M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel.
M. Jean-Marie Bockel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, force est de constater que la réforme de la taxe professionnelle constituait, à première vue, une bonne initiative. En effet, elle s’inscrivait a priori dans une démarche de simplification de la fiscalité économique locale, l’objectif étant de développer la compétitivité des entreprises en allégeant leur charge fiscale à travers la suppression de la taxation sur les investissements productifs.
Cette démarche vient de loin : il y a une dizaine d’années, l’association des grandes villes de France, que je présidais alors, débattait déjà de cette question avec les entreprises et le gouvernement de l’époque. Par la suite, le rapport Lambert a été publié, des tables rondes ont été organisées. Bref, cette réforme n’est pas soudain tombée du ciel en 2009 : on en comprend mieux l’esprit lorsqu’on se réfère à toutes les réflexions qui l’ont précédée.
La taxe professionnelle représentait 45 % des recettes fiscales des collectivités territoriales dans leur ensemble et 18 % de leur budget de fonctionnement. Le produit payé par les entreprises était de l’ordre de 30 milliards d’euros. C’est dire si cette réforme a bouleversé le paysage de la fiscalité locale, sans pour autant donner aux acteurs locaux les outils nécessaires à leur dynamisme.
En 2010, les collectivités ont perçu une compensation relais qui s’est substituée à la taxe professionnelle. Très bien ! Toutefois, en 2011, leurs ressources ont subi d’importants changements, en raison de l’instauration du nouveau panier fiscal perçu en lieu et place de la taxe professionnelle. C’est alors que les difficultés se sont fait jour.
De fait, à l’origine, la réforme se fondait sur le principe de la compensation intégrale et de l’équilibre. Qu’en est-il aujourd’hui ? Que peut-on attendre de l’évolution à venir ? La contribution économique territoriale a-t-elle vocation à devenir une ressource dynamique pour soutenir l’investissement public, ou s’agit-il simplement de garantir un équilibre fixé pour la seule année 2010 ? À l’époque, la réforme nous semblait financièrement neutre. Néanmoins, à moyen et long terme, les transferts de ressources auront bien des effets différents selon le poids des diverses composantes du nouveau panier fiscal de chaque collectivité, notamment dans leurs potentiels de croissance respectifs.
Le risque est alors de créer des situations à géométrie variable en fonction des territoires et des collectivités, au point de rompre la solidarité de ces espaces et de creuser une fracture territoriale difficilement supportable, tant pour nos concitoyens que pour les collectivités.
En somme, le nouveau panier fiscal ne connaît pas une croissance aussi soutenue que la progression enregistrée par les bases de la taxe professionnelle. Dès lors, les leviers fiscaux dont disposent les collectivités sont moins importants qu’auparavant, avec une autonomie fiscale réduite et une perte de dynamisme des bases, le tout dans un contexte économique général particulièrement tendu, que nous avons tous mentionné.
Pour ma part, je m’attacherai à certains aspects de la situation actuelle.
Tout d’abord, la CET est plafonnée à 3 % de la valeur ajoutée des contribuables, au lieu de 3,5 % pour la taxe professionnelle, ce qui réduit le recours au levier fiscal. La collectivité vote le taux de la CFE, mais celui de la CVAE est, lui, établi au niveau national et figé à 1,5 %. Il est lié aux évolutions nationales et internationales : voilà pourquoi sa progression est, naturellement, fortement ralentie.
Monsieur le ministre, dans le contexte actuel de crise économique et de mutation profonde de nos territoires, ces mécanismes ne sont-ils pas de nature à affecter le dynamisme des collectivités locales, en amputant leur capacité à investir – à une époque où on attend beaucoup de leurs investissements, notamment dans le monde de l’entreprise – tout en accroissant leur dépendance à l’égard de l’État ?
Nous avons tous un vécu local particulier. J’ai à l’esprit, quant à moi, le devenir de mon agglomération mulhousienne. En 2011, nous avions modérément actionné le levier des taux d’imposition. Nous avions également agi sur la fiscalité additionnelle et mis en place notre propre politique d’abattement de taxe d’habitation, afin d’atteindre le niveau de ressources nécessaire pour couvrir nos dépenses. Nous avions dû agir sur deux postes, la CFE et les impôts-ménages, car les autres recettes étaient figées. Bien entendu, cela a entraîné une perte de dynamisme, que, par rapport aux évolutions antérieures à la réforme, nous avons évaluée à 1,5 million d’euros par an, chiffre indiscutablement important.
