M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.
M. Yannick Vaugrenard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens avant tout à saluer à mon tour notre ancien rapporteur, Roland Courteau, qui, dans un temps extrêmement limité, avait procédé à de nombreuses auditions et effectué un travail considérable empreint d’écoute, d’attention, de patience aussi. Merci, cher Roland Courteau, d’avoir honoré notre assemblée par ce formidable travail !
Nous abordons aujourd’hui une problématique qui est au cœur de notre société. Des millions de Français victimes de la précarité énergétique sont confrontés au dilemme suivant : avoir froid ou dépenser trop pour se chauffer.
En effet, plus de 13 % des ménages sont considérés comme étant en situation de précarité énergétique. Cela signifie qu’ils sont obligés de consacrer au moins 10 % de leurs revenus, parfois même 20%, à l’achat d’énergie pour pouvoir se chauffer correctement.
Ce phénomène résulte principalement de la combinaison de trois facteurs : la vulnérabilité des foyers à faible revenu, la mauvaise qualité thermique des logements occupés et le coût croissant de l’énergie.
La conjugaison de ces éléments entraîne certains de nos concitoyens dans une spirale infernale : impayés, endettement progressif, coupures d’énergie, puis restriction et privation de chauffage, engendrant des problèmes de santé, voire un isolement social. Cet enchaînement est d’autant plus pervers qu’un logement en mauvais état et mal chauffé se dégrade, ce qui aggrave les difficultés sanitaires et sociales de ses occupants.
Ce problème ne cesse de croître ; les chiffres parus ce jour le démontrent, puisqu’un foyer sur deux n’a plus les moyens de se chauffer et que 42 % des ménages ont restreint leur chauffage au cours de l’hiver dernier.
Il était donc particulièrement urgent d’agir, avant qu’un nouvel hiver ne vienne plonger nombre de nos concitoyens dans la précarité. C’est à l’urgence sociale qu’il convient de répondre d’abord ! Telle est la finalité du présent texte.
Cette proposition de loi vise à apporter des solutions en s’attaquant à chacun des facteurs de la précarité énergétique : le problème des ressources insuffisantes des ménages, d’une part, en étendant le champ des tarifs sociaux et en généralisant la trêve hivernale, le manque d’isolation des logements, d’autre part, en favorisant la réalisation de travaux.
S’agissant des tarifs sociaux, il est unanimement reconnu que leur mise en place par le gouvernement précédent a été un échec.
À la fin de l’année 2010, en effet, 650 000 foyers seulement bénéficiaient du tarif de première nécessité et 307 000 du tarif social de solidarité. Pourtant, on estime que près de 2 millions de foyers sont éligibles au premier de ces tarifs et près de 800 000 au second. Cherchez l’erreur…
Grâce à la présente proposition de loi, le tarif de première nécessité sera mis en œuvre par l’ensemble des fournisseurs d’électricité et de gaz, ce qui n’est pas le cas jusqu’à présent. Désormais, ce seront l’administration fiscale et la sécurité sociale qui transmettront la liste des bénéficiaires aux fournisseurs d’énergie.
En fin de compte, c’est bien l’efficacité qui est recherchée, et non un simple effet d’annonce, comme cela a pu être le cas ces dernières années.
L’une des principales mesures prévues par la proposition de loi est l’extension des tarifs sociaux aux ménages en situation de précarité énergétique. Cette mesure de justice sociale, qui permettra d’aider 8,5 millions de personnes, était particulièrement attendue.
En outre, la proposition de loi instaure la généralisation de la trêve hivernale à l’ensemble des consommateurs, afin d’empêcher les coupures entre le 1er novembre et le 15 mars. Cette nouvelle disposition évitera aux usagers en situation de vulnérabilité qui n’auraient pas été repérés par les services compétents de souffrir du froid.
Aujourd’hui, nous examinons le premier acte d’un engagement de long terme pour lutter contre la précarité énergétique et contre le réchauffement climatique.
Un million de logements seront rénovés chaque année par le biais de différents mécanismes, dont le tiers-investissement : ce dispositif, qui devrait concerner 500 000 logements, dispensera les particuliers de devoir avancer de l’argent.
Je me félicite de ce que le Gouvernement prenne la question de la transition énergétique à bras-le-corps : notre avenir et celui de nos enfants, mais également notre vie quotidienne et la baisse de nos factures d’énergie, dépendent de la réussite de cette transition.
