compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Pierre Bel
Secrétaire :
M. Jacques Gillot.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Candidature à un organisme extraparlementaire
M. le président. M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations.
La commission des finances a fait connaître qu’elle propose la candidature de M. François Marc, pour siéger au sein de cet organisme extraparlementaire.
Cette candidature a été affichée et sera ratifiée, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration d’un délai d’une heure.
3
Débat sur les résultats du Conseil européen des 28 et 29 juin 2012
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur les résultats du Conseil européen des 28 et 29 juin 2012.
Monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre délégué chargé des affaires européennes, monsieur le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, je voudrais faire état d’une première dans le cadre de l’association des parlements nationaux au processus de décision européen.
J’ai reçu de la Commission européenne, le 6 juin 2012, un courrier m’informant que douze chambres de parlements nationaux, dont le Sénat français, lui avaient adressé un avis motivé de non-conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement du Conseil relative à l’exercice du droit de mener des actions collectives.
En conséquence, la Commission m’a fait savoir que, en application du traité sur l’Union européenne, elle allait réexaminer le texte du Conseil.
Je vous rappelle que la proposition de résolution européenne adoptée par la commission des affaires européennes sur l’initiative de M. Simon Sutour était devenue résolution du Sénat le 22 mai 2012.
Il s’agit de la première mise en œuvre, à l’échelon européen, de l’article 7 du protocole annexé sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, relatif à la procédure dite de « carton jaune ».
Après cette communication, nous en venons maintenant au débat sur les résultats du Conseil européen.
Dans le débat, la parole est à M. le Premier ministre, que je remercie de sa présence. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de me trouver à nouveau devant vous. Aujourd’hui, je viens vous rendre compte de la réunion du dernier Conseil européen des 28 et 29 juin, le premier du nouveau Président de la République, François Hollande, et du nouveau gouvernement. Je le fais bien évidemment au nom du Président de la République, qui a représenté la France à ce Conseil.
Vous le savez, les enjeux étaient particulièrement lourds pour la zone euro. Un échec aurait pu déclencher une nouvelle vague d’instabilité et de spéculation, voire pire. Mais je crois que les résultats ont été à la hauteur des enjeux et qu’ils peuvent être qualifiés de positifs.
Les décisions prises sont ambitieuses non seulement pour la croissance, mais aussi pour la stabilité. Elles étaient indispensables pour répondre à l’aggravation de la crise. En effet, depuis 2008, la crise a connu plusieurs phases et a profondément changé de nature. En 2010, elle est ainsi devenue une crise des dettes souveraines. Elle s’est successivement attaquée aux États de la zone euro parmi les plus fragiles, qui ont été touchés les uns après les autres.
Certains pays ont eu le sentiment, à tort, qu’ils étaient à l’abri de tout risque de contagion. Pourtant, la contagion s’est produite : la Grèce, l’Espagne, puis l’Italie ont été successivement confrontées à des difficultés de financement, les marchés leur imposant des taux très élevés, voire insupportables. La confiance des investisseurs dans la zone euro a été considérablement affaiblie. On peut donc dire que la crise des dettes souveraines est devenue systémique.
Pour la stopper, le Conseil européen n’avait pas d’autre choix que de prendre non seulement des mesures structurelles ambitieuses, mais également des mesures de court terme.
Cela m’amène au deuxième point que je souhaite aborder.
Après dix-huit sommets de crise, l’échec n’était pas permis. L’enjeu était d’autant plus important que la succession de sommets européens, souvent présentés comme des « sommets de la dernière chance », des sommets où l’on avait trouvé la solution, où tout était réglé, a malheureusement débouché sur des réponses inadaptées ou insuffisantes. Celles-ci ont, au contraire, aggravé la crise. Il en a ainsi été dans le déroulement de la crise grecque et des autres crises nationales.
Il fallait donc changer de méthode, et le Président de la République n’est pas pour rien dans cette évolution, même s’il ne s’est pas trouvé seul.
Nous n’avons pas cédé à la tentation, qui aurait été celle de la facilité, de nous en remettre au principe d’un directoire franco-allemand. Nous avons bien sûr travaillé étroitement avec l’Allemagne, et nous devons continuer à le faire pour rechercher avec elle le maximum de convergences – en effet, si nous arrivons à un Conseil avec des divergences et que nous en sortons au même point, cela sera évidemment un échec –,…
M. Jean-Pierre Raffarin. Très bien !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre.… mais, dans le même temps, il était important de dialoguer avec nos autres partenaires. C’est ce que le Président de la République a fait dès son élection, dans un esprit d’écoute et d’ouverture, tourné vers la recherche de solutions communes.
Dans cet esprit nouveau, la relation franco-allemande a bien fonctionné et la dynamique européenne s’est remise en marche. Nous en avons vu les résultats et nous savons désormais qu’il s’agit de la bonne méthode.
Nous avons aussi retrouvé le sens du temps. Au cours des années passées, victime d’une course éperdue derrière les marchés, l’Europe a pratiqué une politique du « trop peu » ou du « trop tard ».
