M. Serge Larcher, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des affaires économiques a adopté hier après-midi, à l’unanimité, le projet de loi relatif à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives à l’outre-mer, dans la rédaction issue de ses travaux.
La commission salue le dépôt par le Gouvernement de ce projet de loi ainsi que son inscription à l’ordre du jour de la session extraordinaire. Ces décisions témoignent de l’engagement du Président de la République et du Gouvernement à faire de la lutte contre ce que nous appelons, dans nos outre-mer, la « vie chère » une priorité.
Le texte que nous examinons aujourd’hui suscite de grands espoirs dans nos outre-mer. Il constitue la traduction législative d’engagements forts pris au cours de la campagne électorale par le Président de la République.
Pour quelles raisons l’examen de ce texte revêt-il une importance particulière pour nos outre-mer ? Autrement dit, pourquoi la lutte contre la « vie chère » dans nos outre-mer constitue-t-elle une urgence ?
À mes yeux, il est important de rappeler, notamment à l’attention de nos collègues de l’Hexagone, qui ne sont peut-être pas au fait des réalités de nos outre-mer, les éléments qui ont conduit à l’élaboration du présent projet de loi.
Tout d’abord, la cherté de la vie dans nos outre-mer n’est pas seulement un ressenti de la population, c’est une réalité statistique. Elle comprend deux aspects : le niveau des revenus et le niveau des prix.
Rappelons tout d’abord la réalité des chiffres en matière de revenus.
Pour ce qui concerne les départements d’outre-mer, l’INSEE a montré en 2010 que les revenus sont, en moyenne, inférieurs de 38 % par rapport à ceux qui sont constatés dans l’Hexagone. Dans ces départements, les foyers fiscaux à revenus très faibles sont très nombreux : près de 50 % des foyers fiscaux des DOM déclaraient en 2008 un revenu annuel inférieur à 9 400 euros, contre moins d’un quart dans l’Hexagone !
Dans les COM, ces collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution, les inégalités de revenus sont également très supérieures à celles qui sont recensées dans l’Hexagone. Deux chiffres l’illustrent : à Saint-Martin, les deux tiers des foyers fiscaux perçoivent moins de 9 400 euros par an ; en Nouvelle-Calédonie, le rapport interdécile, qui mesure l’écart entre les revenus les plus hauts et les revenus les plus modestes, atteint 7,9, contre 3,6 dans l’Hexagone.
Examinons maintenant les données relatives au niveau des prix.
Dans les départements d’outre-mer, l’INSEE a relevé en 2010 que le niveau général moyen des prix est supérieur de 6 % à 13 % au niveau général moyen des prix dans l’Hexagone. L’écart de prix est encore plus important s’agissant des produits alimentaires : le prix du panier métropolitain de produits alimentaires est ainsi supérieur d’environ 35 % en Guadeloupe et à La Réunion, de 45 % en Martinique et de près de 50 % en Guyane ! Certaines associations locales de consommateurs ont mené leurs propres enquêtes, qui ont abouti à des écarts encore plus élevés.
Le constat est le même dans les collectivités d’outre-mer. En Nouvelle-Calédonie, les prix des produits alimentaires ont ainsi augmenté, entre 1995 et 2008, de 31 %, contre seulement 25 % dans l’Hexagone. Les produits les plus « inflationnistes » sont les produits de base comme le riz : le prix de ce dernier a progressé de 5,1 % en moyenne par an sur la période, et même de 40 % sur la seule année 2008.
Les chiffres sont donc très clairs : les revenus sont inférieurs et inégalitaires dans les outre-mer, tandis que les prix y sont supérieurs et ont augmenté davantage au cours des dernières années, en particulier pour ce qui concerne les produits alimentaires de base.
La « vie chère » est ainsi une réalité quotidienne pour nos concitoyens ultramarins. Il n’est donc pas surprenant que cette question constitue, surtout depuis 2009, un sujet lancinant dans le débat politique et social de nos outre-mer.
Vous vous rappelez tous du « cri » poussé par nos concitoyens ultramarins au début de l’année 2009, notamment en Guadeloupe et en Martinique.
