M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé.
M. Jean-Vincent Placé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici dans une situation atypique : un gouvernement de gauche doit présenter le bilan d’une année de mandature d’un gouvernement sortant de droite.
M. Henri de Raincourt. C’est la démocratie !
M. Jean-Vincent Placé. Comme l’a dit mon éminent collègue François Fortassin, cela nécessite quelques contorsions, que M. le président de la commission des finances a exécutées avec le talent et la virtuosité que nous lui connaissons.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Je vous remercie, mon cher collègue.
M. Jean-Vincent Placé. Le constat est sans appel : la nouvelle majorité présidentielle, qui hérite d’une situation déplorable (Protestations sur les travées de l'UMP.), …
M. Richard Yung. Le mot est faible !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Tout en nuance !
M. Jean-Vincent Placé. En la matière, mes chers collègues, vous pouvez nous donner des leçons...
La nouvelle majorité, disais-je, devra redoubler d’efforts pour, tout à la fois, rééquilibrer les comptes et mener des politiques publiques ambitieuses pour la France. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
En analysant les comptes de l’année écoulée, on réalise que le gouvernement sortant a creusé non seulement la dette économique, mais aussi la dette écologique et les inégalités sociales. (M. Henri de Raincourt s’esclaffe.)
Vous ne devriez pas rire autant, cher collègue, surtout devant un tel bilan !
Alors que la situation économique s’est considérablement dégradée depuis 2007, les choix budgétaires et fiscaux du gouvernement précédent se sont avérés désastreux.
La dette publique n’a cessé d’augmenter pour atteindre aujourd’hui le montant astronomique de 1 700 milliards d’euros, soit près de 90 % du PIB. Entre 2007 et 2011, l’augmentation aura été de 600 milliards d’euros.
La hausse des impôts, qui inquiète tant l’UMP aujourd’hui, a pourtant constitué une stratégie constante sous la mandature précédente. Les taux de prélèvements atteignent désormais 45 %, ce qui représente une hausse de presque deux points par rapport à 2007. Mais cette évolution s’est faite seulement au détriment des plus modestes. Dans le même temps, les plus fortunés encaissaient chaque année des chèques de remboursement émis par le fisc.
Mme Maryvonne Blondin. Eh oui !
M. Jean-Vincent Placé. Qu’il s’agisse du bouclier fiscal ou de la réforme de l’ISF, l’ensemble des avantages fiscaux indus concédés par le précédent gouvernement s’est élevé à 22 milliards d’euros !
Vincent Delahaye, mon collègue de l’Essonne, a dénoncé notre niveau de dépense publique. Le problème, c’est que celle-ci a progressé très significativement au cours de ces dix dernières années : alors qu’elle représentait 52 % du PIB en 2002, elle atteint 56 % en 2012 !
Pour finir, la Cour des comptes nous apprend qu’une partie des dépenses votées dans le cadre du budget 2012, soit près de 2 milliards d’euros, ne sont pas financées. La droite nous donne des leçons de bonne gestion, mais le bilan ne ment pas ! Le précédent gouvernement aura réussi le tour de force d’augmenter la dette, d’augmenter la dépense publique, d’augmenter les impôts, tout en diminuant la contribution des plus aisés. Remarquable tour de force, qui vous a d’ailleurs conduits, chers collègues, dans l’opposition !
Au-delà de ce bilan comptable peu glorieux, je souhaite insister, monsieur le ministre, sur les conséquences de l’application dogmatique de la rigueur.
Les suppressions de postes dans l’éducation, la justice ou la police, au nom de la révision générale des politiques publiques, ont gravement détérioré la qualité de nos services publics.
Les suppressions effectives d’emplois représentent, en moyenne, 31 728 emplois équivalents temps plein travaillés par an. La diminution du nombre de postes est même supérieure aux prévisions de la loi de finances initiale.
J’ai pu constater les dégâts causés par cette politique, en particulier pour ce qui concerne la mission « Sécurité », que j’ai examinée pour la commission des finances en tant que rapporteur spécial auprès de M. le rapporteur général, François Marc, que je salue.
L’option choisie pour la police nationale, malgré les discours gouvernementaux, a conduit à substituer à des emplois de fonctionnaires des emplois précaires moins qualifiés et moins rémunérés.
