M. le président. La parole est à M. Francis Delattre, pour explication de vote.
M. Francis Delattre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’acharnement fiscal sur les forces productives de notre pays qui caractérise pour l’essentiel ce projet de budget nous conduit directement à la récession et à votre condamnation, par l’annonce même de l’inscription de 45 000 nouveaux chômeurs pour le seul mois d’octobre.
Avec une balance commerciale présentant un déficit de près de 70 milliards d’euros, non seulement ce projet de loi de finances insincère ne contribuera en rien à l’amélioration de la compétitivité de notre économie, mais, au contraire, il aggravera les maux diagnostiqués par le rapport Gallois.
Ce rapport déplore notamment un effondrement des investissements des entreprises et, à travers lui, la mise en péril des emplois de demain.
Or que relève-t-on, mes chers collègues, dans le projet de loi de finances ? La remise en cause de la déductibilité des intérêts d’emprunt de l’impôt sur les sociétés : il est assez aisé de trouver mieux comme incitation à investir !
Par ailleurs, avec la surtaxation des dividendes et l’alignement de l’imposition des revenus du capital sur celle des revenus du travail, c’est l’accélération assurée des délocalisations, car aucun pays dans le monde ne taxe aussi lourdement à la fois les flux et les stocks.
En 1995, notre pays comptait 7 millions de petits porteurs d’actions ; ils ne sont plus que 4 millions aujourd'hui. Avec ces mesures, vous allez diviser encore par deux ce chiffre, et détourner une épargne importante vers la rente plutôt que vers l’économie productive, contrairement à vos intentions affichées. Monsieur le ministre, avez-vous dans vos cartons un modèle d’entreprise performante fonctionnant sans fonds propres, sans capitaux et, naturellement, sans capitalistes ?
Le rapport Gallois évoque aussi l’insuffisance chronique de fonds propres de nos entreprises moyennes. Or on sabote le dispositif de l’épargne salariale investie à moyen et long terme dans ces entreprises en doublant le forfait social, alors même que le rapport Gallois préconise une meilleure association des salariés à la gestion des entreprises. Je me permets de vous rappeler que l’épargne salariale, même en ne représentant que 3 % ou 4 % du capital, a permis à Eiffage et à la Société Générale d’échapper aux prédateurs.
Vous avez de plus altéré sournoisement le principe qui prévalait depuis vingt ans, consistant à écarter de l’assiette de l’ISF les biens professionnels, en inventant le concept de biens mobiliers ou immobiliers non utiles à 100 % à l’exploitation de l’entreprise. C’est pourtant, mes chers collègues, grâce à ce type de biens apportés en garantie que les banques acceptent souvent d’accorder des crédits à long et moyen terme aux PME et aux PMI. Là encore, vous tarissez une source de financement des investissements de nos petites entreprises.
Le rapport Gallois, toujours, indique l’urgence d’une réforme structurelle de la formation professionnelle, afin que celle-ci soit mieux en adéquation avec les besoins de l’entreprise. Elle est renvoyée naturellement à un énième sommet social, tandis que l’on prévoit en outre de réduire les crédits alloués aux chambres de commerce et d’industrie et aux chambres de métiers et de l’artisanat, qui assurent pourtant, au plus près des besoins, des pans entiers de la formation professionnelle.
Quant à l’orientation vers l’industrie des crédits publics de soutien à la recherche et développement préconisée par le rapport Gallois, rien n’est prévu dans ce projet de budget pour remédier à la situation actuelle : 5,4 % des entreprises industrielles allemandes en bénéficient, contre 1,4 % des entreprises françaises.
Notre avenir est renvoyé soit en commission, soit aux calendes grecques ! Pas de cap, pas de réformes structurelles : il s’agit en réalité d’un projet de budget conservateur, qui privilégie le secteur protégé, ceux qui ont un statut, et handicape les producteurs, c’est-à-dire les entreprises et les salariés du secteur privé, totalement exposés aux défis et aux risques de la mondialisation.
Le débat d’hier soir sur les carrières longues fut intéressant. À juste titre, le groupe socialiste a dénoncé l’injustice que constitue, pour 20 000 de nos compatriotes chômeurs âgés, le fait de ne pouvoir accéder à l’allocation équivalent retraite. Pour financer une telle mesure, il a proposé d’instaurer une taxe supplémentaire sur l’hôtellerie : c’est là manquer un peu d’imagination, mes chers collègues !
Dans le même temps, vous avez adopté une subvention de 3,48 milliards d’euros afin d’équilibrer le régime de retraite des agents de la SNCF, qui, pour beaucoup d’entre eux, partent à la retraite à 52 ans, et ne paieront les cotisations salariales au taux simple de la fonction publique qu’à partir de 2022… Où est la justice dont vous nous rebattez les oreilles ?
