M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le mois de décembre nous renvoie tous à de bien mauvais souvenirs. C’est celui de l’anniversaire du déclenchement de la terrible crise des dettes souveraines, qui déferle sur notre continent depuis trois ans.
Trois ans déjà, c’est bien trois ans de trop ! Tous les conseils européens ont été presque exclusivement consacrés à cette question : résoudre la crise grecque, mais aussi celles qui sévissent en Irlande, au Portugal et, maintenant, en Italie et en Espagne.
Depuis trois ans, la crise des dettes souveraines malmène nos institutions et, surtout, les peuples.
L’Espagne détient le triste record du taux de chômage le plus élevé : près de 25 % de ses actifs sont en effet concernés. Ce chiffre, aussi effrayant qu’il puisse être, ne rend pas bien compte de la souffrance ressentie par nos concitoyens continentaux. Plus de 11 % de la population active supporte le fardeau du chômage. Nous en sommes arrivés à des proportions telles, notamment chez les jeunes, que nous pouvons sans grand-peine considérer que pas un seul foyer, pas une seule famille européenne, n’est épargné aujourd'hui. Chacun a un ami, un parent ou un proche au chômage.
Ce chômage, issu de l’incertitude économique produite par les troubles sur les marchés obligataires, sème le germe du désamour et de la désaffection européenne parmi les peuples. Partout, les partis anti-européens enregistrent des succès de plus en plus vigoureux. Partout, les eurosceptiques bombent le torse en attendant le moment de mettre enfin à bas plus d’un demi-siècle de travail collectif.
La colère sociale gronde partout en Europe. Aussi, monsieur le ministre, nous ne pouvons que regretter et nous désoler du spectacle tout simplement affligeant que les dirigeants européens peuvent donner, alors que nous sommes à quelques encablures de la définition du budget pluriannuel de l’Union européenne. Nous ne pouvons qu’être navrés de voir que la France n’a pas su, par exemple, infléchir la position des Britanniques, qui s’accrochent à leur rabais comme Harpagon à sa cassette.
Le trouble crée par les dysfonctionnements de nos organismes financiers ne pourra être dissipé qu’en réformant nos institutions.
Nous ne devons pas perdre de vue ce cap. Cette simple équation doit être notre aiguillon pour l’avenir. Les Européens souffrent d’un manque d’Europe ou, pour être plus exacte, du fait que l’Europe leur soit lointaine, tatillonne jusqu’à l’absurde, synonyme de toujours plus de contraintes, et non de protections et de perspectives pour l’avenir. (M. André Gattolin applaudit.)
La réconciliation des peuples et des institutions procédera de la définition d’une Europe politique et stratégique qui aura résolu la question de la gouvernance de l’eurozone, une Europe pleinement dédiée aux grands enjeux du siècle qui s’ouvre. Sans l’Europe, comment espérer assurer la maîtrise de l’énergie, établir une véritable politique industrielle ou encore mettre en place une politique volontariste en matière de recherche et d’enseignement ? Ce sont toutes ces questions qui figurent à l’agenda du programme Europe 2020.
Manifestement, les propositions centristes progressent, mais parfois encore trop lentement à notre goût. Une lumière est apparue au bout du tunnel. Mais le chemin, on le sait, reste encore long vers une Europe plus intégrée pour être viable à long terme.
Pour autant, au nom de mon groupe, je veux espérer en l’Europe. Je veux espérer que le Conseil européen ira dans le bon sens, celui de la construction d’une supervision bancaire, qui permettra à terme d’assurer des garanties minimales de stabilité financière sur le continent.
Rappelons les étapes qui ont été franchies. En un an, nous sommes passés d’une crise qui impliquait jusqu’à la survie de l’euro à la création du Mécanisme européen de stabilité, à la ratification du TSCG et, enfin, au lancement de l’Union bancaire. La France a joué son rôle. Mais, dans une Europe à vingt-sept, la résolution des défis politiques et institutionnels ne peut plus reposer sur la seule responsabilité des gouvernements nationaux. Nous ne pouvons plus remettre le saut fédéral à demain. Le temps est venu de prendre des décisions politiques majeures sur cette question. M. Sutour, le président de la commission des affaires européennes, en a évoqué quelques-unes, auxquelles je souscris.
