M. Yvon Collin. Monsieur le ministre, mes chers collègues, malgré des réserves sur la façon dont ce nouveau crédit d’impôt a été introduit – sans étude d’impact –…
M. Yvon Collin. … dans ce projet de loi de finances rectificative, la grande majorité des membres du RDSE soutient le CICE, qui répond à l’impérieuse nécessité de rétablir sans tarder la compétitivité de nos entreprises pour retrouver des marges de croissance. L’heure n’est plus aux tergiversations : il nous faut agir, et agir vite !
Les radicaux de gauche et la majorité des membres du RDSE apporteront leur soutien à ce projet de loi de finances rectificative. Nous pensons en effet qu’il favorisera l’emploi, la compétitivité et la croissance et qu’il permettra de lutter plus efficacement contre la fraude fiscale : autant de chantiers prioritaires pour redresser la situation budgétaire et économique de notre pays ! (M. Jean-Claude Requier et Mme Michèle André applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le vote d’un projet de loi de finances rectificative en fin d’année est, en général, un exercice relativement facile, qui consiste à ajuster les ouvertures de crédits de l’année en cours en tenant compte des différences survenues entre les prévisions de début d’année et la réalité de l’exécution en cours d’année.
Or, cette année, je le dis sans acrimonie, nous nous essayons à un exercice où le caractère hétéroclite de la forme le dispute aux contorsions devant les objectifs fixés et les effets espérés ! J’aurai l’occasion d’y revenir.
Mais je veux d’abord dire que le groupe écologiste se réjouit des mesures contenues dans ce projet de loi de finances rectificative concernant la fraude fiscale. En effet, renforcer la lutte contre la fraude et pour la transparence constitue un enjeu très important au regard tant de l’équité fiscale que de la justice sociale.
Nous souscrivons pleinement aux propositions qui visent à imposer davantage de transparence aux contribuables, à renforcer les moyens d’action de l’administration dans ce domaine, à accroître la responsabilité des auteurs de montages fiscaux complexes, à améliorer la traçabilité des produits de tabacs et à aggraver les sanctions en cas de fraude.
De même, nous nous félicitons de la mise en place de mesures qui permettent de déjouer diverses stratégies d’optimisation fiscale, notamment en matière de transmission de patrimoine entre personnes physiques.
Le texte prévoit également l’augmentation du plafond de la garantie attribuée à Dexia, conformément à l’accord passé avec la Belgique le 8 novembre dernier ; c’est une bonne chose !
Ces mesures sont grandement encouragées par les écologistes.
Il convient aussi de souligner que ce projet de loi de finances rectificative entérine dans nos comptes publics la réduction de la charge de la dette opérée cette année grâce à des taux d’intérêt encore plus bas que prévu sur les marchés obligataires. Sur ce point, il serait malhonnête de ne pas accorder un satisfecit à l’actuel gouvernement qui, bien loin des prédictions catastrophiques énoncées en la matière par l’ancienne majorité durant la campagne présidentielle, a su agir avec une très grande dextérité pour ne pas subir les effets négatifs de la dégradation de la note de notre pays. (Mme Corinne Bouchoux applaudit.)
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Très bien !
M. André Gattolin. J’aurais aimé pouvoir conclure sur cette note positive, mais il me reste malheureusement beaucoup de choses à dire sur les articles ajoutés quelque peu précipitamment à la version initiale du projet de loi de finances rectificative pour 2012.
En effet, le revers de la médaille, ce sont, sans surprise, les articles reprenant le fameux « pacte de compétitivité » du Gouvernement.
Le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi proposé par le Gouvernement coûtera, en effet, pas moins de 20 milliards d’euros par an. Son financement reposera sur trois piliers : d’abord, 10 milliards d’euros d’économies supplémentaires en dépenses, dont, pour l’instant, nous ne savons guère – c’est le moins que l’on puisse dire ! – sur quels champs elles s’appliqueront ; ensuite, 7 milliards d’euros d’augmentation de la TVA à compter du 1er janvier 2014, avec des modalités d’application qui restent à définir et à évaluer en termes d’impact concret sur notre économie ; enfin, une nouvelle fiscalité écologique, dont je salue l’annonce mais dont j’ignore le contenu et dont le rendement atteindrait 3 milliards d’euros, peut-être avant 2016, date pour laquelle on nous a promis l’institution d’une véritable fiscalité écologique. Au demeurant, le flou qui entoure cette source de financement, qui intéresse tout particulièrement les écologistes que nous sommes, nuit encore plus à la visibilité que la brume qui enveloppe à ce jour les deux sources précédemment évoquées…
En février dernier, M. Cahuzac s’insurgeait contre la TVA sociale, démontrant que son objectif était de faire payer aux consommateurs les gains de compétitivité pour les entreprises. Et, à l’époque, il encourageait le précédent gouvernement à assumer ses choix.