La justice, mes chers collègues, exige du courage. Pour une fois, les chantres des statuts protecteurs que vous êtes auraient pu, simplement en lissant certains avantages des titulaires de ces statuts, aider à financer le dispositif des retraites pour carrière longue des ouvriers.
Par ailleurs, je regrette, monsieur le ministre, que vous vous dispensiez de remercier l’opposition au sujet de la fiscalité dite « verte ». C’est presque de l’ingratitude ! Nous nous sommes en effet opposés, avec la fraction raisonnable du groupe socialiste, à l’alliance hétéroclite des Verts et des ultras de votre majorité (MM. André Gattolin et Ronan Dantec rient.), qui mettait en péril l’équilibre du projet de budget que vous nous présentez et dont les propositions menaçaient de condamner des pans entiers de notre industrie automobile.
À cet égard, l’épisode des bonus-malus est particulièrement éclairant. Au cours du débat, Mme Beaufils, du Front de gauche, a indiqué à juste titre que les écarts de coût de production entre la France et les pays de l’Europe de l’Est pour les voitures petites et moyennes sont relativement faibles : de l’ordre de 500 ou 600 euros par modèle. Et vous nous annoncez que vous allez doubler les bonus et les malus ! Le durcissement du malus – il sera porté à 2 000 euros pour une Modus, à 2 600 euros pour la Peugeot 5008, à 3 000 euros pour la Citroën C6 – est révélateur de l’absence de cohérence de votre discours et de son décalage avec la réalité.
M. Daniel Raoul. Quelle est la question ?
M. Francis Delattre. Cher collègue, je procède à une analyse rapide du projet de budget que vous nous avez présenté !
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Francis Delattre. Malheureusement, à l’instar des agences de notation, nous pensons que vous n’êtes pas crédibles. Ce débat budgétaire, marqué par l’indécision, les contradictions et les approximations, dissimule de plus en plus mal vos reniements électoraux et votre incapacité à fixer un cap. Vous êtes sur le point de virer lof pour lof, pour employer un vocabulaire maritime,…
M. le président. Cher collègue, veuillez conclure !
M. Francis Delattre. … mais vous risquez de chavirer ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. François Rebsamen, pour explication de vote.
M. David Assouline. Ah ! Enfin des paroles sensées !
M. François Rebsamen. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici parvenus au terme de nos débats sur la première partie du projet de loi de finances pour 2013. Avant de m’exprimer sur le fond, permettez-moi, au nom du groupe socialiste, de remercier M. le rapporteur général de l’excellent travail qu’il a accompli. Vous avez assumé une lourde tâche, monsieur le rapporteur général, et je tenais à vous en féliciter publiquement. Vous avez fait honneur à notre groupe ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Je tiens également à saluer, monsieur le ministre, la qualité de vos réponses, votre pugnacité, votre connaissance des dossiers : vous avez fait honneur au Gouvernement de Jean-Marc Ayrault. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
J’en viens maintenant au fond, sur lequel beaucoup de choses ont déjà été dites.
Je m’adresserai d’abord à nos collègues de l’opposition, à qui je demande de faire preuve d’un peu de modestie,…
Mme Éliane Assassi. De décence !
M. François Rebsamen. … de réflexion et d’autocritique. Mes chers collègues, si vous aviez un tant soit peu analysé les raisons de votre défaite, la droite n’en serait certainement pas là où elle en est aujourd'hui ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Francis Delattre. Ne désespérez pas !
M. François Rebsamen. Il aurait mieux valu procéder à une telle analyse plutôt que de repartir tout de suite au combat par les mots, dans l’exagération, sans aucune réflexion.
La vérité, c’est que, pendant près de dix ans, vous avez mené une politique d’injustice fiscale ! Vous avez placé le pays dans la situation où il se trouve aujourd'hui, et nous devons maintenant boucher les trous que vous avez laissés ! Telle est la réalité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Exclamations sur les travées de l’UMP.) Vous le savez ! C’est pour cela que vous ne voulez pas discuter de la seconde partie du projet de loi de finances ! Votre bilan, c’est votre boulet ! (M. Alain Gournac s’exclame.) Le problème, c’est que ce boulet est aussi celui de la France ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
En 2011, l’épée des agences de notation dans les reins, vous avez pris conscience du fait que vous aviez conduit notre pays à la faillite !
