M. Philippe Dallier. Il faut renouveler !
M. Jean Louis Masson. Je suis tout à fait partisan du renouvellement, quel que soit le découpage, monsieur Dallier. Venez donc vous présenter contre moi aux élections et nous verrons le résultat ! (M. Philippe Dallier s’esclaffe.)
Le Sénat doit défendre l’intérêt général. Contrairement à la façon dont on les a présente ici depuis ce matin, les conseillers généraux ont pour fonction d’être les administrateurs du département, et non les petits seigneurs de leur canton ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. Jacques Chiron. Exactement !
Mme Hélène Lipietz. Voilà !
M. Jean Louis Masson. Beaucoup de personnes, ici, ont tendance à l’oublier !
On nous affirme que les deux conseillers généraux de la même liste auront parfois des avis contraires, par exemple au sujet d’une subvention. Mais ils peuvent toujours dire ce qu’ils veulent, car ce ne sont pas eux qui décident : c’est l’assemblée départementale, tout au moins quand elle fonctionne démocratiquement ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, sur l'article.
M. Didier Guillaume. Nous venons d’entendre un florilège sur le mode de scrutin, qualifié de « surréaliste », d’ « incroyable », d’« inimaginable », d’ « unique au monde », etc.
Toutefois, d’où venons-nous ?
M. Jean-Claude Lenoir. Et où allons-nous ? (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Didier Guillaume. Je vous le dirai par la suite, cher collègue !
Où en sont les départements ? Tous les présidents de conseils généraux, qu’ils soient sénateurs ou non, et quelle que soit leur appartenance politique, tiennent depuis des années le même discours dans les congrès : les départements sont asphyxiés !
Mme Nathalie Goulet. C’est vrai !
M. Didier Guillaume. Ils n’ont plus de recettes, ils sont étranglés, les dotations de l’État baissent, ils n’arrivent plus à financer l’allocation personnalisée d’autonomie et le RSA. La suppression de la taxe professionnelle, que j’avais louée et appréciée lorsqu’elle nous a été présentée, a mis fin à l’autonomie fiscale des départements. Alors que celle-ci était de plus de 50 %, elle est aujourd’hui à 17 % ou à 15 %. Telle est la réalité.
Cet état de fait ne date pas d’aujourd’hui et de l’actuel gouvernement. Les mesures qui auraient dû être prises ne l’ont pas été à temps.
M. André Reichardt. Quel rapport ?
M. Didier Guillaume. Nous sommes au bout d’un système. Si nous voulons défendre le modèle social français, il va falloir mettre en œuvre les mesures repoussées, comme la grande loi sur la dépendance, qui nous a été annoncée pendant des années et que ce Gouvernement va faire,…
M. Éric Doligé. Pour l’instant, elle n’est pas faite !
M. Didier Guillaume. … ou la clarification des compétences, que nous réclamions et que nous ferons dans quelques semaines avec la loi sur la décentralisation.
Certains ont objecté que le conseiller départemental serait un être unique au monde. Cependant, mes chers collègues, le conseiller territorial, dont certains d’entre vous étaient les promoteurs, n’était-il pas déjà un être unique en Europe, aucun autre État membre n’ayant eu l’absurde idée de fusionner les conseillers régionaux et les conseillers généraux ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Et tout cela pour diminuer par deux le nombre des élus, comme si celui-ci posait problème.
Mme Catherine Troendle. Bien sûr qu’il pose problème !
M. Didier Guillaume. Il faut avancer, il faut essayer de bouger.
Tout à l’heure, notre collègue Daniel Dubois a affirmé que deux personnes élues dans le même secteur ne pourront pas travailler ensemble. Mais comment les choses se passent-elles dans les départements ? En Moselle ou à la tête de l’UMP il y a peut-être des difficultés, mais, globalement, dans les départements, les choses se passent bien. D’ailleurs, comment faisons-nous au Sénat ? Même lorsque nous ne sommes pas du même bord politique, nous essayons de travailler ensemble dans l’intérêt des départements et des élus locaux.
Les lois que j’ai évoquées seront présentées. Néanmoins, une chose est sûre : personne ne peut soutenir le statu quo, parce que le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État nous le demandent, parce que des cantons, dont la population va d’un à quarante-neuf, ne peuvent plus rester inchangés et parce que, dans deux départements de France, il n’y a aucune femme conseillère générale.