Les limites de ce levier fiscal sont apparues en 2012, dans le contexte de crise touchant aussi bien les entreprises que les ménages. Nous nous sommes alors engagés dans une politique d’économies – c’est toujours possible ! – et de modération de la fiscalité. Elle pèsera naturellement sur nos investissements et sur les services à la population. Certes, nous essayons de procéder de manière raisonnable et équilibrée, mais nos décisions ne sont évidemment pas neutres.
Voilà pourquoi, comme tous mes collègues, je m’interroge sur le bilan de cette réforme. Tout n’est pas noir ou blanc, comme pourrait le laisser penser le propos quelque peu manichéen de notre collègue Frédérique Espagnac.
Nous comptons sur vous pour, dans les mois ou les années qui viennent, améliorer la méthode, dont je reconnais qu’elle était perfectible, prendre en compte la situation économique et les attentes des collectivités ainsi que la défense de la justice fiscale. Peut-être, alors, porterez-vous un jugement plus nuancé sur l’exercice auquel nous nous sommes confrontés. Il était difficile hier et avant-hier, il l’est aujourd’hui et il le sera toujours demain ! Dans ce domaine, en effet, l’art est difficile…
Nous hésitons, bien sûr, à agir sur le levier fiscal. Nous nous contentons donc de limiter les dépenses et les investissements. Ces choix auront certainement des conséquences préjudiciables, qui doivent être évoquées avec le Gouvernement, dans un esprit ouvert.
Mme Françoise Laborde. Comme sous le précédent gouvernement ? Faites un effort de mémoire !
M. Jean-Marie Bockel. On le sait bien, en effet, l’essentiel des investissements créateurs d’emplois, en particulier dans le secteur du BTP, qui est en crise, provient des collectivités locales.
Nous attendons donc beaucoup du dialogue à venir entre le Parlement et le Gouvernement, afin de parfaire cette méthode, d’en éliminer les effets pervers et de retrouver l’esprit originel de cette réforme, qui était très positif. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. François Patriat.
M. François Patriat. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette discussion sur la taxe professionnelle a commencé il y a quelques semaines, avec Jérôme Cahuzac. Je voudrais à mon tour lui rendre hommage pour le travail accompli avec compétence et énergie, et saluer ses efforts pour le rétablissement des comptes publics. Monsieur le ministre, je connais votre énergie, votre clairvoyance et votre intelligence, et je vous souhaite bonne chance dans cette fonction exigeante à un moment difficile pour notre pays !
M. François Trucy. Tout à fait !
M. François Patriat. Nous sommes réunis aujourd'hui pour dresser le bilan d’une réforme dont certains vantent les mérites, tandis que d’autres la jugent totalement négative. Au passage, je me permets de dire que tel n’était pas le sens de l’intervention de Mme Espagnac, qui a mesuré ses propos en décrivant une réforme que je considère, moi, comme à la fois brutale, coûteuse et inefficace.
Pour autant, je ne nie aucunement la nécessité qu’il y avait de réformer un impôt qu’on était effectivement allé jusqu’à qualifier d’imbécile.
La réforme à laquelle il a été procédé était censée avoir deux vertus : mettre un terme à des iniquités et à des transferts vers l’État ; fonder un impôt sur les entreprises qui soit juste, efficace, et qui procure aux collectivités locales les ressources dont elles ont besoin.
Elle dissimulait cependant une arrière-pensée, que personne n’a encore évoquée aujourd’hui : il s’agissait aussi de régler des comptes avec des collectivités considérées comme non amies, auxquelles on faisait assumer de nouvelles charges, certes nécessaires, mais en leur interdisant de bénéficier des ressources afférentes.
Cette réforme a été brutale parce que sa mise en place n’a été précédée ni d’évaluations véritables ni d’une concertation digne de ce nom. Elle a été menée à la hussarde, un peu comme de la loi TEPA, celle qui devait, souvenez-vous, créer un « choc de confiance », un « choc de croissance » et faire croire que le problème de la compétitivité était résolu.
Cette réforme a été coûteuse : elle a induit, la première année, selon Gilles Carrez lui-même, une dépense représentant plus du double des 3,6 milliards d’euros prévus au départ. Avec la loi TEPA, elle a fait partie de ces mesures qui ont accru le déficit de la France, dont nous sommes aujourd’hui comptables et que nous devons effacer.