Alors, je ne peux m’empêcher de m’interroger : qu’est-ce qui, depuis février dernier, a changé dans les équilibres ? Le pouvoir d’achat des ménages ne s’est pas amélioré et la TVA reste un impôt profondément injuste, dont l’augmentation pénalise toujours plus les catégories populaires et les classes moyennes que les plus aisés !
Permettez-moi donc d’exprimer, au nom des écologistes, ma très grande perplexité devant cette hausse de la TVA.
Certes, elle n’augmente que de 0,4 point pour le taux normal, qui passe de 19,60 % à 20 %. Mais qu’en est-il pour le taux intermédiaire ? Il subit une augmentation de trois points ! Une augmentation qui va directement et négativement impacter les ressources de certains secteurs essentiels de notre économie, ainsi que la vie sociale et culturelle de nos concitoyens. C’est le cas du secteur des transports en commun, de celui de la rénovation des bâtiments et de nombreux domaines de la culture.
Développement des transports en commun et rénovation des bâtiments sont pourtant deux axes forts d’une véritable politique de transition écologique de notre économie. Ce sont aussi des secteurs où l’emploi n’est pas délocalisable.
Depuis l’ouverture de la conférence environnementale, en septembre dernier, le Président de la République a exprimé à plusieurs reprises sa volonté d’agir fortement dans ces domaines. Le chef de l’État a annoncé, par exemple, un grand plan pour la rénovation thermique des bâtiments afin d’atteindre « un million de logements mis aux normes chaque année ».
De quelle manière le Gouvernement parviendra-t-il à tenir de telles promesses tout en alourdissant, via une hausse de la TVA, le coût des prestations de secteurs essentiels de la transition écologique ?
Si le Gouvernement veut tenir les promesses du président Hollande à l’horizon 2014, il devra donc engager des dépenses supplémentaires très substantielles, d’abord pour contrebalancer les effets négatifs du projet de loi de finances rectificative sur ces secteurs, ensuite pour inverser la tendance.
La hausse prévue du taux intermédiaire de TVA pourrait, en l’état, annihiler une bonne part des effets économiques attendus de la mise en place d’une fiscalité écologique.
En termes macro-économiques comme en termes micro-économiques, il ne nous paraît pas logique de dissocier de la sorte les effets des mesures lourdes entourant le pacte de compétitivité et les objectifs logiquement recherchés à travers la future fiscalité écologique que le Gouvernement dit vouloir prochainement instaurer.
Aujourd’hui, on parle beaucoup du retard de la France en matière de compétitivité, mais on oublie étrangement de souligner notre retard en matière de fiscalité écologique. Je le rappelle, les taxes environnementales au Danemark et aux Pays-Bas représentent respectivement 5,7 % et 3,9 % du PIB, contre seulement 2,1 % en France.
Lorsque les écologistes proposent la suppression des niches fiscales anti-écologiques ou la mise en place d’une véritable fiscalité verte, ils s’entendent répondre qu’il faut prendre le temps d’étudier les impacts, de procéder à des concertations…
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Eh bien oui !
M. André Gattolin. En revanche, lorsqu’il s’agit de demander aux parlementaires de voter un très lourd crédit d’impôt « compétitivité-emploi », on se passe hélas, et assez facilement, de toute réelle étude d’impact, de toute concertation, notamment, il faut bien le dire, avec les partenaires de la majorité !
Certes, les mesures entourant le CICE doivent être entérinées rapidement pour permettre aux entreprises d’anticiper leurs investissements de 2014. C’est un argument pertinent, surtout quand on connaît la manière dont les entreprises fonctionnent.
Mais le crédit d’impôt, tel qu’il est conçu, ne permet pas de répondre de façon stratégique aux enjeux de l’économie et de l’industrie française, et, à notre sens, c’est là que le bât blesse. Il n’y a aucune sectorisation des aides ! On ne fait, au contraire, que consolider les secteurs traditionnels de notre économie, qui sont parfois bien vieillissants !