Dans mon département, la brigade territoriale autonome de gendarmerie de Nozay se trouve systématiquement en sous-effectif. Il ne s’agit pas là d’une considération abstraite ou d’une moyenne nationale ! La sécurité due à nos concitoyens et concitoyennes est ainsi mise en péril : on a pu observer plus de 10 000 nouvelles atteintes à l’intégrité physique des personnes. Bravo, monsieur Guéant !
Tandis que les moyens humains manquent pour assurer un climat de sécurité dans nos villes, l’insuffisance des moyens matériels est également dramatique. Les locaux sont dans un état déplorable. Les commissariats souffrent trop souvent d’un état de vétusté avancé. Non seulement cela détériore les conditions de travail du personnel, mais cela pèse aussi sur la qualité de l’accueil des victimes.
Je ne m’attarderai pas sur l’état de nos écoles : classes supprimées ou surchargées, professeurs déprimés et surmenés. La situation de notre système judiciaire n’est pas meilleure si l’on considère les interminables délais d’attente, préjudiciables tant aux justiciables qu’aux personnels de la magistrature.
Évidemment, il y aurait beaucoup à dire. Ces domaines constituent les priorités du Président de la République, et nous aurons l’occasion d’en reparler au cours de l’examen du projet de loi de finances à venir.
C’est tout notre modèle de service public qui est ébranlé. En temps de crise, la notion d’intérêt général est pourtant plus que jamais d’actualité. La valeur des biens communs et des services publics ne s’étalonne pas à l’aune de la rentabilité.
On ne peut pas demander à nos concitoyens et concitoyennes de contribuer à l’effort national, pourtant nécessaire, au nom de l’intérêt public, si on ne leur garantit pas en retour un service public de qualité.
La France possède depuis longtemps un modèle de société envié dans le monde entier, qui repose sur la solidarité et l’égalité d’accès aux biens fondamentaux. Ce modèle, abîmé par la gestion du gouvernement précédent, nous voulons le préserver pour garantir la cohésion sociale qui nous unit.
Au-delà des finances délabrées et des services publics démantelés, le sénateur écologiste que je suis déplore également, dans le bilan dont nous héritons, un accroissement incontrôlé de la dette écologique.
Qui paiera les conséquences du réchauffement climatique, de la destruction des écosystèmes ou de la fonte des glaciers, que nous léguons aux pays du Sud et aux générations futures ?
Les principes de soutenabilité et de responsabilité, qui semblent faire aujourd’hui consensus à propos de l’économie, y compris chez ceux qui ne les ont pas respectés, s’appliquent aussi à l’environnement. Nous sommes les débiteurs écologiques inconscients de notre surconsommation. Malheureusement, cette dette-là est sans doute encore plus grave que la dette économique car, si un État peut toujours restructurer cette dernière, la planète, elle, ne négocie pas.
Nous sommes arrivés à la maturité d’un système ultraproductiviste, poussant à consommer plus de ressources naturelles que celles qui sont disponibles.
La règle d’or ? J’aurais bien aimé que Nicolas Sarkozy l’applique à l’environnement et cesse ainsi de subventionner les vols aériens intérieurs ou le fret routier au détriment du rail, le diesel ou les pesticides cancérigènes !
À cet égard, je vous invite, mes chers collègues, à méditer un très beau proverbe indien. Puisse-t-il, durant ces vacances à venir, vous permettre de réfléchir : « Quand le dernier arbre sera abattu, la dernière rivière empoisonnée et le dernier poisson pêché, alors vous découvrirez que l’argent ne se mange pas. » (Ce n’est pas nouveau ! sur les travées de l’UMP.)
M. André Gattolin. Bravo !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Admirable ! (Rires sur les mêmes travées.)
M. Jean-Vincent Placé. Sous l’ère Sarkozy, le gouvernement s’est définitivement trompé de levier : tuer les services publics,...
M. Henri de Raincourt. Allons bon !
M. Jean-Vincent Placé. ... subventionner les plus riches et les polluants, ce n’est vraiment pas la bonne méthode. Le groupe écologiste ne peut que déplorer la situation laissée par la droite à la nouvelle majorité. Les dégâts financiers, sociaux et écologiques sont particulièrement inquiétants.