Où devons-nous aller, et quel mode de scrutin devons-nous choisir ? Ce point est complexe ; mais peut-être êtes-vous en difficulté parce que vous n’avez fait aucune proposition ! (M. Éric Doligé proteste.)
Depuis des mois et même des années, l’Assemblée des départements de France travaille sur ce sujet. Le bureau de l’ADF, unanime – M. Sido était le porte-parole du groupe de la droite, du centre et des indépendants –, s’est prononcé : il ne veut pas de la proportionnelle, parce qu’elle éloignerait l’élu du citoyen et favoriserait le développement des listes de parti plutôt que de terrain.
Il faut donc trouver un mode de scrutin, et celui qui est présenté par le Gouvernement, le scrutin binominal, présente deux avantages, dont celui de permettre la parité, excusez du peu ! En 2013, considérer que la présence de seulement 13 % de femmes dans les conseils généraux ne pose pas problème, c’est vraiment ne pas être progressiste. Il faut aller de l’avant. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Claude Dilain. Très bien !
M. Jean-Claude Lenoir. C’est une obsession, la parité !
M. Didier Guillaume. Ce mode de scrutin permet la parité : 50 % de femmes et 50 % d’hommes.
M. Christophe Béchu. Demandez plutôt la parité dans le mariage !
M. Didier Guillaume. Il a aussi l’avantage de la proximité.
M. Jean-Claude Lenoir. Non, pas la proximité !
M. Didier Guillaume. Mes chers collègues, dans les grands départements, sommes-nous capables de donner rapidement la liste des conseillers régionaux ? Non ! Par contre, tous les élus, tous les chefs d’entreprises, tous les présidents d’associations connaissent leur conseiller général.
Le conseiller territorial nous aurait empêchés de participer aux conseils d’administration des collèges, aux assemblées générales des associations. Sur un grand canton, il y aura deux conseillers départementaux, alors qu’il n’y aurait eu qu’un seul conseiller territorial : deux fois plus d’élus, cela permettra d’accomplir deux fois plus de travail.
Tout à l’heure, mes chers collègues, vous avez applaudi aux propos de M. Mézard, qui vilipendait le scrutin proportionnel. Si nous sommes quasiment tous d’accord pour refuser le scrutin proportionnel, et le statu quo n’étant pas possible pour des raisons évidentes, il faut dès lors trouver un nouveau mode de scrutin. Celui que propose le Gouvernement et que la majorité sénatoriale soutient est sûrement perfectible, et peut-être faudra-t-il prévoir des exceptions dans les zones rurales, dans les zones de montagne. Mais il présente deux grands avantages : la parité et la proximité.
Mes chers collègues, si nous n’acceptons pas ce mode de scrutin qui préserve beaucoup plus la proximité que le système du conseiller territorial, car il y a deux fois plus d’élus par canton, nous n’arriverons pas à progresser dans le sens d’un rapprochement de la politique vers nos concitoyens.
C’est la raison pour laquelle je vous demande, mes chers collègues, de voter cet article qui prévoit un scrutin binominal par canton. En permettant la proximité et la parité, il va dans le bon sens et constitue un progrès pour la République. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, sur l’article.
M. Hervé Maurey. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais, à mon tour, dire combien je trouve le mode de scrutin qui nous est proposé aussi loufoque que baroque. (Exclamations sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
Lorsque, sur le terrain, on explique à un élu ou à nos concitoyens que, au lieu d’avoir, comme c’est le cas aujourd’hui, un conseiller général, on aura, demain, un conseiller départemental et, en prime, une conseillère départementale (Mme Virginie Klès s’exclame.), donc deux élus sur le même canton, ils sont absolument interloqués et ne comprennent pas la logique de la chose. Et lorsque l’on ajoute que ce dispositif est justifié par l’obligation du respect de la parité au sein de l’assemblée départementale, je vous assure, mes chers collègues, que les gens, très légitimement, ne comprennent pas. En effet, nous marchons sur la tête !
Je rappelle que la parité, comme cela a été dit ce matin, est un objectif et non un impératif constitutionnel. (M. Didier Guillaume s’exclame.)