La présente proposition de loi répond à une double urgence sociale : de court terme, par l’extension de l’application des tarifs sociaux et la généralisation de la trêve hivernale ; de moyen terme, par la mise en place des aides à l’isolation des logements, qui permettront de diminuer la facture d’énergie des ménages.
Mes chers collègues, nous savons que le président du Sénat, Jean-Pierre Bel, à la suite des états généraux de la démocratie territoriale, souhaite une simplification des normes, en vue de faciliter le fonctionnement de notre démocratie.
Il n’est donc pas inutile de suggérer, voire de réclamer, la mise en œuvre d’un principe simple au travers de l’application de cette proposition de loi : une meilleure lisibilité, pour une plus grande efficacité. Tel était, mes chers collègues, le sens de la démarche de Roland Courteau. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Xavier Pintat.
M. Xavier Pintat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous abordons aujourd’hui l’examen de la très controversée proposition de loi de notre collègue député François Brottes, qui vient d’ailleurs d’être déclarée irrecevable par notre commission des affaires économiques.
Ce texte est pourtant inspiré par un bon sentiment.
Il s’agit d’abord d’inciter nos concitoyens à réaliser des économies d’énergie. Qui peut s’y opposer ?
Il s’agit ensuite de lutter contre la précarité énergétique. On ne peut que souscrire à cet objectif, dans la mesure où l’énergie, en particulier l’électricité, est un bien vital, de première nécessité, et restera durablement chère.
Je rappelle d’ailleurs que le précédent gouvernement avait institué l’automaticité de l’application des tarifs sociaux aux foyers éligibles, mesure adoptée par notre assemblée sur ma proposition.
Mais pour traduire efficacement ces bonnes intentions dans la réalité, les mesures prises doivent être simples et lisibles.
Il faut bien reconnaître que c’est loin d’être le cas en l’occurrence : le dispositif de la proposition de loi soumise à notre examen est très compliqué, bureaucratique, éloigné des réalités de terrain. Si l’on n’y prend garde, sa mise en œuvre risque de déboucher sur la mise en place d’une usine à gaz inefficace – c’est à dessein que je reprends cette expression, car je l’ai entendue employer sur toutes nos travées, à cette tribune comme en aparté…
On peut en outre être surpris par la précipitation avec laquelle ce dispositif nous est soumis, alors que le Gouvernement a annoncé son intention d’organiser prochainement sous votre responsabilité, madame la ministre, un grand débat national sur la transition énergétique qui pourrait déboucher sur la présentation d’un projet de loi d’orientation mieux étudié et élaboré.
Il eût donc été logique d’attendre les résultats de cette concertation. Malheureusement, les auteurs de cette proposition de loi ont voulu brûler les étapes, pour aboutir au final à un texte quasiment inapplicable, sans qu’aucune étude d’impact n’ait été réalisée au préalable.
Dès lors, comment s’étonner que le modèle de tarification proposé soulève plus de questions qu’il n’apporte de solutions ?
En particulier, comment peut-on soutenir la mise en place d’une inégalité de traitement entre les consommateurs individuels et les consommateurs collectifs ? Les premiers verront leur volume de base modulé en fonction du nombre de personnes au domicile, les seconds en fonction de la surface du local chauffé par la copropriété.
En outre, comment sera compensé l’éventuel manque à gagner pour les opérateurs historiques, alors que, comme le Conseil d’État ne cesse de le rappeler, les tarifs réglementés doivent refléter leurs coûts réels ? Baisser les prix sur les volumes de base alors que les prix réglementés sont déjà contestés et sanctionnés exposera l’État à de nouvelles poursuites.
Surtout, l’auteur de cette proposition de loi a-t-il conscience qu’en introduisant le zonage climatique dans le dispositif tarifaire, il met fin, de facto, à la péréquation tarifaire ?
M. Jean-Claude Lenoir. Eh oui !
M. Xavier Pintat. En effet, les consommateurs ne paieront plus leur électricité au même prix selon qu’ils habitent Lille ou Marseille : en l’occurrence, ils risquent de la payer plus cher à Marseille qu’à Lille, et dans une même ville le prix variera d’un lieu d’habitation à un autre.
En mettant fin à la péréquation tarifaire pour l’électricité, ce texte supprime de fait le service public de l’énergie, auquel nos concitoyens sont particulièrement attachés. Sommes-nous prêts, alors que les Français sont très sensibles à tout ce qui touche à leur pouvoir d’achat, à abandonner notre système de tarification régulé, simple et équitable ?