Face à un tel héritage, la tâche ne sera pas aisée pour la majorité présidentielle, mais le meilleur est possible.
Les écologistes ont voté la confiance au nouveau gouvernement pour qu’il fasse les bons choix, de nature à préserver notre modèle social, nos services publics et l’environnement, tout en répondant de façon responsable de nos finances publiques. Que l’on ne se méprenne pas, les écologistes sont très soucieux de l’équilibre des comptes et prônent d’ailleurs les vertus de la sobriété.
La porte est étroite : une réforme ambitieuse de l’État, évitant l’écueil de l’austérité, est nécessaire. Dans tous les cas, les choix budgétaires et fiscaux à venir ne trouveront sens et succès que dans le cadre d’un engagement déterminé en faveur de la transition écologique de notre société.
De tout cela, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous reparlerons naturellement lors du débat sur les orientations des finances publiques et à l’occasion de l’examen des lois de finances à venir.
Bien sûr, la logique de la loi de règlement nous conduit à approuver ce texte.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Nous serons au moins unanimes sur quelque chose !
M. Jean-Vincent Placé. Vous avez entendu notre opinion sur cette loi de règlement des comptes, sur ce qui a été l’origine stratégique, si j’ose dire, de ses fondements. Pour autant, nous ne pouvons que constater sa sincérité. Il est d’ailleurs malheureux, pour les parlementaires qui soutiennent la majorité sortante, que tel soit le cas...
C’est donc tout à fait naturellement que nous pourrons poursuivre notre discussion avec vous, monsieur le ministre, au cours du débat sur les orientations des finances publiques et à l’occasion de l’examen, la semaine prochaine, du collectif budgétaire, que nous approuverons, ce qui constitue une bonne nouvelle, quoique sans surprise, pour votre gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Michèle André.
Mme Michèle André. Je vous remercie, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, de vos explications relatives à la situation budgétaire. Au nom du groupe socialiste, je me réjouis que l’élan qui a donné cet automne une nouvelle majorité au Sénat se soit poursuivi au printemps et permette aux membres du Gouvernement de venir, en confiance, présenter leurs projets devant un Sénat qui les soutient.
Cependant, dans ce nouveau contexte, ma première intervention ne vous est pas directement destinée, puisque je m’adresserai plutôt à nos collègues de l’ancienne majorité.
Cela a été souligné, ce projet de loi de règlement des comptes a ceci de particulier que le gouvernement qui la présente n’est pas responsable de ce qu’elle contient. Ni le gouvernement issu des élections des 10 et 17 juin dernier ni la majorité sénatoriale ne sont responsables du texte que nous examinons aujourd’hui. Il doit être imputé aux anciennes majorités parlementaires qui ont soutenu Nicolas Sarkozy pendant ces cinq dernières années.
Ainsi, le jour est venu de régler les comptes. Je n’ai pas dit « régler nos comptes », car la situation économique et budgétaire nous impose de laisser derrière nous les polémiques des campagnes électorales.
M. Henri de Raincourt. Très bien !
Mme Michèle André. Toutefois, en examinant les comptes pour 2011, nous sommes bien forcés de revenir sur les incohérences des cinq dernières années, et donc de vous demander des comptes. Car le nouveau gouvernement hérite d’une situation trop grave pour que vous puissiez vous défausser de toute responsabilité, pour qu’il vous soit épargné un examen critique des décisions que vous avez soutenues quand vous étiez dans la majorité.
La semaine prochaine, nous reviendrons une nouvelle fois sur cet héritage. Le projet de loi de finances rectificative actuellement en débat à l’Assemblée nationale a en effet pour objectif principal de rattraper, par des recettes fiscales nouvelles, les manques dus à votre imprévision. (M le président de la commission des finances s’exclame.)
Lorsque cela aura été fait, la nouvelle majorité pourra entamer le redressement dans la justice pour lequel François Hollande a été élu.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Les lendemains vont s’éclairer…
Mme Michèle André. Mais, dans vos critiques à venir, n’oubliez pas ceci : la crise a certes limité nos marges de manœuvre budgétaires, mais, vous le savez bien, elle ne peut pas tout excuser. Ces marges, vous les avez vous-mêmes réduites par des réformes injustes et inefficaces et vous n’avez pas tenu compte de nos mises en garde.
