractivité. Cependant, sa place se banalise sur la scène mondiale. Dans le domaine de la culture et des idées, elle demeure bien évidemment une puissance qui compte, mais jusqu’à quand ?
Dans le contexte de la mondialisation, le rayonnement culturel de la France est soumis à des tensions contradictoires.
Toutefois, grâce aux nouvelles technologies de l’information qui offrent des capacités de diffusions considérables, le nombre de personnes pouvant avoir accès à la culture française n’a jamais été aussi important.
Nos opérateurs culturels nationaux publics et privés, dans le domaine des arts mais aussi des sciences, les utilisent largement. Les universités, les centres de recherche et les opérateurs en charge de l’action culturelle extérieure y ont recours également.
Leurs contenus, diffusés en langue française, font aussi l’objet, de plus en plus souvent, d’une traduction afin d’accroître leur diffusion. Ainsi, le nombre de personnes dans le monde susceptibles d’accéder à ces contenus est infini. Il n’est limité que par la capacité des individus à accéder aux technologies et par les obstacles posés par certains États soucieux de contrôler l’accès aux sites internet.
Les nouvelles technologies nous offrent donc un potentiel extraordinaire pour décupler nos efforts. Nous devons nous atteler à les développer, car la concurrence étrangère est sévère.
Non seulement nos concurrents traditionnels, Américains, Britanniques et Allemands, accentuent leurs efforts, mais on voit bien qu’avec le développement des nouvelles technologies d’autres puissances émergentes deviennent beaucoup plus offensives et mènent une action culturelle au-delà de leurs frontières, à l’image de la Chine, des pays du Golfe ou encore de la Turquie dans le monde arabo-musulman.
La capacité de rayonnement culturel d’un État à l’étranger va donc dépendre très largement de sa capacité à créer les conditions de promotion de sa culture et de sa langue, qui en est le premier vecteur. Or cette promotion suppose des investissements que, malgré le « désir de France » que l’on peut observer lorsque l’on est en déplacement à l’étranger, nous sommes parfois en mal de financer aujourd’hui.
Le budget voté pour 2013 dans le domaine de la diplomatie culturelle et d’influence est caractéristique de ces limites, puisqu’il se traduit par une stabilité apparente qui masque en fait une réduction continue des moyens. Les crédits du programme 185 sont en diminution de 0,5 %, parce que leur composante majeure en termes budgétaires, l’Agence pour l’enseignement du français à l’étranger, n’est pas affectée par les règles de cadrage imposées aux autres secteurs.
Nombre de composantes se voient en effet appliquer des réductions de crédits pouvant aller jusqu’à 7 %. L’Institut français, dont la loi du 27 juillet 2010 a fait l’opérateur de l’action culturelle extérieure de la France, voit ainsi ses crédits diminuer de 7 %. Il en va de même des crédits pour opérations du réseau culturel dans ses deux composantes, en particulier les Alliances françaises.
Est-ce donner les meilleurs atouts à la rénovation de nos outils entreprise sous le gouvernement de François Fillon, il est vrai, mais sur la base d’un rapport conjoint des commissions de la culture et des affaires étrangères du Sénat adopté, il faut le rappeler, à l’unanimité ?
Sans doute des économies peuvent-elles être réalisées, mais je crains qu’à force de récurrence on n’en soit davantage à réduire la voilure plutôt qu’à rechercher des gains de productivité.
La dernière invention est l’appel à l’autofinancement, qui, il est vrai, est devenu un indicateur de gestion et de performance figurant en bonne place dans les instruments d’évaluation du projet annuel de performance et des contrats d’objectifs et de moyens. Il a cependant des limites.
D’abord, selon la nature des activités, la régularité de la ressource peut être plus ou moins certaine. Si en 2011 les établissements d’enseignement français ont réuni des cofinancements à hauteur de 174,6 millions d’euros, essentiellement grâce aux cours de langue, le montant attendu pour 2012 ne devait être que de 150 millions d’euros.
Ensuite, des disparités existent non seulement selon les domaines d’activités, mais aussi selon les pays, leurs ressources, le degré d’implication des entreprises françaises et, bien sûr, selon la conjoncture économique.
Il ne faudrait pas que la quête d’autofinancement introduise des facteurs d’exclusion et se traduise par un désengagement dans les pays économiques les plus vulnérables.
J’ajoute que, en période de crise, les entreprises réduisent singulièrement les sommes qu’elles peuvent consacrer à des actions de mécénat et se tournent en priorité vers la préservation de leurs marges et de leurs emplois.
Dans un tel contexte budgétaire, la conciliation du développement de nos actions et des restructurations en cours est une équation impossible. C’est bel et bien à une réduction tant des activités de notre opérateur que des réseaux que nous allons assister.