Jusqu’à nouvel ordre, le prix du kilowattheure est le même pour tous sur tout le territoire, et le prix de l’électricité, toutes charges comprises, reste en France le moins élevé d’Europe.
Par ailleurs, madame la ministre, êtes-vous certaine que le système de bonus-malus est bien conforme à nos obligations européennes, c’est-à-dire à la concurrence organisée par les directives européennes sur le gaz et l’électricité ? (M. Vincent Capo-Canellas acquiesce.)
Au moment où l’Union européenne nous impose l’ouverture à la concurrence des marchés de l’électricité et du gaz, sera-t-il juridiquement possible de soumettre les fournisseurs en concurrence à un cadre tarifaire rigide comprenant des volumes de tranches de consommation imposés et des rabais ou des majorations de prix prédéfinis ?
Enfin, le rôle des collectivités territoriales est le grand oublié du dispositif compliqué imaginé par l’auteur de la proposition de loi. Dans sa rédaction initiale, celle-ci ne comportait pas la moindre référence aux autorités organisatrices de la distribution d’énergies de réseaux. Pourtant, il me semble qu’elles peuvent donner à ce dispositif, notamment pour ce qui concerne la maîtrise de la demande d’énergie, une vraie souplesse opérationnelle, au plus près du terrain.
En conclusion, je voudrais appeler à la raison : cette proposition de loi ne doit pas être discutée en l’état, en dépit du bon travail accompli par les rapporteurs. Il faut se donner le temps de mener une véritable concertation, celui de bien soupeser toutes les hypothèses, bref d’étudier toutes les solutions à apporter pour relever des défis énergétiques qui sont bien réels. Ce sujet mérite mieux que les mesures expéditives que l’on nous propose d’adopter aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Delphine Bataille.
Mme Delphine Bataille. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les économies d’énergie et la lutte contre la précarité énergétique comptent parmi les objectifs prioritaires pour la majorité de nos concitoyens.
Il s’agit de répondre à une urgence sociale préoccupante, près de 4 millions de ménages étant en situation de précarité énergétique dans notre pays. La situation est encore plus dramatique dans ma région, le Nord-Pas-de-Calais, où un foyer sur cinq est touché par la précarité énergétique et où deux problèmes se cumulent : un grand nombre de foyers ne disposent que de faibles ressources et il existe un important parc de logements anciens à faible performance énergétique.
Certes, les collectivités territoriales ont développé des programmes volontaristes pour la promotion des économies d’énergie et d’eau, pour l’amélioration de l’habitat et pour l’accompagnement social des familles, mais nous évoluons dans un contexte très dégradé, marqué par la crise économique et la production d’une énergie chère, à partir de ressources souvent rares et polluantes.
Pour de nombreux foyers, cette situation n’est plus acceptable, d’autant que la hausse des prix de l’énergie est continue. En outre, notre consommation ne devrait pas baisser, en raison de l’accroissement des besoins nouveaux liés, par exemple, aux nouvelles technologies et à l’utilisation de véhicules électriques.
Selon la Commission de régulation de l’énergie, la facture d’électricité annuelle d’un ménage type devrait encore progresser de 30 % d’ici à 2016.
Pourtant, les Français bénéficient actuellement de l’un des prix les plus bas du marché européen, notamment par rapport à nos voisins Allemands, qui veulent pourtant nous donner des leçons en matière énergétique.
Alors que la lutte contre l’effet de serre, parfois perçue comme un effet de mode, était une préoccupation prioritaire, notamment lors du Grenelle de l’environnement, le combat des opposants au nucléaire et aux recherches sur le gaz de schiste est désormais passé au premier plan.
C’est une erreur, car l’effet de serre et le réchauffement climatique représentent à terme une menace reconnue par la quasi-totalité des scientifiques. Les risques, surtout l’élévation du niveau des mers et le bouleversement climatique, sont très élevés à long terme.
La présente proposition de loi a pour objet de réglementer et d’encadrer la distribution des énergies de réseaux, comme l’électricité et le gaz. Si elle prévoit un dispositif d’effacement pour les consommations électriques, nous devons toutefois aussi nous intéresser aux sources d’énergie les plus polluantes au regard des émissions de CO2 et du réchauffement climatique, comme les produits pétroliers et le charbon.