C’est pourquoi j’ai été très étonnée d’entendre notre collègue Philippe Dallier prétendre, la semaine dernière, que le Gouvernement faisait semblant de découvrir la situation actuelle et que François Hollande aurait caché celle-ci aux Français pour se faire élire.
M. Henri de Raincourt. C’est vrai !
Mme Michèle André. S’il y a une chose qui distingue la majorité nouvelle de l’ancienne, monsieur Dallier, c’est bien notre constance et notre lucidité.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. On n’est jamais si bien servi que par soi-même !
Mme Michèle André. Avec Nicole Bricq et les autres sénateurs de gauche, nous n’avons cessé de vous alerter sur les risques que faisait courir votre aveuglement politique. Et nous n’étions pas les seuls à le faire !
En 2011, la France accuse un déficit de plus de 90 milliards d’euros. M. le rapporteur général l’a déjà dit, la baisse par rapport à l’année précédente s’explique essentiellement par un niveau artificiellement élevé en 2010. Le montant constaté en 2011 n’en demeure pas moins accablant : près du double des montants de 2007 et de 2008, un taux de couverture des dépenses par les recettes de seulement 69 %, ce qui aboutit à un montant de dette publique deux fois plus important qu’en 2002.
Accumuler en dix ans autant de dette que tous les gouvernements précédents : voilà le bilan de la droite !
Pour le seul État, la dette représente deux tiers du produit intérieur brut annuel, soit pour lui cinq ans de recettes nettes. Certes, on ne peut cesser toute dépense publique pendant un quinquennat pour consacrer toutes les recettes au remboursement de la dette, mais il y a un chemin entre cela et l’inaction et c’est l’inaction qui a été choisie, conduisant la France à l’asphyxie financière.
En 2010, puis en 2011, la charge de la dette a ainsi continué d’augmenter, devenant le premier poste de dépenses, devant l’éducation nationale. Drôle de paradoxe : plutôt que de financer l’avenir de nos enfants, nous consacrons plus d’argent à rembourser les intérêts d’une dette qui pèsera sur eux.
Ce risque d’asphyxie financière, Philippe Séguin l’avait pourtant évoqué plusieurs fois devant nous. Et, dès 2009, il avait souligné que ni la crise ni les dépenses conjoncturelles visant à en réduire les effets n’étaient les seules causes du dérapage budgétaire. Déjà, la diminution des recettes – due en premier lieu aux dispositions de la loi TEPA – expliquait une grande partie du déficit. Cela n’a fait que s’aggraver depuis lors.
Ainsi, pour l’année 2011, qui nous intéresse aujourd’hui, l’effet des réformes de ces cinq dernières années représente plus de 22 milliards d’euros de recettes perdues pour l’État. La moitié est due à la loi TEPA, un tiers à la réforme de la taxe professionnelle, le reste à la réforme de la TVA dans la restauration et à celle de l’ISF.
Certes, ces mesures ont profité à certains, mais elles n’ont pas profité à tous les Français, surtout pas aux ménages les plus modestes.
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Eh non !
Mme Michèle André. En revanche, c’est bien sur ces ménages qu’a pesé, pour l’essentiel, la hausse de la TVA, par laquelle vous avez achevé de faire de la progressivité inversée le socle de votre politique fiscale.
En somme, pour reprendre l’expression de Nicole Bricq, le dernier quinquennat aura été celui de l’incohérence et des injustices.
Elle n’était d’ailleurs pas la seule à le souligner. Dans votre propre camp, certains s’inquiétaient de la différence de traitement dont bénéficiaient les ménages les plus aisés. Je citerai ainsi notre ancien collègue Nicolas About, qui regrettait, en 2010, à propos du bouclier fiscal, que « l’effort que les Français devront fournir pour redresser notre situation sera consenti par tous, sauf par nos concitoyens les plus aisés, protégés par le bouclier fiscal ». Il ajoutait : « Il ne faut pas nécessairement beaucoup plus d’impôt, mais il faut parvenir à un impôt plus juste. »
Apparemment, il n’a été guère été entendu. Certes, ces dernières années, vous avez fait le choix de plus d’impôt : 12,5 milliards d’euros en 2011, 21 milliards d’euros en 2012, du fait de vos seules réformes.