Nous avons voté voilà quelques jours la création de la Banque publique d’investissement : pourquoi ne pas prendre exemple sur ce projet de loi, co-élaboré avec les parlementaires dans un souci de transition écologique, de développement des PME et des filières d’avenir ?
Le CICE, lui, ne prévoit aucune « critérisation », hormis l’interdiction, grâce à un amendement adopté à l’Assemblée nationale, de financer une hausse des dividendes ou une augmentation des rémunérations de la direction des entreprises. Nous nous en félicitons, mais c’est bien le moins que l’on pouvait demander !
Les sénateurs et sénatrices écologistes sont soucieux de la bonne tenue de notre économie et se préoccupent sincèrement du sort des entreprises, tout particulièrement de celui de nos PME-PMI et de nos TPE.
Mais, comme nous prônons la parcimonie dans l’usage de l’argent public, nous nous méfions des chèques en blanc qui pourraient être donnés à certains.
Je rappelle que Total a engrangé plus de 12 milliards d’euros de bénéfices en 2011. Je ne vois pas pourquoi ce genre d’entreprises aurait vraiment besoin de l’argent de nos impôts pour développer ses investissements !
D’ailleurs, aujourd’hui, seul le MEDEF semble véritablement se réjouir des mesures annoncées. Et notons au passage qu’il s’empresse de crier au scandale dès que l’on parle de contreparties !
Eh bien, les écologistes, eux, réclament des contreparties, et contrairement au MEDEF, nous faisons bel et bien partie de la majorité parlementaire de gauche !
Comment peut-on accepter de subventionner aussi indifféremment le secteur privé, sans conditions, tandis que l’on envisage de réduire encore de 10 milliards d’euros les dépenses de l’État ? Nos ministères ont déjà été durement affectés par les coupes du projet de loi de finances pour 2013. En matière d’écologie, de culture, de santé, comme dans bien d’autres domaines, les choses risquent encore de s’aggraver.
Par ailleurs, le crédit d’impôt est censé jouer en faveur de l’emploi, mais la mesure, appliquée en fonction de la masse salariale brute supportée au cours de l’année pour les rémunérations inférieures ou égales à 2,5 SMIC, ne risque-t-elle pas de créer un effet de seuil, de tirer certains salaires vers le bas ? Je crains, en effet, que toutes les personnes dont les salaires sont inférieurs à ce seuil n’obtiennent pratiquement plus de revalorisation de leurs salaires. J’aimerais d’ailleurs savoir si les services de Bercy ont étudié cette question avec précision.
« La compétitivité est un faux prétexte. Ce n’est pas en baissant de quelques points les cotisations patronales qu’il y aura quelque progrès que ce soit pour notre commerce extérieur. » Cette phrase prononcée par François Hollande en février dernier est, à nos yeux, pleine de bon sens.
Les écologistes conviennent que le problème de notre compétitivité est loin de résider dans le seul coût du travail. Pour nous, le problème est avant tout « hors coût » : il tient à une défaillance structurelle des entreprises en ce qui concerne l’innovation, l’investissement et la recherche.
Il nous semble primordial de concentrer les aides sur les entreprises en difficulté conjoncturelle, sur les TPE, et notamment les entreprises individuelles, malheureusement non concernées par le CICE alors qu’elles créent de l’emploi – après tout, il existe aussi des emplois non salariés dans ce pays ! –, les PME, l’économie locale et non délocalisable, ainsi que sur les filières d’avenir, notamment dans le domaine des énergies renouvelables.
La politique industrielle de la France doit prendre en compte une vision globale et stratégique des enjeux économiques, sociaux et écologiques. Les sénatrices et sénateurs écologistes craignent que le CICE, mis en place précipitamment et sans objectifs sectoriels, ne crée dans les faits plus d’effets d’aubaine que de résultats en termes d’emploi.
En résumé, nous convenons que le projet de loi de finances rectificative pour 2012 contient de bonnes mesures, notamment en matière de fraude fiscale, mais le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, son financement et les conditions de son application nous laissent plus que perplexes.
