M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. On s’en souvient !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. … et, là encore, 30 décrets, sur les 35 qui seraient nécessaires, sont en attente de publication !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Que fait le Gouvernement ? (Sourires.)
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Nous y travaillons, monsieur le président de la commission, mais on parle souvent à mauvais escient des héritages. Celui-là est lourd !
Pis, s’il est un domaine où le mieux peut être l’ennemi du bien, c’est bien celui de la simplification des normes. Souvenons-nous également que c’est dans la loi Warsmann II qu’un article supposé supprimer des dispositions du code pénal prétendument « tombées en désuétude » avait conduit à supprimer le pouvoir du juge de dissoudre une personne morale condamnée pour escroquerie.
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Négligence ? Je ne sais. Une semaine après la promulgation de la loi, le 25 mai 2009, s’ouvrait le procès de l’Église de scientologie pour escroquerie au cours duquel le procureur demandait la dissolution de l’organisation !
Voilà pourquoi il me paraît sage de prendre le temps de s’atteler à un tel chantier pour ne pas prendre des décisions qui semblent évidentes mais qui pourraient ensuite se révéler inopportunes. Nous prenons le temps avec vous, monsieur Doligé.
Comment concilier la demande d’intervention publique, qui appelle nécessairement des précisions et des adaptations pour être efficace, et le respect des principes et libertés fondamentales reconnus par la Constitution ?
Comment concilier la demande d’adaptation aux situations locales et la simplicité, la lisibilité du droit que nous devons à tous les citoyens ?
C’est tout l’enjeu de l’adaptation des normes. Que ce soit en milieu rural ou ailleurs, la question du principe d’égalité se pose, mais pas seulement. Assumer des variations d’un territoire à l’autre dans notre République, c’est assumer une autre forme de complexité. Dans un pays et à l’heure où les femmes et les hommes sont mobiles, la diversité des règles dans les territoires ne saurait faire d’ombre ni à l’égalité des citoyens face aux droits fondamentaux ni à l’égalité d’accès aux services publics, notamment en matière de droits sociaux. Le vieil adage « Nul n’est censé ignorer la loi » aurait également quelques difficultés à s’adapter à cette « adaptabilité ».
Il est temps de reconnaître la diversité de nos territoires. La diversité des droits, elle, est déjà une réalité du fait de la décentralisation : dans telle agglomération, les personnes sans emploi ne paient pas les transports, dans telle autre, elles les paient ; dans tel département, l’aide à domicile est assortie d’autres aides communales ou intercommunales ; dans telle région, une PME peut trouver des aides à l’implantation qu’elle ne trouvera pas dans une autre. C’est l’effet de la décentralisation, de la responsabilité des élus.
Cette diversité des politiques publiques locales est donc déjà une réalité pour nos concitoyens. Il ne faut pas en avoir peur. Au contraire, elle est source d’émulation et de progrès.
Pour combiner exigence de progrès et respect des principes fondamentaux de notre Constitution, nous prenons le temps de répondre à ces questions dans la plus grande sérénité. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a saisi le Conseil d’État d’une demande d’avis sur l’adaptation des normes aux réalités locales. En effet, nul n’ignore ici que nous préparons d’autres textes concernant la décentralisation. Il sera donc extrêmement important d’obtenir cette réponse bien en amont de la présentation de ces projets de loi au Sénat.
Le Gouvernement n’entend pas se limiter à la question de la simplification ou de l’adaptation. Vous l’aurez compris, sous l’impulsion du Premier ministre, il souhaite engager une véritable réforme de l’action publique dans son ensemble, qui passe par un changement des pratiques à tous les niveaux, dont la remise à plat des normes existantes.
Le Président de la République l’a évoqué dans son discours le 5 octobre, la création du Haut Conseil des territoires permettra de faire en sorte que tout nouveau texte ayant des incidences sur les collectivités soit examiné en amont de sa présentation au Parlement, sachant que le législateur veillera également article par article, alinéa par alinéa à ce qu’aucune étude d’impact sur nos collectivités ne fasse défaut.
