M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C’est très juste ; c’est un point fondamental !
M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Pourquoi n’avez-vous pas supprimé la loi sur les 35 heures, puisqu’elle est si nuisible ?
M. Francis Delattre. En effet, ce fut une erreur !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Ce ne fut pas la seule !
M. Francis Delattre. Contrairement à ce que vous déclarez, la défiscalisation des heures supplémentaires ne constitue pas un frein à l’embauche ; elle apporte surtout un peu de flexibilité pour les entreprises, dont les carnets de commande, eux, sont flexibles.
M. Guy Fischer. Cela a surtout entraîné des suppressions d’emplois !
M. Francis Delattre. La flexibilité est un adjectif que vous utilisez fort peu. Pourtant, dans nombre de ces pays du nord de l’Europe qui sont vos références usuelles, elle se conjugue avec garantie de l’emploi. (M. Serge Dassault applaudit.)
M. Guy Fischer. M. Dassault applaudit, c’est mauvais signe !
M. Francis Delattre. On s’attendait à voir apparaître dans ce débat des propositions intelligentes et intéressantes, mais rien ne s’est passé ! Revenir à cette thématique du partage du travail est la première erreur de ce gouvernement, car le travail ne se décrète ni ne se partage : il se crée. (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP.)
M. Jean-Vincent Placé. Nous attendons des excuses, non des leçons : 1 million de chômeurs en plus durant le précédent quinquennat !
M. Francis Delattre. On peut toujours avoir pour dessein politique, comme c’est votre cas, le partage de la pénurie, mais le chômage structurel que nous subissons depuis trente ans est la conséquence implacable d’une trop grande pression fiscale et réglementaire, d’un marché du travail trop rigide, d’une politique budgétaire erratique, d’un euro trop fort et, enfin, d’une politique d’innovation et de recherche trop faible, et surtout trop étatisée.
Mme Christiane Demontès. Qu’avez-vous fait depuis dix ans ?
M. Jean-Marc Todeschini. Vous avez tué la recherche !
M. Francis Delattre. Vous devriez noter les trois chiffres que je vais citer, car ils sont incontestables. Le poids de l’industrie dans le PIB français est passé de 34 %, il y a quinze ans, à 17 % en 2002, et 13 % aujourd’hui.
M. Jean-Vincent Placé. Vous vous livrez à un véritable réquisitoire anti-Sarkozy ! Rejoignez-nous, monsieur Delattre !
M. Francis Delattre. Vous êtes patriote, paraît-il, monsieur Placé. Eh bien, le vrai patriotisme, aujourd’hui, c’est de réduire ces facteurs handicapants, et non de les aggraver avec un énième choc fiscal. C’est ce que nous avions commencé à faire avec le crédit d’impôt recherche et les 35 milliards d’euros d’investissements d’avenir.
Mme Christiane Demontès. Qui en a profité ?
M. Francis Delattre. Augmenter les impôts plutôt que baisser les dépenses ne pourra qu’aggraver le chômage.
Personne ne nie que nous nous retrouvions, notamment du fait de la dégradation de la croissance et de la création des nouvelles dépenses publiques, dans l’obligation de trouver plus de 7 milliards d’euros pour respecter notre objectif commun de 4,5 % maximum de déficit en 2012.
Certes, il est vrai que le précédent gouvernement avait prévu 1,4 % de croissance, mais j’ai retrouvé exactement le même chiffre dans le projet de M. Hollande. Tout le monde peut donc se tromper ! Ce qui est inexcusable, en revanche, c’est de faire porter cet effort, pour près de 90 %, sur l’augmentation des impôts, et pour plus de 10 % à peine sur la baisse des dépenses publiques.
M. Gérard Longuet. C’est exact !
M. Francis Delattre. Ce choix de l’impôt est incompréhensible,...
Mme Marie-France Beaufils. Qui a supporté les efforts pendant dix ans ?