C’est donc avant tout dans un esprit de responsabilité à l’égard de nos concitoyens et de la majorité gouvernementale, à laquelle nous appartenons pleinement, et avec la volonté de faire avancer les projets qui nous tiennent à cœur sur de nombreux autres sujets, que nous voterons au final, mais non sans réserves, ce projet de loi de finances rectificative pour 2012. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste. – M. le rapporteur général de la commission des finances applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le collectif budgétaire de fin d’année civile dont nous entamons la discussion revêtait un aspect relativement anodin lors de sa présentation initiale : il s’agissait d’enregistrer un constat, celui de l’exécution du budget de 2012. Peu de sujets étaient donc susceptibles de susciter des divergences ou des controverses.
La première partie se limitait aux ajustements terminaux des prélèvements sur recettes de l’État en direction des collectivités territoriales.
Dans la seconde partie, une importante série de propositions destinées à lutter contre la fraude fiscale pouvait recueillir l’assentiment de la majorité, dans la mesure où l’excellent travail de la commission d’enquête constituée sur l’initiative de notre groupe, et dont le rapport a été adopté à l’unanimité, commençait à être pris en compte.
Toutefois, l’introduction de plus de cinquante amendements d’origine gouvernementale qui inscrivent dans ce projet de loi une partie des recommandations du rapport Gallois, intitulée par le Gouvernement Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, a changé la nature du texte que nous devons examiner.
Plusieurs mesures sont proposées : l’instauration d’un crédit d’impôt de 20 milliards d’euros, fondé sur la prise en compte de la masse salariale des entreprises, une hausse du taux réduit et du taux normal de la TVA, ainsi qu’un taux réduit au plancher « européen », le tout pour permettre aux entreprises de financer, comme le dispose l’article 24 bis du collectif, leurs « efforts en matière d’investissement, de recherche, d’innovation, de formation, de recrutement, de prospection de nouveaux marchés et de reconstitution de leur fonds de roulement ».
Quelle incidence ce dispositif aura-t-il sur le débat parlementaire relatif aux deux ou trois prochaines lois de finances ? Le rapporteur général a tenté de nous l’expliquer en commission des finances.
On pouvait lire dans la loi de programmation des finances publiques : « L’effort en recette est égal à l’impact estimé des mesures fiscales et sociales nouvelles sur les prélèvements obligatoires affectées aux administrations centrales. Il est concentré en 2013 en début de période pour contribuer au retour du déficit sous 3 %. En 2016 et 2017, l’effort en recette serait négatif, reflet des baisses de prélèvements obligatoires. » Or nous constatons aujourd’hui qu’une part de l’impôt sur les sociétés et de l’impôt sur le revenu concernant les revenus d’activité non salariée sera remplacée par un produit de TVA. La nouveauté consiste à privilégier la fiscalité indirecte, en lieu et place de la fiscalité directe. Ce choix est contradictoire avec la justice fiscale et sociale !
Vous proposez de mettre en place un crédit d’impôt, en vue de dégager 20 milliards d’euros pour les entreprises. Nous relevons au passage que le MEDEF, par la voix de Laurence Parisot, a manifesté une certaine insatisfaction, souhaitant qu’on aille plus loin, jusqu’à 50 milliards d’euros, afin de créer un « choc de compétitivité ».
Ces 20 milliards d’euros représentent pourtant un bon tiers du déficit budgétaire prévu dans le projet de loi de finances pour 2013, et plus que les crédits ouverts pour la plupart des missions budgétaires. Il me semble que seuls les crédits de la défense, de l’enseignement ou de la mission « Remboursements et dégrèvements » dépassent ce montant. Cela équivaut pratiquement à la charge financière de la ristourne dégressive sur les bas salaires, mais représente seulement 1 % du produit intérieur brut marchand.
Pour gagner en compétitivité, nous dit-on, il faut que les entreprises reconstituent leurs marges.
Certes, la marge opérationnelle de nos entreprises baisse. Nous observons néanmoins que, selon le rapport sur les comptes de la nation de 2011, les sociétés présentent un taux de marge de 28,6 %, soit 287 milliards d’euros. En 1985, première année où fut enregistrée une baisse du taux de l’impôt sur les sociétés, ce taux était de 26,4 %.
Je ne me souviens plus du nombre exact de chômeurs à la fin de 1985, mais je ne crois pas qu’il atteignait 3,5 millions. Il est vrai que, depuis quelque temps, les entreprises s’étaient habituées à atteindre les 30 % de marge ; il est donc normal que cette diminution les préoccupe. Est-ce la faute aux salaires et aux cotisations sociales ?