Au début de l’année 2009, les départements d’outre-mer ont en effet été secoués par une grave crise sociale, marquée par une grève qui a paralysé pendant plusieurs semaines les deux départements antillais. La question du niveau des prix, particulièrement des prix des produits alimentaires, était au centre des revendications.
La crise s’est conclue par des accords prévoyant des baisses de prix, accordées par la grande distribution, pour un certain nombre de produits de première nécessité.
Quelles mesures ont été prises depuis 2009 ? La question se pose en effet, et la commission regrette qu’aucune véritable réponse n’ait été apportée jusqu’à ce jour à la problématique de la « vie chère » dans les outre-mer.
Après la grave crise sociale, le Président de la République de l’époque a bien annoncé, en février 2009, l’organisation d’états généraux dans chaque collectivité. La population ultramarine a donc été consultée.
Au terme de ces états généraux, le Conseil interministériel de l’outre-mer du 6 novembre 2009 a annoncé 137 mesures pour les outre-mer.
Parmi les mesures présentées, bien peu constituaient une réponse au problème posé par le niveau des prix. Les quelques dispositions prévues dans ce domaine n’étaient pas à la hauteur de l’enjeu, ni des attentes de la population : permettre aux observatoires des prix et des revenus de financer des études ou imposer la présence d’un parlementaire ultramarin au sein du Conseil national de l’information statistique ne réduit effectivement en rien la cherté de la vie !
Le manque d’ambition du CIOM en matière de « vie chère » était d’autant plus décevant que beaucoup de travaux avaient été réalisés au préalable sur cette question : le diagnostic sur la réalité et les causes de la vie chère était relativement partagé et de nombreuses propositions étaient déjà sur la table.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que notre Haute Assemblée a travaillé de manière approfondie sur cette question. Sur l’initiative du président Gérard Larcher, le Sénat a mis en place, en 2009, une mission commune d’information sur la situation des départements d’outre-mer, mission que j’ai eu l’honneur de présider et dont notre collègue Éric Doligé était le rapporteur. Cette mission a produit un rapport d’information qui fait aujourd’hui référence – je crois que vous ne me contredirez pas, monsieur le ministre – et formulait de nombreuses propositions en matière de prix.
De son côté, l’Autorité de la concurrence a rendu deux avis importants en 2009, l’un sur les marchés des carburants, l’autre sur les mécanismes d’importation et de distribution des produits de grande consommation. Ces deux rapports formulent un diagnostic précis de la situation ainsi que de nombreuses propositions.
Malgré ces travaux, et en dépit des attentes nées des états généraux de l’outre-mer, près de trois ans après le CIOM, les résultats en matière de prix sont malheureusement bien faibles, pour ne pas dire inexistants. Il suffit, pour s’en persuader, de constater que la crise de 2009 a connu plusieurs répliques à travers les outre-mer.
Rares sont les collectivités ultramarines qui n’ont pas été touchées par un mouvement social lié à la vie chère : en 2011, Wallis-et-Futuna a ainsi connu un mouvement social autour de la problématique du prix de l’énergie ; à la fin de 2011, une grave crise sociale, marquée par une grève de près de cinquante jours, a paralysé Mayotte ; au début de l’année 2012, un conflit social a eu lieu à La Réunion autour de la question du prix des carburants... Ainsi, au « cri » de nos concitoyens antillais en 2009 a répondu en écho le « cri » de nos concitoyens wallisiens, mahorais ou réunionnais.
Mes chers collègues, tous ces éléments ayant conduit à l’élaboration du présent projet de loi permettent de comprendre que ce dernier suscite tant d’espoirs dans les outre-mer.
Je ne reviendrai pas dans le détail sur les dispositions qui figurent dans le présent projet de loi, M. le ministre les ayant présentées au cours de son intervention.
En tant que rapporteur, j’ai procédé à une dizaine d’auditions sur ce texte. J’ai reçu notamment les associations de consommateurs, l’Autorité de la concurrence ainsi que les organisations socioprofessionnelles. J’ai accepté toutes les demandes d’auditions qui m’ont été adressées.
Par ailleurs, soucieux d’être à l’écoute de tous, spécialement de chaque territoire, j’ai sollicité les présidents des différentes collectivités territoriales, des observatoires des prix et des revenus ou encore des chambres de commerce et d’industrie. J’ai reçu un nombre élevé de contributions écrites.
