M. Alain Néri. Il faut bien commencer par quelque chose !
M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, il est difficile de s’exprimer sur un sujet aussi compliqué, d’autant qu’en la matière toute posture idéologique est vaine.
Il est vrai que ce débat nous renvoie à deux réalités « de masse », et pas seulement en France d’ailleurs, mais aussi dans de nombreux pays européens, qui touchent et les jeunes et les seniors.
D’abord, grosso modo, un quart des jeunes connaissent le chômage. Alors, certes, on le qualifie de « file d’attente », pour signifier que, finalement, ce n’est pas si grave, mais, en réalité, après la file d’attente, c’est un parcours de précarité de l’ordre de cinq ans en moyenne qui attend les jeunes !
Quant aux seniors victimes du chômage, ils sont confrontés à un phénomène d’exclusion et de relégation sociale, au sens qu’a donné à ces termes Dominique Schnapper.
Est-ce la société que nous souhaitons ? Pouvons-nous nous satisfaire de cette réalité structurelle et durable ? À ces questions d’apparence bien naïves, tout le monde ici répondra sans doute par la négative. Pourtant, nous peinons vraiment à aborder cette question et à y apporter des réponses qui ne soient ni conjoncturelles ni marginales.
Messieurs les ministres, au sein du groupe UDI-UC, nous souscrivons à l’ambition qui sous-tend ce texte et à l’objectif visé, à savoir tenter de faciliter l’insertion des jeunes et aider au maintien dans l’emploi des seniors. Nous arrivons donc avec un a priori positif. Tout ce qui peut en effet donner un « coup de main » aux jeunes et aux seniors doit être soutenu. Nous avons envie de vous croire, de vous suivre et d’être, comme vous, optimistes.
Toutefois, nous avons un sérieux doute sur les mesures pour l’emploi que vous avez prises et sur leur capacité à apporter une réponse durable et massive à la réalité durable et massive que nous connaissons.
Je pense naturellement au crédit d’impôt compétitivité emploi, le CICE, et aux contrats d’avenir.
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Deux euros ! (Sourires.)
Mme Chantal Jouanno. Si cela vous fait plaisir ! Ce n’est pas grave.
Mme Chantal Jouanno. Tout est bon pour gagner des sous ! (Nouveaux sourires.)
Mme Chantal Jouanno. N’essayez pas de me troubler !
Face à l’ensemble de ces dispositifs, pensons-nous qu’il s’agit de solutions radicalement nouvelles susceptibles de permettre de renverser la situation ?
Sur les emplois d’avenir, nous nous sommes déjà exprimés : ils ressemblent un peu au dispositif emplois-jeunes, même s’ils ont été mieux ciblés.
Les contrats de génération sont-ils si neufs ?
En réalité, pour les seniors, ils ont plutôt vocation à se substituer aux accords de 2009 relatifs à l’emploi des seniors, accords qui n’ont pas fait la preuve de leur efficacité !
Pour les jeunes, j’ai bien noté les circonlocutions de notre ministre, Thierry Repentin.
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Non, non, restez !
Mme Chantal Jouanno. Je dis « notre », parce que M. Repentin est issu du Sénat, monsieur le ministre !
Vous dites que ce n’est pas un contrat aidé, mais il n’en reste pas moins vrai que, dans les entreprises de moins de trois cents salariés, le contrat de génération donnera bien lieu au versement d’une aide. Par conséquent, si ce n’est pas de l’emploi aidé, cela y ressemble, à moins que vous ne reconnaissiez la trop grande importance du coût du travail des jeunes, ce dont nous pourrons alors discuter !
Mais je vous taquine…
Cela dit, j’ai compris que je n’étais pas la seule, sur ces travées, à considérer qu’il y avait, derrière ce dispositif, un problème de coût du travail des jeunes !
Messieurs les ministres, au-delà de ce problème de fond, demeure une question pratique très simple pour laquelle nous n’avons toujours pas obtenu de réponse.
Nous savons que l’aide ou la réduction du coût de travail sera de 4 000 euros annuels par contrat de génération. Mais s’agira-t-il de 4 000 euros nets ou bien l’aide sera-t-elle fiscalisée ? Ce n’est pas encore très clair dans notre esprit, mais vous ne manquerez pas de nous éclairer !
Sur le plan quantitatif, ces contrats vont-ils permettre de répondre au problème ?
On sait que les contrats d’avenir…
Mme Chantal Jouanno. Quatre euros !