Le stock de normes existantes fera l’objet d’une attention particulière, et tous les ministères seront appelés à faire le point sur leurs domaines de compétences, dans un délai aussi court que possible. Nous n’avons pas voulu nous enfermer dans un délai de quelques semaines ; de fait, nous savons tous ici quelle sera l’ampleur de ce travail.
Enfin, je le rappelle, le Président de la République a proposé que l’adoption de toute nouvelle norme soit assortie de la suppression d’une norme existante. Cette procédure permettra sans doute de freiner quelques élans !
M. le président de la commission des lois et Mme la rapporteur l’ont rappelé, Jean-Pierre Bel s’est saisi de cette question. Il a confié à la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales, d’une part, à la commission des lois du Sénat, de l’autre, la mission de formuler des propositions pour donner corps à cette feuille de route.
Aujourd’hui, c’est une chance que la chambre haute se propose de contribuer activement, sur la base d’un travail approfondi, à ce chantier de grande ampleur qui, comme nous le rappelait M. Lambert,…
Mme Nathalie Goulet. L’excellent M. Lambert !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. … s’attaque non pas au gaspillage de l’argent public – le terme serait inapproprié – mais aux dépenses excessives, dont le montant total avoisinerait 2 milliards d’euros. Lorsque l’on connaît la situation actuelle du pays et de nos collectivités territoriales, économiser 2 milliards d’euros représenterait une bonne nouvelle !
Prendre le temps, monsieur Doligé, cela suppose d’admettre que nous ne sommes pas encore prêts pour tout. Ainsi, le Gouvernement ne souhaite pas s’engager sur le chemin de l’adaptation des normes sans disposer de l’avis du Conseil d’État.
Certes, j’ai bien lu cet avis, je l’ai même relu à l’instant avec Mme la rapporteur. Mais force est d’observer que son interprétation reste quelque peu délicate. Mme Escoffier l’a souligné il y a quinze jours à l’Assemblée nationale, lors de la discussion de la proposition de loi de Pierre Morel-A-L’Huissier, il est sans doute un peu prématuré de s’engager dans cette voie. Confortons-nous au préalable !
De fait, les juristes avertis nous l’affirment, cela reviendrait à ouvrir une boîte de Pandore. De leur avis comme aux yeux de certains d’entre vous, ce choix nous exposerait à un contentieux exponentiel et très aléatoire pour les collectivités publiques.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous devons prendre le temps, mais sans excès. Cela suppose de discuter du texte qui nous est présenté aujourd’hui, pour que les débats alimentent utilement toute initiative future. Nous débattrons de l’avenir de la commission consultative d’évaluation des normes et de l’ensemble de ces propositions.
Prendre le temps, cela suppose d’examiner avec vous, dans le détail, les propositions que vous avancez pour simplifier un certain nombre d’obligations et de démarches qui pèsent aujourd’hui sur les collectivités.
Vous êtes nombreux à avoir demandé la tenue de ce débat. Anne-Marie Escoffier et moi-même nous y sommes engagées.
De surcroît, vous êtes nombreux à souligner que la cherté des normes est sans doute d’autant plus dommageable et difficile à admettre que certaines dispositions actuellement en vigueur sont inutiles et engendrent des pertes de temps. À l’heure de la 4G, c’est incontestable ! Nous examinerons ces questions dans la suite de nos débats.
Prendre le temps, enfin, c’est préparer celles et ceux à qui reviendra la charge d’appliquer et de faire respecter les nouvelles règles du jeu. Une telle réforme de l’État ne se décrète pas. Nous voulons créer le service public de demain. Je le répète, nous engageons une refonte profonde de l’action publique. Nous devrons mener cette réforme avec les collectivités, mais aussi avec nos agents, fonctionnaires de l’État et des collectivités territoriales en particulier. Surtout, nous devrons la mener sans perdre de vue l’objectif que nous nous sommes fixé : l’amélioration de la qualité du service public, au service de tous.
La feuille de route ainsi établie, le message déposé sur le bureau de chaque directeur d’administration centrale – de chaque sous-directeur qui, comme le relevait ce matin M. Lambert,…
Mme Nathalie Goulet. L’excellent M. Lambert !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. … peut parfois penser que l’écriture de la norme exige nécessairement quatre-vingts pages – ne resteront pas lettre morte.