Au terme de mes travaux, la conclusion est claire : ce projet de loi constitue une avancée importante, une première réponse effective apportée au problème de la « vie chère ».
Ce texte est salué par les associations de consommateurs et ses dispositions intéressent les collectivités territoriales ultramarines qui sont compétentes en matière de prix et de concurrence. Le congrès de Nouvelle-Calédonie, qui réfléchit aujourd’hui à la mise en place d’une autorité indépendante de la concurrence, s’est montré particulièrement intéressé par ce texte.
Aux yeux de la commission des affaires économiques, ce texte constitue une « boîte à outils » à disposition des autorités publiques ; il contribuera à remettre en cause des positions acquises qui alimentent le phénomène de la « vie chère ».
Parmi les différentes dispositions du texte, je souhaite m’attarder sur deux d’entre elles qui me paraissent particulièrement importantes.
L’article 2 prévoit l’interdiction des clauses des contrats commerciaux ayant pour objet ou pour effet d’accorder des droits exclusifs d’importation à un opérateur : dans les outre-mer, les fabricants et les distributeurs font souvent appel à des importateurs grossistes. La pratique d’exclusivités territoriales liant les fabricants et ces importateurs réduit la possibilité pour les distributeurs de choisir entre différents importateurs grossistes.
Je ne citerai qu’un exemple : à La Réunion, un seul grossiste commercialisait en 2009 les produits de deux grands groupes fromagers hexagonaux. Dans ces conditions, les importateurs grossistes réussissent à prélever des marges commerciales très élevées, oscillant entre 20 % et 60 % pour un nombre important de références. Le dispositif prévu à l’article 2 permettra de mettre fin à ces pratiques, qui ont un impact certain sur les prix.
L’article 5, qui octroie à l’Autorité de la concurrence un pouvoir d’injonction structurelle, a provoqué des cris d’orfraie et créé beaucoup de remous dans la grande distribution, au niveau tant local que national. À mes yeux, ce dispositif constitue une « arme de dissuasion » : la possibilité pour l’Autorité de la concurrence d’imposer la cession d’actifs n’est ainsi ordonnée qu’en dernier recours et au terme d’une procédure contradictoire. Cette disposition devrait cependant contribuer à remédier au défaut de concurrence dans le secteur de la grande distribution et permettre à certains d’avoir un comportement vertueux.
Je vous rappelle en effet que, dans les départements d’outre-mer, la grande distribution présente un niveau de concentration élevé : certains groupes détiennent des parts de marché en surfaces commerciales supérieures à 40 %, soit sur la totalité du département concerné, soit sur une ou plusieurs zones de chalandise.
La commission des affaires économiques a donc adopté hier à l’unanimité ce projet de loi, après lui avoir apporté plusieurs modifications.
Tout d’abord, sur mon initiative, la commission a réécrit les articles 1er, 2 et 3 et introduit un article 2 bis, ce en plein accord avec notre collègue Thani Mohamed Soilihi, rapporteur pour avis de la commission des lois.
Ces nouvelles rédactions ont permis de préciser les différents dispositifs. Ainsi, l’article 2 vise désormais les accords – et non plus les clauses des contrats commerciaux – ayant pour objet ou pour effet de confier une exclusivité à une entreprise. Bon nombre des clauses d’exclusivité visent en effet des situations de fait. L’article 3 permet désormais aux collectivités territoriales ultramarines de saisir l’Autorité de la concurrence des pratiques contraires aux mesures prises pour réglementer les marchés de gros.
Sur l’initiative de notre collègue Michel Vergoz, la notion de « gestion de facilités essentielles », problématique-clé en matière de carburants, a été introduite à l’article 1er.
Sur mon initiative, la commission a précisé le dispositif d’injonction structurelle prévu à l’article 5, en spécifiant le critère de mise en œuvre de l’action de l’Autorité de la concurrence, en clarifiant le fait que seule une pratique effective pourrait conduire au déclenchement de cette action, ou encore, afin d’apaiser certaines inquiétudes, en énonçant les modalités de recours.