J’ajoute qu’en matière de parité il y a, me semble-t-il, des combats autrement plus importants à mener. Que l’on se batte pour l’égalité salariale, oui ! Trois fois oui ! Mais que l’on se batte pour que, dans une assemblée départementale, il y ait autant d’hommes que de femmes, c’est au mieux du gadget, pour ne pas dire davantage. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Gérard Longuet. Très bien !
M. Hervé Maurey. Comme l’a d'ailleurs souligné la présidente de la délégation aux droits des femmes lors de la discussion générale, cette obligation aura même des effets pervers : elle peut conduire à une dévalorisation du rôle des femmes élues, par une répartition des tâches qui serait à leur désavantage. Le conseiller assistera ainsi aux séances du conseil général et au conseil d’administration de tel organisme, tandis que la conseillère participera aux banquets des anciens et fera du social. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.) Beaucoup de femmes risquent de se retrouver en situation de potiches. (Mmes Hélène Lipietz et Cécile Cukierman protestent.)
Qui plus est, lorsque le conseiller général sortant, à qui la loi imposera de fonctionner en binôme avec une femme, sera bien implanté – mes chers collègues, vous connaissez tous des conseillers généraux, si vous ne l’êtes pas vous-mêmes, bien implantés dans leur canton –, il faudra à cette conseillère, avant qu’elle réussisse à s’implanter, beaucoup de temps. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Hervé Maurey. J’ai sous les yeux le témoignage d’une conseillère générale de mon département, une femme de gauche, qui m’a écrit pour me dire à quel point elle considérait ce mode de scrutin comme « humiliant » ; c’est bien le mot qu’elle emploie. Être obligé de mettre en place un mode de scrutin aussi absurde, aussi baroque uniquement pour permettre que des femmes soient intégrées dans l’assemblée départementale, c’est, en effet, pour reprendre son expression, totalement humiliant.
J’ajoute, pour reprendre un autre aspect des choses, que cela va en plus empêcher l’émanation de candidatures et l’élection de personnalités en dehors des partis politiques. Jusqu’à présent, dans nos cantons, il arrivait que certaines personnalités apolitiques ou situées en dehors des clivages politiques soient élues parce qu’elles avaient une forte personnalité, une notoriété reconnue. Demain, il faudra prévoir des doubles binômes, donc avoir quatre candidats, ce qui rendra les choses encore plus difficiles et renforcera également le poids des partis politiques.
Enfin, l’inconvénient majeur – mais j’y reviendrai à l’article 3 –, c’est que, évidemment, étant donné que l’on a fixé à deux le nombre d’élus par canton et que l’on ne veut pas augmenter le nombre total d’élus, on va diviser par deux le nombre de cantons. C’est là le problème principal, car, sous couvert d’une idée sympathique, la parité, on va tuer la ruralité.
C’est en cela que ce projet de loi est absolument dramatique, pour ne pas dire criminel : le découpage des cantons se fera sur des bases uniquement démographiques et, dans certains cas, il faudra, pour créer un canton, regrouper quatre, cinq, six ou sept cantons ruraux. Par là même, au sein des assemblées départementales, on aura une représentation beaucoup plus forte des élus urbains, ce qui, par la force des choses, aura pour conséquence que les politiques mises en place en faveur de la ruralité passeront au second rang.
Que vous le vouliez ou non, que vous l’admettiez ou non, c’est bien la mort de la ruralité qui est programmée au travers de ce projet de loi !
M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach, sur l'article.
M. Philippe Kaltenbach. Comme nos collègues Jean Louis Masson ou Didier Guillaume l’ont bien expliqué, ce mode de scrutin binominal est incontournable si l’on veut à la fois conserver la proximité sur un territoire et obtenir la parité.
Une large opposition s’exprime, mais personne n’a encore formulé une proposition permettant d’assurer la parité et de maintenir un lien entre les élus et le territoire.
M. Gérard Longuet. Faites confiance aux électeurs ! C’est à eux de choisir.
M. Philippe Kaltenbach. On voit bien que, si on n’est pas dans la logique du scrutin binominal, on va, en effet, vers une proportionnelle, avec la parité – c’est la Constitution, c’est le sens de l’Histoire –, mais alors on coupera le lien entre le territoire et le futur conseiller départemental, ce que, me semble-t-il, nous ne voulons pas, sur l’ensemble de ces travées.
La seule solution, c’est donc le scrutin binominal qui est proposé au travers de ce texte. J’attends, de la part de l’opposition, des propositions autres que le conseiller territorial qui, lui, aurait été contraire à la parité et aurait éloigné le citoyen de l’élu. J’attends des propositions concrètes permettant de répondre à ce double objectif.
Le débat a eu lieu depuis longtemps, ici, au Sénat. Le Gouvernement a repris une idée qui avait été portée par la délégation sénatoriale aux droits des femmes et qui a mûri grâce à nos collègues. C’est à mon sens la meilleure réponse et, surtout, la seule possible. Elle n’est pas parfaite, mais, au moins, elle permettra de conserver les cantons et d’assurer la parité.
J’ai tout de même été quelque peu surpris de l’intervention de M. Dubois sur l’impossibilité d’organiser la parité dans les territoires ruraux. Je ne vois pas en quoi les femmes du monde rural ne seraient pas aussi aptes à être élues et à représenter leur territoire que celles des territoires urbains. Il ne faut pas opposer le monde rural au monde urbain et encore moins les femmes de l’un aux femmes de l’autre. La parité peut s’exercer sur l’ensemble du territoire. La Constitution s’applique dans tout le pays, et il y a autant de femmes compétentes que d’hommes compétents dans les territoires ruraux. Ce ne sera donc pas un obstacle.
Je remercie notre collègue Jacques Mézard qui, s’il n’est pas encore complètement convaincu du bien-fondé de ce scrutin binominal, va néanmoins permettre au débat de se poursuivre et au texte d’être enrichi, en retirant son amendement.
Certains élus ont, à propos de ce projet de loi, parlé de « crime contre la ruralité » : je ne voudrais pas que la légitime défense du monde rural – on peut être élu du monde urbain et vouloir défendre le monde rural d'ailleurs, les deux étant indispensables – ne soit un écran de fumée servant à masquer des intérêts politiciens. On le verra sur d’autres articles, un découpage qui permet, avec peu de voix, d’obtenir de nombreux élus n’est pas démocratique. C’est effectivement le problème du scrutin de circonscription : on peut avoir moins de voix et plus d’élus.
Cependant, avec des cantons disproportionnés, l’effet est multiplié, et il ne faudrait pas qu’avec peu de voix on ait beaucoup d’élus ; cela s’appelle le système des bourgs pourris, qui est inacceptable et anti-démocratique. Donc, là aussi, un rééquilibrage est nécessaire. Ce sera fait au travers d’autres articles, mais ne crions pas au crime contre la ruralité pour dissimuler des intérêts politiciens et maintenir des sièges acquis avec peu de voix, qui peuvent, ici ou là, constituer des majorités permettant de conserver des départements.
La démocratie a un prix et il faut assurer une égalité devant le suffrage. Un électeur du monde urbain vaut un électeur du monde rural, et nous sommes tous citoyens de la même République. Plutôt que d’opposer les territoires ruraux aux territoires urbains, essayons donc plutôt de tous les rassembler !
Par conséquent, il ne faut pas, bien sûr, voter la suppression de cet article : il n’y a pas d’autre solution pour préserver la proximité et obtenir la parité ; de plus, cette suppression rendrait impossible le débat sur le reste du texte.
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, sur l'article.
M. Philippe Dallier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d’abord, je dirai un mot de feu le conseiller territorial.
Comme pour tous les défunts, tout à coup, beaucoup lui trouvent des qualités qu’ils ne lui reconnaissaient pas naguère.
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. Pas nous !
M. Philippe Dallier. Voilà pour le premier constat.
Chers collègues de la majorité, je reviendrai également sur la comparaison que vous faites entre le conseiller territorial et le conseiller départemental à venir.
Derrière le conseiller territorial, il y avait une véritable réflexion sur l’organisation des pouvoirs publics entre les régions et les départements. On pouvait être pour, on pouvait être contre. Les pro-départements craignaient effectivement que la région ne les absorbe. Certains, au niveau des départements, pensaient que ce serait le contraire. En tout cas, cette création répondait à une logique visant à nous engager dans une vraie réforme institutionnelle de notre millefeuille.
Je constate que, avec votre texte, on ne se situe pas du tout dans cette logique. On ne traite que du problème électoral, celui du redécoupage des cantons qui, effectivement, est une nécessité ; le Conseil constitutionnel a depuis bien longtemps souligné qu’il fallait revoir le découpage de ces cantons. Pour autant, vous commencez par traiter le problème électoral et vous nous annoncez que l’acte III de la décentralisation est pour plus tard. Une nouvelle fois, nous mettons donc la charrue devant les bœufs et procédons de la plus mauvaise manière qui soit.
J’évoquerai maintenant les zones urbaines.
On a beaucoup parlé de la ruralité et de l’éloignement des élus par rapport aux territoires, qui est un véritable problème, mais il ne faudrait pas croire, mes chers collègues, qu’en zone dense, en zone urbaine, ce mode de scrutin ne pose pas non plus de difficultés.
Prenez l’exemple de la première couronne parisienne, dont les trois départements comprennent environ quarante communes chacun : aujourd'hui, les limites cantonales sont complètement invisibles pour nos concitoyens. Lorsque le canton est calqué sur les limites communales, le maire ou le premier adjoint est souvent conseiller général ; il y a une certaine visibilité.
Là, vous nous imposez de doubler la taille des cantons. On va donc forcément aboutir à des cantons qui seront découpés sur deux communes, deux communes et demie. Nous serons obligés de sortir des circonscriptions législatives parce que, si nous y restions, le travail serait impossible en première couronne parisienne.
Nous allons donc créer de facto de nouvelles limites qui ne seront absolument pas identifiables par nos concitoyens, ce qui créera de nouveau un éloignement entre les électeurs et leurs élus ; le système, qui était déjà très peu clair, dans cette première couronne parisienne, le sera encore moins.
Monsieur le ministre, on nous parle du Grand Paris tous les quatre matins. Le Président de la République, hier, dans ses vœux, a encore appelé à la constitution de ce Grand Paris. Il faudra le faire émerger non pas seulement au sens du transport public que représente le Grand Paris Express, mais aussi au sens d’une collectivité locale ou d’un EPCI. Et il faudra bien alors désigner des élus. Selon quel mode, sur quelles limites de circonscription ?
Monsieur le ministre, il aurait fallu, dans votre texte, opérer des distinctions en fonction des territoires ; or votre projet traite de la même manière, du point de vue électoral, les zones rurales, les territoires peu peuplés et les zones très denses, notamment la zone dense de la région d’Île-de-France.
En prenant les choses par ce biais, c’est un très mauvais système que vous nous proposez, qui sera tout aussi illisible en zone dense qu’en zone rurale. Voilà pourquoi je ne puis m’y rallier. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Christophe Béchu, sur l'article.
M. Christophe Béchu. J'ai apprécié les propos de Didier Guillaume. J'aurais pu reprendre la majeure partie d’entre eux, car, au fond, il nous explique dans son intervention que ce texte n'est pas celui qu'attendaient les territoires. Il est dommage que M. Masson ne soit plus là. En effet, je peux vous assurer que le mode de scrutin n'est pas la première préoccupation des élus départementaux !
M. Philippe Kaltenbach. Nous sommes d’accord !
M. Christophe Béchu. Lorsque nous discutons au sein du conseil général ou entre élus départementaux, nous ne débattons pas du mode de scrutin qui pourrait être appliqué à l'avenir. Ce qui nous préoccupe, c’est la façon dont nous pouvons maintenir la cohésion sociale en servant des allocations de solidarité instaurées par l'État, dont les taux et les critères sont aussi fixés par lui, alors que les disparités entre les ressources des collectivités ne cessent de s’accroître.
De ce point de vue, loin de moi l'idée de considérer que tout a commencé le 6 mai dernier. Si tel était le cas, notre situation financière serait moins grave. Toutefois, alors que le candidat à la présidentielle avait clairement dit qu’il était urgent de prendre des mesures, force est de constater que, lors des huit derniers mois, rien n'a été fait et que les quelques promesses auxquelles nous avions eu droit n'ont donné lieu à aucune application concrète.