Mes chers collègues, si la France reste, bien sûr, notre patrie, nous, centristes, pensons que l’Europe est bien notre frontière et le monde, notre horizon. Or celui-ci a considérablement changé. Nous voulons être convaincus que l’Europe présente de formidables atouts pour la France dans une période aussi incertaine que la nôtre. Nous ne pouvons pas nier que, en un an, l’Europe a su démontrer qu’elle pouvait calmer ses créanciers. La Banque centrale européenne a démontré que sa crédibilité ne dépendait d’aucune agence de notation et que les institutions les plus fédérales de l’Union étaient encore les meilleurs garants de notre sécurité financière.
Nous espérons ainsi que, d’ici à un an, nous pourrons prononcer d’autres discours, où l’urgence aura cédé la place à la construction de l’avenir et où nous pourrons enfin nous féliciter de grandes avancées vers la construction d’une Europe véritablement fédérale, solidaire et prospère. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, de l'UMP, du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Alain Bertrand.
M. Alain Bertrand. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mes chers collègues, aujourd'hui, l’Europe ne va pas bien. Elle traverse une grave crise économique. Elle est divisée sur son futur budget commun et contestée par nombre de ses ressortissants.
C’est pourtant l’Union européenne qui vient d’être honorée du prix Nobel de la paix, ce dont je me réjouis. Cela doit impliquer, pour les dirigeants européens et les parlementaires, un grand sens des responsabilités. Nous avons notamment besoin d’un sursaut pour ouvrir les chemins de la reprise économique, de la solidarité et de la croissance. À défaut, nous serions amenés à constater ensemble l’échec de l’Europe.
Jean Monnet disait : « D’une crise surgit quelque chose de meilleur. » La crise financière doit donc nous permettre d’aborder des perspectives meilleures.
Il y a eu quelques avancées – certains, mais pas moi, les qualifient de « décisives » – sur la gouvernance économique, avec le six-pack, le two-pack et le traité dit « budgétaire », assorti du pacte de croissance négocié par le Président de la République, François Hollande. Il y a eu des initiatives comme le Mécanisme européen de stabilité, de même que l’engagement croissant de la Banque centrale européenne en appui de l’euro. Mais c’est encore imparfait ; en tout cas, c’est insuffisant pour convaincre nos concitoyens, nos partenaires internationaux et les marchés.
Bien sûr, la zone euro va mieux depuis l’été dernier. Mais, pour parvenir à une consolidation durable, il faut aller beaucoup plus loin. Cela a souvent été dit, la discipline budgétaire ne peut pas résumer à elle seule le projet européen.
L’Union européenne ne doit pas uniquement proscrire les déficits par la contrainte, ce qui reviendrait à surveiller avant de punir. Elle doit aussi, en complément du rôle joué par chacun de ses membres, contribuer à répondre aux défis de notre temps – je pense notamment au chômage, en France comme en Europe – et ouvrir des perspectives de croissance. Cela passe, vous le savez tous, par l’approfondissement du marché unique, et surtout par le soutien à l’investissement, comme le prévoit, mais encore insuffisamment, le pacte de croissance.
Le président du Conseil a dévoilé jeudi dernier la feuille de route qui doit guider les discussions, en fin de semaine, à Bruxelles, du prochain Conseil européen, en vue de créer cette véritable Union économique et monétaire. La priorité des priorités pour Herman Van Rompuy, c’est de pousser les feux de l’Union bancaire, qui permettra de casser le cercle vicieux entretenu par le lien entre la crise des dettes souveraines et la crise bancaire. Il s’agit d’abord de boucler le laborieux chantier de la supervision intégrée des banques. Sur ce point, il semble que des progrès notables aient été réalisés, bien qu’il reste des désaccords sur l’appréciation à y apporter. Quels établissements ? Quand ? Qui ? On parle de 6 000 banques…
La crise en Espagne nous a montré que des banques dites « petites » pouvaient, elles aussi, déstabiliser tout l’édifice financier. Par ailleurs, si nous voulons un système efficace, il faut bien évidemment que la Banque centrale européenne dispose d’une autorité sur les superviseurs nationaux. Mais vous nous avez rassurés sur ce point, monsieur le ministre, puisque vous nous avez indiqué que tel était votre objectif.