M. Guy Fischer. Les salariés !
M. Francis Delattre. ... alors que nous avons l’un des taux de prélèvements obligatoires les plus forts de l’OCDE – 44 % du PIB, contre 39,5 % en Allemagne ! – et que notre niveau de dépenses publiques est le plus élevé de la zone euro : 56 % du PIB contre 48 %, en moyenne, dans les autres pays. Or je ne pense pas qu’on vive plus mal en Allemagne qu’en France ! Il y a donc un vrai problème de qualité de la dépense publique.
La Cour des comptes affirmait d’ailleurs, dans son audit rendu public lundi 2 juillet : « les ajustements budgétaires devront en priorité porter sur les dépenses », et aussi : « le poids des dépenses publiques peut être réduit sans mettre en cause la qualité des services publics, grâce à des gains d’efficience collective », autrement dit grâce à des réformes indispensables…
Mme Marie-France Beaufils. Vous les avez épuisées !
M. Francis Delattre. … et nécessaires que, dans ce débat, vous refusez de nous annoncer.
Augmenter encore les impôts dans un pays où la pression fiscale est déjà trop haute, c’est prendre le risque de casser l’activité économique.
En commission, le ministre nous a rappelé qu’il venait lui-même de la Cour des comptes, mais que c’était au pouvoir politique élu de décider. Nous en sommes bien d’accord, mais il s’agira de décider, en réalité, de faire preuve ou non de courage ! Il est effectivement beaucoup plus difficile de couper dans les dépenses que d’en annoncer de nouvelles en prime time sur le plateau des journaux télévisés.
Mme Christiane Demontès. Sarkozy connaissait bien cela !
M. Francis Delattre. Des millions de Français vont s’apercevoir qu’ils sont très riches, puisque ce sont eux qui, officiellement, régleront la facture. Mesdames, messieurs les socialistes, il nous faut vous reconnaître un vrai talent en la matière ! (MM. Alain Gournac et Yann Gaillard s’esclaffent.)
En 1984 et 1985, avec MM. Fabius et Bérégovoy, en supprimant les fameux « fins de droits », vous avez inventé les « nouveaux pauvres ». Aujourd’hui, ce sont les « nouveaux riches », en attendant les « nouveaux patriotes ». Ainsi va la chanson de geste des faits et méfaits du socialisme à la française ! (Rires et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Guy Fischer. Quel mépris ! C’est le mépris de la droite…
M. Francis Delattre. Ce n’est pas du mépris, c’est de l’histoire. C’est notre histoire, c’est votre histoire !
M. Guy Fischer. Non !
M. Francis Delattre. Je n’ai aucun mépris ! Je vis dans la banlieue nord de Paris, où je suis élu depuis plus de trente ans. Je n’ai donc de leçon à recevoir de personne,...
Mme Christiane Demontès. Nous non plus !
M. Francis Delattre. ... que ce soit du Front de gauche, de l’extrême-gauche ou de la gauche (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.), car moi, je vis ce que je dis !
C’est nous, de la droite républicaine et du centre, qui avons réparé vos ravages,...
Mme Marie-France Beaufils. Ce n’est pas ce qu’ont dit les électeurs !
M. Francis Delattre. ... en mettant notamment en place le RMI.
Ne doutons pas, mes chers collègues de la droite républicaine et du centre, qu’après toutes ces gesticulations et admonestations d’aujourd’hui, nous reviendra rapidement la responsabilité de créer les fondations d’une économie compétitive. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Guy Fischer. Avec 15 millions de pauvres, de Français en difficulté !
M. Francis Delattre. Plus préoccupant encore est le rythme de la progression des impôts, qui ne risque pas de ralentir dans les cinq ans qui viennent !
Sur un tableau rendu public le 4 juillet par le Gouvernement, et publié par M. le rapporteur, figure la trajectoire de hausse des impôts jusqu’à la fin du quinquennat. On y lit qu’en 2017, le taux des prélèvements obligatoires sera égal à 46,5 % de la richesse nationale...
Mme Christiane Demontès. Et alors ?
M. Francis Delattre. … – niveau inédit dans l’histoire de France en temps de paix ! –, contre 45 % cette année. Je me permets de rappeler que nous étions à 37 % avant 1981.