Sur l’initiative cette fois du Gouvernement, un article 6 bis a été introduit, qui renforce sensiblement la portée du projet de loi. Il vise à mettre en œuvre l’engagement pris par le Président de la République d’instituer par la négociation un « bouclier qualité-prix ». Cette mesure s’appuie sur le dispositif figurant à l’article 1er de la loi pour le développement économique des outre-mer, la LODEOM, introduit sur l’initiative de notre collègue Jean Arthuis, à l’époque président de la commission des finances, permettant de réglementer les prix des produits de première nécessité.
L’article 6 bis prévoit l’organisation annuelle de négociations dans le cadre des observatoires des prix et des revenus afin d’aboutir à un accord de modération des prix d’une liste de produits de consommation courante. En cas d’absence d’accord, comme l’a souligné M. le ministre, le préfet, dans un délai d’un mois, pourra encadrer le prix global de cette liste de produits.
La commission des affaires économiques se réjouit de l’introduction de ce dispositif, qui repose sur la négociation tout en permettant, le cas échéant, l’intervention des pouvoirs publics.
Au terme de mes travaux, il me semble que l’ensemble des acteurs sont aujourd’hui prêts à se mettre autour de la table pour entamer des discussions sur les prix.
Enfin, sur l’initiative du Gouvernement, un article 7 bis a été introduit. Il habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance plusieurs mesures d’ordre social en faveur de Saint-Pierre-et-Miquelon, des mesures très attendues par les élus locaux, en particulier par notre collègue Karine Claireaux, qui a beaucoup œuvré en ce sens.
Pour la commission des affaires économiques, ce texte constitue une avancée très importante, et très attendue. Pour autant, il ne constitue qu’une première étape. D’autres textes devront intervenir, d’autres mesures devront être prises, afin d’apporter des réponses à la problématique de la vie chère.
Il convient d’analyser avec précision le processus de formation des prix et de s’intéresser, par exemple, aux différents segments de la chaîne logistique – coût du fret maritime, coût du passage portuaire, du transport et du stockage – et aux marges des différents intermédiaires...
Il convient également de faire porter l’effort sur l’ensemble des secteurs économiques : nos concitoyens ultramarins souffrent, ainsi, des prix des billets d’avion, du niveau des frais bancaires ou des loyers, du coût des pièces détachées automobiles...
La réflexion devra donc se poursuivre sur le sujet. La délégation sénatoriale à l’outre-mer, que j’ai l’honneur par ailleurs de présider, a commencé il y a plusieurs mois des travaux sur la question de la vie chère. Elle prendra donc toute sa part à la réflexion sur ce sujet.
En conclusion, j’espère, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, que le Sénat adoptera à une large majorité, voire à l’unanimité, comme l’a fait la commission des affaires économiques, ce texte important pour nos outre-mer.
La Haute assemblée montrera, ainsi, une fois de plus, son attachement jamais démenti aux outre-mer, qui constituent, comme l’indiquait dans son rapport la mission d’information de 2009, un défi pour la République et une chance pour la France. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des lois du Sénat s’est saisie pour avis du projet de loi relatif à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives à l’outre-mer.
Permettez-moi, monsieur le ministre, de regretter les délais très courts qui nous ont été imposés pour l’examen de ce texte. Le projet de loi a été déposé au Sénat le 5 septembre seulement ; la commission des affaires économiques s’est réunie hier pour établir son texte et la commission des lois n’a pu se réunir que ce matin…
Consultées en urgence, les collectivités d’outre-mer concernées n’ont pas pu rendre leur avis dans les délais impartis, de sorte que nous n’avons pas pu avoir formellement connaissance dans l’étude d’impact, ce qui pose des difficultés dans l’appréciation de certaines dispositions du projet de loi ; nous y reviendrons lors de la discussion des articles. J’insiste d’autant plus sur ce point que les effets du texte ne pourront se faire sentir sur les économies ultramarines qu’à moyen et long terme.
Cela étant, je suis d’accord avec vous, monsieur le ministre, il y a effectivement urgence à agir pour s’attaquer aux facteurs structurels de la vie chère outre-mer, c’est indéniable.