Enfin, aucune impulsion décisive n’a encore été donnée pour la mise en place d’un système européen de dépôts bancaires ou de fonds de résolution bancaire, le rapport intérimaire restant d’ailleurs prudent sur ces points.
Autre priorité, l’Union budgétaire. On ne peut plus rester dans la vision allemande, maastrichtienne, d’une Europe où chaque pays, livré à lui-même, est condamné à gérer individuellement sa dette et son budget. La dernière version du rapport Van Rompuy parle d’une « capacité budgétaire » destinée à « absorber les chocs économiques affectant certains pays ». Là aussi, vous avez été précis dans votre intervention, en évoquant un début de solution.
En étant optimistes, on peut y voir un premier pas vers une forme de solidarité pour éviter une situation de crise aiguë, semblable à celle que nous avons connue, qui a rendu nécessaire le recours au Mécanisme européen de stabilité. Toutefois, le groupe RDSE regrette vivement que la demande initiale de la France concernant la mutualisation des dettes ne soit plus évoquée, alors qu’elle avait été une hypothèse de travail dans le rapport intermédiaire du mois d’octobre 2012. Quoi qu’il en soit, pour nous, il est indispensable que ce futur mécanisme prenne appui sur un véritable Trésor public européen, disposant d’une capacité d’emprunt et d’émission de nouvelles dettes communes. Cela rejoint aussi ce que vous appelez les véritables ressources propres européennes.
Sur le plan économique, outre une meilleure coordination des politiques nationales, Herman Van Rompuy propose d’aller de l’avant, en s’appuyant sur l’idée d’« arrangements contractuels » entre les institutions de l’Union européenne et les États membres, afin d’encadrer leurs choix de réforme. Ceux qui entameraient des réformes structurelles en faveur de la croissance et de l’emploi touchant par exemple le marché du travail ou la formation des jeunes pourraient bénéficier d’un soutien financier.
C’est peut-être une piste à explorer, car l’Union européenne risque de ne guère pouvoir dépasser les limites de la méthode ouverte de coordination.
Au groupe RDSE, nous plaidons pour un véritable gouvernement économique et social, pour une harmonisation fiscale et pour un budget de l’Union – vous avez indiqué que c’était également votre souhait – à la hauteur des enjeux et financé par des ressources propres ; je crois que c’est là une des clés pour l’avenir. Nous militons aussi pour une mutualisation des investissements d’avenir : croissance verte, recherche et développement, infrastructures européennes. Enfin, nous sommes partisans d’une approche volontariste, à tout le moins coordonnée, en matière sociale.
Tout cela n’est pas suffisamment évoqué. J’ai bien conscience que ce n’est pas en rêvant d’un grand soir fédéral, comme je le fais parfois, que nous réussirons à avancer. Le pragmatisme doit demeurer la règle. Différencier l’allure des pays européens, ce n’est pas aller contre l’Europe ; c’est peut-être même lui redonner du rythme et du dynamisme.
C’est en tout cas ce qui nous a permis de créer l’espace Schengen et d’adopter l’euro. Si nous devons avancer en utilisant l’instrument des coopérations renforcées, il ne faut pas négliger l’Union européenne au sens large ou la considérer comme une union de seconde zone.
Enfin, le Parlement européen doit être davantage impliqué, ainsi que les parlements nationaux.
Nous progressons, monsieur le ministre, ou plutôt vous progressez, sur l’ensemble des points, et c’est très bien : la croissance, la sécurisation de la dette, la Banque centrale européenne, l’espoir de ressources propres à l’Europe. Pour autant, vous avez la charge de redonner l’Europe aux citoyens français, d’abord, et européens ensuite. Votre challenge, c’est rendre à l’Europe la croissance, l’emploi, la jeunesse et la solidarité, pour qu’elle soit aimée et comprise et qu’elle continue d’exister. Vous avez la charge de mener votre action de manière plus nette, plus forte et plus lisible. C’est un lourd travail, c’est une mission colossale.
Le groupe RDSE fait confiance au Gouvernement, qui a su mettre en œuvre, exposer et définir une stratégie et fixer des objectifs. Cette stratégie permettra d’avancer dans la construction européenne avec efficacité. C’est pourquoi nous vous apporterons notre soutien. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. Christian Bourquin. Bravo !