C’est d’ailleurs à cela que vous devez la très relative réduction du déficit structurel, plus qu’à une réduction des dépenses, que vous vous êtes contentés de sous-budgéter avant d’être rattrapés par la réalité en cours d’exécution.
Il ne vous est donc plus possible d’opposer une droite responsable devant la dépense à une gauche idolâtrant l’impôt, car vous avez finalement trouvé cet outil très pratique pour rattraper vos erreurs. En revanche, vous n’avez rien fait pour que cet impôt soit plus juste.
Je prendrai pour cela l’exemple de la suppression de la taxe professionnelle. Les effets pour les entreprises sont bien moins clairs que ne l’envisageait le gouvernement de l’époque : dans certains secteurs, seules 40 % d’entre elles en profitent réellement et, en moyenne, seules 60 % sont gagnantes.
En revanche, ses conséquences sur les ménages et sur les collectivités territoriales sont durables. Comme nous l’annoncions, cette réforme a eu un triple effet pervers sur ces collectivités : une perte d’autonomie financière, une perte de prévisibilité des ressources et une disparité croissante entre les différentes collectivités territoriales.
Les effets de cette réforme pour l’État avaient également été sous-évalués. Le coût pour l’État de l’allégement au bénéfice des entreprises était en effet estimé à 5,8 milliards d’euros en régime de croisière ; il devrait finalement s’élever à 7 milliards d’euros les prochaines années, et à plus de 8 milliards d’euros pour 2011.
S’agissant de l’impôt sur les sociétés, là encore, nous vous avions appelés à agir. Peu à peu, le taux de 33,33 % est devenu bien théorique. Grâce à la création successive d’abattements et de niches fiscales, le taux moyen effectif est plus proche de 20 %, avec de très grandes disparités selon la taille de l’entreprise. Vous le savez comme nous, en moyenne, une entreprise du CAC 40 paye en réalité 8 % d’impôt sur les sociétés, soit un quart du taux légal.
C’est pourquoi nos collègues François Marc et François Rebsamen avaient proposé de mettre fin à ce « mitage » de l’impôt sur les sociétés. Leur proposition de loi avait été repoussée. L’Assemblée nationale a finalement fait sienne, tardivement, l’idée d’abroger le régime du bénéfice mondial consolidé. Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault en reprend une autre dans son projet de loi de finances rectificative, celle de la modulation de l’impôt en fonction du réinvestissement par l’entreprise des bénéfices dégagés. Il l’accompagne d’autres mesures permettant à l’impôt sur les sociétés de retrouver un rendement acceptable.
Car, non seulement vous n’avez pas souhaité réhabiliter l’impôt sur les sociétés, mais vous avez également surestimé son rendement. En 2011, alors que vous attendiez un produit de près de 45 milliards d’euros, celui-ci est inférieur à 40 milliards d’euros. Certes, c’est mieux qu’en 2010, mais ce n’est mieux que parce que, cette année-là, cet impôt pâtit à la fois des mesures du plan de relance et du régime transitoire de la taxe professionnelle. Encore une fois, il était urgent d’agir ; vous avez préféré attendre.
S’agissant des recettes, votre bilan n’est guère plus brillant. Votre mesure la plus emblématique, c’était le non-remplacement, mécanique, d’un fonctionnaire sur deux. J’y reviendrai ultérieurement. La manière dont vous l’avez mise en œuvre s’avère un désastre. Vous affirmiez que cette politique serait un levier efficace de réduction de la dépense. En définitive, l’économie brute est inférieure d’un tiers à celle que vous annonciez et cette économie en postes n’a même pas correspondu à une économie en charges, car les mesures catégorielles accordées à cette occasion en annulent les effets.
Surtout, ces suppressions mécaniques, sans réflexion globale, ont contribué à augmenter le nombre d’heures supplémentaires, ce qui montrait bien que les réductions ne correspondaient pas, loin de là, à des sureffectifs.