Ainsi, le fonds d'urgence que l’on nous avait promis et le groupe de travail paritaire entre l’ADF et le Gouvernement qui nous avait été annoncé n'ont pas été mis en place. Ces demandes étaient pourtant somme toute modestes au regard du total des revendications émises par nos collègues socialistes, puis par nous-mêmes.
Je serais tenté de dire, mes chers collègues, que cette absence d'urgence aurait justifié que l'on prenne davantage de temps ou, comme cela a pu être dit, que l’on remette les choses dans l'ordre.
Après cette entrée en matière, je souhaite revenir à l'article qui nous occupe. Je ne souscris absolument pas à l'idée selon laquelle le conseiller territorial était une monstruosité. On peut considérer qu'il n'était pas souhaitable, mais je ferai remarquer qu’il existe d’ores et déjà un conseiller territorial local : c'est l'élu municipal qui siège dans une intercommunalité.
M. Gérard Longuet. Exactement !
M. Christophe Béchu. On peut, de façon pertinente, reprocher au système du conseiller territorial d’aboutir à un seul niveau de collectivité en transformant les régions en interdépartementalités ou les départements en arrondissements de la région.
Le mode de scrutin retenu aboutissait à une modification de notre organisation institutionnelle qui soulevait un certain nombre d'oppositions, mais on ne pouvait dire qu’il était en lui-même scandaleux ou inique. Il avait, au contraire, le mérite d’être clairement rattaché à un mode d'exercice des compétences à l'échelle de notre pays.
Le premier inconvénient du texte qui nous est soumis aujourd'hui, c’est qu’il ne règle pas la question des compétences, du « pour qui » et du « pour quoi ». Plus largement, mes chers collègues, quelle solution de rechange peut être proposée ?
La piste à laquelle je pense nécessite d’être travaillée et précisée ; elle exige également de considérer la parité comme un objectif et non comme une nécessité absolue, immédiate et totale.
Permettez-moi de développer mon idée. À vrai dire, il existe un réel problème de représentativité des élus départementaux des villes. Les élus des zones urbaines ne sont pas connus ; dans certains cas, leur canton comprend les numéros pairs d’une rue, mais pas les numéros impairs... À cela s’ajoute le fait que le rythme de renouvellement est triennal. De quasi voisins peuvent ainsi être amenés à voter à trois ans d’écart !
À l'inverse, à la campagne, il n'existe pas de réel problème de représentativité ou de visibilité des élus départementaux.
Le seul système qui permette de régler l'ensemble des difficultés est le scrutin mixte. Il consiste à appliquer un mode de scrutin proportionnel avec diversité dans les EPCI à fiscalité propre d'une certaine taille, c'est-à-dire dans les agglomérations, et à conserver le scrutin majoritaire pour les zones rurales.
M. Gérard Longuet. Absolument !
M. Christophe Béchu. Un tel dispositif n'est pas illégal. Il repose sur une approche différenciée à l'intérieur du département, comme celle que nous avons ici au Sénat : la taille des départements justifie un mode de scrutin différent en fonction des territoires.
Nous aurions ainsi un scrutin proportionnel dans les grands territoires et un scrutin majoritaire dans les plus petits. L’inconvénient majeur de ce système est qu’il ne permet pas d’assurer une parité totale et absolue. Mais je vous en prie, mes chers collègues, évitons toute obsession sexuelle collective ! (Sourires sur les travées de l'UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
La parité doit-elle absolument être mesurée au pourcentage près ? Certains, dans cet hémicycle, défendent une théorie des genres selon laquelle le sexe qu'on se choisit est plus important que le sexe avec lequel on naît. Un certain nombre de législateurs veulent imposer le mariage pour tous, ce qui revient à dire à l’ensemble de nos concitoyens que le sexe importe peu dans la qualité des décisions qui peuvent être prises au niveau collectif...
Je le répète, évitons toute obsession sexuelle et acceptons un mode de scrutin tendant à la parité, même si ce n’est pas du 50-50, et permettant de concilier réellement les avantages du scrutin proportionnel et ceux du scrutin majoritaire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Sido, sur l'article.