On sait que les emplois d’avenir concerneront 150 000 jeunes dans un premier temps et 300 000 à la fin. On sait aussi que nombre de jeunes ne sont pas inscrits et ne figurent pas dans les statistiques de Pôle emploi.
Mme Chantal Jouanno. Qu’en sera-t-il des contrats de génération ? À vrai dire, nous n’en savons rien. Certes, l’étude d’impact est fondée sur une hypothèse de 100 000 embauches annuelles éligibles en année pleine. Mais, en off, les partenaires sociaux considèrent que ces chiffres sont quelque peu optimistes.
Notre rapporteur, Christiane Demontès, pourtant peu suspecte d’antigouvernementalisme,…
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Effectivement !
Mme Chantal Jouanno. … admet que « ces évaluations doivent être bien évidemment maniées avec prudence, car elles dépendent du taux de croissance de l’économie, du taux de substitution avec les CDD, et de la simplicité des démarches administratives pour obtenir les aides. »
Mme Christiane Demontès, rapporteur. C’est vrai !
Mme Chantal Jouanno. Au-delà de la seule question du nombre, c’est aussi celle de la pérennité de ces emplois qui se pose. Ces contrats permettront-ils d’apporter une réponse durable ? Cela aurait pu être le cas s’ils avaient été mieux ciblés. Nous nous sommes déjà exprimés sur les emplois d’avenir qui, selon nous, auraient dû être uniquement ciblés sur les jeunes les plus éloignés de l’emploi.
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Ils le sont !
Mme Chantal Jouanno. Ils le sont, mais il y a eu des ouvertures.
Quant aux contrats de génération, ils bénéficieront à tous les jeunes de moins de vingt-six ans, sans distinction de niveau d’études. Et, compte tenu de cette option, l’impératif de formation est explicitement écarté par le Gouvernement, qui « tient à ce que le contrat de génération ne soit pas un contrat de formation en alternance ». Or, dans son dernier rapport, la Cour des comptes montre que les contrats de formation en alternance comme les contrats d’apprentissage sont tout de même la meilleure garantie pour une insertion rapide et durable dans le marché du travail.
Cet impératif de formation sera-t-il assuré dans l’entreprise – ce serait tout de même le génie du dispositif intergénérationnel ! – par un senior qui transmettra ainsi son savoir ? Il y a eu des avancées à l’Assemblée nationale, grâce d’ailleurs à des amendements de l’UDI.
Mais nous souhaiterions que le lien intergénérationnel soit beaucoup plus clair, afin que soit précisé qui accueillera le jeune, qui le formera, et que les rôles de chacun soient établis. Nous défendrons des amendements sur ce point. Nous vous le disons très clairement, ce seront pour nous des points « durs » dans la discussion !
Concernant la question du ciblage des employeurs – je vais, là encore, revenir sur une position assez classique au sein de notre groupe –, nous aurions souhaité que tous les dispositifs soient ouverts à l’ensemble des secteurs, notamment au secteur marchand. Ce n’est pas le cas, puisque vous avez ciblé les « emplois » d’avenir. Je fais attention maintenant : c’est que j’en suis déjà à quatre euros ! (Sourires.)
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Très bien !
Mme Chantal Jouanno. Les emplois d’avenir, donc, sont réservés au secteur non marchand, qui serait seul apte à accueillir des jeunes non qualifiés. Cela laisserait entendre que le secteur marchand ne peut pas aider à leur insertion, ce qui est faux. En effet, des entreprises d’insertion fonctionnent extrêmement bien et la Cour des comptes le montre assez clairement ; je n’y reviens donc pas.
Mme Chantal Jouanno. Pas complètement ! On peut en discuter, j’avais déjà déposé des amendements sur ce sujet.
Quant aux contrats de génération, ils sont réservés au secteur marchand, mais bien évidemment dans une enveloppe extrêmement contrainte. Ce qui est un peu gênant, en tout cas pour les grandes entreprises, c’est ce dispositif assez lourd de contrôle a priori qui éloigne beaucoup la formule d’un contrat de confiance qui serait passé entre les pouvoirs publics et les entreprises. Nous déposerons donc aussi des amendements pour alléger ce dispositif et passer plutôt à des contrôles a posteriori.
Vous aurez du mal, je le sais, à revenir sur les fondements politiques de ce dispositif. C’est dommage, car les emplois d’avenir et les contrats de génération, orientés vers le secteur marchand, auraient vraiment pu être complémentaires.