Je prendrai l’exemple des préfectures. Celles-ci ont connu d’importantes suppressions d’effectifs qui ont touché les agents de guichet, lesquels sont chargés d’accueillir le public désireux de faire établir un document d’identité, la carte grise d’un véhicule automobile ou tout autre titre. La suppression de ces postes a rendu nécessaires, à certains moments, non seulement la fermeture des guichets afin de permettre le traitement des dossiers, mais encore le recours aux heures supplémentaires, tout simplement pour que les agents puissent venir à bout de leur travail ordinaire.
Pour quel gain ? L’épuisement des préfectures et des préfets !
Voilà deux ans, j’avais rendu un rapport consacré à la mise en œuvre de la révision générale des politiques publiques dans les préfectures, sujet qui préoccupe aussi bien les personnels que les préfets et les administrateurs.
M. Jean-Claude Frécon. Excellent rapport !
Mme Michèle André. Il est apparu qu’ils étaient déjà à l’os – mes chers collègues, vous comprenez tous le sens de cette expression –, alors n’en rajoutons pas !
Si nous voulons un État fort, celui-ci ne peut s’appuyer sur une administration affaiblie, amaigrie et dont nous voyons bien aujourd’hui qu’elle ne pourrait pas faire face aux demandes. Certains collègues aborderont sans nul doute les problèmes qu’on rencontre dans d’autres domaines.
Faute de réflexion et de concertation, nous avons eu de l’affichage politique, lequel n’a pas permis d’atteindre l’objectif fixé.
De la même manière, vous avez tenté de faire croire aux Français que l’inscription de la règle d’or dans la Constitution changerait tout. Mais pourquoi ne l’avez-vous pas appliquée vous-même, cette règle, qui respectait simplement un traité européen, lequel valait bien une règle d’or ? Vous étiez les législateurs ; rien ne vous empêchait de voter des budgets en équilibre, si ce n’est les recettes que vous avez vous-mêmes supprimées. Renvoyer à l’Europe ou au Conseil constitutionnel et, surtout, renvoyer à plus tard, c’est facile, mais sans véritable efficacité !
J’étais la semaine dernière à Bruxelles et j’ai eu l’occasion d’échanger avec de nombreux parlementaires, en particulier belges et italiens. Ils ne comprennent pas ce qu’a fait la France. L’exemple qu’a donné notre pays à ses voisins européens, c’était celui des paroles et non celui des actes. Le souffle européen vient le plus souvent des grands pays comme la France. Alors, quand les grands pays soufflent le chaud et le froid et se dispensent de respecter les traités européens, il ne faut pas s’étonner que les plus petits ne respectent pas une discipline dont vous avez fait un argument électoral plus qu’un axe de gouvernement.
En somme, Nicolas Sarkozy n’a été qu’un illusionniste, au niveau tant national qu’européen. Votre politique budgétaire n’aura apporté ni stabilité ni croissance. C’est ce que montre ce projet de loi de règlement. Et c’est ce qui nous incite, avec le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, à redresser les finances publiques dans une logique de croissance, de justice et de vérité.
En cela, nous ne renierons pas cette phrase de Pierre Mendès France, toujours d’actualité : « Les réformes actuellement indispensables ne se réalisent pas à coups de baguette magique ou seulement par un scrutin heureux, et leurs fruits ne mûrissent pas aussi vite qu’on le souhaiterait. L’essentiel, c’est que le pays ne soit pas dupé une fois de plus. Pour cela, il faut, avant tout, informer loyalement. » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Francis Delattre.
M. Francis Delattre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sur le plan technique, ce projet de loi de règlement des comptes et rapport de gestion revêt un caractère particulier puisqu’il s’agit pour le nouveau gouvernement de présenter les comptes du gouvernement précédent, en l’occurrence le gouvernement Fillon.
Sur le plan politique, nous vivons, mes chers collègues, le dernier acte d’une comédie humaine où les vainqueurs, sans beaucoup de retenue, nous resservent un ultime menu d’antisarkozysme et se défoulent une dernière fois dans l’irresponsabilité qui est propre aux opposants.
Vous verrez que, lors des prochains débats d’orientation budgétaire, les choses auront bien évolué.