Cette réforme a été en outre injuste. Mme Des Esgaulx a prétendu tout à l'heure que les plus grands groupes n’en avaient pas vraiment bénéficié. Mais si ! Et à quoi servait-il de diminuer la taxe professionnelle d’Areva, d’EDF, de Carrefour et d’autres, alors que cela allait évidemment fragiliser les collectivités ?
Elle a aussi été injuste parce qu’elle s’est attaquée aux entreprises de travail temporaire d’insertion. Dans ma région, j’en connais auxquelles s’adressent des centaines, voire des milliers de jeunes, et qui ont vu leur taxe multipliée par sept ! Aujourd’hui, elles se plaignent de ne plus pouvoir remplir leur fonction sur le territoire. Or il s’agit là de l’aide directe à l’emploi pour des jeunes sortis du système !
En ce qui concerne les collectivités, je me souviens du cynisme d’un ancien membre du Gouvernement qui, rencontrant avec moi des élus locaux de la Puisaye, en Bourgogne, avait dit à peu près ceci : « Cette réforme, elle est vraiment bien pour les communes. Pour les intercommunalités, elle est bien. Pour les départements, ça va. Mais les régions, c’est vrai, elles n’auront rien ! »
Parlons donc un peu des régions. Avant la réforme, nous bénéficiions de 30 % d’autonomie fiscale. Elle a été ramenée à 9 % à l’issue de la réforme, et il faut voir à quels impôts elle a été cantonnée : les cartes grises et la TIPP ! On nous disait que celle-ci était un impôt porteur… Mais chacun voit bien où est aujourd’hui le problème pour les régions : les immatriculations sont en baisse, et nous faisons tout pour diminuer la consommation de produits pétroliers, et donc la recette de la TIPP !
Nos ressources autonomes sont donc en baisse et, parallèlement, nous n’avons plus aucun pouvoir ! Car vous auriez pu laisser le choix des taux aux collectivités, afin de leur donner une part de responsabilité. Mais vous ne l’avez pas fait, vous les avez confiés à l’État.
Aujourd’hui, les régions ont, en réalité, un budget affecté : on leur dit de combien elles disposent, on leur annonce que la somme va encore diminuer dans les années à venir, mais qu’avec ça il faudra faire plus ! Parce que, tout en leur disant qu’elles doivent s’en tenir à leurs compétences, on les invite à participer au financement des lignes de TGV, des autoroutes, de l’innovation, au plan Campus, au développement industriel, à l’aménagement du territoire, au déploiement du très haut débit, etc. D’où l’effet de ciseaux qui a été évoqué tout à l'heure et qui met nos collectivités en grande difficulté !
Il est vrai que les temps ont changé. Cette réforme n’a pas eu que des effets négatifs, mais nous sommes unanimes pour en demander l’amélioration. Aujourd’hui, il faut aller au-delà de ce qui a été fait et repenser à la fois les missions et les ressources des collectivités locales : il faut que nous ayons des ressources qui correspondent à nos compétences.
Les régions, par exemple, sont désormais en charge des TER. On s’accorde à dire que ce transfert a eu des effets très bénéfiques sur les dessertes locales, où la fréquentation est d’ailleurs en hausse de 30 %. Il y a cependant quelque chose d’incongru à accorder aux régions la responsabilité des TER tout en asseyant leurs ressources sur la TIPP ! Il nous faut corriger cela.
Les compétences des collectivités doivent donc être redéfinies. Ce sera l’objet de la loi future. Il faudra aussi repenser leurs ressources, en mettant l’accent sur les compétences et les responsabilités de chaque niveau de collectivités. Pour ce qui est des régions, nous avons des ressources potentielles avec les opérateurs de télécommunications, avec les moyens de transport, sur lesquels nous pouvons vraiment agir. Elles pourront permettre, demain, aux collectivités d’assumer leurs fonctions.
Je suis convaincu, monsieur le ministre, que vous êtes conscient de nos difficultés. Comme l’État, comme les communes, nous sommes confrontés à des problèmes quotidiens, tels que des fermetures d’entreprises, face auxquels nous tentons de continuer à investir. C’est le cas également avec le monde associatif.
Le budget total des communes s’élève en moyenne à 128 milliards d’euros, celui des départements à 70 milliards d’euros, alors que celui des régions n’atteint même pas 35 milliards d’euros. Dans ce domaine, nous devons donc avancer avec raison et modération, mais également faire preuve d’innovation, afin d’élargir l’horizon de nos territoires.