Ce texte est en effet attendu par nos compatriotes ultramarins. Depuis 2009, les outre-mer ont été secoués par des crises sociales, parfois violentes, souvent très dures, qui ont eu pour facteur de déclenchement la cherté de la vie, notamment en ce qui concerne les produits alimentaires. Ce fut le cas dans les Antilles, ce qui avait conduit la Haute Assemblée à constituer une mission commune d’information, sous la présidence de notre collègue Serge Larcher, consacrée à la situation des départements d’outre-mer.
Cette contestation de la vie chère a également éclaté à Wallis-et-Futuna, à Mayotte en 2011, puis à La Réunion au début de cette année. Nos collègues Jean-Pierre Sueur, Christian Cointat et Félix Desplan ont, d’ailleurs, présenté cette problématique dans leurs deux rapports, à la suite de la mission qu’ils ont conduite dans ces deux derniers départements au mois de mars 2012.
Dans son avis du 8 septembre 2009 sur le commerce de détail outre-mer, l’Autorité de la concurrence estimait que les écarts de prix en magasin avec la métropole étaient supérieurs de 55 % pour plus de 50 % des produits retenus pour l’étude !
L’INSEE a confirmé cette analyse dans une enquête de 2010. Si elle estime que le coût général des prix à la caisse est supérieur de 6 % à 13 % dans les DOM par rapport à ceux qui sont pratiqués en métropole, ce qui peut paraître peu élevé, l’écart est en revanche de 34 % à 49 % pour les produits alimentaires.
Ces deux études récentes attestent le caractère très significatif des différentiels objectifs de prix pratiqués dans les outre-mer par rapport à ceux de la métropole.
Plusieurs facteurs permettent d’expliquer ce niveau élevé des prix dans les territoires ultramarins. Citons l’éloignement, l’insularité, ainsi que l’étroitesse des marchés domiens, à l’origine de coûts structurels particuliers.
Ces facteurs, bien que fondamentaux, ne sont toutefois pas les seuls qui doivent être avancés pour expliquer cette situation. Il faut également considérer l’insuffisance de la concurrence entre les opérateurs économiques locaux. Le manque de concurrence dans les marchés domiens trouve son origine dans des barrières spécifiques à l’entrée, des situations d’oligopole, voire de monopole, notamment pour l’importation de certains produits, la présence des importateurs grossistes, qui représentent une spécificité des marchés outre-mer, le cumul des activités d’importation et de distribution dans le commerce de détail et, enfin, l’application de marges importantes par les distributeurs. L’Autorité de la concurrence avait relevé en 2009 tous ces facteurs structurels.
Je souhaite évoquer un deuxième point, car il trouve un écho dans le projet de loi : je veux parler de la situation budgétaire dramatique des collectivités d’outre-mer. Tant la Cour des comptes que la commission des lois du Sénat ont, à maintes reprises, dénoncé les problèmes récurrents que rencontrent ces collectivités territoriales. Je rappelle que les rentrées fiscales des collectivités territoriales ultramarines reposent pour une grande part sur des recettes douanières qui, fortement dépendantes de l’activité économique, sont de ce fait très volatiles.
À cela s’ajoute une seconde donnée : des dépenses de personnels élevées résultant d’une politique de recrutements massifs de la part des collectivités territoriales ultramarines qui ont ainsi conduit, pendant plusieurs années, une politique d’équité sociale qu’elles ont aujourd’hui beaucoup de mal à assumer financièrement.
C’est pourquoi de nombreuses collectivités d’outre-mer font l’objet de procédures de redressement financier sous l’égide des chambres régionales des comptes, procédures qui sont de plus en plus difficiles à mettre en œuvre. Ces difficultés empêchent, par manque de ressources, de réaliser les projets d’investissement ambitieux pourtant nécessaires aux territoires et aux populations.
Face à ce constat, les collectivités ultramarines ont besoin de nouveaux outils pour combattre la vie chère et réduire leurs difficultés budgétaires. C’est l’objet de ce projet de loi, qui va dans le bon sens, monsieur le ministre, selon la commission des lois.
En premier lieu, il prévoit une série de dispositions dont l’objectif clairement affiché est de faciliter le jeu de la concurrence dans les DOM en s’attaquant aux facteurs structurels qui la limitent, facteurs qui résident principalement dans les marchés de gros et dans les conditions d’approvisionnement.