Vous les justes, les nouveaux justes,…
Mme Christiane Demontès. Vos comparaisons sont douteuses !
M. Francis Delattre. … je vous le demande : est-il juste de faire supporter aux petites et moyennes successions, qui représentent souvent l’épargne de toute une vie de travail (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.), une diminution de 50 % de l’abattement ? Celui-ci passera ainsi de 159 325 à 100 000 euros. Le simple énoncé de ces chiffres cible mieux que vos discours enflammés les populations réellement concernées par cette mesure.
On est loin, très loin, monsieur le président de la commission des finances, des « lourdes successions » que M. Pigasse, associé gérant d’une banque d’affaires célèbre…
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Il est encore très jeune !
M. Francis Delattre. … et copropriétaire du journal Le Monde, se proposait d’anéantir durant sa croisade médiatique, naturellement à votre service !
L’extension du dispositif aux donations-partages retardera la solidarité intergénérationnelle dans les familles, ce qui permettait, monsieur Placé, compte tenu du vieillissement de la population, de réinjecter plus rapidement dans les cycles économiques des avoirs plus dynamiques.
Est-il juste de porter le forfait social concernant l’intéressement, la participation, les plans d’épargne entreprise de 8 % à 20 % ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Il est vrai que la belle idée gaulliste de participation des salariés, non seulement aux résultats de leur entreprise, mais aussi à son devenir, ne fait pas partie de votre vision d’une société plus responsable.
M. Gérard Longuet. Eh oui ! C’est plutôt la lutte des classes…
M. Francis Delattre. Est-il urgent, messieurs,…
Mme Annie David. Et mesdames, alors ?
M. Francis Delattre. … de fragiliser la compétitivité des entreprises ?
L’abrogation du dernier texte fiscal anti-délocalisations, voté par l’ancienne majorité, relève plus de la volonté de défaire que de celle de conforter le « juste effort », qui n’est en réalité qu’un voile médiatique voué à s’effilocher au dur contact des réalités que sont le financement de la sécurité sociale et la résorption de son déficit.
M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. La sécurité sociale ? Il faut voir dans quel état vous la laissez !
M. Francis Delattre. La taxation des importations en provenance de pays à faible protection sociale qui nous inondent de produits loin d’être de première nécessité – matériel hifi, télévisions, ordinateurs portables,… – relève non pas d’une injustice universelle, mais simplement d’une posture politique.
La croissance mondiale atteignait 5 % en 2010 et 3,5 % en 2011. Un tiers provient de la seule Chine, qui affiche un taux de croissance oscillant entre 8 % et 10 %, et dont la production représente aujourd’hui 15 % des produits manufacturés, contre 20,5 % pour les États-Unis et 14 % pour la zone euro. L’endettement de cette dernière représente 20 % de son PIB et ses réserves de change sont évaluées à 3 200 milliards de dollars.
Les autres pays des BRICS, que vous connaissez bien, présentent aussi des ambitions économiques et politiques susceptibles de conduire les États de la zone euro à engager une réflexion stratégique sur la réalité du danger de ces économies « déferlantes », qui nous considèrent d’ores et déjà, non plus comme des partenaires, mais comme des zones de libre conquête !
Face à des économies aujourd’hui « submergentes », est-ce le moment de renoncer à toute mesure fiscale « anti-délocalisations », fût-elle temporaire, pour laisser le temps aux économies européennes de s’adapter aux défis du monde ?
Enfin, dans la rubrique « fin des tabous », il n’est pas inutile de souligner, monsieur le rapporteur général, que la Cour des comptes elle-même évoque l’augmentation sélective des taux de TVA comme étant une probable nécessité pour l’équilibre des futurs budgets.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Vous y viendrez !
M. Francis Delattre. La suppression de la TVA dite « sociale » est d’autant plus irresponsable que le Gouvernement supprime les allégements de charges sur les salaires et qu’il augmente, en plus, le coût du travail, du fait de la hausse des cotisations sociales servant à financer le retour à la retraite à 60 ans, le coût de l’augmentation du SMIC et la taxation des heures supplémentaires.