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de revenir sur un événement récent, qui est, à mon sens, très révélateur – au moins d’un point de vue symbolique – d’une des difficultés majeures que rencontre aujourd’hui l’Europe, à la fois dans son fonctionnement et dans l’orientation prise par sa construction.
Lundi dernier à Oslo, une grande cérémonie se tenait à l’occasion de la remise du prix Nobel de la paix à l’Union européenne. Disons-le clairement, cette cérémonie fit l’objet d’une bien étrange mise en scène...
L’Union européenne y était officiellement représentée par ses trois présidents actuels : celui du Conseil européen, celui de la Commission européenne et celui du Parlement européen. Mais deux d’entre eux, seulement, ont eu l’occasion de prendre la parole : Herman Van Rompuy pour le Conseil européen et José Manuel Barroso pour la Commission européenne. Martin Schulz, président du Parlement européen, la seule des trois instances démocratiquement élue, n’eut étonnamment pas voix au chapitre. Surprenante logique protocolaire ! C’est le moins qu’on puisse dire.
On aurait pu imaginer que les institutions européennes s’accordent pour que les récipiendaires de ce prix soient quelques grandes personnalités ayant joué un rôle majeur dans la construction européenne ou, mieux encore, un panel de citoyens représentants chacun des vingt-sept États membres.
Loin de cela, on nous a gratifiés d’un surprenant trio à deux têtes ! Habitués que nous sommes à une vision malheureusement très techniciste de l’Europe, nous étions presque tentés de nous réjouir de ce que la tête politique de l’hydre – M. Schulz – n’ait pas in extremis été remplacée par celle du président de la BCE !
Au-delà du symbole, force est de constater que l’Union européenne reste plus que jamais un objet produisant des politiques, mais que les dirigeants nationaux comme européens refusent toujours de la penser comme un objet authentiquement politique.
Ce que la crise des dernières années a révélé, c’est qu’il ne suffisait pas de dire l’Europe et de faire l’euro pour jeter les bases d’une construction saine et durable.
C’est la raison pour laquelle nous cherchons enfin, plus de trente ans après Maastricht, plus de vingt ans après la mise en circulation de l’euro, à doter l’économie européenne en voie d’unification d’une gouvernance digne de ce nom.
Néanmoins, dans le même temps, la question du sens profondément politique du projet européen reste plus que jamais posée.
Je regrette de le dire, mais je doute que le prochain Conseil européen suffise à réparer tout cela. Non que les points inscrits à son ordre du jour aillent dans la mauvaise direction ou qu’ils soient de peu d’importance, au contraire ! Le premier de ces points concerne, en particulier, la mise en œuvre d’une plus grande supervision bancaire. C’est à l’évidence un enjeu capital pour la viabilité et la durabilité de la gouvernance économique européenne. Mais la résolution de ce dossier-là, aussi important soit-il, n’apportera pas de solution à la crise du projet européen dans son ensemble.
Au pire, elle pourrait même engendrer certains effets néfastes. Car le mécano Commission européenne, Conseil européen, Parlement européen, BCE et instances nationales est déjà bien trop illisible. À trop le complexifier, nous risquons à terme de le briser.
Pour simplifier la situation actuelle à l’extrême, je dirais que deux options tactiques s’opposent aujourd’hui, au lieu de se compléter, pour définir les axes d’une véritable stratégie pour l’Europe de demain.
La première option est celle de l’Allemagne. Avant d’aller plus loin dans le renforcement de la gouvernance économique et de la solidarité, celle-ci, par la voie de sa chancelière, exige l’instauration d’une Union politique, qu’elle sait difficile à trouver et à propos de laquelle elle ne dit, d’ailleurs, pas grand-chose, ni sur la forme ni sur les contours. Ainsi posée, une telle exigence est, en fait, plus tactique que stratégique ; il y a là, à l’évidence, une forme d’instrumentalisation de cette question essentielle, afin de ralentir une intégration économique à l’égard de laquelle Mme Merkel éprouve de fortes préventions.
À cet idéalisme de façade, la France semble opposer une vision plus réaliste et plus pragmatique, l’Union politique apparaissant alors comme l’ultime étape d’un processus encore long. Mais là encore, on ignore de quoi l’on parle précisément.