Les premiers correspondent bien aux besoins des petites et moyennes entreprises, tandis que les seconds, au contraire, semblent mieux calibrés pour les grands groupes ou, à l’opposé, pour les très petites entreprises, notamment dans le cadre de ces transmissions d’activité qui se passent souvent si mal dans notre pays.
En allant plus loin, n’aurait-il pas été plus intéressant et plus productif de cibler spécifiquement les secteurs d’activité exposés à une perte de compétence, comme le recommande le Conseil économique, social et environnemental ?
En résumé, pour que les deux dispositifs en question produisent des effets vertueux, il faudrait, selon nous, que soient réunies trois conditions : qu’ils bénéficient prioritairement aux jeunes les plus éloignés de l’emploi ; qu’ils garantissent une formation diplômante et qualifiante – je rappelle que nous défendrons des amendements en ce sens ! – et qu’ils leur ouvrent les portes du secteur productif.
Cela me conduit, de manière plus succincte, à ma seconde critique de votre politique de l’emploi : vous conservez une vision malthusienne de l’emploi et une approche conjoncturelle du chômage.
Il faut tout de même que nous nous posions la question : pourquoi une entreprise ne crée-t-elle pas d’emploi ? Pour la simple raison qu’elle n’a pas de commande et donc pas nécessairement la certitude qu’elle pourra durablement assumer le coût de ce salarié !
Une politique de l’emploi ne partage pas le travail, elle cherche à le créer.
S’agissant du coût du travail, vous connaissez le discours, mais j’y reviens quand même, car cela fait du bien ! (Sourires.)
Messieurs les ministres, vous vous êtes privés des réductions de charges et de la « TVA compétitivité ». C’est dommage, nous en avions déjà assumé l’impopularité !
Mme Chantal Jouanno. Même si elles étaient insuffisantes, ces deux mesures étaient nécessaires pour alléger la fiscalité pesant sur le travail et réformer le financement de la protection sociale. Vous avez dû, in fine, créer le CICE, qui est très limité et trop tardif dans le temps, puisqu’il ne s’appliquera pleinement qu’en 2014.
Surtout, vous affirmez votre volonté de financer ce nouveau dispositif des contrats de génération par le CICE. Or, à l’origine, ce crédit d’impôt devait servir à favoriser la recherche, l’investissement, la compétitivité et donc l’emploi à long terme.
À la limite, nous aurions été extrêmement satisfaits que vous envisagiez un deuxième plan d’investissements d’avenir ou que vous fixiez un objectif à terme contraignant de dépenses d’investissement et de recherche pour les acteurs publics, notamment les collectivités. Mais ces critiques-là, vous les connaissez. Nous y reviendrons lors de la discussion des articles.
En conclusion, nous sommes réservés sur les fondements de votre politique de l’emploi. Mais il n’est pas question de nous opposer par principe à un dispositif destiné à aider les jeunes et les salariés les plus en difficulté. Aussi, pour déterminer son vote, le groupe UDI-UC attendra-t-il l’issue des débats, notamment s’agissant du sort qui sera réservé à ses amendements sur la formation.
Faute d’une amélioration dans ce sens et d’un meilleur ciblage du dispositif, nous craignons que les contrats de génération ne constituent pas une réponse durable à une difficulté qui, elle, l’est !
Je voulais terminer sur ce point. Je n’ai pas épuisé tout mon temps de parole, mais sans doute ai-je épuisé votre attention…
Les jeunes n’ont que faire des vieilles postures idéologiques sur le partage du travail, des oppositions stériles entre public et privé, entre néoclassiques et néokeynésiens. Comme les seniors, ils nous demandent de faire preuve d’un peu de pragmatisme, d’éviter de nous envoyer à la figure, comme cela se fait dans d’autres hémicycles, des mots définitifs et des certitudes péremptoires. Ce sont les valeurs que notre groupe UDI-UC défendra au cours de cette discussion. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.
M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, à l’occasion de la présentation de ses vœux aux Français, le Président de la République, sans occulter les difficultés rencontrées par notre pays et par nos concitoyens, a souhaité insister sur les priorités qui guideront l’action du Gouvernement en 2013.