Cette fragilisation de notre compétitivité sera lourde de conséquences et se traduira, inévitablement, par une hausse du chômage.
Mme Annie David. PSA ne nous a pas attendus pour licencier !
M. Francis Delattre. Vous nous avez longuement entretenus, à longueur de médias, de « redressement dans la justice », de « redressement productif », et maintenant de « l’effort juste ». Vous avez tous les pouvoirs ; qu’attendez-vous donc ?
Quel est, en réalité, le cap de ce Gouvernement ?
Au-delà des hémicycles parlementaires, monsieur le ministre, ce sont les acteurs dont vous avez le plus besoin qui attendent vos choix et vos décisions : les entreprises. Elles ne vivent pas dans un monde de Bisounours ! Elles se défendent sur la scène internationale, face aux difficultés que nous connaissons tous.
L’agenda des concertations et lamentations, c’est fini ! On ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment. Nous allons d’ailleurs vous aider à en sortir … (Sourires et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Pas mal !
M. Francis Delattre. Certes, les Français attendent des annonces de réformes, celles de vos choix fiscaux et européens.
Comme le disait John Kenneth Galbraith, « la politique consiste à choisir entre le désastreux et le désagréable ». Si vous ne faites rien, vous aurez les deux !
Contrairement à 1988 ou 1997, dernières fois où vous êtes arrivés aux affaires, vous ne connaissez pas une situation de sortie de crise. Vous êtes, nous sommes, dans la crise ! À trop tarder à en prendre la mesure, vous risquez d’en aggraver les maux.
M. Guy Fischer. Qui nous a enfoncés dans la crise ?
M. Francis Delattre. La nécessaire convergence européenne est la meilleure réponse à la crise qu’on nous impose du fait de l’irresponsabilité de nos institutions communautaires.
En outre, vous aggravez le désordre en privilégiant l’inscription dans une loi organique, plutôt que dans le marbre de la Constitution, de la règle d’or qui figure dans le pacte budgétaire.
Pour nous, comme pour nos partenaires européens, ces dérapages traduisent votre inconstance et votre manque de détermination à tenir durablement nos engagements budgétaires et financiers. Seule la saisine du Conseil constitutionnel, selon les procédures en vigueur, nous apportera, ainsi qu’à nos partenaires, toutes les garanties nécessaires à l’application d’une véritable discipline budgétaire. Pour ce qui concerne nos groupes, nous nous y engageons et maintiendrons nos engagements.
La réalité de notre économie exigerait aujourd’hui, comme en Allemagne voilà quinze ans, un accord global des grandes familles politiques pour son redressement dans la durée. (M. Serge Dassault approuve et applaudit.)
Comme pour les années précédentes, les 0,5 % de croissance en 2012 seront insuffisants pour compenser le paiement des seuls intérêts supplémentaires de la dette publique.
En vue d’y remédier, naturellement, on s’endettera un peu plus, ce qui alimentera la bulle qui ne fait que croître et menacer notre modèle social, avec le cortège que nous connaissons tous : chômage, pauvreté, précarité.
Enfin, depuis six ans, l’actif net de l’État français est négatif.
La vente de tous nos actifs ne couvrirait pas l’ensemble de la dette, ce qui a fait dire à un Premier ministre qu’il était virtuellement à la tête d’un État en faillite ! Cette situation exigerait tout simplement l’union nationale, une mobilisation nationale.
M. Roland du Luart. Tout à fait !
M. Francis Delattre. Mais seule l’opinion publique, bien sûr, pourra l’imposer à un moment donné, et elle l’imposera. Ce n’est pas pour demain, mais pour après-demain, quand cette alternance, qui n’a vraiment pas été désirée – contrairement à ce que vous nous dites ! – aura échoué, car vos vieilles recettes, mesures et croyances sont déjà largement périmées ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Roland du Luart.