La réalité, c’est que, comme toute organisation humaine démocratique, l’Union européenne a besoin de progresser conjointement dans ces deux directions. En effet, à moins d’un coup de théâtre, on voit mal Mme Merkel, qui entre en campagne, prendre l’initiative ou faire des concessions d’ampleur.
Si la France veut endosser le rôle qui doit être le sien dans cette configuration, elle doit donc esquisser une autre proposition d’organisation politique pour l’Europe.
Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de faire de grandes déclarations incantatoires sur le fédéralisme, même si j’y suis profondément favorable ; il ne s’agit pas non plus de croire que nous pourrions adopter un nouveau traité constitutionnel qui donnerait une soudaine cohérence à des institutions européennes jusqu’alors construites par à-coups et ajouts successifs, souvent sans véritable dessein d’ensemble, le tout en quelques mois ou quelques années.
Cette révision devra, bien sûr, avoir lieu, car le traité de Lisbonne n’est ni parfait ni définitif. Cependant, cela nécessitera du temps. Non, ce que nous devons envisager dans les mois qui viennent et dans la perspective des élections européennes de 2014, c’est l’évolution du rapport de force tripolaire, dans le cadre des institutions existantes, grâce à un accord entre les principales forces politiques européennes.
Il paraîtrait ainsi judicieux que les principales familles politiques européennes s’accordent entre elles pour désigner et présenter dans le cadre des prochaines élections européennes leur futur candidat à la présidence de la Commission européenne.
Il serait également juste et nécessaire que le prochain président de la Commission européenne, issu de l’élection du Parlement européen, puisse choisir parmi les parlementaires nouvellement élus, en fonction des résultats obtenus par les différentes familles politiques, une grande partie de ceux qui seront les commissaires européens. Ce serait faisable sans réformer profondément les institutions. Cela passe non seulement par l’intelligence politique des courants à choisir, mais aussi par la volonté de renforcer la Commission européenne, ainsi que le rôle du Parlement européen. Il faudrait doter ce dernier d’une vraie légitimité politique, car ceux qui passent aujourd’hui pour des techniciens neutres sont porteurs de choix et nommés après négociations et petits arrangements entre les principaux États.
Les deux mandats de José Manuel Barroso montrent bien que l’on n’a pas affaire à une commission neutre ou émanant d’une forme de souveraineté politique européenne.
Dans ce cadre, mais ce n’est qu’une des possibilités, on verrait se construire un rapprochement qui semble logique, une « convergence » politique entre le Parlement européen, qui serait source de légitimité, et la Commission européenne, qui serait une sorte de semi-exécutif, capable de contrecarrer les excès croissants de l’intergouvernementalité qui régit aujourd’hui notre union.
En conclusion, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je reviendrai quelques instants sur la cérémonie d’Oslo.
J’ai souligné tout à l’heure qu’elle avait quelque chose d’étrange. Mais elle avait aussi un côté profondément désuet. Sur la forme, nous nous serions crus dans un programme de l’Eurovision des années soixante-dix. Sur le fond, nous avons de nouveau eu droit à l’éternelle antienne mettant en valeur l’Europe comme espace de paix et de prospérité partagée.
Cette célébration de la paix est évidemment nécessaire et incontestable. Mais elle ne suffit plus.
Quant à la prospérité partagée portée par l’Union européenne, on peut, et on doit, espérer la retrouver rapidement. Pour autant, elle sera longue à restaurer, et ce ne sera certainement pas la même forme de prospérité que celle que nous avons connue hier.
Mais l’un des fondements originels du projet européen moderne, tel qu’il est né dans l’esprit de certains résistants à l’oppression et à la barbarie durant la Seconde Guerre mondiale, qui semble souvent oublié, est la volonté de créer un espace politique profondément et durablement démocratique, capable de dépasser le champ devenu trop étroit des espaces nationaux.
Il n’y a qu’à voir certaines dérives et certains dysfonctionnements des institutions européennes à l’heure actuelle pour réaliser à quel point cette dimension proprement politique est aujourd’hui négligée.