En 1982, salaires et traitements bruts mobilisaient 55,5 % de la valeur ajoutée produite et les cotisations sociales en retenaient 19,4 %. En 2000, après la mise en œuvre de la loi sur les 35 heures, si souvent critiquée dans cet hémicycle, la part des salaires est passée à 48,5 % de la valeur ajoutée et celle des cotisations sociales à 16,5 %. En dix-huit ans, nous avons donc vu le bloc « salaires et cotisations » passer de 74,9 % de la valeur ajoutée produite par le travail à 65 %.
En 2011, les salaires sont légèrement remontés, atteignant 51,1 % de la valeur ajoutée, et les cotisations sociales 16,6 %, soit en tout 67,7 %.
Malgré une hausse relative des coûts salariaux, sur laquelle doivent sans doute s’interroger les smicards de notre pays, la part de la valeur ajoutée préemptée par les salaires et les cotisations sociales demeure donc plus faible qu’il y a trente ans.
Regardons maintenant les dividendes et revenus de la propriété.
En 1982, les sociétés distribuaient 16,5 % de la valeur ajoutée pour de tels revenus. En 2000, ce taux atteignait 24,8 %. En 2011, il s’est établi à 31,7 %. Ainsi, le montant des dividendes et revenus distribués dépasse, précisément depuis l’an 2000, celui des cotisations sociales. Aujourd’hui, le volume des prélèvements pour versement des dividendes et des intérêts est largement supérieur à l’excédent brut d’exploitation, ce qui signifie que la financiarisation de l’économie est désormais maximale.
Il est rarement fait état de ces observations dans les analyses de la situation économique.
Par ailleurs, la valeur de la production intérieure au prix de marché est quasiment stable depuis 2008, avec une hausse de 1,4 % entre 2008 et 2011, mais la part de la valeur ajoutée stagne autour de 39,5 % de cette production.
Nous ne croyons donc aucunement qu’il soit nécessaire de recourir au crédit d’impôt pour venir au secours des entreprises et les rendre plus compétitives.
M. Roland du Luart. C’est vous qui le dites !
Mme Marie-France Beaufils. L’allégement du coût salarial, que l’on nous présente comme un élément indispensable au développement de nos activités économiques, ne tient pas au vu du bilan de la situation.
Ce qu’il faut changer, ce n’est pas notre système fiscal, en allégeant toujours plus la contribution des entreprises, mais les modes de gestion qui privilégient la seule rentabilité à court terme, au détriment de la recherche d’une production efficace répondant aux besoins humains dans des conditions respectueuses de notre environnement.
Quelle est la situation réelle des entreprises face à l’impôt ?
L’annexe « Voies et moyens » au projet de loi de finances pour 2013 nous apprend que l’impôt sur les sociétés est censé rapporter 52,311 milliards d’euros. Or, à la page 43 du même document, nous apprenons que 141,4 milliards d’euros de recettes nettes seront perçus au titre de la TVA, sachant que 54,5 milliards d’euros seront remboursés aux assujettis, dont 52,4 milliards au seul titre du remboursement de la TVA déductible.
La TVA, cet impôt favorable aux investissements – celle qui les grève est remboursable ! – et à l’exportation, a pour défaut d’être une source d’externalisation des coûts et donne donc lieu à un remboursement qui équivaut au produit de l’impôt sur les sociétés.
Il est précisé, toujours dans le même document, que 2,4 milliards d’euros d’impôt sur les sociétés sont dégrevés pour cause de politiques incitatives, que 3 milliards d’impôt sur les sociétés et de TVA sont remboursés pour trop-perçus, que 5,9 milliards d’euros sont remboursés ou dégrevés au titre de la taxe professionnelle.
Si je fais le bilan du tome I de l’annexe « Voies et moyens », nous en sommes à 64 milliards d’euros.
Quant au tome II, consacré aux dépenses fiscales, il détaille les multiples mesures concernant l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur le revenu pour les activités non salariées, qui représentent 6,8 milliards d’euros de dépenses fiscales chiffrées, dont la moitié est imputable au seul crédit d’impôt recherche.
Viennent ensuite diverses mesures d’allégement représentant 1,6 milliard d’euros.