M. Roland du Luart. Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France est, hélas, au pied du mur !
Les choix budgétaires à venir nous engagent très sérieusement. Il en va ni plus ni moins de la préservation de notre niveau de vie et de notre modèle social, tant la crise est prégnante et la marge de manœuvre étroite.
Nous sommes face à un mur ; il convient de le franchir ensemble.
Les Français ont fait le choix de porter votre Gouvernement aux responsabilités. Nous respectons ce choix et, à titre personnel, dans l’intérêt supérieur de mon pays, je souhaite que vous réussissiez. Néanmoins, nous saurons être une vigie attentive aux choix que vous allez opérer.
Hélas, les premières semaines ne sont pas là pour nous rassurer : hésitations, reculs, reports de réformes, confrontation au réel. Tout cela montre qu’il y a loin de la coupe aux lèvres, des promesses à la réalité !
Les mesures les plus emblématiques sont repoussées à l’automne, voire plus tard encore. Je pense, entre autres, au doublement du plafond du livret A.
Vous avez pris conscience que le doublement du plafond ne concernerait que 9 % des détenteurs d’un livret A, à savoir les ménages les plus aisés qui, seuls, atteignent ce plafond, et que cette mesure encouragerait une niche fiscale. En effet, ce produit d’épargne n’est pas du tout taxé, a contrario, notamment, de l’assurance vie, qu’il pourrait fragiliser.
M. Guy Fischer. On aura tout entendu !
M. Roland du Luart. Certaines promesses semblent même d’ores et déjà abandonnées, comme les eurobonds, la fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG, l’interdiction de la déductibilité des intérêts d’emprunts destinés à financer l’acquisition de titres de participation ou l’abrogation du dégrèvement de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE, qui eût pénalisé trop fortement les TPE et PME, alors même que François Hollande s’était érigé en défenseur des PME pendant sa campagne présidentielle.
Si, sur la forme, ces reculs, reports et hésitations sont inquiétants, sur le fond, ils nous rassurent. La confrontation au réel fait prendre conscience à la nouvelle majorité de l’inanité, de l’inefficacité, voire de la contre-productivité économique de certaines promesses du candidat Hollande.
Pour autant, le Gouvernement n’a pas renoncé à toute mesure idéologique et inquiétante sur le fond. La taxation à 75 % des plus fortunés ne rapportera que très peu aux caisses de l’État, mais entraînera, et entraîne déjà, comme tous les avocats fiscalistes vous le confirmeront, la délocalisation de sièges sociaux et le départ à l’étranger de grands cadres d’entreprise et de jeunes, qui sont notre avenir.
La hausse du SMIC relève du pur affichage idéologique et électoraliste : l’augmentation automatique atteignant en effet 1,4 %, ce qui correspond à l’inflation constatée depuis la dernière revalorisation, le coup de pouce réel n’est donc que de 0,6 %, soit 6,50 euros de plus par mois. Même les syndicats ou les alliés du parti socialiste, comme le Front de gauche, dénoncent le caractère purement cosmétique de cette mesure.
Le problème est que la « cosméticité » peut se révéler toxique : cela augmente un coût du travail déjà très élevé en France, peut fragiliser les petites entreprises aux marges très faibles et, en conséquence, hélas, accroître le chômage.
De la même manière, vous allez supprimer la « TVA compétitivité », laquelle visait à diminuer quelque peu le coût prohibitif du travail pour nos entreprises, qui constitue l’un des freins à notre croissance.
Vous plaidez ainsi en faveur d’une politique de croissance au niveau européen, mais vous prenez des mesures qui vont à l’encontre du soutien à la croissance française. Je le rappelle, l’ensemble des prélèvements obligatoires assis sur le travail représentait, en 2009, près de 23 % du PIB français, contre 20 % en moyenne dans les pays de l’Union européenne.
Pour un même coût du travail de 4 000 euros, l’entreprise française paie 1 200 euros de charges patronales, l’entreprise allemande, seulement 700.