Nous pouvons nous féliciter de ce que plusieurs des pistes explorées ici s’inspirent des préconisations formulées par nos collègues Jean-Pierre Sueur, Christian Cointat et Félix Desplan à l’issue de leur mission dans l’océan Indien. La commission des lois est, d’ailleurs, traditionnellement attentive aux questions de droit de la concurrence.
Ces dispositifs spécifiques propres à l’outre-mer dans le domaine du droit de la concurrence n’ont pas leur équivalent dans le droit applicable sur le territoire métropolitain. Ils trouvent, néanmoins, leur fondement, concernant les DOM, dans les adaptations autorisées par l’article 73 de la Constitution. Sont ainsi prévues la faculté pour le Gouvernement d’établir des mesures de régulation des marchés de gros, l’interdiction des clauses des contrats commerciaux attribuant des droits exclusifs d’importation à un opérateur, la faculté pour les régions d’outre-mer et certaines collectivités d’outre-mer de saisir l’Autorité de la concurrence, ainsi que l’attribution à cette autorité d’un pouvoir d’injonction structurelle en cas de position dominante conduisant à des prix ou à des marges abusifs dans le secteur du commerce de détail.
Par ailleurs, le projet de loi confie à l’Autorité de la concurrence la mission de contrôler et de sanctionner les infractions qu’il institue. Je n’entre pas davantage dans le détail, notre collègue Serge Larcher l’a déjà fait bien mieux que je ne saurais le faire.
J’estime que cette stratégie, qui est nouvelle en comparaison de la politique longtemps pratiquée et dont l’objectif était de réglementer les prix de détail, est plus économe des deniers publics et plus efficace sur le long terme. Elle s’attaque aux facteurs structurels anticoncurrentiels de la cherté des prix, notamment pour les conditions d’approvisionnement et les marchés de gros. Les effets de ce texte ne seront donc pas immédiats, mais le projet de loi s’inscrit dans une approche pertinente et durable.
Toutefois, cette stratégie ne peut être exclusive de toute autre action, en particulier en ce qui concerne les prix de détail dans certains secteurs, à condition qu’elle soit bien ciblée. Je crois que c’est le cas pour le « bouclier qualité-prix » proposé par le Gouvernement, dispositif qui prévoit des négociations locales sur certains prix avec les acteurs de la distribution sous l’autorité du préfet et permet, en l’absence d’accord, d’encadrer les modalités de fixation des prix.
Chers collègues, je vous l’indique d’emblée, pour l’essentiel, les préoccupations qui m’avaient été inspirées, tant sur la forme que sur le fond, par mes travaux et les auditions auxquelles j’ai procédé, ont été convenablement prises en compte par la commission des affaires économiques. C’est pourquoi je ne vous présenterai pas d’amendements sur les premiers articles du texte, à l’exception d’une disposition concernant des sanctions pénales, mais nous y reviendrons.
Je tiens à souligner, à cet égard, que je suis particulièrement satisfait de la collaboration fructueuse à laquelle notre collègue Serge Larcher a bien voulu me convier sur les dispositions relatives au droit de la concurrence outre-mer. Je veux, ici, l’en remercier.
J’en viens aux articles qui nous ont été délégués au fond par la commission des affaires économiques, au sein du chapitre II, « Diverses dispositions relatives à l’outre-mer ». J’espère, d’ailleurs, que ces dernières ne s’alourdiront pas trop durant la navette, au gré de l’imagination des uns ou des autres...
Ces dispositions visent deux objectifs.
Le premier objectif consiste à poursuivre l’extension et l’adaptation de la législation de droit commun à Mayotte engagée par la loi du 7 décembre 2010, par voie d’ordonnances : le Gouvernement ratifie, par le présent projet de loi, la grande majorité des ordonnances prises sur le fondement de l’article 33 de cette loi. Dans la perspective, notamment, de l’accession prévue en 2014 au statut de région ultrapériphérique de l’Union européenne, le Gouvernement demande une nouvelle habilitation afin d’étendre et d’adapter la législation en matière sociale et de modifier l’ordonnance du 26 avril 2000 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers à Mayotte.
Le second objectif consiste à mettre en place un dispositif propre aux DOM et à certaines COM en matière de financement des projets d’investissement locaux, afin de répondre aux difficultés budgétaires que j’évoquais il y a un instant.