« Voilà, le cap est fixé : tout pour l’emploi, la compétitivité et la croissance. » Et il ajoutait : « Ce cap sera tenu. Contre vents et marées. Je n’en dévierai pas. Non par obstination, mais par conviction. C’est l’intérêt de la France. »
Depuis son entrée en fonction, le Gouvernement a fait du combat pour l’emploi sa priorité. C’est dans cette perspective que doivent être appréhendés les textes que le Parlement a déjà votés : loi portant création des emplois d’avenir et loi de finances rectificative pour 2012, qui crée le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE.
Avant d’entrer dans l’examen au fond des principales dispositions de ce projet de loi, permettez-moi de revenir sur la méthode qui a prévalu à son élaboration. Elle constitue selon moi une avancée majeure, qu’il faut souligner.
Sans retracer la genèse du contrat de génération, je rappellerai néanmoins qu’elle est née de la volonté de François Hollande, qui la défendit dès la campagne des primaires citoyennes, avant de l’intégrer logiquement dans son programme présidentiel.
Mes chers collègues, le texte dont nous débattons ce soir est en outre le fruit d’un processus entamé lors de la grande conférence sociale qui s’est tenue les 9 et 10 juillet 2012. Cette dernière a marqué le début de négociations entre les partenaires sociaux, qui, sous l’égide du Gouvernement et, en particulier, de Michel Sapin, sont parvenus à un accord national interprofessionnel le 19 octobre dernier, et ce – j’insiste sur ce point – à l’unanimité des organisations représentatives.
Cet accord n’est évidemment pas le premier, mais il illustre la volonté de l’exécutif d’associer les partenaires sociaux à l’élaboration des grands chantiers du quinquennat, le texte initial du Gouvernement reprenant très largement les termes de l’accord.
C’est la même méthode qui a été utilisée s’agissant de la sécurisation des parcours professionnels : elle a abouti le 11 janvier 2013 à un autre accord national interprofessionnel, qui donnera lieu à un texte de loi dont nous débattrons prochainement.
Reconnaissez-le, mes chers collègues, cette approche constitue une indubitable rupture par rapport à celle qui fut privilégiée par le précédent exécutif.
Loin de penser que cette façon de procéder rogne sur les prérogatives des assemblées, j’estime au contraire qu’une telle démarche enrichit notre travail, dans la mesure où notre institution conserve la possibilité d’améliorer le texte, dans l’esprit de l’accord.
Venons-en au diagnostic ayant présidé à la création de ce dispositif. Il repose sur le double constat mis en lumière par l’étude des statistiques relatives à l’emploi, qui montrent une nette inflexion de la courbe du taux d’activité chez les 15-24 ans et les 55-64 ans.
Ce constat, connu de longue date, est partagé sur l’ensemble des travées de notre assemblée. Le phénomène s’est même amplifié en ces années de crises, avec son lot de retraites anticipées pour les uns et de chômage ou de contrats précaires pour les autres.
Les chiffres sont éloquents : atteignant selon l’INSEE 25 % au troisième trimestre 2012, soit un jeune sur quatre, le taux de chômage des 15-24 ans est 2,5 fois supérieur à celui de l’ensemble de la population.
L’emploi des jeunes est, depuis au moins une trentaine d’années, une inquiétude pour les gouvernements successifs, qui ont multiplié les dispositifs en sa faveur.
M. André Reichardt. C’est exact !
M. Jean-Michel Baylet. Nous le savons, les difficultés rencontrées par les jeunes pour s’insérer dans le marché du travail, outre leurs aspects économiques et sociaux, ont une dimension symbolique. Elles interrogent notre société sur sa capacité à offrir à ses enfants un avenir meilleur que celui de leurs parents.
C’est ainsi que, dès 1977, Raymond Barre, alors Premier ministre, prit les premières mesures en faveur du travail des jeunes. S’ensuivit une succession de sigles et autres acronymes derrières lesquels se cachaient autant de dispositifs qui connurent plus ou moins de succès : les TUC, les CIE ou les CPE...
Par ailleurs, à l’autre bout du monde du travail, les travailleurs âgés sont également confrontés, à partir de cinquante-sept ans, à une baisse de leur taux d’activité. D’où la nécessité de mener une politique de l’emploi spécifique à destination des salariés âgés, afin de faire disparaître les périodes d’inactivité forcée auxquelles ils peuvent être confrontés dans les dernières années de leur vie professionnelle et de relever, dans la lignée des orientations établies au niveau européen, leur taux d’emploi.
Longtemps, les politiques de l’emploi ont appréhendé de manière distincte ces formes de chômage et ces faibles taux d’activité. Il a même parfois été considéré que les travailleurs âgés devaient laisser leur place et leur travail aux jeunes. Une des innovations majeures de votre texte, monsieur le ministre, est d’associer les deux extrémités de la pyramide des âges du monde du travail, là où on se contentait auparavant de les opposer.