Par ailleurs, vous vous apprêtez à amputer gravement le pouvoir d’achat des Français, pourtant essentiel pour maintenir à un bon niveau la consommation des ménages, l’un des leviers de la croissance. Vous proposez en effet un véritable matraquage fiscal pour les deux prochaines années. Le taux des prélèvements passera ainsi de 43,9 % du PIB en 2011 à 46,2 % en 2013. Je ne m’étendrai pas sur ce sujet, que mon collègue Francis Delattre a excellemment développé à l’instant.
Nous ne pouvons accepter, au regard de notre compétitivité future, que l’écart entre les taux de prélèvements obligatoires français et allemand soit, en 2013, de 10 points. Nous sommes donc confrontés à l’impérieuse nécessité de réduire dès à présent les dépenses, comme le fait en ce moment l’Italie. Pour reprendre le célèbre adage fiscal, « trop d’impôts tue l’impôt », et, comme le répète à l’envi notre excellent président de la commission des finances, Philippe Marini, une telle politique « ajouterait de la crise à la crise ».
En outre, votre argument relatif à la justice fiscale ne tient pas. Il est faux de dire que l’effort fiscal pèsera sur les plus fortunés et ne concernera pas les classes moyennes. La taxation des successions et donations dès le seuil de 100 000 euros, la suppression de l’exonération des charges sociales pour les heures supplémentaires et la hausse de la taxation de l’intéressement et de la participation impacteront en effet directement ces dernières.
Je vous le rappelle, la hausse du pouvoir d’achat via l’augmentation à la marge du SMIC concerne 2,3 millions de salariés, et l’augmentation de l’allocation de rentrée scolaire 3 millions de familles, alors que la perte de pouvoir d’achat touchera 9 millions de salariés via la suppression des heures supplémentaires, et 12 millions via la hausse de la taxation de l’intéressement et de la participation.
Le plus grave, c’est que ce matraquage fiscal n’est pas accompagné d’un effort de diminution des dépenses, contrairement, pourtant, à ce que préconisent les rapports de la Commission européenne, de l’Inspection générale des finances et, récemment, de la Cour des comptes. Vous faites même le choix d’augmenter certaines dépenses, notamment au travers de la création de postes de fonctionnaires dans trois secteurs : l’éducation nationale, la justice, ainsi que la police et la gendarmerie.
Vous vous justifiez en disant que, en 2017, l’effort sur les dépenses sera, au total, aussi important que celui portant sur les recettes. Pourquoi ne pas vous y attaquer dès à présent ? Remettre la diminution des dépenses à plus tard est une erreur grave, car nul ne sait ce que sera la croissance dans les années à venir, certains économistes étant très pessimistes.
Je vous rappelle, monsieur le rapporteur général, ce que vous nous avez bien précisé en commission des finances, mercredi dernier : en cas de scénario de croissance pessimiste, le déficit ne pourra être ramené à 3 % en 2013.
Au final, seul le retour de la croissance - mais certainement pas par une taxation accrue des entreprises et sans diminution du coût du travail ! -, seul le retour de la confiance des ménages - mais certainement pas par un matraquage fiscal ! -, seule la maîtrise des dépenses publiques, à savoir de l’État, des comptes sociaux et des collectivités territoriales, permettront de diminuer notre déficit structurel. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Conformément à la décision de la conférence des présidents, la parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, à ce stade du débat, tant de points de vue contrastés ayant été présentés, je m’en tiendrai à l’essentiel.
Je ferai une toute première observation, que nous pouvons, me semble-t-il, partager : si le redressement de la France a été sérieusement engagé au cours de la précédente législature, nous restons sous surveillance, avec une crédibilité qui demeure fragile.
M. Roland du Luart. Tout à fait !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. La Cour des comptes, que je citerai une nouvelle fois, l’a fort bien dit : « L’essentiel du chemin reste devant nous ». Il faut entendre par ces mots la période visée par ce débat d’orientation des finances publiques.