Au final, quelle leçon devrions-nous retenir de ce prix Nobel de la paix accordé à l’Union européenne ? L’Europe, continent de guerre, s’est changée en un continent de paix. L’Europe, espace de prospérité facile, doit aujourd’hui se muer en espace de prospérité plus exigent, mais aussi plus équitable à l’égard du reste du monde et de notre planète. L’Europe doit aussi et surtout approfondir urgemment sa réalité et sa légitimité démocratique, et retrouver une cohérence avec les idéaux politiques qui l’ont fondée.
M. le président. La parole est à M. Roland Ries.
M. Roland Ries. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Conseil européen des 13 et 14 décembre prochains pourrait bien marquer une date importante dans le développement de la zone euro tel que le prévoit la Commission européenne dans une communication de cinquante-cinq pages diffusée fin novembre aux États membres.
Ce document, particulièrement ambitieux, tranche avec l’habituelle prudence de José Manuel Barroso, dans la mesure où le président de l’exécutif européen y dessine les grands contours d’une future fédération de la zone euro.
En fait, cette feuille de route a pour objectif premier de lister les grandes étapes menant à une union politique de la zone euro, à une forme d’intégration présentée comme la seule manière de s’opposer à une spéculation effrénée et à la dure loi des marchés, qui ne cessent de s’attaquer à l’existence même de la monnaie unique européenne. Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen, soutient ce document de la Commission européenne en le qualifiant de particulièrement ambitieux, mais nécessaire et tout à fait compatible avec la feuille de route qu’il présente lui-même pour la réunion de demain et d’après-demain.
Cette dernière, séquencée selon trois étapes, détaille différents volets sur lesquels l’Union européenne est en train d’avancer ou devra le faire : l’Union bancaire, l’Union budgétaire, l’Union économique et l’Union démocratique. Notons, cependant, que la question du changement de traité, qu’exige à moyen terme le plan de M. Barroso et qui est demandée par certains États membres, est ignorée dans ce document.
Le président du Conseil européen propose une première étape courant jusqu’à la fin de 2013 et visant deux objectifs : une discipline budgétaire accrue et la création d’une Union bancaire afin de briser le lien entre problèmes bancaires et crise de la dette souveraine.
La deuxième étape prévue par M. Van Rompuy, qui se déroulerait de 2013 à 2014, a pour objectif d’achever la mise en œuvre d’un cadre financier intégré et la promotion de politiques structurelles dites « saines ». Plusieurs orateurs et vous-même, monsieur le ministre, se sont déjà exprimés sur ce point, je n’y reviens pas.
Enfin, la troisième et dernière étape voulue par M. Van Rompuy, qui aurait lieu à partir de 2014, vise à améliorer la résistance de l’Union économique et monétaire face aux chocs économiques. À cet égard, il distingue deux points.
Le premier est la mise en place d’une capacité budgétaire spécifique au niveau européen pouvant servir à faciliter la résistance à ces chocs. Cela pourrait revêtir la forme d’un mécanisme de type assurantiel auquel les pays concernés contribueraient en fonction de leur situation par rapport au cycle économique. La mise en œuvre de cette proposition devrait peut-être nécessiter un changement de traité.
Le second point est l’augmentation des prises de décisions communes sur les budgets nationaux et une coordination encore plus poussée des politiques économiques, en particulier dans les domaines fiscaux et de l’emploi.
Cette feuille de route a en tout cas le mérite de mettre le cap sur l’objectif ultime de l’Union monétaire : un budget commun et une gestion économique concertée.
C’est sur ce dernier point que la feuille de route de M. Van Rompuy rejoint les orientations à moyen terme proposées par M. Barroso. L’idée centrale de l’exécutif européen est d’aboutir dans cinq ans à la mise en place d’un « budget central important » de la zone euro, qui permettrait de faire face à des « chocs asymétriques » ou à des « chocs communs à la zone euro ».
La Commission estime même que ce budget pourrait servir à mettre en œuvre des politiques contracycliques à court terme, « comme par exemple dans le système américain d’allocations de chômage où un fonds fédéral rembourse 50 % des allocations excédant la durée standard à concurrence d’un maximum donné, sous réserve que le chômage ait atteint un certain niveau et continue d’augmenter ». Il ne s’agit donc pas de prévoir des « transferts permanents », car encourager l’irresponsabilité des gouvernements aurait des effets pervers.