Il s’agit d’exonérer les collectivités territoriales des départements d’outre-mer et des collectivités d’outre-mer de Saint-Martin, Saint-Barthélemy et Saint-Pierre-et-Miquelon de l’obligation de participation financière minimale de 20 % pour le financement des projets d’investissement dont elles sont maître d’ouvrage. L’application de ce principe, introduit par la loi de réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 2010, interdit de fait à de nombreuses collectivités ultramarines, en raison de leur situation budgétaire souvent dégradée, de conduire des projets d’investissement.
L’article 10 prévoit, quant à lui, d’homologuer, afin de permettre leur entrée en vigueur, des peines d’emprisonnement que l’Assemblée de Polynésie française et le Congrès de la Nouvelle-Calédonie ont pu adopter pour sanctionner certaines infractions dans leur domaine de compétence.
Nous avons examiné avec le plus grand soin ces peines, qui doivent respecter l’échelle nationale des peines et ne pas excéder celles qui sont prévues dans le droit commun. À cet égard, nous sommes invités à homologuer certaines peines créées il y a plus de dix ans… Le Gouvernement doit assurer un meilleur suivi pour soumettre rapidement les homologations nécessaires au Parlement, sans quoi les infractions visées ne pourront pas donner lieu à des peines d’emprisonnement prononcées par les juges, seules les peines d’amende prévues localement pouvant être prononcées. Peut-être pourrez-vous nous apporter des réponses de nature à nous rassurer sur ce sujet, monsieur le ministre.
Sur ces articles, je présenterai tout à l’heure plusieurs amendements ; je ne développerai donc pas plus avant mon argumentation.
Au terme de ces observations, je souhaite indiquer au Gouvernement et au Sénat que la commission des lois a émis un avis favorable au vote de ce projet de loi, sous réserve, évidemment, de l’adoption des amendements qu’elle a proposés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, en préambule, je tiens à préciser que, bien que ne faisant pas partie des sénateurs ultramarins, je suis particulièrement sensible aux questions relatives à l’outre-mer et suis très honoré de faire partie de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, qui me fait ainsi apprécier cette lointaine France des grands horizons.
Je me réjouis que le projet de loi que nous examinons aujourd’hui soit l’un des premiers textes présentés par le nouveau gouvernement. C’est un signal fort qui est adressé à nos concitoyens ultramarins. Mais c’était aussi une nécessité, comme vous le savez, monsieur le ministre, puisque ce projet de loi vise à répondre à un problème aussi grave qu’urgent qui touche les territoires ultramarins et que l’on désigne, par euphémisme, sous le vocable de « vie chère ».
En effet, le niveau des prix de la plupart des produits de grande consommation y est très largement supérieur à celui de l’Hexagone. C’est un constat. Pour les produits alimentaires, les prix sont 30 % à 50 % plus élevés ! Dans l’excellent rapport de notre collègue Serge Larcher figure un relevé de quelques prix : ainsi, un pack de six bouteilles d’eau de source, vendu 1,08 euro en métropole, est au prix de 3,60 euros en Guyane, 2,64 euros en Guadeloupe et 3,85 euros à La Réunion, et je passe sur l’eau de javel et la lessive ou encore le chocolat, déjà cité.
Cette réalité est d’autant plus préoccupante qu’elle frappe de plein fouet les ménages modestes, qui sont nombreux outre-mer.
Les effets de la crise économique et financière mondiale ont donc été pour un grand nombre de nos concitoyens ultramarins beaucoup plus prégnants que pour nous, les métropolitains. Ces situations de « détresse économique » des ménages ont conduit à des crises sociales très graves dans diverses collectivités ultramarines ces dernières années.
Mais que faire face à ce fléau que constitue le coût élevé de la vie outre-mer ? Ne rien faire, comme c’était souvent le cas précédemment ? Bloquer les prix ? Les dispositifs actuels d’encadrement des prix, loin d’être efficaces, sont plutôt une entrave à la baisse durable des prix. En effet, ce système contribue paradoxalement à la formation de rentes. De plus, il ne s’attaque pas à l’origine du problème, qui réside dans la structure de formation des prix, dans laquelle interviennent de nombreux intermédiaires.