Le Gouvernement, sur le plan de la méthode, nous propose, je n’hésite pas à le dire, quelques éléments bienvenus. Parmi ceux-ci, je citerai la nécessité d’encadrer les taxes affectées aux opérateurs, l’affirmation par la loi de programmation des finances publiques du monopole des lois financières sur toutes dispositions relatives aux prélèvements obligatoires, ainsi que la volonté, dont nous a fait part le Président de la République, de faire ratifier le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, le TSCG, au sein de l’Union économique et monétaire.
Nous le savons, mes chers collègues, le Conseil constitutionnel aura à répondre à la question suivante : cette ratification implique-t-elle une modification d’ordre constitutionnel ? Quels que soient les avis, pour le moins divergents, que j’ai entendus à ce propos au sein de la nouvelle majorité, je me permettrai de faire remarquer que le Gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre délégué, ne peut envisager de faire ratifier ce traité dans une loi organique, a fortiori dans une loi constitutionnelle, qu’avec la participation très large de toutes les formations politiques et l’affirmation d’une volonté commune de l’ensemble des grandes tendances de notre opinion politique.
Au-delà des instruments de gouvernance – le TSCG en est un ! –, nous pourrions également débattre de certaines hypothèses, lesquelles sont à peu près en ligne, me semble-t-il, avec les méthodes utilisées à la fin de la dernière législature.
J’ai toutefois noté, dans l’analyse très fouillée du rapporteur général de la commission des finances, la remarque suivante : d’après ses calculs, au regard des différents scénarii de croissance, reposant en particulier sur le taux de croissance potentielle, si notre économie devait croître à son potentiel, c'est-à-dire de 1,5 % à partir de 2014, l’équilibre budgétaire ne serait pas encore atteint en 2017. Nous devons être très attentifs au fait que nous n’avons pas de marges de manœuvre.
Pour conclure cette première partie de mon propos, je regretterai, toujours sur le plan de la méthode, l’absence des informations qui figurent habituellement, à cette époque de l’année, dans le rapport gouvernemental préparatoire au débat d’orientation des finances publiques. En clair, les grandes lignes du volet « Dépenses » du projet de loi de finances pour l’année suivante ne sont pas encore explicitées, pas plus que ne l’est le détail des plafonds des crédits pour chaque mission.
Nous pouvons comprendre que le processus budgétaire ait pu être ralenti par l’alternance, mais vous admettrez aussi, monsieur le ministre délégué, que, pour le Parlement, pour le Sénat en particulier, cela aboutit à un certain manque d’informations par rapport à l’exercice tel que nous le pratiquions ces dernières années.
Mes chers collègues, je voudrais maintenant mettre l’accent sur un deuxième élément.
À mon sens, pour respecter la trajectoire du retour aux 3 %, puis à l’équilibre, il faut prendre sans tarder des mesures correctrices de très grande ampleur. Ce sera en particulier le thème du débat que nous aurons, la semaine prochaine, sur le projet de loi de finances rectificative pour 2012. Sans trop le déflorer, je ferai trois observations.
D’abord, on fait grief à l’ancien gouvernement de s’être trompé sur les estimations des recettes fiscales. En matière d’impôt sur les sociétés, on sait que l’exercice est techniquement très difficile. Je me permettrai simplement, monsieur le ministre délégué, de suggérer la prudence sur ce sujet, car rien ne dit que la conjoncture des années à venir ne vous placera pas, à un moment ou à un autre, à votre corps défendant peut-être, dans la même situation. Au regard de la qualité de prévision des recettes d’impôt sur les sociétés, la longue série de chiffres nous incite, les uns et les autres, à une certaine modestie.
Ensuite, et c’est un point qui, à vrai dire, me choque un peu plus, on met en vis-à-vis les 7,1 milliards d’euros de moindres recettes, qu’il faut donc corriger, et les 7,2 milliards de recettes nouvelles, en nous incitant à considérer que le second montant compense le premier.
À la vérité, la situation est un peu plus complexe. Alors que le premier chiffre concerne l’ensemble des administrations publiques, collectivités locales comprises, lesquelles enregistrent, notamment pour ce qui concerne les droits de mutation, une moins-value de recettes de l’ordre de 1 milliard d’euros, le second montant ne concerne que l’État et la sécurité sociale.