J’ai débattu un jour avec l’ancien Président de la République dans une usine travaillant pour l’industrie nucléaire au sein de la Metal Valley du nord de la Côte-d’Or. Il avait déclaré vouloir défendre les usines, pas les collectivités locales. Je refuse, quant à moi, d’opposer entreprises et collectivités locales ! À chaque difficulté dans les entreprises, ce sont les collectivités locales qui, prenant leurs responsabilités, sont là pour réparer les dégâts ! Après-demain encore, je recevrai des salariés d’entreprises qui s’apprêtent à fermer des sites dans quelques semaines, brutalement. Ce sont les collectivités locales qui prennent en charge les difficultés qui découlent de telles décisions. Alors, ne les opposons pas aux entreprises !
Je fais confiance au Gouvernement pour engager une réforme des collectivités et une réforme des finances locales qui tiendra compte des succès des réformes fiscales précédentes comme de leurs échecs, en menant les évaluations nécessaires, afin d’offrir aux collectivités les moyens d’assumer leurs missions dans le dynamisme, la sérénité et l’égalité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat.
M. Claude Bérit-Débat. Je voudrais à mon tour rendre hommage à Jérôme Cahuzac et vous dire, monsieur le ministre, tout le plaisir que j’éprouve personnellement à vous voir occuper, avec vos compétences et votre pugnacité, cette fonction à la tête d’un ministère particulièrement important.
La question de la suppression de la taxe professionnelle fait partie, à plusieurs titres, de ces sujets auxquels le Sénat, représentant des collectivités locales, doit s’intéresser. Les orateurs précédents ont d’ailleurs montré l’importance de leur fonction élective dans leur approche de la situation, en mettant l’accent sur tel ou tel aspect.
Ce débat est d’autant plus important pour le Sénat que cette réforme n’a pas eu les effets économiques escomptés. Ce premier point mérite que nous nous y arrêtions. En tant que parlementaires, nous devons nous interroger sur la pertinence de cette réforme. On sait plus ou moins ce qu’elle coûte à l’État et aux collectivités, mais on ignore ce qu’elle leur rapporte, notamment en termes économiques.
Par ailleurs, les conséquences du remplacement de la taxe professionnelle par la CET doivent être précisément établies ; c’est l’objet du rapport qui est à l’origine de ce débat.
La fiscalité locale a été, pour le moins, profondément bouleversée par cette réforme. Les bouleversements sont de deux ordres.
La réforme de la taxe professionnelle a d’abord affecté la composition du panier fiscal des collectivités. Cela a eu d’importantes répercussions sur leur action et, notamment, sur leurs stratégies de développement. J’étais de ceux qui, lors de l’adoption de la réforme, avaient exprimé la crainte que la suppression de la taxe professionnelle n’engendre une perte de dynamisme des ressources fiscales. Cette crainte était fondée : j’en veux pour preuve que le bloc communal, dont il est admis qu’il a été le moins maltraité, en a tout de même été profondément affecté. C’est notamment vrai pour les EPCI dont la seule ressource fiscale était la taxe professionnelle unique, la TPU.
La communauté d’agglomération que je préside avait fait, au départ, le choix de la TPU, sans impôts-ménages additionnels. Cette simplicité fiscale relative avait deux avantages. Elle avait d’abord favorisé le renforcement du lien intercommunal. Elle avait ensuite permis d’élaborer un plan de développement fondé sur un dynamisme prévisible des recettes fiscales, sans peser sur les ménages. Cette époque, qui m’apparaît rétrospectivement comme particulièrement favorable, est bien révolue.
Notre recette unique a été remplacée par sept autres lignes de recettes d’origine économique ou en provenance des ménages, de recettes transférées d’autres collectivités, pour certaines appuyées sur la variable d’ajustement constituée par le FNGIR, le fonds national de garantie individuelle des ressources.
La conséquence de tout cela – le rapport l’établit très bien –, c’est que l’autonomie fiscale des communautés s’est dégradée. La réforme a en effet conduit à une forte augmentation de la part des impôts-ménages dans les ressources fiscales du bloc communal.
Ainsi, dans ma communauté d’agglomération, nous sommes passés d’un financement à 100 % par la TPU à un financement provenant à hauteur de 45 % des taxes- ménages. Dans ces conditions, l’autonomie financière et fiscale dont je suis, en théorie, censé disposer est, en pratique, très réduite.