Les chiffres, certifiés par la Cour des comptes, sont incontestables, mais leur présentation, parfois subjective, peut toujours servir les interprétations d’acteurs plus ou moins exigeants avec la vérité. M. Placé nous en a donné un exemple particulièrement vivant.
Mais, avant de revenir sur ce point, je souhaiterais m’arrêter un instant sur les chiffres et sur les bons résultats de l’année 2011, dont nous devrions tous nous féliciter, si l’intérêt de notre pays primait dans ce type de débat. Hélas ! nous pouvons regretter que tel ne soit pas le cas, comme l’ont démontré les interventions de certains des orateurs précédents.
En 2011, le déficit budgétaire s’établit à 90,7 milliards d’euros, soit 57,8 milliards d’euros de moins qu’en 2010 et 900 millions d’euros de moins qu’en loi de finances initiale.
M. Henri de Raincourt. Il faut le rappeler !
M. Francis Delattre. Le solde s’est amélioré pour la première fois depuis 2007, et la France est le seul pays de l’Union européenne qui, dans le contexte actuel de rebond de la crise de la zone euro, soit parvenu à réduire son déficit budgétaire de près de 1 milliard d’euros par rapport à la loi de finances initiale. Est-ce là la catastrophe annoncée ?
Le déficit public de l’année 2011 s’établit certes à 5,2 % du PIB, mais l’objectif prévisionnel était de 5,7 %, et même de 6 % dans le programme de stabilité voté à la fin de 2010.
En outre, le déficit structurel a été diminué de près d’un point, pour la première fois.
La dépense publique, quant à elle, a été maîtrisée en volume et en valeur : 1,7 milliard d’euros de moins que la norme en volume et 200 millions d’euros de moins que la norme en valeur. C’est la première fois depuis 1945 que les dépenses de l’État ont diminué !
Les dépenses de fonctionnement sont stables, mais les dépenses de personnel, d’investissement et d’intervention diminuent, et ce en dépit de toutes les craintes savamment entretenues.
Les concours financiers aux collectivités territoriales sont quasiment stabilisés en valeur, ce qu’aucun orateur précédent n’a bien voulu signaler.
Il s’agit donc d’excellents résultats, à mettre au crédit de l’action du précédent gouvernement, qui a même dépassé les objectifs qu’il s’était fixés.
C’est cette situation qui, au regard de la détérioration de celle des pays du sud de l’Europe, conserve à notre pays un caractère de refuge pour les investisseurs, la meilleure preuve en étant que, le 9 juillet dernier, monsieur le ministre, la France a emprunté pour la première fois de son histoire à des taux négatifs. Cela signifie peut-être que les investisseurs ont lu notre loi de règlement et les appréciations portées par la Cour des comptes. En tout cas, ils paient aujourd’hui pour prêter de l’argent à la France, qui rejoint ainsi le club très fermé comprenant des pays tels que l’Allemagne, l’Autriche, la Suisse…
Les taux d’emprunt à long terme sont également très favorables, à moins de 3 %.
Mais, du côté du Gouvernement comme du rapporteur général, il a bien fallu trouver dans le débat politique – et c’est normal – quelques angles d’attaque !
Ainsi, la critique de l’actuel gouvernement sur le bilan de son prédécesseur porte notamment sur l’accroissement de la dette.
Effectivement, la dette de la France a atteint, en 2011, 1 717 milliards d’euros, soit 86 % du PIB, en hausse de 122 milliards d’euros par rapport à 2010.
La charge de la dette a augmenté en 2011 de 6 milliards d’euros, passant 40 milliards de 46 milliards d’euros. Cette augmentation de la charge de la dette s’explique, certes, par la hausse de l’encours de celle-ci, mais aussi par la hausse de l’inflation, une partie des emprunts étant indexée, vous le savez bien, monsieur le ministre, sur son taux.
Quant au rapport que François Marc nous a présenté en commission des finances, il critique le doublement de la dette depuis 2002. Je m’étonne d’ailleurs au passage de cette ardeur à remonter au début du quinquennat, alors que cet exercice n’est censé porter que sur les comptes de la seule année budgétaire 2011.