Outre la méthodologie, l’autre nouveauté introduite par ce projet de loi est en effet le postulat selon lequel le maintien dans l’emploi des travailleurs âgés n’est pas un frein à l’entrée des jeunes dans le monde du travail.
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Absolument !
M. Jean-Michel Baylet. Mieux, le texte du projet de loi lie les deux générations par le biais de la transmission des savoirs et des compétences.
En octobre 2010, lors de l’examen par notre assemblée du texte portant réforme des retraites, notre groupe avait déposé un amendement qui préfigurait une telle alliance des générations. Nous avions en effet proposé l’introduction d’un article visant à inciter le développement de la fonction de tuteur, exercée par des salariés de cinquante-cinq ans ou plus, pour participer à la formation de jeunes embauchés en contrat de professionnalisation. Le dispositif ainsi proposé différait quelque peu du contrat de génération, car, avec le contrat de professionnalisation, il concernait un contrat aidé – ce que n’est pas le contrat de génération –, mais l’idée de retisser le lien entre les générations autour d’une transmission d’expérience était déjà bien là.
Nous fondant sur les conclusions du rapport très complet de notre collègue Christiane Demontès, nous pouvons dire qu’une telle articulation sera une première en Europe.
Mes chers collègues, l’un des enjeux des contrats de génération a concerné la définition des publics éligibles. S’agissant du versant « jeunes », la limite d’âge a été fixée à vingt-six ans. À la différence des emplois d’avenir, aucune limite en termes de diplômes n’est fixée, ce qui correspond aux différents publics visés par ces deux mécanismes. Nous avons tiré les enseignements des emplois jeunes : pensés initialement pour les jeunes peu ou pas diplômés, ils furent largement mobilisés pour l’embauche de jeunes diplômés de l’enseignement supérieur.
Outre le fait de donner un « coup de pouce » à l’embauche d’un jeune, le principal atout du dispositif est de permettre que les moins de vingt-six ans, plutôt habitués aux contrats courts, stages et autres contrats à durée déterminée, CDD, puissent être embauchés en contrats à durée indéterminée, CDI. C’est un réel progrès, alors même que les jeunes constituent la tranche d’âge la plus touchée par les emplois précaires.
Le groupe radical avait souhaité déposer un amendement visant à étendre l’âge limite du dispositif au profit des jeunes diplômés ayant obtenu un doctorat. Ces derniers, parce qu’ils ont mené des études approfondies, entrent plus tardivement sur le marché du travail. De surcroît, en dépit du niveau de leurs études, ils peuvent éprouver des difficultés pour s’insérer. C’est la raison pour laquelle nous proposions qu’ils puissent être éligibles aux contrats de génération jusqu’à la veille de leurs trente ans. Je regrette que ledit amendement ait été frappé d’irrecevabilité.
Les travailleurs âgés, eux, pourront être concernés par les contrats de génération à partir de cinquante-sept ans, âge à partir duquel le taux d’activité chute. Il s’agit d’un outil important pour le maintien dans l’emploi. Nous connaissons en effet les grandes difficultés rencontrées par ces personnes, qui sont dans la quasi-impossibilité de retrouver un emploi après un licenciement.
Comme le Gouvernement en a pris l’habitude, un volet du projet de loi concerne plus spécifiquement les personnes handicapées, qui peuvent bénéficier des contrats de génération jusqu’à trente ans et à partir de cinquante-cinq ans.
En étudiant les dispositifs mis en place en direction des entreprises, on constate qu’il existe non pas un mais plusieurs contrats de génération.
Pour les entreprises de moins de cinquante salariés et celles qui comptent entre cinquante et trois cents salariés, la prime de 4 000 euros par an – 2 000 euros pour l’emploi d’un jeune et autant pour le maintien d’un senior – constitue une véritable aide à l’embauche.
Pour les entreprises moyennes, cette aide sera subordonnée à un accord « intergénérationnel » dans l’entreprise ou dans la branche. Elle ne permettra évidemment pas à elle seule de justifier une embauche, mais elle aidera les petites et moyennes entreprises qui hésitent à recruter à franchir le pas, de surcroît en offrant un CDI, puisqu’elle permet une baisse d’environ 20 % du coût du travail pour un salarié rémunéré au SMIC.