Se pose un second problème qui est, lui, non plus fiscal, mais financier et économique : comment définir une stratégie d’investissement aussi efficace que celle dont nous avions pu bénéficier avec la seule TPU ?
Très concrètement – en témoigne le débat d’orientation budgétaire que nous avons eu au sein de ma communauté d’agglomération et le budget que nous allons mettre aux voix vendredi prochain –, alors que la recette de notre TPU augmentait en moyenne, sur notre territoire, de 4,5 % par an, nous avons connu, avec la suppression de la taxe professionnelle, deux années de « gel », entre 2009 et 2011, par l’effet du FNGIR. La dynamique de nos ressources a donc été rompue : notre produit fiscal a augmenté, entre 2009 et 2012, de 0,4 %, contre 4,5 % par an auparavant.
Or, dans le même temps, les attentes en matière d’investissements n’ont pas diminué, et je crois que tout le monde en est conscient. De fait, a fortiori en période de crise, les collectivités constituent une source d’investissements indispensable au soutien de l’activité économique et aux besoins sociaux de nos concitoyens. Un certain nombre de mes collègues ont rappelé qu’environ 70 % des investissements publics sont en effet assurés par les collectivités territoriales. C’est dire le rôle que jouent celles-ci en la matière ; on peut notamment évoquer la part du chiffre d’affaires que réalisent, grâce à elles, les entreprises du bâtiment ou des travaux publics.
C’est donc toute une stratégie de développement économique et social qui doit être repensée, pouvant conduire à un réajustement forcément à la baisse de nos priorités d’action.
Compte tenu de la conjoncture économique, la suppression de la taxe professionnelle est intervenue au plus mauvais moment. Elle a rendu l’action publique prisonnière d’un carcan fiscal qui, de toute évidence, ne répond pas aux besoins des collectivités.
À ce titre, les mécanismes de péréquation qui ont été mis en place sont encore très insatisfaisants puisqu’ils ne permettent pas de corriger suffisamment les disparités territoriales. C’est d’autant plus inacceptable pour certains que la suppression de la taxe professionnelle n’a pas, en fin de compte, donné aux territoires le coup de fouet escompté en termes de développement économique.
Certaines professions ont indiscutablement bénéficié d’importants effets d’aubaine. Globalement, la plupart des secteurs d’activité ont tiré profit de la suppression de la taxe professionnelle, mais, s’il fallait mettre en balance ces bénéfices avec le coût induit pour la collectivité, je ne suis pas du tout certain que l’on parviendrait à un équilibre satisfaisant.
Aussi, la réforme des collectivités territoriales doit être l’occasion de rétablir une fiscalité équitable et dynamique, qui redonne tout son sens à l’idée d’autonomie financière et fiscale. Je fais mien le plaidoyer de notre collègue François Patriat pour les régions en le transposant aux EPCI, car, à une échelle certes différente, le problème est le même.
C’est à ces seules conditions que l’on pourra redonner aux collectivités les marges de manœuvre dont elles ont effectivement besoin. C’est en tout cas ce que je souhaite très vivement, monsieur le ministre. J’espère que nous serons entendus à l’occasion de l’examen des prochains textes qui seront présentés devant la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué, à qui j’adresse, à mon tour, tous mes vœux de réussite. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux tout d’abord vous remercier très sincèrement d’avoir pris l’initiative d’organiser ce débat.
Vos différentes interventions témoignent de l’importance de cette discussion dans la mesure où elles renvoient à un sujet central pour l’ensemble de ceux qui administrent des collectivités locales : je veux parler des relations financières entre les collectivités territoriales et l’État, qui leur garantit l’autonomie financière et fiscale afin qu’elles soient en situation d’assurer, dans la crise que nous connaissons, les investissements dont le pays a besoin pour créer les conditions de la croissance.
Le présent débat revêt une très grande importance, et cela pour au moins trois raisons.
Tout d’abord, il intervient à la veille de la redéfinition par l’État de ses relations financières et fiscales avec les collectivités territoriales, conformément à ce qu’a annoncé le Premier ministre dans sa déclaration du 12 mars dernier.
Ensuite, il a lieu à la veille de la troisième étape de la décentralisation, annoncée par le Président de la République et le Premier ministre.