Au demeurant, ces nouvelles rentrées fiscales, qui seraient créées par le biais du projet de loi de finances rectificative pour 2012, compenseraient aussi de nouvelles dépenses. Des dépenses ont été décidées ou engagées dans leur principe depuis le 6 mai dernier. Leur financement va forcément compliquer l’équation budgétaire des mois et des années à venir. Pour ne prendre qu’un exemple, j’évoquerai l’augmentation de 25 % de l’allocation de rentrée scolaire, financée par la hausse pérenne des prélèvements sociaux sur certaines catégories de revenus.
Enfin, je rappellerai à ce titre la préconisation de la Cour des comptes formulée en conclusion de son audit. Le Gouvernement doit s’attacher à réduire simultanément, « non pas un, mais deux déficits » : le déficit des comptes publics et le déficit de compétitivité.
À cet égard, comme l’ont souligné fort justement plusieurs orateurs, en particulier, avec ses mots et un style qui lui est propre, Francis Delattre, en matière de compétitivité, ce que nous faisons paraît être complètement à rebours tant des thèmes adoptés sur le plan européen que de la réflexion engagée par les institutions communautaires et par nos principaux partenaires européens sur l’organisation du marché du travail ou l’évolution de la fiscalité, notamment le devenir de la fiscalité indirecte.
Aussi, on ne peut pas dire que la réflexion de la nouvelle majorité politique et du Gouvernement s’inscrive dans les orientations qui se dessinent au niveau de l’Union européenne.
Enfin, je voudrais insister sur un troisième aspect : en 2013, mes chers collègues, nous aurons à franchir une très haute « marche d’escalier », entre 35 et 40 milliards d’euros, soit un peu plus de 1,5 point de produit intérieur brut. Cet effort est l’un des plus importants que nous ayons eu à faire depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’enjeu est absolument considérable.
D’où la question du partage de l’effort : que demande-t-on par le prélèvement et que demande-t-on à l’appareil public par la pression sur les dépenses ? Autant de questions qui ont été abordées par les différents orateurs qui se sont succédé.
Nous savons que le Gouvernement préconise une approche partagée moitié-moitié.
En matière de recettes, je relève que l’essentiel de l’effort à accomplir le sera entre cette année et l’année prochaine. Ce supplément de ressources représente l’essentiel de l’action discrétionnaire de maîtrise des finances publiques en 2013. C’est un effort fiscal considérable. Compte tenu des ordres de grandeur, certains, parmi nous, ont parlé dans la presse de « matraquage fiscal ».
En ce qui concerne les dépenses, à mon sens, le paysage reste caractérisé par les incertitudes. Le détail des économies à réaliser est reporté à septembre.
Certes, le Gouvernement s’est engagé à couvrir toute dépense supplémentaire par des économies à due concurrence. Mais j’ai également entendu décliner tout un catalogue de mesures, de dépenses, de dépenses fiscales, par exemple dans la déclaration de politique générale de M. le Premier ministre. Ma liste n’est certainement pas exhaustive : création d’un « livret d’épargne industrie » – il faudra le bonifier –, dispositifs fiscaux en faveur de certaines PME – il faudra les financer –, renforcement des moyens de Pôle emploi – 2 000 emplois en cours de création qui devront être financés –, création d’une allocation d’études et de formation pour les étudiants – à budgéter –, création de 150 000 « emplois d’avenir » pour les jeunes sans qualification – pareillement –, développement du service civique – pareillement –, mise en place d’un système de caution solidaire pour les jeunes locataires – il faudra trouver le capital pour financer cette caution –, plan « ambitieux » de performance thermique de l’habitat – une nouvelle dépense fiscale, sans doute –, réforme de la dépendance – s’agissant de ce thème que nous connaissons bien au Sénat, je reconnais que, sous la précédente législature, il a été considéré, après qu’elles eurent été chiffrées, que les solutions n’étaient pas évidentes.