C’est pourquoi ce projet de loi intervient à point nommé. Il représente une innovation très intéressante qui permettra de lutter efficacement contre la « vie chère » outre-mer, puisqu’il prévoit un véritable changement de stratégie en matière de régulation économique. Il vise en effet à s’attaquer à la « source » du problème, c’est-à-dire au processus de formation des prix.
Ainsi, l’article 1er, qui rend possibles la régulation des marchés de gros et la levée des obstacles à la concurrence en amont, constitue une véritable avancée. Deux amendements adoptés en commission des affaires économiques ont modifié cet article et en ont précisé et élargi le champ. Il couvrira ainsi l’ensemble des étapes : le fret, le stockage et la distribution.
En permettant au Gouvernement de prendre par décret des mesures destinées à corriger des situations de monopole ou d’oligopole, cet article devrait enfin permettre de réduire efficacement et durablement les prix en outre-mer.
L’article 2, qui ouvre la possibilité d’interdire des accords octroyant des droits exclusifs d’importation à un opérateur lorsque cette exclusivité n’a pas de justification économique, va dans le même sens. Un amendement de notre collègue Georges Patient, adopté en commission, a renforcé ce dispositif en inversant la charge de la preuve, qui reposera désormais sur l’entreprise et non sur l’autorité répressive, comme le prévoyait le projet de loi dans sa version initiale.
L’article 3, qui permettait, dans sa rédaction initiale, aux régions d’outre-mer ainsi qu’aux autres collectivités ultramarines détenant une compétence économique de saisir l’Autorité de la concurrence pour toutes les affaires de leur territoire dont elles auraient eu connaissance, sera également un outil très important dans les mains de ces collectivités. Un amendement adopté en commission a modifié la rédaction de cet article, qui prévoit désormais que les collectivités ultramarines peuvent saisir l’Autorité de la concurrence pour toute pratique contraire aux mesures de réglementation des marchés de gros.
De même, l’article 5, qui donne à l’Autorité de la concurrence un pouvoir « d’injonction structurelle » lorsqu’elle constate une situation de position dominante dans le secteur de la grande distribution, est une arme supplémentaire pour lutter contre la « vie chère ».
Cet article a, lui aussi, fait l’objet d’ajustements lors de l’examen en commission. La nouvelle rédaction précise notamment le critère de déclenchement de l’action de l’Autorité de la concurrence.
La nouvelle approche qui consiste, dans ce projet de loi, à s’attaquer directement au processus de formation des prix est très intéressante. Cependant, elle ne suffira probablement pas à régler le problème des prix élevés outre-mer, car ce phénomène est aussi lié à des facteurs structurels sur lesquels nous ne pouvons malheureusement pas agir.
C’est pourquoi ce projet de loi méritait d’être complété. L’article 6 bis, introduit en commission, qui traduit l’engagement du Président de la République de mettre en place un « bouclier qualité-prix » en outre-mer, va dans ce sens. Cet article prévoit une négociation annuelle en vue de la conclusion d’un accord de modération des prix d’une liste de produits de consommation courante.
Le second chapitre de ce projet de loi comporte diverses dispositions relatives à l’outre-mer. Il prévoit notamment l’extension et l’adaptation d’un certain nombre de normes aux collectivités d’outre-mer, en particulier à Mayotte, dernière venue dans la collectivité nationale. Il me semble que ces dispositions prennent en compte les spécificités des collectivités ultramarines et répondent à leurs besoins.
L’article 8, par exemple, dont il a été beaucoup question, vise à supprimer l’obligation de cofinancement d’au moins 20 % pour les collectivités d’outre-mer dans les projets dont elles assurent la maîtrise d’ouvrage.
La démarche intéressante et innovante qui caractérise ce projet de loi est aussi le signe d’une prise en compte nouvelle des outre-mer et de leurs spécificités. C’est une démarche très positive, qui donne aux collectivités ultramarines les clés de la maîtrise de leur avenir.
C’est pourquoi aucun des membres du RDSE ne s’opposera à l’adoption de ce texte, et c’est pourquoi aussi la très grande majorité d’entre nous approuveront le projet de loi, contribuant ainsi modestement à cette longue marche vers l’égalité réelle que vous avez évoquée en préambule de votre intervention, monsieur le ministre. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Magras.