En effet, il serait paradoxal de vouloir limiter l’utilisation des énergies qui contribuent le moins à l’effet de serre, comme l’électricité et même le gaz, qui est une source d’énergie moins polluante que les hydrocarbures.
Pour définir notre politique énergétique, nous avons besoin aujourd’hui de mener une réflexion à un horizon d’au moins cinquante ans.
Pour sa part, cette proposition de loi s’inscrit dans le court terme, car, à l’approche de l’hiver, nous devons répondre très vite aux besoins immédiats de nombreuses familles. Il est essentiel de détecter les logements mal isolés, véritables passoires énergétiques, pour pouvoir améliorer leur performance et réaliser des économies d’énergie.
La proposition de loi prévoit avant tout des mesures de justice sociale : l’élargissement du nombre de bénéficiaires des tarifs sociaux de l’énergie, l’extension du champ de la trêve hivernale ou encore des adaptations concernant les pouvoirs du médiateur national de l’énergie et de la CRE.
Hélas, le système complexe du bonus-malus suscite de nombreuses interrogations, car sa mise en œuvre présente des difficultés avérées.
C’est pourquoi notre collègue Roland Courteau, dont je veux saluer le travail remarquable et auquel j’apporte mon entier soutien, avait approfondi la réflexion sur ce dispositif et proposé une rédaction plus simple, plus équilibrée et plus efficace de la proposition de loi.
Eu égard aux difficultés sociales de nombreuses familles qui vivent très modestement, il est difficile de comprendre les motivations de ceux qui, par le vote d’une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, en reviendraient au texte initial qu’ils souhaitent rejeter.
N’oublions pas que, au-delà de la contestation politicienne, le problème qui nous occupe ici est d’une importance vitale pour les familles de notre pays et pour notre industrie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat.
M. Claude Bérit-Débat. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, il nous appartient donc de mener à son terme la discussion générale de cette proposition de loi, avant d’avoir à nous prononcer sur la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je voudrais tout d’abord saluer, à mon tour, le travail remarquable qu’a réalisé notre collègue et ami Roland Courteau.
Il n’est jamais simple d’être le rapporteur d’un texte où la complexité des dispositifs techniques n’a d’égale que la diversité des domaines abordés. Un tel texte suscite beaucoup d’attentes et son examen nécessite une capacité d’écoute et de synthèse considérable.
Roland Courteau, fort de sa maîtrise du sujet, a su, pendant des semaines, se rendre disponible pour entendre les uns et les autres, au cours d’une quarantaine d’auditions. Cela lui a permis de formuler des propositions conformes aux objectifs initiaux de la proposition de loi.
Ce travail de fond n’a finalement pas été récompensé, et je le déplore profondément, d’autant que, si nous en sommes arrivés là, cela est dû, pour une large part, à des postures politiciennes. En définitive, ni le texte ni les Français n’en sortent renforcés.
En effet, nous avons hérité, ici au Sénat, d’une proposition de loi au dispositif extrêmement complexe, notamment sur la question du bonus-malus.
Des propositions avaient donc été faites à la commission pour revenir à l’essentiel, si je puis dire. Je pense notamment à celles qui simplifiaient le système du bonus-malus, pour en faciliter la mise en place, ainsi qu’à celles qui, à propos de l’éolien, tendaient à en revenir aux « trois mâts ». Au total, je crois que nous aurions gagné à les examiner, car elles étaient plus adaptées à la situation actuelle.
Dans ce contexte, les mesures d’urgence sociale que contient cette proposition de loi sont reléguées au second plan et sont même, en quelque sorte, déjà passées par pertes et profits. Pourtant, faut-il rappeler qu’est prévue dans le texte l’extension du bénéfice du tarif social à plusieurs millions de personnes ? Est-il besoin de souligner également que la trêve hivernale est étendue à chacun ? Qui pourrait contester qu’il s’agit là de mesures indispensables, qui répondent aux besoins des Français ?
En effet, alors que nous discutons de cette proposition de loi, l’hiver s’installe sur la France, et nous prenons le risque de ne pas permettre à des millions de nos compatriotes de l’affronter dans de bonnes conditions.
Je ne puis concevoir que les parlementaires que nous sommes manquent l’occasion d’agir au plus près des préoccupations des Français.
Je ne nie pas, pour autant, que ce texte comporte des imperfections ; elles sont nombreuses.