Mesdames, messieurs les sénateurs, comme vous, qui êtes si attachés aux collectivités locales, nous sommes persuadés que l’État du XXIe siècle ne ressemblera pas à l’État providence que nous avons connu. Pour autant, l’État ne doit pas oublier sa raison d’être, et vous en êtes conscients ici plus encore qu’ailleurs : au service de l’avènement d’une société plus juste, au chevet de ceux qui ont le plus besoin d’aide et que l’on nomme souvent les plus démunis, au service d’une société de progrès, en soutien aux plus créatifs et aux plus méritants. L’État doit se réformer. Il doit s’assumer comme un État régulateur, un acteur du nouveau monde et des révolutions à venir.
La réforme de l’État et celle de la décentralisation seront consubstantielles l’une de l’autre, et ces chantiers menés conjointement devront participer d’une même ambition : porter sur les fonts baptismaux l’action publique du XXIe siècle !
Au nom d’Anne-Marie Escoffier et du Gouvernement tout entier, je rappellerai, à cette tribune, une vérité trop souvent décriée : l’action publique est indispensable à la cohésion de notre société, d’autant que l’Europe nous dicte également des directives. De plus, si l’action publique est indispensable à la cohésion, à la créativité et au développement de la France, elle ne doit en aucun cas devenir un obstacle.
Tel est l’état d’esprit dans lequel le Gouvernement souhaite ouvrir cette belle discussion. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, depuis de nombreuses années, le flot des critiques gonfle pour dénoncer les conséquences de la prolifération normative et de l’insécurité juridique qui en résulte de facto.
Les précédents orateurs l’ont rappelé, les états généraux de la démocratie territoriale ont fourni l’occasion aux élus locaux d’exprimer leur exaspération sur ce point. Leurs critiques ont d’ailleurs été rudes. Il faut dire que pas moins de 400 000 normes s’imposent à nos collectivités, du fait des législations nationale et communautaire. Ces législations imposent trop souvent des obligations supplémentaires aux collectivités territoriales, tout en engendrant fréquemment autant de coûts et d’allongements des délais de procédure auxquels il est difficile de faire face.
L’objectif affiché de la présente proposition de loi est de dresser le bilan de l’inflation législative sur l’action des politiques locales et de tenter d’apporter des solutions. Nous ne pouvons évidemment que partager cet objectif, tant les difficultés rencontrées quotidiennement par les élus locaux sont réelles : nombreux sont ceux d’entre eux qui nous l’ont rappelé au cours de la campagne des élections sénatoriales, et régulièrement depuis lors. Néanmoins, concernant certaines solutions proposées, notre approbation sera plus mesurée.
Compte tenu du peu de temps qui m’est imparti, je me contenterai de citer quelques articles.
Je songe, par exemple, à l’article 18. Dans le texte initial, il supprimait simplement l’obligation pour les communes de disposer de centres communaux d’action sociale. Finalement, après discussion, la commission a fixé un seuil de 1 500 habitants, au-delà duquel la création d’un CCAS est obligatoire. En deçà de ce seuil, le CCAS peut être créé ou dissous.
M. Éric Doligé. Mais ces centres n’existent pas dans les petites communes !
Mme Cécile Cukierman. Pas moins de 29 977 communes sur 36 784 seraient concernées par cette disposition.
M. Éric Doligé. Pas du tout !
M. Jean-Jacques Hyest. C’est ridicule !
Mme Cécile Cukierman. Je formulerai une simple remarque sur ce point : compte tenu de l’extension de la précarité, qui s’accentue de manière dramatique dans notre pays, il est pour le moins dangereux de vouloir se passer des CCAS.
Par ailleurs, faut-il rappeler que les besoins sociaux d’une personne vivant dans une commune de moins de 1 500 habitants sont les mêmes que ceux d’un habitant d’une ville comptant plus de 500 000 résidants ?
M. Éric Doligé. Évidemment !
Mme Cécile Cukierman. L’Union nationale des centres communaux d’action sociale, consultée par notre rapporteur, s’oppose absolument au caractère facultatif de la création de ces centres. Toutefois, consciente des enjeux, notamment financiers, l’UNCASS a engagé avec les cabinets ministériels de tutelle un travail de réflexion qui a abouti à un projet de schémas territoriaux d’action sociale.
M. Éric Doligé. Normal, c’est leur fonds de commerce !
Mme Cécile Cukierman. On ne saurait faire état de fonds de commerce, lorsque l’on parle de la misère des gens !
Ce dispositif sera expérimenté dans certaines zones rurales, afin de permettre de tisser un maillage transversal dans ces territoires.
Des solutions alternatives à la dissolution pure et simple des CCAS sont donc envisageables et doivent être envisagées. Il faut prendre le temps de la réflexion sur ce point. De fait, quelles que soient les intentions, louables sans aucun doute, de notre collègue Éric Doligé, il est évidemment exclu d’ouvrir ainsi la porte à certains élus – aux yeux desquels l’action sociale coûterait trop cher – en leur permettant de se débarrasser à bon compte de leur CCAS.
Ensuite, plusieurs amendements, dont nous discuterons dans la suite de nos débats, tendent à réintroduire pour partie l’article 1er, que la commission des lois a supprimé.
Cet article inscrirait dans notre droit positif le principe de proportionnalité des normes.
L’un des champs d’application de cet article, si l’amendement qui vise à le rétablir était adopté, concernerait sans aucun doute les dérogations possibles aux mesures réglementaires d’application de la loi du 11 février 2005 relative à l’accessibilité des établissements recevant du public.
Même si l’article 1er réaffirme des objectifs législatifs, il est évidemment inacceptable dans son principe : son adoption ne reviendrait qu’à contourner le problème et à créer de nouvelles sources d’inégalités, selon les richesses disponibles au sein des territoires.
Mes chers collègues, sur ce point, il ne faut pas se méprendre : le véritable débat, on le voit, c’est celui des moyens financiers et non celui de la seule simplification des normes.
Si les collectivités sont mises en difficulté, ce n’est parfois pas tant du fait de la prolifération législative – pourtant réelle et considérablement accrue au cours des dernières années – que du désengagement des gouvernements qui, durant la même période, ont peu à peu restreint les soutiens de l’État : suppression de dotations et de subventions, allégements fiscaux bénéficiant aux entreprises, compétences transférées et nouvelles attributions conférées aux collectivités sans les compensations financières exigées. Là réside, à nos yeux, la principale source du problème.
M. Doligé estime que certaines collectivités, notamment les plus petites d’entre elles, ne disposent pas des outils d’ingénierie publique leur permettant d’appliquer les normes nationales. Par ailleurs, il a pu constater que le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite et la réorganisation des services déconcentrés, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, empêchent ces collectivités, qui ne peuvent financer des services dédiés, de bénéficier de l’ingénierie de l’État. Sur ce point, notre collègue a tout à fait raison.
M. Jean Bizet. Ah !
Mme Cécile Cukierman. Rendons aux collectivités les moyens de faire face aux exigences législatives plutôt que de les autoriser à les contourner !
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, si notre groupe souscrit à une clarification rapide de l’arsenal normatif pesant sur les collectivités territoriales, ce n’est qu’à condition de ne pas s’engager dans la voie de la déréglementation ou de la dérégulation, reléguant, entre autres, les objectifs d’accessibilité ou de sécurité, les normes sanitaires ou de protection de l’environnement.
Oui, les normes applicables aux collectivités locales doivent être simplifiées ! Mais ce travail d’envergure suppose un examen approfondi, comme nous l’avons encore observé pas plus tard que ce matin en commission en étudiant les différents amendements déposés.
Depuis le 15 février 2012, date à laquelle nous avons renvoyé la présente proposition de loi en commission, trois commissions sénatoriales ont été saisies pour avis et ont remis leur rapport. Toutefois, la commission des lois ne s’est réunie qu’une seule fois pour étudier l’ensemble des rapports et des amendements déposés sur ce texte. Bref, notre commission n’a pas disposé des moyens nécessaires pour évaluer l’ensemble des conséquences de ces décisions.
Mme Catherine Troendle. Huit mois de travail !
Mme Cécile Cukierman. Le texte issu de ses travaux mérite donc d’être retravaillé par elle, compte tenu de l’enjeu que soulèvent certains articles. Aussi, nous apportons notre soutien au président du Sénat, qui vient de décider de saisir la commission des lois et la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales,…
M. Jean-Jacques Hyest. Pour quoi faire ?
Mme Cécile Cukierman. … afin que ces deux instances puissent présenter au Sénat un texte de loi visant à endiguer le flux normatif auquel les élus locaux sont confrontés.
Mme Catherine Troendle. Mais il y a déjà un texte !
Mme Cécile Cukierman. Dans ces conditions, nous considérons que l’examen du présent texte devrait être mené parallèlement aux travaux de la commission des lois et de la délégation, dans la perspective ouverte par Jean-Pierre Bel.
Voilà pourquoi nous vous proposerons de voter la motion de renvoi à la commission que nous présenterons à l’issue de la discussion générale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur quelques travées du groupe socialiste.)
M. Jean Bizet. Pour nous, c’est tout vu !
M. le président. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, je ne peux naturellement que souscrire à l’objectif, partagé sur toutes les travées, de simplifier les normes qui viennent aujourd’hui étouffer les collectivités territoriales. L’élu local que je suis pourrait multiplier les exemples de carcans juridiques, d’absurdités administratives et autres aberrations qui viennent empoisonner la vie des élus, quels qu’ils soient, mais plus particulièrement celle des élus locaux.
Autrement dit, la cadence du productivisme réglementaire frappe de plein fouet la plupart de nos collectivités de petite taille. Si on voulait les faire disparaître, on ne s’y prendrait pas autrement !
M. Roland Courteau. C’est sûr !
M. François Fortassin. Aujourd’hui, le chiffre de plusieurs centaines de milliers de normes, mis en avant par l’Association des maires de France, démontre l’absurdité du système.
Les états généraux de la démocratie territoriale qui se sont tenus il y a peu ont parfaitement montré les attentes des élus, lesquels sont toujours aussi attachés à leur mission, qu’ils vivent comme un engagement civique très important.
S’ils désirent moins de lois et de contraintes réglementaires, ce n’est pas pour échapper à la norme, mais pour mieux administrer leur commune. L’État devrait avoir un rôle de garant du pacte républicain, de régulateur et de créateur d’un droit sobre, lisible, prévisible et durable. Autrement dit, il faut mettre un terme au galimatias juridico-administratif qui nous empoisonne à longueur de réception des courriers, si je puis m’exprimer ainsi.
M. Roland Courteau. Exactement ! Le mot est bien choisi !
M. François Fortassin. On se demande, en s’accrochant à la table, si, pour comprendre un certain nombre de textes, il ne faut pas être tout à la fois agrégé de l’université et docteur en droit.
M. Jean-Jacques Hyest. Agrégé ? Non, c’est de plus en plus mal écrit !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Vous avez raison, monsieur Hyest !
M. François Fortassin. La responsabilité de l’inflation législative et réglementaire est certes partagée entre le Gouvernement et le Parlement. Toutefois, si vous me permettez de m’exprimer de façon familière, mes chers collègues, il serait peut-être utile de balayer devant notre porte.
M. Jean-Jacques Hyest. C’est vrai !
M. François Fortassin. À force d’être pointilleux, le mieux devient l’ennemi du bien.
M. Jean Bizet. Ah !
M. François Fortassin. Et que dire encore de l’inflation des textes législatifs et des articles réglementaires du code général des collectivités territoriales ? En dix ans, 80 % des premiers et 55 % des seconds ont fait l’objet de modifications.
Cette accumulation des contraintes législatives et réglementaires rend la gestion des collectivités locales de plus en plus lourde et compliquée.
L’application de textes trop nombreux, qui se suivent, se chevauchent et, parfois, se contredisent pose des problèmes. On a parfois le sentiment que moins l’État a d’argent, plus il est tracassier. Tel n’est pas l’objectif que devrait, me semble-t-il, se fixer un État digne de ce nom.
Dans ces conditions, le travail de notre collègue Éric Doligé est relativement louable.
M. Jean Bizet. Relativement ?
M. François Fortassin. Si je relativise, c’est parce qu’un travail avait déjà été mené en février dernier en la matière. Vous réinventez l’eau tiède !
M. Jean Bizet. Vous n’êtes pas dans un bon jour, monsieur Fortassin !
M. François Fortassin. Vous dites sans doute cela parce que je n’abonde pas dans votre sens. Au demeurant, tout le monde peut avoir des moments de méforme, et je n’échappe sans doute pas à la règle. (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. M. Fortassin parle clair ! Sa belle langue des Hautes-Pyrénées est loin du galimatias qu’il dénonce à juste titre !
M. François Fortassin. Cela étant, il nous faut retravailler le texte pour qu’il soit mieux calibré.
Enfin, comment ne pas évoquer ces textes de simplification, notamment les propositions de loi Warsmann, qui, sous les auspices d’une noble intention, ont entraîné une complexification regrettable des normes ?
Les membres du RDSE l’ont toujours exprimé, et je tiens aujourd’hui à le redire : la simplification doit s’accomplir au travers de textes de loi courts, centrés sur des problématiques clairement identifiées, pour éviter des textes fourre-tout et parfois inapplicables.
Sur ce fondement, nous approuvons le travail de la commission, et la très grande majorité de notre groupe s’abstiendra sur la motion tendant au renvoi à la commission.
Nous convenons que la réflexion sur l’application réelle des normes doit être poussée. Cependant, nous ne sommes pas sûrs que le fait d’instituer, au profit du préfet, un pouvoir réglementaire général d’adaptation des lois soit la meilleure solution. Cela peut créer des disparités d’un département à l’autre, qu’il convient bien entendu d’éviter. Il ne faudrait pas que l’on aboutisse à des jurisprudences contradictoires.
Mes chers collègues, les collectivités territoriales sont le bien commun de la République. Elles sont sorties exsangues d’un cycle législatif qui les a durement éprouvées ; elles méritent aujourd’hui d’être enfin écoutées par le Parlement et le Gouvernement.
Je sais, mesdames les ministres, que la feuille de route que vous avez tracée pour la grande réforme des collectivités que nous attendons tous s’inscrit, enfin, dans cet état d’esprit de recherche d’un réel consensus. Pour notre part, nous nous en félicitons.
« Aller vers l’idéal et comprendre le réel »… J’aime beaucoup cette maxime de Jaurès. Le sentiment du modeste élu que je suis est que l’on oublie parfois de comprendre le réel. Mais pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. Jacques-Bernard Magner. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Hélène Lipietz.
Mme Hélène Lipietz. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, le sujet de la simplification revient sur nos pupitres. Est-ce si utile, ou, plus exactement, est-ce vraiment le bon moment ?
Je ne conteste nullement le constat établi par notre collègue Joël Labbé lors de l’examen de cette même proposition de loi en février dernier : « L’inflation des règles entraîne un coût exorbitant. Comme vous le savez, la commission consultative d’évaluation des normes l’a estimé, pour l’année 2010, à 577 millions d’euros. L’instabilité de ces normes est également problématique : en dix ans, 80 % des articles du code général des collectivités territoriales ont été modifiés. »
Cette inflation pose un problème réel non seulement aux collectivités territoriales, mais également aux citoyens et citoyennes, car la stabilité juridique est une valeur démocratique. En effet, la sécurité juridique cohérente et fonctionnelle, portée par les cahiers de doléances avant la Révolution française, est inscrite dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Mais je pense aussi aux entreprises et aux organisations qui contractent avec les collectivités, ou encore à toutes ces associations qui dépendent des collectivités pour une partie de leur budget.
Il est évident, on vient de l’entendre, que nous sommes tous ici conscients de la nécessité de simplifier l’ordonnancement législatif.
La semaine dernière, nous avons examiné une proposition de loi du groupe du RDSE visant à faciliter le transfert des biens sectionaux aux communes, qui, fait assez rare pour être souligné, a été votée à l’unanimité, et dont l’application va, je l’espère, faciliter la tâche de bon nombre de conseils municipaux dans la gestion de leur patrimoine.
S’il est urgent de procéder à une réforme d’envergure des normes applicables aux collectivités territoriales, un processus est d’ores et déjà en cours actuellement. Il réserve une large place à la concertation, et nous sommes nombreux sur ces travées à y avoir participé.
Le bilan de ces états généraux est en cours d’analyse et le processus de dialogue se poursuit entre le ministère et les collectivités.
Je vous pose donc la question, mes chers collègues : devons-nous précipiter ce processus en votant un peu rapidement une loi, qui, si elle n’est pas mauvaise en soi, surtout après son examen attentif par la commission des lois et les autres commissions compétentes, risque de trancher trop vite des questions de fond dont nous aurons, selon toute vraisemblance, à traiter de nouveau au cours du printemps 2013 ?
Ce serait un bien mauvais signal adressé à tous les participants aux états généraux si nous légiférions ainsi sans tenir compte de leur avis. Nous avons besoin d’un peu de recul. En matière législative comme partout ailleurs, la précipitation est mauvaise conseillère.
Cela ne remet absolument pas en cause selon moi notre objectif de garantir l’efficacité de l’État et de tous ses échelons territoriaux. Au contraire, il serait certainement mal perçu que nous votions trois lois différentes en l’espace de quelques mois. En ce sens, je vous rappelle les propos du président du Sénat, qui, lors de la conclusion des états généraux, a évoqué une sorte de « maladie de la norme » et proposé de « s’attaquer de manière plus structurelle à l’inflation des normes ».
Or, vouloir simplifier les normes, c’est déjà, encore et toujours faire de la norme…
Je pense d’ailleurs que la position du groupe écologiste sera identique sur les deux autres textes qui seront proposés début novembre concernant l’amélioration du statut de l’élu local et la lutte contre l’inflation normative. Il est urgent d’attendre l’aboutissement d’une réflexion commune et complète sur ces sujets.
Un projet de loi relatif aux recherches en archéologie est aussi annoncé ; or le texte que nous examinons aujourd’hui viendrait bousculer certaines dispositions de ce futur projet de loi.
Pourtant, cette proposition de loi, amplement remaniée par la commission des lois et les autres commissions qui ont eu à en connaître, ne manque pas d’articles intéressants.
Je rappellerai tout d’abord l’article 1er, hélas ! supprimé par la commission des lois, qui devra évidemment être repris pour permettre une meilleure adaptation de la réglementation à la taille des collectivités, sans pour autant remettre en cause le principe d’égalité devant la loi. L’une des pistes à suivre lors de l’examen de l’acte III de la décentralisation pourrait être un approfondissement de l’expérimentation locale. Celle-ci est déjà consacrée par l’article 72, alinéa 4, de la Constitution, mais cette disposition est malheureusement trop peu utilisée.
Le renforcement du rôle de la commission consultative d’évaluation des normes, prévu à l’article 2, est également très intéressant. Cette instance aurait ainsi le pouvoir de se prononcer sur le volume des stocks normatifs et l’administration serait obligée de motiver sa décision lorsqu’elle s’écarte de l’avis rendu par cette dernière.
Je mentionnerai enfin l’article 5, qui prévoit de rendre accessibles aux citoyens toutes les décisions des collectivités sous forme dématérialisée. Cet article manque toutefois d’ambition ; il aurait pu aller encore plus loin en proposant une échéance pour la mise en place d’une plate-forme nationale permettant la publication de l’ensemble des décisions des collectivités. Cela n’empêcherait évidemment pas la consultation de ces documents sous forme papier, tout le monde n’ayant pas accès à internet.
Certains amendements devront aussi être repris dans la discussion sur les collectivités territoriales. Je pense notamment à l’amendement n° 20, qui vise à étendre aux agents des EPCI le droit de conduire des tracteurs avec un simple permis B, droit jusqu’ici réservé aux employés communaux.
Par ailleurs, les écologistes veilleront, dans les prochains mois, à ce que tous ces dispositifs soient accessibles à l’ensemble des citoyens et, surtout, à ce que tous les citoyens puissent participer à l’élaboration de la loi ou soient en mesure de mieux comprendre ses modalités d’élaboration.
Bref, vous l’aurez compris, le groupe écologiste votera contre la proposition de notre collègue, laquelle ne nous semble pas s’inscrire dans le tempo du travail législatif. Il votera surtout contre le renvoi du texte à la commission, car ce renvoi ne permettrait toujours pas de le replacer dans le tempo normal du processus législatif. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)