Par ailleurs, il faut souligner le dispositif plus spécifique des contrats de génération destinés à la transmission d’entreprise, notamment des TPE ou des entreprises artisanales. On sait en effet que la période de la transmission est souvent source de turbulences et d’incertitudes. Un chiffre interpelle : 63 % des sociétés artisanales ne sont pas reprises lors d’un départ à la retraite. Avec le contrat de génération, on permet donc un accompagnement et une transmission en douceur.
Pour les entreprises plus grandes, de plus de trois cents salariés, les partenaires sociaux en sont tombés d’accord, les contrats de génération n’ouvriront pas droit à une aide. Ils devront faire l’objet d’un accord collectif d’entreprise ou d’un plan d’action. Ainsi, le dialogue social, mis à contribution pour l’élaboration de la loi, le sera également lors de sa mise en œuvre. En cas d’absence d’accord collectif ou de plan d’action, une pénalité pourra s’appliquer.
Ce faisant, le coût des contrats de génération sera contenu. Il est néanmoins estimé à 880 millions d’euros, à vitesse de croisière, à l’horizon 2016, pour un nombre de contrats d’environ 500 000. Leur financement sera intégré au pacte de compétitivité, mais n’entamera pas l’enveloppe allouée au CICE.
Eu égard au caractère novateur du dispositif et à la nécessité de procéder à son évaluation, l’Assemblée, nationale a amendé le texte du Gouvernement, y ajoutant un article 6. Celui-ci prévoit que, chaque année, à compter du 30 juin 2014, le Gouvernement déposera un rapport au Parlement sur la mise en œuvre du contrat de génération.
Cet article tend à imposer un suivi de l’état d’application et de l’efficacité des dispositifs du projet de loi, ainsi que du nombre d’emplois créés. Notre rapporteur a fait adopter, lors de l’examen du texte en commission, un amendement visant à étendre cette analyse aux bornes d’âge.
Des modalités de modification de la loi sont également prévues trois ans après l’entrée en vigueur du présent texte. Nous aurons, à ce moment-là, l’occasion de revenir sur son ratio coût-efficacité.
Disons-le clairement, mes chers collègues, les contrats de génération, à eux seuls, ne permettront pas de faire baisser tendanciellement le chômage dans notre pays, mais nous devons considérer qu’ils s’inscrivent dans un ensemble de dispositifs de lutte pour la compétitivité, la croissance et l’emploi.
Le futur débat sur la traduction législative de l’accord du 11 janvier dernier sera la prochaine étape de cette « bataille pour l’emploi », pour reprendre le vocable du ministre lui-même.
Mais d’autres chantiers ont été lancés ou s’ouvriront dans les prochains mois. Je pense notamment à une véritable réforme de la formation professionnelle.
Au cours de l’examen du présent texte en commission, M. Repentin, ministre délégué à la formation professionnelle, a précisé que le contrat de génération prenant la forme d’un CDI ouvrirait l’accès au plan de formation de l’entreprise. Ce secteur, toutefois, ne pourra pas faire l’économie d’une vaste remise en question.
Je pense enfin au pacte pour l’artisanat, présenté en conseil des ministres le 23 janvier dernier. « Sept enjeux stratégiques » y sont mis en avant. Nous pouvons citer les deux premiers, qui entrent en résonance avec les thématiques dont nous débattons aujourd’hui : il s’agit, d’une part, de faciliter la reprise d’entreprise et la transmission des savoir-faire et, d’autre part, d’inciter les jeunes à s’orienter vers les filières de l’artisanat et de renforcer l’attractivité de ces métiers parfois méconnus ou confrontés à des pénuries de main-d’œuvre.
Mes chers collègues, au cours de la discussion des articles, notamment de l’article 1er, le groupe du RDSE vous proposera d’apporter quelques améliorations au texte transmis par la commission. Mais, à ce stade, nous ne pouvons que constater que ce projet de loi porte la marque du pragmatisme et du bon sens. L’idée d’allier les générations était séduisante ; sa mise en œuvre, qui associe l’ensemble des partenaires sociaux, est adaptée en fonction des différentes tailles des entreprises, afin d’éviter au maximum les effets d’aubaine.
Pour ces raisons, les sénateurs radicaux de gauche et la majorité du groupe RDSE apporteront naturellement leur appui à ce texte. Ils soutiendront aussi, et de manière forte, le Gouvernement dans son combat pour la compétitivité, la croissance et l’emploi. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)