M. Jean-Claude Lenoir. Ah ! Intéressant !
M. Claude Bérit-Débat. Je considère toutefois que nous pouvions, grâce aux propositions de Roland Courteau et du président Daniel Raoul, répondre de manière satisfaisante à l’urgence sociale.
J’estime que, si un texte nous semble perfectible, et celui-ci l’est, il nous appartient de l’améliorer. Il vaut mieux travailler dès maintenant sur une proposition de loi existante pour répondre à l’urgence énergétique et sociale, plutôt que de renvoyer l’examen de cette question à un texte ultérieur, alors qu’il sera trop tard.
Je souhaite que nous nous donnions véritablement les moyens d’examiner les amendements qui ont été déposés sur ce texte. Vous l’aurez compris, mes chers collègues, je voterai, en conscience, contre cette motion d’irrecevabilité, et j’appelle chacun d’entre vous à prendre ses responsabilités. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Claude Lenoir. Quel bel enthousiasme…
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, déjà votée en commission il y a quelques jours, devait l’être de nouveau tout à l'heure, je crains que notre assemblée ne se prive d’une belle occasion de procéder, comme elle sait pourtant très bien le faire, à un beau et bon travail législatif.
J’avoue en ressentir une certaine frustration. Le Sénat est un bon législateur, qui, d’habitude, ne rechigne pas au travail d’amendement, à la confrontation des opinions. Au sein même des groupes politiques qui le composent, il y a des débats, des arbitrages, et des majorités se forment, qui sont souvent de bon sens et de projet.
M. Jean-Claude Lenoir. C’est le cas ! Il y a une majorité de bon sens et de projet !
Mme Laurence Rossignol. Aujourd'hui, ce n’est pas cette voie que notre assemblée emprunte.
Opposer l’exception d’irrecevabilité, c’est refuser de discuter des objectifs sous-tendant ce texte, et j’avoue ne pas avoir été convaincue par l’ensemble des arguments entendus cette après-midi.
Mme Mireille Schurch. Tant pis !
Mme Laurence Rossignol. Ils ne m’ont pas non plus convaincue de la bonne foi de ceux qui les ont maniés. (Mmes Annie David et Mireille Schurch s’exclament.)
Je me méfie des sophistes qui jouent avec le principe d’égalité pour mieux laisser perdurer les inégalités. Nous avons entendu parler pendant deux heures d’inégalités supplémentaires, mais, dans le contexte actuel, avec 4,5 millions de familles en situation de précarité énergétique et 42 % de Français qui se chauffent moins aujourd'hui, où sont les vraies inégalités ? Est-ce le vote d’une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, marque de conservatisme, ou le travail législatif que nous proposions de réaliser qui permettra d’y remédier ?
Ce travail visait à rapprocher tarifs et besoins, égalité et sobriété. Nous avons entendu des arguments fallacieux, en particulier celui selon lequel nous porterions atteinte aux principes de la péréquation et de l’égalité tarifaire en prenant en compte des différences géographiques. C’est faux ! Ce n’est pas le prix du kilowattheure qui change ; ce n’est pas l’évaluation en fonction des besoins qui met un terme à la péréquation tarifaire.
Beaucoup de larmes de crocodile ont été versées ce soir sur les ménages en situation de précarité énergétique, mais je crois que nous ne sommes pas tous d'accord. En fin de compte, nombre de nos collègues se satisferaient que nous étendions ad libitum l’application des tarifs de première nécessité, au fur et à mesure que la pauvreté et la précarité augmentent, que les passoires énergétiques se multiplient. En fait, ils dissocient maîtrise de la consommation et accès à l’énergie. Or, aujourd'hui, ces deux aspects sont inséparables dans la réflexion que nous devons mener sur la révolution énergétique à conduire.
Il y a quelques semaines, ceux-là mêmes que j’entends aujourd'hui tergiverser sur ce texte acquiesçaient sans broncher quand des énergéticiens annonçaient une hausse inévitable des tarifs d’au moins 30 % devant la commission d’enquête sur le coût réel de l’électricité !
M. Jean-Claude Lenoir. C’est pure invention !
Mme Laurence Rossignol. Pourquoi vous sentez-vous visé, mon cher collègue ?
Leur seule réponse face à l’augmentation des tarifs, c’est qu’il suffit d’étendre sans fin le champ d’application des tarifs sociaux !
M. Jean-Claude Lenoir. C’est extraordinaire !
Mme Laurence Rossignol. Dans ces conditions, la consommation globale d’électricité ne baissera jamais.