J’en viens aux mesures spécifiques relatives à l’impôt sur les sociétés : la niche Copé a atteint cette année un coût de 6,95 milliards d’euros ; la taxation à taux réduit des premiers bénéfices des PME coûte 2,55 milliards d’euros ; le régime mère-filiales représente une facture de 25,1 milliards d’euros ; celui des groupes et de l’intégration fiscale coûte 19,2 milliards d’euros, et l’exonération d’imposition forfaitaire annuelle des plus petites entreprises, 1,91 milliard d’euros.
Outre que les mesures destinées aux groupes à vocation internationale ou quasi monopolistique sont nettement plus coûteuses que celles destinées aux PME, on constate que la facture globale s’élève à 55,74 milliards d’euros de dépense fiscale. Ce sont donc 129 milliards à 131 milliards d’euros de recettes fiscales, hors effet du report en arrière, qui sont ainsi abandonnées par l’État, au bénéfice – normalement ! – des entreprises.
Pour être complet, il faut ajouter les 30 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales : 22 milliards de la ristourne dégressive, plus les mesures « ciblées » et l’allégement de la fiscalité locale à la suite du remplacement de la taxe professionnelle.
Pourquoi cette nouvelle décision fiscale aurait-elle plus d’effets que les précédentes ?
Depuis trente ans, tout a été essayé : baisse du taux de l’impôt sur les sociétés, baisse puis extinction progressive de la taxe professionnelle, gel puis réduction des cotisations sociales, flexibilité et précarité accrues du travail. Tout aura été mis en œuvre pour faciliter, paraît-il, embauche, investissement, innovation ; c’est en tout cas ce qui ressortait des arguments qui nous étaient présentés.
Dans le même mouvement, l’État s’est peu à peu désengagé du secteur industriel, revendant une bonne partie des entreprises nationalisées en 1981 et cédant ses positions dans le secteur de la banque et de l’assurance ; on en voit les conséquences avec le dossier Dexia...
Le constat est clair : la France est un pays de plus en plus sinistré sur le plan industriel, avec un commerce extérieur déficitaire et une main-d’œuvre qualifiée qui quitte de plus en plus souvent le territoire national, faute d’y trouver l’emploi correspondant à sa formation initiale.
En clair, les choix menés depuis trente ans nous ont conduits là où nous en sommes.
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Hélas !
Mme Marie-France Beaufils. Selon nous, il ne saurait être question de poursuivre dans ce sens !
Lors des élections présidentielle et législatives, le débat a porté sur la nécessité de changer de politique, et les électeurs ont exprimé leur refus du libéralisme économique sans rivage ni frontière.
La compétitivité des entreprises n’est regardée qu’en fonction de leurs capacités à exporter et à faire front à leurs concurrents en proposant des coûts moins élevés. L’expérience de l’Allemagne nous est régulièrement présentée comme l’exemple à suivre. Cependant, les politiques d’austérité menées en Europe ont aujourd’hui des conséquences sur les politiques d’exportation qui ont tiré vers le haut les résultats de ce pays.
Disons-le sans ambages, ce sont les exportations vers les autres pays de l’Union européenne qui ont permis le développement de l’Allemagne. Quand le pouvoir d’achat des salariés est mis en cause dans ces pays, les conséquences en sont très rapidement visibles, y compris dans leurs achats de produits exportés.
La France souffre d’un déficit d’innovation, mais nombre de ceux qui pourraient rendre notre pays plus dynamique dans ce domaine sont bien souvent partis vers d’autres pays où les entreprises consacrent plus de moyens à l’innovation !
Nous venons d’accepter la création de la Banque publique d’investissement, même si nous regrettons qu’elle ne soit pas un établissement de crédit à part entière pouvant se refinancer auprès de la Banque centrale européenne. C’est un outil parmi d’autres pour répondre à certaines des exigences portées lors des dernières élections, ainsi que, peut-être, aux besoins de financement des entreprises.
En effet, nous savons qu’au fur et à mesure de la privatisation du secteur bancaire et financier l’accès au crédit des petites entreprises s’est, chaque fois, avéré plus délicat. Ce n’est donc pas la voie de la fiscalité incitative qu’il convient de retenir ; c’est bel et bien celle de la réforme du crédit.
La dernière mesure envisagée avec ce pacte, même si elle n’est pas inscrite dans le débat pour le moment, est la réduction de la dépense publique. En m’efforçant de ne pas dépasser mon temps de parole, je tiens à le redire : on oublie une fois de plus son importance dans la vie économique et le développement de la richesse. C’est pourquoi nous ne sommes pas partisans de cette diminution. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)