Ce budget serait alimenté par des ressources propres ne dépendant pas des États, comme la taxe sur les transactions financières, dont vous avez parlé, monsieur le ministre, ou la taxe carbone, toujours en gestation. Mieux : il pourrait avoir recours à l’emprunt, ce qui passerait par la mise en place d’une sorte de « Trésor européen ».
Pour la Commission, seule cette dette fédérale serait politiquement acceptable, l’Allemagne ne voulant pas d’une mutualisation des dettes nationales.
En bref, la zone euro pourrait, dans cette perspective, ressembler aux États-Unis. C’est à vrai dire un « saut » dans le fédéralisme qui est ainsi proposé. On savait, en effet, dès 1991, au moment de la négociation du traité de Maastricht, qu’il y avait une sorte d’incompatibilité entre une monnaie unique et des politiques économiques et budgétaires souveraines.
Mais comme il était sans doute trop tôt pour proposer à cette époque un vrai saut fédéral, les négociateurs ont laissé à leurs successeurs le soin de parachever l’Union économique et monétaire, en pariant sur le fait que l’entrée en vigueur de l’euro constituerait un choc suffisant pour les pousser à consentir les partages de souveraineté nécessaires.
C’est en réalité exactement le contraire qui s’est produit : protégé par le parapluie de l’euro, qui semblait en béton armé, le chacun pour soi est devenu la règle, jusqu’à l’éclatement de la crise de la dette publique en 2010.
C’est donc aujourd’hui dans l’urgence qu’il faut avancer vers une meilleure intégration politique des pays de la zone euro, pour développer ensemble des politiques économiques et financières convergentes.
La directrice générale du Fonds monétaire international, Mme Lagarde, le dit à sa manière lorsqu’elle critique le morcellement du calendrier proposé par M. Van Rompuy. Selon elle, cette démarche fragmentaire ne permettra pas « d’aboutir à [une] clarification du paysage qui, seule, est de nature à restaurer la confiance ». Elle ajoute qu’il faut avant tout « manifester cette solidarité sans laquelle il n’est guère de projet européen ». La réponse à la crise ne sera efficace que si elle est exhaustive et la question de la solidarité entre les États doit être rapidement réglée en avançant sur le chemin d’une plus forte intégration politique à l’intérieur de la zone euro.
Je rappellerai ici ce que défend le Président de la République, François Hollande, depuis juin dernier à chaque négociation : « l’intégration, dit-il, est nécessaire à condition que la solidarité soit possible, c’est-à-dire qu’à chaque étape d’intégration doit correspondre un instrument de solidarité ».
Alors, monsieur le ministre, quelle sera, lors du prochain conseil européen, votre position sur cette orientation vers une meilleure intégration politique de l’eurozone pour, in fine, faciliter la sortie de la crise de l’euro et éviter qu’elle ne se reproduise à l’avenir ?
Enfin, je rejoins les eurodéputés dans leur critique : il faut que l’Union économique et monétaire comporte un volet social. Le Parlement européen l’a indiqué le 20 novembre dernier, il est important d’élaborer un pacte social parallèlement au renforcement de l’Union économique et monétaire, afin de contrebalancer les effets de la surveillance plus stricte des politiques budgétaires et économiques.
Le pacte social que les députés de Strasbourg appellent de leurs vœux pourrait et devrait inclure des mesures, me semble-il, importantes, à savoir : la création d’un fonds de garantie pour l’emploi des jeunes, des services publics de qualité, un revenu minimum décent, un accès au logement social à un prix abordable, la garantie de l’accès à des services de santé essentiels sans conditions de ressources, un protocole social protégeant les droits sociaux fondamentaux et du travail, un encadrement européen pour une gestion socialement responsable des restructurations, une nouvelle stratégie pour la santé et la sécurité au travail, et l’égalité salariale.
J’ajouterai que ce volet social donnerait une nouvelle confiance dans l’euro et une légitimité à une Union économique, qui, pour l’instant, n’est essentiellement que contraintes pour les citoyens européens.
Monsieur le ministre, vous êtes favorable, avez-vous dit, à l’existence d’un volet social au sein de l’Union économique et monétaire. Je pense qu’il serait très utile, lors de ce conseil européen, de réaffirmer fortement l’attachement de la France à cette idée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste, du RDSE et de l'UDI-UC.)