M. Jean-Claude Lenoir. Faux débat !
Mme Laurence Rossignol. C’est le vrai débat !
On continue de soutenir une politique qui a conduit à ce que l’on ne maîtrise plus, aujourd'hui, ni la consommation ni l’accès à l’électricité.
Enfin, il existe une autre raison de s’émouvoir du vote de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, qui tient à la partie de ce texte consacrée à l’éolien.
Les dispositions qui ont été adoptées par l’Assemblée nationale sont absolument nécessaires.
Mme Éliane Assassi. Ce sont des cavaliers !
Mme Laurence Rossignol. Pour atteindre les objectifs du Grenelle de l’environnement, il faudrait raccorder au réseau chaque année, en moyenne, une puissance de production éolienne de 1 400 mégawatts. Or nous n’en sommes qu’à 500 mégawatts en 2012, soit près de moitié moins qu’en 2011, et un tiers de moins qu’en 2010.
Les mesures qui ont été supprimées par l’Assemblée nationale avaient été, je le rappelle, des cavaliers à la loi Grenelle 2. Ils ont survécu, alors qu’ils changeaient pourtant considérablement l’esprit de ce texte.
M. Roland Courteau. C’est vrai, on l’a oublié !
Mme Laurence Rossignol. En effet, issus d’un rapport parlementaire, ils avaient pour seule finalité de limiter le développement en France des énergies renouvelables, en particulier de l’éolien. Aujourd'hui, il est urgent de permettre à l’éolien de se développer.
Je souhaite vivement que nous nous appuyions sur le travail qui a été réalisé par Roland Courteau, mais aussi par Michel Teston,…
Mme Éliane Assassi. Vous avez tué leur texte !
Mme Laurence Rossignol. … afin que nous puissions produire dans les jours à venir, avec l’Assemblée nationale, un texte amélioré, propre à répondre à l’urgence en matière de transition énergétique, de lutte contre la précarité et de résorption des gaspillages d’énergie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Delphine Batho, ministre. Tout d'abord, je souhaite remercier de leur contribution MM. les rapporteurs, ainsi que M. Roland Courteau, même s’il ne s’est pas encore exprimé, et l’ensemble des orateurs.
Monsieur Dantec, je vous remercie de votre soutien au texte, dont vous avez souligné qu’il vise à répondre à une urgence sociale, que sa mise en œuvre permettrait de créer des emplois dans le domaine des énergies renouvelables et qu’il s’inscrit dans une grande ambition, celle de garantir une réelle égalité. En effet, il existe aujourd’hui des inégalités face à la facture énergétique.
Monsieur Husson, cette proposition de loi n’est pas un texte de circonstance. Il me paraît difficile de taxer d’inutilité des dispositions permettant un gain de 200 euros de pouvoir d’achat pour des familles modestes qui deviendront demain, grâce à elles, éligibles aux tarifs sociaux de l’énergie. Ce texte est utile également parce que sa mise en application entraînera des créations d’emplois dans le secteur des énergies renouvelables, parce qu’elle réduira la pointe de consommation électrique, parce qu’elle favorisera les comportements responsables en matière de consommation d’énergie.
Monsieur Lenoir, je tiens à vous répondre sur plusieurs points.
Tout d'abord, vous avez évoqué Ubu et Kafka pour dénoncer la complexité du texte. Vos observations s’adressaient-elles aussi au précédent gouvernement ? En effet, le Conseil d'État vient de rendre une décision annulant un arrêté tarifaire relatif à l’électricité…
M. Jean-Claude Lenoir. Cela n’a rien à voir avec le débat !
Mme Delphine Batho, ministre. Si ! En général, dans le domaine de l’énergie, les décrets et les arrêtés comptent entre vingt et trente pages !
M. Jean-François Husson. Et alors ?
M. Jean-Claude Lenoir. Rien à voir !
Mme Delphine Batho, ministre. La complexité est inhérente aux textes d’application de la loi NOME dont, je crois, vous avez été le rapporteur. On ne la découvre pas aujourd'hui avec le mécanisme du bonus-malus ! Quand je vois que le Conseil d'État a récemment rendu une décision annulant un arrêté tarifaire sur l’électricité parce que celui-ci n’était pas conforme au décret pris par le précédent gouvernement, je me dis que nous n’avons pas de leçons de simplicité à recevoir de vous !