Néanmoins, personne dans cet hémicycle n’ignore que, même si le précédent gouvernement, grâce à une action courageuse et déterminée, a réduit spectaculairement, au-delà des prévisions, le déficit public, la dette ne peut mécaniquement se réduire tant que le déficit n’est pas ramené à un certain niveau, estimé aux alentours de 3 % du PIB. En l’occurrence, le déficit de 90 milliards d’euros enregistré en 2011 est supérieur d’environ 50 milliards d’euros à celui qui permettrait de stabiliser la dette publique.
Le désendettement ne peut donc intervenir qu’après une réduction suffisante du déficit : c’est cette trajectoire qu’avait entamée avec succès le précédent gouvernement, hélas sans avoir eu le temps d’aller jusqu’au niveau permettant la réduction mécanique de la dette.
Il est donc injuste de reprocher à l’ancienne majorité de n’avoir pas réduit le niveau de la dette alors que cela n’était mécaniquement pas encore possible, surtout dans la foulée de deux crises majeures, la crise des subprimes américaine de 2008 et celle de la zone euro de 2010.
Or, selon le rapport de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques de juin 2011, la crise explique près de 40 % de notre déficit : elle a fait baisser brutalement toutes les recettes de près de 50 milliards d’euros en 2009.
Dans le même temps, le Gouvernement a dû, comme tous les gouvernements d’Europe, en 2009 et 2010, augmenter exceptionnellement les dépenses, à hauteur de 46 milliards d’euros, pour simplement protéger les Français et préserver leurs emplois.
La Cour des comptes précise qu’il convient d’ajouter 52 % de notre déficit qui est hérité du passé. C’est le déficit structurel de 2007.
Au total, c’est donc 90 % du déficit public qui, soit est hérité du passé, soit s’explique par la crise !
La Cour des comptes, contrairement à ce que nous avons entendu, analyse clairement cette situation dans les termes que je viens d’exposer, en s’appuyant sur les chiffres que j’ai rappelés.
Il est donc mensonger de vouloir faire porter le poids de l’accroissement de la dette sur les épaules du précédent gouvernement alors qu’il a dû faire face à un lourd héritage et à deux crises sans précédent, et qu’il a su néanmoins maintenir le niveau de vie global des Français.
Une autre de vos critiques porte justement sur cette réduction du déficit en 2011, que vous estimez, monsieur le rapporteur général, liée essentiellement à des événements exceptionnels et conjoncturels.
La fin du programme des investissements d’avenir et du plan de relance explique en effet une diminution de dépenses par rapport à 2010, respectivement de 33 milliards d’euros et de près de 7 milliards d’euros. Mais la gauche peut-elle vraiment critiquer ces dépenses axées uniquement sur un très fort soutien de la croissance, dont vous faites l’alpha et l’oméga de tous vos discours économiques ?
Vous parlez aussi, monsieur le rapporteur général, de diminution artificielle des dépenses, mais sans que la validité de cette observation soit concrètement établie.
Il est en tout cas paradoxal que la diminution des dépenses semble vous préoccuper et que vous la jugiez insuffisante en 2011 quand le Gouvernement et vous-même ne proposez aucune économie de dépenses jusqu’en 2014 !
En outre, je rappelle que la réduction du déficit budgétaire, en dehors des diverses mesures exceptionnelles et conjoncturelles, est évaluée par vous-même, monsieur le rapporteur général, à 14 milliards d’euros, ce qui est loin d’être négligeable. Du reste, la Cour des comptes, après avoir certifié les comptes de l’année 2011, a constaté que l’amélioration du solde budgétaire était incontestable en 2011.
Dans son rapport du 2 juillet dernier, elle a par ailleurs approuvé la stratégie du précédent gouvernement en matière de redressement des comptes sur l’ensemble du quinquennat. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Voilà, monsieur le ministre, l’état des lieux, et il contredit largement la communication gouvernementale sur le « bilan caché », ou l’« ardoise cachée », selon les journaux.
Naturellement, le groupe UMP votera ce projet de loi de règlement, mais c’est avec curiosité, mes chers collègues, que nous étudierons les projets de loi de règlement des exercices 2012, 2013 et suivants, en souhaitant, pour l’intérêt supérieur de notre pays, que le redressement amorcé et relevé par la Cour des comptes sera confirmé. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)