En revanche, je me réjouis des efforts conduits en matière d’attractivité et de mobilité des jeunes, y compris dans le financement de notre système d’enseignement supérieur. C’est un enjeu important.
La population étudiante étrangère atteint près de 290 000 étudiants, soit une augmentation de 65 % en dix ans ; elle représente 12,3 % des inscrits.
Il existe certes une demande forte, mais aussi une véritable concurrence internationale. Ainsi, selon les données de l’UNESCO, la mobilité étudiante à l’étranger devrait doubler dans les dix prochaines années et concerner environ 7 millions d’étudiants en 2025.
La France reste bien placée, mais la part relative des intervenants traditionnels commence à se réduire avec l’arrivée de nouveaux entrants, notamment en Asie.
Il est important que nous puissions maintenir nos capacités, car c’est un élément d’influence que de pouvoir former les élites des autres pays, non seulement dans le domaine des humanités, mais aussi dans les matières scientifiques et technologiques.
Notre attractivité doit d’abord se fonder sur l’excellence de nos cursus de formation ainsi que sur leur capacité à proposer des formations de standard international et adaptables aux besoins des publics.
La politique des bourses est évidemment un pilier important, mais à condition d’être vraiment sélective.
Enfin, il appartient à l’État d’être un facilitateur, en diffusant l’information, en favorisant les partenariats et en apportant des services.
À cet égard, je me réjouis de la rationalisation de nos outils et du développement par Campus France d’une capacité à proposer aux gouvernements étrangers, notamment à ceux des pays émergents, un système performant de gestion des bourses de leurs étudiants en France, en apportant, outre un suivi, les ressources nécessaires sans solliciter le budget de l’État.
En effet, nombre de gouvernements étrangers ont mis en place des modes de financement des études à l’étranger de leurs ressortissants, qu’ils considèrent comme un investissement d’avenir. De ce point de vue, le partenariat conclu récemment avec le Brésil dans le cadre de son programme Sciences sans frontière est exemplaire.
Néanmoins, le développement de cette politique suppose quelques moyens budgétaires. À observer l’utilisation des crédits de la diplomatie culturelle et d’influence comme une traditionnelle variable d’ajustement, je crains que nous ne puissions poursuivre nos efforts dans les années à venir. Mais peut-être me démentirez-vous, monsieur le ministre ? Je le souhaite en tout cas !
Par ailleurs, nous sommes toujours en attente du projet de contrat d’objectifs et de moyens de Campus France.
Dans l’actuel contexte économique et budgétaire difficile, j’ai l’impression que la limitation des crédits résulte d’une application quasi uniforme qui ne permet pas d’afficher les véritables priorités de notre action, ce qui me navre
On a un peu le sentiment, monsieur le ministre, d’un navire sur son aire dont on alimente de moins en moins le moteur, mais auquel on ne donne plus de véritables orientations. En l’occurrence, les orientations sont les priorités thématiques. Est-ce l’action culturelle ? Est-ce l’attractivité et la mobilité des jeunes ? Est-ce la coopération scientifique, puisque votre ministère vient d’annoncer une stratégie portant sur la diplomatie scientifique ? Est-ce le développement de l’enseignement français à l’étranger ? Faut-il continuer à conventionner et à créer des établissements dès qu’un État étranger le souhaite ?
Monsieur le ministre, à l’automne dernier, en commission, vous avez annoncé une réflexion sur ce sujet. Qu’en est-il ? Quelles sont les premières orientations ? Est-ce la diffusion de la langue française ?
Pouvez-vous nous dire où en est la rédaction du contrat d’objectifs et de moyens de l’AEFE ?
Des priorités géographiques doivent également être envisagées. Quels sont les pays cibles ? Dans quelles zones voulons-nous affirmer prioritairement notre présence ? Quels moyens affecterez-vous à ces priorités ?
Parce que, choisir, c’est aussi renoncer, en contrepartie nous devrons indiquer en quels lieux nous limiterons notre présence et nos efforts. Nous devons fixer le dispositif minimal que nous souhaitons conserver et restructurer à cette fin notre réseau.
Monsieur le ministre, je le reconnais, au cours de mon propos, je vous ai « soumis à la question ». En tout cas, je vous ai posé de nombreuses questions. Mais il est essentiel que la représentation nationale connaisse toutes les orientations envisagées pour pouvoir en apprécier la portée. Ainsi, votre présence dans cet hémicycle vous permettra de donner un peu plus de relief aux pistes que vous avez esquissées et dont la concrétisation est encore difficile à percevoir. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)