M. Bruno Sido. Je souhaitais intervenir, car Didier Guillaume m'a fait l'honneur de me citer, ce dont je le remercie.
Le mode d'élection des conseillers généraux n’est certainement pas la préoccupation principale de nos concitoyens ; en revanche, nombre d’intervenants l’ont souligné, le financement de l’action sociale est bien au cœur des problèmes des départements. On aura beau avoir autant de femmes que d'hommes élus départementaux, nous devrons rendre les clefs à l'État si nous ne pouvons plus exercer nos compétences.
Pour autant, force est de constater que c'est bien le nouveau mode de scrutin et son application à l’élection des futurs conseillers départementaux qui figurent à notre ordre du jour. Depuis le début du débat, nous entendons sans cesse parler du conseiller territorial, qui est considéré comme la peste ou le choléra, au choix, par la majorité sénatoriale. Celle-ci, certainement pour resserrer les rangs, nous propose une autre solution, qu’elle estime être la bonne. De notre côté, nous défendons avec bonne foi, pour la plupart d'entre nous en tout cas, le dispositif du conseiller territorial, puisque nous l’avons voté.
À vrai dire, le sujet n'est pas celui-là. De grâce, cessez de parler du conseiller territorial. De profundis… Vous voulez le supprimer, alors faites-le et tournons-nous vers l'avenir !
Il faut trouver une solution, car la suppression du conseiller territorial ne signifie pas le retour au statu quo ante. Je l'ai dit dans mon intervention lors de la discussion générale, les disparités entre cantons rendent le changement nécessaire. Il est anormal qu’il n’y ait que 13 % de femmes dans nos conseils départementaux – toutes tendances politiques confondues, il faut le noter.
Des solutions doivent être trouvées. On nous dit que l’opposition n’a pas fait de propositions, mais permettez-moi de faire remarquer, cela a d’ailleurs déjà été dit, que le président de l’ADF s'est couché devant le Gouvernement et n’a suggéré aucune amélioration du texte, contrairement à nous. Monsieur Guillaume, nous avons essayé de nous défendre et de faire des propositions.
Vous nous soumettez aujourd'hui le binôme. Je ne porterai aucun jugement, car, après tout, pourquoi ne pas essayer ? Depuis que nous avons débuté l’examen de ce texte, l’argument avancé est que ce système permet d’assurer la parité. J’aimerais que vous preniez la peine d'examiner avec pertinence et attention les arguments développés par Philippe Bas, car ils sont importants.
Dans le cadre de la Constitution, on ne peut pas faire n'importe quoi. D’une part, la Constitution n’exige pas une stricte parité ; d’autre part, M. Bas l'a très bien expliqué, certaines dispositions de votre texte pourraient être considérées comme anticonstitutionnelles – je pense à l’obligation d’aboutir à la parité.
Les arguments d’Éric Doligé sont également recevables. Au fond, dans un conseil général, nous faisons peu de politique, mais beaucoup de gestion. Or la gestion nécessite des gestionnaires. Que se passera-t-il lorsque le personnel politique départemental aura été complètement renouvelé ? À l'évidence, l'administration reprendra le pouvoir, comme c’est d’ailleurs le cas dans les régions.
Puisque l’on nous dit que nous ne faisons pas de propositions, je vais en faire une ! Tendre vers la parité est une piste intéressante. On pourrait prévoir que si le Conseil constitutionnel laisse passer le mode de scrutin que vous nous proposez, celui-ci ne soit appliqué que de façon temporaire. Je n'ai pas déposé d'amendement en ce sens, mais je pourrais éventuellement préparer un sous-amendement.
Après les élections, la moitié des élus sera des femmes et l’autre moitié des hommes. Il est tout à fait exact de dire que le dispositif est humiliant pour les femmes, et cet argument est avancé non pas seulement par des femmes de droite, mais aussi par des femmes de gauche. Aux élections suivantes, six ans plus tard, puisque nous serons élus maintenant pour cette durée, on pourrait garder l’idée du binôme, mais sans qu’il soit obligatoirement bisexué. Ce pourrait être un binôme de deux femmes, de deux hommes, ou d’un homme et d’une femme. La stricte parité ne devrait plus être exigée puisque les femmes auront pu faire leurs preuves pendant l’exercice de leur mandat. (Mme Hélène Lipietz s’exclame.)