M. Alain Gournac. Les sauveurs sont arrivés !
M. François Rebsamen. L’un des vôtres, qui concourt aujourd'hui au poste de chef de l’opposition, l’avait d’ailleurs reconnu en 2007…
Nous avons donc aujourd'hui le devoir de mener une politique différente de celle que vous avez suivie au cours des dix dernières années, une politique d’équilibre social et économique, de justice et de réforme,…
M. Didier Guillaume. Eh oui !
M. François Rebsamen. … dans cette période de très grandes difficultés budgétaires, dues à votre action passée.
Aujourd'hui, il nous faut redresser les finances de la France. Sincèrement, je le répète, vous devriez faire montre d’un minimum de modestie, de réflexion et d’autocritique. Cela vous ferait du bien ! Mais non, plutôt que d’opérer un retour sur ce que vous avez fait, vous repartez tout de suite au combat,…
M. Francis Delattre. Tout à fait !
M. François Rebsamen. … critiquant tout sans même vous donner le temps d’analyser ce qui vous est présenté.
Certes, ce budget peut ne pas vous plaire, car il est de gauche ! C’est peut-être même le plus à gauche qui ait été présenté depuis fort longtemps. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Je regrette que nous ne parvenions pas à convaincre l’ensemble de nos partenaires de l’importance de l’effort consenti en faveur de la justice fiscale et sociale au travers de ce projet de loi de finances. Il est en effet empreint de justice : pour la première fois, un budget aligne la taxation des revenus du capital sur celle des revenus du travail ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.) C’était une vieille revendication de la gauche ; elle va être aujourd'hui satisfaite.
À cet instant, je voudrais, mes chers collègues, vous interpeller avec une certaine solennité.
Le Sénat joue un rôle important dans la République française. À l’instar de notre collègue Philippe Adnot, je tiens donc à dire à celles et à ceux qui sont contre ce projet de budget, pour des raisons qui leur appartiennent, que notre assemblée mérite mieux qu’une automutilation de ses compétences.
M. Jean-Pierre Plancade. Bravo !
M. François Rebsamen. Elle doit pouvoir débattre des crédits des différentes missions. Le Sénat doit pleinement jouer son rôle de législateur et exercer ses compétences. Je regrette que certains d’entre nous s’apprêtent à faire un choix qui nous empêchera de mener jusqu’à son terme l’examen du projet de loi de finances.
Mes chers collègues, au moment du vote, chacun sera placé face à ses responsabilités ; si vous ne pensez pas à la France, pensez du moins au Sénat ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le vote du budget est un moment essentiel de la vie politique et parlementaire. C’est un élément structurant, surtout au début d’une mandature, car, par son vote, chaque parlementaire manifeste son adhésion ou non au projet gouvernemental, son appartenance à la majorité ou à l’opposition. Il revient à chacun de se déterminer en conscience.
Au terme de l’examen de la première partie du projet de loi de finances, il me semblait opportun de rappeler cette réalité.
Cela fait, je tiens à remercier la présidence, dont la sérénité, le calme et la détermination ont permis à chacun de s’exprimer pleinement, sans réserve.
Je remercie également M. le rapporteur général, dont j’ai beaucoup apprécié le travail approfondi et l’entière loyauté. Il a su parfaitement exposer les positions de la commission des finances, dans toutes ses différentes sensibilités. Je tenais à lui rendre ici hommage.
Enfin, je remercie l’ensemble des intervenants de leur contribution à ce débat, qui a fait honneur à l’ensemble du Parlement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. –Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix, par un vote unique, les articles modifiés par les amendements soumis à seconde délibération, ainsi que l’ensemble de la première partie du projet de loi de finances pour 2013.
Je rappelle que, aux termes de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 49 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 321 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 161 |
Pour l’adoption | 156 |
Contre | 165 |
Le Sénat n’a pas adopté les articles modifiés par les amendements soumis à seconde délibération, ainsi que l’ensemble de la première partie du projet de loi de finances pour 2013
En conséquence, le projet de loi de finances pour 2013 est considéré comme rejeté.
8
Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, je souhaite faire une rectification concernant le scrutin n° 48 sur l’article 45 de la première partie du projet de loi de finances pour 2013 : M. Gilbert Barbier a voté contre, comme l’ensemble des membres du groupe du RDSE.
M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
9
Convocation de la conférence des présidents
M. le président. J’informe le Sénat que la conférence des présidents du Sénat se réunit à l’issue de cette séance, au cabinet de départ.
10
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 29 novembre 2012 :
À neuf heures trente :
1°) Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, de financement de la sécurité sociale pour 2013 (n° 162, 2012-2013)
Rapport de M. Yves Daudigny, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 164, 2012-2013)
À quinze heures :
2°) Questions cribles thématiques sur la réforme de la politique agricole commune
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures vingt.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART