M. André Gattolin. Opposer la question préalable à un projet de loi ne consiste pas simplement à demander le rejet de celui-ci ; cela revient à considérer qu’il n’est même pas nécessaire d’en débattre.
Or, comme vous le savez, mes chers collègues, les écologistes ont beaucoup discuté du TSCG… (Sourires.) Nous avons eu entre nous de nombreux échanges, souvent passionnés, parfois passionnants. Nous ne voulons donc pas perdre cette ultime occasion de débattre, pas seulement entre nous cette fois, mais devant l’opinion ! Nous cultivons, en notre sein, le respect des minorités, d’où notre attachement viscéral au débat contradictoire.
Il est affirmé, dans l’objet de la motion, que le traité bafoue la souveraineté budgétaire de notre pays.
D’un point de vue juridique, cette affirmation se trouve déjà contredite par le Conseil constitutionnel, lequel a considéré, dans sa décision du 9 août 2012, que le TSCG n’entraînait pas de perte de souveraineté pour la France. Si tel avait été le cas, il aurait requis une révision de la Constitution.
De même, le Parlement allemand, dont on connaît la vigilance particulièrement sourcilleuse en matière de souveraineté budgétaire, a approuvé le TSCG à une très large majorité, ne semblant pas y voir une dépossession fondamentale de ses prérogatives nationales.
D’un point de vue plus politique, pour les écologistes, transférer une part de souveraineté pour la déléguer à l’étage supérieur de la pyramide institutionnelle n’est pas tabou. Au contraire, cela correspond même à l’essence de notre vision fédéraliste des institutions.
À l’échelle de la France, on peut dire que les régions sont largement dépossédées de leur souveraineté au profit de l’État, à tel point que, en matière budgétaire, la règle qui les contraint à un équilibre absolu n’est pas d’or, mais d’airain ! Cela n’est a priori pas incompatible avec davantage de subsidiarité, pour des compétences identifiées.
Les écologistes sont favorables à un transfert de souveraineté du même type entre l’État et l’Europe. Nous considérons que nous pourrions tout à fait abandonner une partie de notre marge de manœuvre budgétaire nationale au profit de l’Europe. Évidemment, il conviendrait, au préalable, que cette Europe repose sur un régime parlementaire réellement démocratique et qu’elle soit dotée d’un budget substantiel, alimenté par des ressources propres.
Les inquiétudes et les incertitudes actuelles relatives à la gouvernance européenne sont évidemment légitimes. Pour autant, même ceux d’entre nous sénateurs écologistes qui s’apprêtent à rejeter la ratification du traité – au Sénat, il s’agit d’une forte minorité, mais d’une minorité tout de même ! – ne peuvent voter cette motion, dans la mesure où nous croyons y déceler une défiance assez nette à l’égard du projet européen fédéraliste que nous soutenons.
Or, si nous avons pu laisser entendre des divergences importantes de stratégie entre nous sur le meilleur moyen de nous approcher au plus près de l’Europe que nous appelons de nos vœux, c’est bien notre vision commune d’une Europe fédérale, solidaire et, bien sûr, écologique qui nous rassemble et constitue notre force.
C’est également parce que nous souhaitons avoir l’occasion, comme je le disais au début de mon propos, de prolonger le débat non seulement sur le TSCG, mais aussi sur l’ensemble des procédures européennes en cours, devant les Français, en toute transparence, ainsi que nous l’avons fait au sein de notre mouvement, que le groupe écologiste ne pourra voter cette motion tendant à opposer la question préalable, présentée par le groupe CRC. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 2, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n'est pas adoptée.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens dès à présent à remercier l’ensemble des intervenants, sur toutes les travées, qui ont bien voulu participer à ce débat sur le projet de loi autorisant la ratification du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire. Tous ont apporté une contribution extrêmement utile, qui aura permis d’aller au fond des enjeux que présente ce traité pour la construction européenne, en matérialisant les risques, les interrogations qu’il pourrait présenter si n’étaient pas posées un certain nombre de garanties. (Murmures sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Richard Yung. Monsieur le ministre, il reste une motion de procédure à examiner…
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. J’en suis bien conscient, mais, parmi celles et ceux qui sont intervenus, certains, me dit-on, doivent partir. Il m’a donc été demandé, ce que je fais bien volontiers, de leur répondre dès maintenant, pour ne pas donner le sentiment d’attendre le dernier moment pour parler, ce qui ne serait pas respectueux à l’égard de la Haute Assemblée.
Je commencerai en m’adressant aux orateurs du groupe communiste, qui se sont longuement exprimés. Sachez, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous poursuivrons, dans les semaines et les mois à venir, le combat que nous avons mené pour la réorientation de l’Europe, dans l’esprit que j’ai déjà indiqué à plusieurs reprises depuis hier.
Je ne doute pas que, à la faveur de la tenue des prochains Conseils européens, nous aurons l’occasion d’évoquer de nouveau ces sujets ensemble. Le débat se poursuivra ainsi entre nous et permettra de mesurer le décalage entre ce que nous disons vouloir faire et ce que nous aurons pu obtenir tout au long du quinquennat.
J’adresserai ensuite des remerciements à l’ensemble des orateurs du groupe socialiste. Ce matin, Alain Richard s’est exprimé avec la rigueur, la précision et la hauteur de vue qui caractérisent toujours ses interventions sur les sujets les plus pointus. Il l’a fait en avançant des idées auxquelles nous croyons et qui guident l’action gouvernementale.
Nous n’avons en effet pas vocation à laisser aux générations futures des dettes et des déficits sans fin. Il nous faut procéder au redressement de nos comptes publics, parce qu’il s’agit d’un engagement que nous avons pris. Nous voulons agir dans la justice, tout en créant les conditions de la croissance.
Je me tourne maintenant vers les orateurs de l’opposition. M. Philippe Bas, aujourd’hui, M. Jean Bizet, hier, ont évoqué des arguments précis, qui sonnaient comme autant d’interpellations à destination du Gouvernement. J’apporterai donc plusieurs éléments de réponse.
Pour ce qui concerne le projet européen lui-même, je répète ce que j’indiquais, hier, en réponse à un orateur du groupe UMP : le Gouvernement n’est pas du tout fermé à des évolutions institutionnelles. Vous ne pouvez donc pas dire, monsieur Bas, que notre démarche consiste à inscrire l’ensemble de ce qui pourrait être fait dans le cadre des seuls traités existants. Ce n’est ni ce que j’ai dit ni ce que je pense.
Je comprends que vous vouliez apporter la démonstration de ce que nous sommes prêts à faire et de ce que vous souhaiteriez nous voir faire. Or ce que nous nous apprêtons à faire est très différent à la fois de ce que vous imaginez et de ce que vous avez fait. J’avancerai donc, une nouvelle fois, des réponses précises, qui sont à peu près celles que j’ai déjà indiquées, avec quelques compléments d’information.
Je le redis, au moment où la crise s’aggrave, s’approfondit, s’enkyste, à l’heure où les peuples d’Europe en souffrent, s’inquiètent, manifestent et s’indignent, il nous paraît dangereux politiquement et absolument illusoire, en tant que proeuropéens, d’aller dire à ces mêmes peuples que la réponse que nous nous apprêtons à apporter est une nouvelle convention au terme de laquelle il y aura un nouveau référendum. Non, la politique européenne de la France ne se réduit pas à une réflexion sur les institutions européennes, présentée comme un préalable à toutes les solutions urgentes qu’appelle la crise !
Nous, nous sommes dans le concret. Pour sortir de la crise, nous proposons de remettre de l’ordre dans la finance, d’aller au bout de l’union bancaire, en mettant en place la supervision bancaire pour toutes les banques, pas seulement les banques systémiques.
Nous sommes à l’avant-garde, à la pointe du combat pour l’Union européenne. Tous ceux qui sont européens, résolument européens, qui croient en l’Europe, partagent notre souhait de doter celle-ci de dispositifs de contrôle de la finance propres à lui épargner les errements spéculatifs qui ont ruiné l’économie réelle au cours des dernières années. Nous, nous sommes à la pointe quand d’autres n’acceptent pas de nous suivre sur ce chemin.
Nous formons le vœu de voir l’Europe aller plus loin dans la solidarité monétaire et financière, mais nous comprenons très bien, monsieur Bas, qu’un certain nombre de pays du Nord, notamment l’Allemagne, notre partenaire, ne veuillent pas aller plus avant dans la solidarité tant que la discipline budgétaire n’est pas établie. Après tout, ces pays peuvent légitimement considérer qu’ils n’ont pas à payer indéfiniment pour d’autres qui n’appliquent pas, à eux-mêmes, les principes budgétaires que les Allemands, notamment, ont décidé d’appliquer à leur propre pays depuis longtemps.
Pour autant, dès lors que cette discipline budgétaire est acceptée comme un élément de la convergence des politiques économiques, qui garantit l’intégrité de la zone euro, au nom de quel argument s’opposerait-on à davantage de solidarité ?
C’est précisément parce que la discussion sur la discipline budgétaire s’est engagée que nous nous sentons légitimes à aller plus loin dans l’exigence de solidarité, en défendant l’émission commune d’obligations, la mise en place de fonds de rédemption, la création, demain, d’euro-obligations, dans une logique de mutualisation de la dette que Jean-Pierre Chevènement a appelé de ses vœux ce matin.
Comment pouvez-vous dire que nous ne sommes pas force de proposition, à l’avant-garde, alors que, précisément, sur les sujets que je viens d’évoquer, nous figurons, en Europe, parmi ceux qui sont les plus audacieux, qui tendent la main, qui proposent, qui invitent à une nouvelle frontière, dans un esprit de responsabilité, avec la volonté de faire en sorte que la discipline budgétaire permette le rétablissement des comptes publics.
À vous entendre, nous n’allons pas mettre en œuvre ce à quoi nous nous engageons. C’est vous qui parliez d’humilité précédemment. Celle-ci est toujours nécessaire dans le débat politique. Mais quelle est la situation qui nous a été laissée ?
Chacun connaît le niveau du déficit de notre commerce extérieur. Il traduit un problème de compétitivité de l’économie française, qui ne résulte pas des quatre mois d’exercice du pouvoir par ce gouvernement. (M. Philippe Bas en convient.) Nous pouvons, ensemble, le reconnaître, car il ne s’agit de rien d’autre que de rappeler des faits.
Cela vaut pour l’ensemble des déficits. Telle est la situation qu’a trouvée ce gouvernement voilà quatre mois, après dix ans d’exercice de la responsabilité gouvernementale par la majorité que vous souteniez à l’époque. La dette a augmenté dans des conditions considérables, vous le savez.
Par conséquent, si humilité il doit y avoir, elle doit consister, pour ceux qui ont laissé cette situation, à ne pas demander des comptes à ceux qui viennent de leur succéder.
Je ne prétends pas, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous ferons mieux. Je vous dis simplement, en toute franchise et sans aucune agressivité, qu’il faut nous laisser le temps d’agir dès lors que chacun sait ce que, vous, vous avez fait.
Les dispositions que nous nous apprêtons à prendre visent à permettre le redressement fiscal dans la justice. Il est normal que les plus aisés, dans un contexte de crise profonde, soient appelés davantage à contribution que ceux qui n’ont rien, à partir du moment où cet effort contributif est accompagné d’un effort de rétablissement de nos comptes au travers d’économies budgétaires.
Qu’il me soit permis de le signaler, ce que nous allons proposer à la délibération de la représentation nationale dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2013 traduit un effort de redressement des comptes plus rude que tout ce qui a pu être présenté auparavant. Comment pouvez-vous dire alors que nous n’avons pas la volonté de rétablir les comptes quand nous posons de tels actes ?
Bien entendu, il faut offrir des perspectives, fixer des objectifs, nourrir une ambition, laquelle doit reposer sur une vision. À mon sens, quand on est proeuropéen, on ne doit pas privilégier le « saut institutionnel » dans le cadre de ce traité : ce serait commettre une grave erreur.
Ce qui compte, c’est le projet pour l’Europe. Je veux vous le redire, celui que nous défendons n’est pas le vôtre. Nous, nous ne visons pas la discipline budgétaire et seulement celle-ci. Nous ne considérons pas le TSCG comme la pierre angulaire de la politique européenne. Nous ne sommes pas prêts à accompagner l’Europe dans des logiques sans cesse plus punitives et plus disciplinaires, sans qu’il y ait aucune perspective qui permette de réenchanter la construction européenne et de donner des objectifs aux peuples.
Si vous votez ce traité en pensant que nous allons mener la politique que vous vous apprêtiez à conduire, vous vous trompez. Je n’aurai pas l’audace de vous conseiller de ne pas le voter, mais sachez que nous prendrons d’autres initiatives pour renforcer la croissance, la solidarité, la mutualisation de la dette, l’intervention de la Banque centrale européenne, l’évolution institutionnelle. Nous le ferons parce qu’il y aura une parole forte de la France, pour défendre un projet de solidarité, où se mêlent politique industrielle, politique sociale, volonté de mutualiser la dette, dès lors que la discipline budgétaire est communément acceptée et mise en œuvre.
Ce projet, ce n’est ni le projet allemand, ni le projet danois, ni le projet espagnol, c’est le projet de l’Europe, auquel nous devons contribuer en étant nous-mêmes.
L’Europe n’a jamais été aussi forte que lorsque les pays se sont parlé librement, franchement, à partir de leurs positions respectives. C’est une vraie différence entre votre positionnement et le nôtre. Nous, nous ne considérons pas que l’axe franco-allemand soit d’autant plus solide que nous précédons les souhaits des Allemands à notre égard, sans même nous être employés à leur dire ce que nous-mêmes attendons d’eux.
Nous avons le droit d’avoir une position différente de nos partenaires. Ce n’est pas grave. Eux-mêmes ont, sur bien des sujets, une position différente de la nôtre. Ce qui compte, à la fin, c’est que soient bâtis des compromis solides.
Or, historiquement, que ce soit sous Valéry Giscard d’Estaing et Helmut Schmidt, François Mitterrand et Helmut Kohl, ou Jacques Chirac et Gerhard Schröder, dès lors que nos deux pays ont accepté de se parler franchement, y compris de leurs désaccords, et que le compromis s’est construit sur autre chose que l’ambiguïté, la relation franco-allemande n’a jamais été aussi forte.
Mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, n’ayez aucune crainte, nous ne mènerons pas votre politique ! Nous avons la nôtre : elle repose sur une vision, une ambition, une volonté.
Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, au moment où se conclut le débat sur cette motion de procédure et que s’ouvre celui sur la suivante, je voulais simplement vous dire que nous aurons, dans les semaines, les mois, les années à venir, d’autres occasions de débattre des questions européennes. À nous de conserver cette qualité d’échanges, ce respect mutuel, pour faire en sorte que l’Europe que nous voulons, qui est très différente de celle qui nous a été laissée, puisse vivre demain ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
Demande de renvoi à la commission
Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Bocquet, Mme Beaufils, M. Foucaud et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d’une motion n°3.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission des finances, le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire (n° 23, 2012-2013).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à M. Thierry Foucaud, auteur de la motion.
M. Thierry Foucaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à déplorer les conditions dans lesquelles se déroule le débat. Alors que la discussion n’est pas encore terminée, le ministre décide de répondre aux orateurs, puis on me demande de prendre la parole, tout en sachant que la séance va être suspendue dans quelques minutes. Pour notre collègue qui doit intervenir contre la motion, ce n’est pas très agréable. Il aurait mieux valu organiser les débats de façon plus logique.
Cela étant, je voudrais revenir sur les propos que vous avez tenus, monsieur Leconte. Nous avons, nous aussi, une idée de l’Europe : elle est, certes, éloignée de la vôtre, mais elle existe. Nous n’avons donc pas de conseils à recevoir de votre part, surtout pas de ce genre-là.
J’en viens à la présentation de la motion tendant au renvoi à la commission.
La discussion du projet de loi montre que nous sommes loin d’une banale convention fiscale internationale comportant un simple article de validation de l’avenant le plus récemment signé entre la France et l’un de ses interlocuteurs internationaux. Nous sommes en présence d’un texte porteur de changements profonds dans la gestion de nos affaires publiques, mais de changements éloignés de l’idée que s’en faisait la majorité du peuple français au printemps dernier.
Monsieur le ministre, je vous ai entendu dire que vos prédécesseurs étaient mauvais, qu’ils ont contribué à faire augmenter le chômage, à affaiblir le pays.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ça, c’est vrai !
M. Thierry Foucaud. Bien sûr, je partage votre avis.
M. Philippe Kaltenbach. Très bien !
M. Thierry Foucaud. Pourtant, pas un mot, pas une virgule, pas un paragraphe n’a été modifié dans le traité annexé à l’article unique. Le changement attendu par les Françaises et les Français se retrouve limité à « tenir la parole » de la France en ratifiant le texte. Sarkozy a coécrit le traité avec Merkel et semble donc nous avoir engagés à le respecter !
Mais que dire du volet de croissance qui figure dans les conclusions du Conseil européen des 28 et 29 juin dernier, un volet de croissance qui justifie que, bon gré mal gré, nous soyons amenés à ratifier le texte qui nous est proposé ?
Je cite ce passage, au demeurant en français dans le texte : les États membres s’attacheront « à promouvoir la croissance et la compétitivité, notamment en s’attaquant aux déséquilibres profonds et en allant plus loin dans les réformes structurelles afin de libérer le potentiel national de croissance, grâce, entre autres, à l’ouverture de la concurrence dans le secteur des entreprises de réseau, à la promotion de l’économie numérique, à l’exploitation du potentiel de l’économie verte, à la suppression des restrictions injustifiées appliquées aux prestataires de services et aux mesures visant à faciliter le démarrage d’une entreprise ».
Au traité budgétaire s’ajoute donc le retour des vieilles lunes libérales des bienfaits de l’ouverture à la concurrence sur les entreprises de réseau, sur les services – on peut dire que Bolkestein est de retour ! –, toutes dispositions dont les zones blanches de l’internet et les territoires enclavés entre deux autoroutes et deux lignes ferroviaires à grande vitesse sont la meilleure démonstration d’efficacité.
N’en déplaise à beaucoup, l’intervention publique dans l’économie n’a jamais constitué un obstacle au plein développement des potentiels de croissance. Bien au contraire pourrions-nous même dire au regard de la situation de quelques pays privés d’opérateurs publics performants en matière d’énergie, de télécommunications, et j’en passe !
Comprenez, mes chers collègues, que le traité de stabilité, pas plus que son appendice fièrement appelé « pacte pour la croissance et l’emploi », qui vise à aller plus loin dans la libéralisation des services et la flexibilité de l’emploi, une flexibilité d’ailleurs encouragée financièrement dans le cadre du pacte lui-même, ne peut décemment qu’appeler nombre d’observations de fond et de forme.
La discussion du projet de loi de ratification est le premier volet d’une tragicomédie en cinq actes qui va nous occuper une bonne partie de l’automne. Elle sera suivie par l’examen du projet de loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017, puis du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Le tout, évidemment, avant l’épilogue prévisible que constitueront, au cours de l’année 2013, si l’on n’y prend garde, les lois de finances rectificatives ou de redressement occasionnées par le choc récessif des dispositions ici rapidement évoquées.
Comment attendre 0,8 % de croissance en 2013 après cinq trimestres consécutifs à 0 % ?
Tragicomédie, disais-je, puisque l’on pourrait ainsi résumer le processus futur de confection de nos lois de finances.
Avant le TSCG, nous avions une phase de préparation du budget, marquée, dès avant l’été, par des lettres de cadrage, par des consultations menées avec les partenaires sociaux et les formations politiques, avant que le projet de loi de finances ne soit discuté, débattu, amendé et, finalement, promulgué au terme de la navette parlementaire. Et le Parlement disposait, tout au long de l’année, de pouvoirs de contrôle et d’investigation sur les engagements pris par l’État !
Dans les collectivités territoriales, les conseils municipaux débattaient des orientations budgétaires, puis votaient un budget dès le premier trimestre civil avant de procéder, au terme de la discussion du budget supplémentaire, aux quelques ajustements rendus nécessaires par la situation.
Bien évidemment, au moins depuis une bonne vingtaine d’années et la naissance de l’enveloppe normée des concours, les élus locaux s’inquiètent de connaître l’évolution des choses, notamment des moyens que leur apporteront les dotations de l’État.
Demain, ces équilibres fragiles de la démocratie locale – pour les collectivités territoriales –, de la démocratie sociale – déjà sérieusement entamée mais restant en partie présente dans la gestion de la sécurité sociale – et de la représentation nationale – vote du budget par le Parlement et contrôle de son exécution par celui-ci – vont voler en éclats parce qu’un aréopage d’experts, pompeusement dénommé Haut Conseil des finances publiques, aura déterminé, par avance et au regard de nos engagements internationaux, ce que la loi de finances comme les lois de financement devront comprendre. Il se prononcera également sur ce qu’il conviendra de faire si, d’aventure, la conjoncture économique est si déprimée qu’il importe de procéder à la construction de mesures de redressement des comptes.
Au demeurant, le Haut Conseil ne fera que jouer le rôle sourcilleux de gendarme veillant au respect des règles fixées par le traité européen. Ce collège de docteurs « ès austérité » aura aussi la liberté de partager la facture de redressement entre sous-ensembles du secteur public. On peut imaginer l’affaire !
Supposons que la France soit en décalage de 5 milliards d’euros par rapport à ce qui lui est demandé. Eh bien, j’imagine que le Haut Conseil, agissant par procuration, incitera l’État à trouver 3 milliards d’euros, la sécurité sociale 1,5 milliard d’euros et les collectivités locales 500 millions d’euros… Voilà qui laissera au Parlement, comme aux assemblées élues dans nos territoires, une seule liberté, celle de fixer les conditions d’administration de la purge !
Je doute que si, d’aventure, la hausse des impôts générée par telle ou telle mesure est supérieure au décalage observé, l’excédent puisse être mobilisé pour répondre aux besoins collectifs. Non, ce sera toujours le même refrain : tout pour réduire le déficit ! Telle est la réalité !
De fait, la motion de renvoi à la commission paraît pleinement justifiée aux yeux du groupe CRC.
Comment peut-on se dispenser de l’avis de la commission des lois, alors même que les principes de libre administration des collectivités territoriales sont clairement remis en cause par la logique interne du traité ?
Comment peut-on se passer d’un avis de la commission des affaires sociales, à compter du moment où les équilibres financiers de la sécurité sociale pourront fort bien être mis en question au travers de mesures aussi populaires que la réduction de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie ou un éventuel report de l’âge de départ à la retraite ?
M. Guy Fischer. C’est vrai !
M. Thierry Foucaud. Comment peut-on se dispenser de l’avis de notre commission des affaires économiques, comme de celle du développement durable, alors qu’il est évident que tout effort de redressement des comptes publics passera par une mise en question de crédits affectés ou destinés à notre politique environnementale, à nos choix d’infrastructure ?
Ainsi, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2013, Aurélie Filippetti, ministre de la culture, a d’ores et déjà annoncé que certains projets d’équipements culturels marqueraient une pause. De même, on parle de la mise en suspens de la réalisation du canal Seine-Nord, liaison fluviale de première importance.
Au moment où l’on parle de redressement, de croissance, il est bien évident que si ces programmes sont interrompus, on est dans la décroissance, dans le sous-emploi !
L’interruption, voire la mise en question de Seine-Nord Europe, ce sont les économies budgétaires d’aujourd’hui qui nous coûtent le développement de l’économie de demain. Elles mettent en cause les infrastructures intermodales déjà en cours de réalisation, les emplois et l’activité qu’elles pourraient générer.
Dans le même ordre d’idées, mon amie Mireille Schurch, sénatrice de l’Allier, m’indiquait récemment que les nécessaires travaux de mise au gabarit de la route nationale 145, la trop tristement célèbre route Centre Europe Atlantique, seraient probablement remis en question.
À partir de ces exemples que d’aucuns qualifieront de simplistes, la question est posée : combien faudra-t-il encore de pertes en vies humaines pour arriver à la mise en sécurité de la N 145 et à une réflexion plus globale sur les alternatives à la route, notamment le développement indispensable du fret ferroviaire dans le cœur de notre pays par trop enclavé encore ?
Vous le voyez, ce débat sur le traité budgétaire n’est pas qu’une affaire d’indices statistiques. Le traité budgétaire a et aura, mes chers collègues, dans tous les cas de figure, une traduction concrète, au plus près des territoires que nous représentons et des citoyens qui nous confient l’honneur de parler ici en leur nom. Le projet de loi de finances pour 2013, pour ne donner qu’un exemple, transpire dans tous ses articles, dans son architecture générale, dans ses objectifs et finalités, la logique du traité.
Augmenter les impôts, contenir les créations d’emplois budgétaires, geler ou réduire la dépense publique, procéder, au besoin, aux transferts de compétences et de charges en direction des collectivités locales ou de la sécurité sociale, tout concourt et concourra – dans le cadre de la loi de programmation – à répondre aux objectifs du traité.
Je ne peux manquer de souligner ici que la mise en œuvre du traité budgétaire souffrira de plusieurs obstacles qui auraient mérité autre chose que la consultation parlementaire qui nous est proposée.
Ainsi, il va bien falloir, mes chers collègues, qu’Eurostat, sur la foi des éléments fournis par les différents signataires du traité, nous dise exactement ce qu’est le déficit structurel du budget de l’État et ce que serait son déficit conjoncturel. En disant cela, je rejoins M. le rapporteur général et M. le président de la commission des finances, qui s’est exprimé récemment sur le sujet en commission.
Si la définition du déficit structurel est arrêtée, qu’on nous la fournisse au plus tôt, monsieur le ministre, ne serait-ce que pour ceux qui l’auraient oubliée. Tous les pays de l’Union n’ont pas le même aménagement du territoire, la même structure économique, la même situation démographique, autant d’éléments constituants de la société propre à chaque nation. Les différences de taux d’activité féminine sont déjà, pour ne donner qu’un exemple, un aspect structurant des économies et sociétés des pays européens.
Un économiste comme Benoît Cœuré, ancien de l’INSEE, ancien directeur de l’Agence France Trésor et aujourd’hui membre du directoire de la BCE, avait lui-même conclu, dans une étude publiée en 1998, que la notion de déficit structurel ne pouvait être définie avec précision et qu’il convenait même de s’en garder. Tout simplement parce que les paramètres qui servent à le déterminer, notamment la distinction entre croissance du PIB et PIB potentiel, c’est-à-dire l’écart de PIB, sont d’un maniement complexe pour définir toute politique économique.
Les membres de mon groupe et moi-même sommes toutefois persuadés de quelque chose : quarante ans de dérégulation financière renforcée, quarante ans de cadeaux fiscaux aux plus riches et aux grandes entreprises, quarante ans de prise en charge par les deniers publics des désordres du marché ont largement contribué à la situation actuelle.
L’armée industrielle de réserve que constituent 3 millions de chômeurs à temps plein et 2 autres millions à temps partiel montre clairement où est l’origine du déficit des comptes publics.
M. Guy Fischer. Cela fait 5 millions de chômeurs !