Enfin, comme vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur, il se déroule à un moment où l’État doit rendre compte devant la Haute Assemblée et l'Assemblée nationale des conditions dans lesquelles s’est accomplie la réforme de la taxe professionnelle de 2010, conformément d’ailleurs à la loi qui l’a introduite. Même si le précédent gouvernement n’a pas présenté les documents relatifs au bilan de la réforme à la fin de l’année 2011, l’actuel gouvernement a souhaité que cette photographie soit donnée aux parlementaires.
C'est la raison pour laquelle nous avons présenté au mois de novembre dernier, devant le Comité des finances locales, un rapport qui a fait l’objet d’un débat. Celui-ci a mis en évidence divers éléments et a débouché sur un certain nombre de conclusions qui rejoignent, en grande partie, celles du rapport d’information. À cet égard, je tiens à saluer, monsieur le rapporteur, tant la qualité de vos conclusions que la hauteur de vue qui a présidé à l’élaboration de ce document et dont a témoigné une fois de plus, s’il en était besoin, votre intervention d’aujourd'hui.
À l’instar de M. le rapporteur, relayé par l’ensemble des orateurs de tous les groupes qui se sont succédé à cette tribune, je veux évoquer trois sujets, ce qui me permettra, je l’espère, de répondre à la plupart des questions soulevées par les uns et les autres.
Le premier sujet concerne l’impact de la réforme de la taxe professionnelle pour le monde de l’entreprise.
Le précédent gouvernement avait pour objectif de procéder à une réforme visant à alléger la pression fiscale pesant sur les entreprises, de manière à améliorer leur compétitivité. Il est donc intéressant de voir si cet objectif a été atteint eu égard aux ambitions dont le texte de 2010 était porteur.
Le deuxième sujet a trait aux conséquences de cette réforme pour l’État. La compensation apportée par l’État n’est pas modique en termes de moyens mobilisés. Aussi nous faut-il considérer les conditions dans lesquelles elle est mobilisée et, surtout, celles dans lesquelles nous pouvons la maîtriser dans la durée. Personne ne comprendrait que le ministre chargé du budget, fût-il nouveau, ne se préoccupât point de cette question.
Enfin, le troisième sujet est relatif à l’impact de cette réforme pour les collectivités territoriales elles-mêmes.
S’agissant des conséquences de la réforme pour les entreprises, je veux tout d’abord souligner – le rapport de M. Guené est extrêmement précis sur ce point – l’effet de recomposition sectorielle qu’elle a engendré. Si l’on considère l’impact du nouveau dispositif sur les différents secteurs d’activité, on ne peut que constater qu’il les affecte de façon contrastée selon leur nature ou les activités concernées.
À cet égard, je prendrai quelques exemples très concrets.
L’impact de la réforme est très positif pour le secteur du bâtiment, qui voit ses contributions et sa pression fiscale diminuer de 46 % environ. Il est positif pour le secteur de l’industrie, qui bénéficie d’une diminution de ses contributions à hauteur de 29 %. Quant au secteur financier, il enregistre une stabilisation de sa contribution.
Si l’on s’attache plus particulièrement à certains secteurs industriels ou à certains services, on se rend compte que les entreprises ayant le plus bénéficié de la réforme sont celles du secteur automobile, ce qui n’est pas neutre au regard de la crise à laquelle il se trouve confronté, avec une diminution de près de 74 % de sa contribution, alors que les entreprises qui en ont le moins profité sont les entreprises financières, un certain nombre d’entre elles accusant une augmentation de leur contribution de l’ordre de 35 %.
L’effet de la réforme est donc très différent selon les secteurs d’activité.
Par ailleurs, je veux insister sur l’augmentation assez dynamique de la CVAE.
Il faut faire preuve de beaucoup d’honnêteté et de rigueur dans ce débat. Les chiffres ne mentent jamais lorsqu’il s’agit d’apprécier des évolutions.
M. Didier Guillaume. Eh oui !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Si l’on veut, comme vous l’avez tous manifesté, quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégez, apporter une contribution honnête et rigoureuse à la réflexion menée sur les relations entre l’État et les collectivités locales en matière de finances publiques, il faut donc s’en tenir à ce que révèlent les chiffres.
Or ceux-ci établissent clairement que la CVAE a été dynamique pour les collectivités territoriales. La question n’est donc pas de savoir si elle a été dynamique ou pas ; ce que nous devons nous demander, c’est si cette dynamique ne risque pas, à terme, d’aboutir à un grignotage de l’effet de la réforme quant à la compétitivité des entreprises. Je citerai un chiffre simple : entre 2010 et 2011, le produit de la CVAE a augmenté de 9 %,…