Lors du dernier sommet, nous avons proposé non seulement de traiter à la fois le court et le moyen terme, mais aussi d’anticiper l’avenir en proposant une vision globale de la réponse à la crise, une vision ne se limitant pas à la stabilité budgétaire.
Aussi, le troisième point que je voudrais développer devant vous concerne le pacte de croissance et d’emploi, indispensable pour réorienter l’Europe. C’était l’un des engagements du Président de la République, qui a confié au Gouvernement la tâche de rediriger l’Europe dans le sens de la croissance.
Le pacte de croissance et d’emploi adopté par le Conseil européen doit beaucoup à l’initiative et aux propositions françaises. Il constitue le pendant du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, le TSCG, qu’on appelle généralement le « pacte budgétaire ». Pour le Président de la République et le Gouvernement, ce dernier n’est que le respect des engagements pris devant les électeurs pendant la campagne électorale : parvenir à l’équilibre des comptes publics de la France à l’horizon de 2017 en procédant par étapes, comme nous le ferons dès cette année au travers de la loi de finances rectificative pour 2012 et de la loi de finances pour 2013.
Ce nouveau cadre permet de réorienter les politiques économiques européennes.
Pour la France, il s’agissait non pas de remettre nos engagements budgétaires en cause, mais d’agir pour adopter un pacte de croissance et d’emploi qui nous permettra effectivement de sortir de la panne politique dans laquelle nous nous trouvons. Ces résultats ayant été obtenus, je demanderai rapidement au Parlement, comme je vous l’ai déjà dit hier, de se prononcer sur l’ensemble de ces décisions.
Quel est le contenu de ce pacte ?
C’est d’abord une réorientation de la stratégie européenne vers la croissance et non plus seulement une approche bloquée sur ce que l’on peut qualifier d’austérité imposée à chacun des États.
Un ensemble cohérent de mesures favoriseront la croissance et l’emploi au sein de toute l’Union européenne. Cette stratégie articule dispositions nationales et dispositions européennes. Elle comporte notamment des mesures sur l’approfondissement du marché unique, l’innovation, la politique de cohésion, le soutien aux petites et moyennes entreprises.
Ainsi que je l’ai évoqué dans ma déclaration de politique générale, la politique commerciale de l’Union sera conduite dans un esprit de réciprocité et de bénéfice mutuel, pour faire échec à la concurrence déloyale. Pour arriver à ce résultat, le Président de la République a dû beaucoup batailler, tant les conceptions ultralibérales des échanges ont cours au sein même de l’Union européenne. Là aussi, le combat que nous avons mené n’a pas été sans résultats.
S’agissant des politiques de l’Union en matière de compétitivité – je pense au développement du numérique, au marché de l’énergie, à la recherche et à l’innovation –, elles devront être orientées pour renforcer l’Europe comme lieu de production et d’investissement dans les secteurs d’avenir. Tout cela n’était pas acquis : c’est le résultat de la négociation !
Ce sont aussi de nouvelles mesures de financement de l’économie pour un montant total de 120 milliards d’euros – cette somme est maintenant bien connue –, ce qui représente 1 % du PIB de la zone euro.
Tout d’abord, il a été décidé une augmentation du capital de la Banque européenne d’investissement, la BEI, de 10 milliards d’euros, laquelle permettra 60 milliards d’euros de nouveaux prêts, soit environ 180 milliards d’euros d’investissements supplémentaires grâce à des cofinancements.
Il ne faut pas non plus considérer que ce résultat était acquis. J’ai en effet entendu ou lu que tout le monde était d’accord sur cette mesure. Non, les Vingt-sept n’étaient pas tous d’accord pour augmenter le capital de la Banque européenne d’investissement ! Seule une minorité d’États l’étaient. C’est la négociation qui a permis d’aboutir à cette décision du Conseil, qui maintenant s’impose à tous.
Ensuite, il a été prévu la réallocation de 55 milliards d’euros de crédits de fonds structurels en faveur de la croissance. Il va revenir aux États de décider, avec la Commission, des modalités de redirection de certains fonds vers la formation, le financement d’infrastructures stratégiques et le financement des PME.
Enfin, il a été acté le lancement des « obligations de projet », pour un montant de 5 milliards d’euros. Certains trouveront que c’est faible. Certes, mais nous n’en sommes qu’au démarrage de cet instrument, qui connaîtra une montée en puissance après une phase de test.
Chaque État, en tout cas la France, a maintenant l’obligation d’agir pour sélectionner des projets concrets. Nous les présenterons très rapidement, car il y a urgence. Les secteurs ciblés doivent contribuer au développement durable des territoires. Le Fonds européen d’investissement sera développé, notamment en ce qui concerne le capital-risque, ce qui permettra de soutenir la création de start-up innovantes.
En outre, le pacte comprend un accord pour la mise en place d’une taxe sur les transactions financières.
Là aussi, rien n’était acquis. Tout le monde y était favorable, mais, dès lors qu’il s’agissait de franchir l’obstacle et de prendre une décision, il y avait toujours de bonnes raisons pour retarder et reporter sans cesse l’échéance. Les discussions préalables avec nos partenaires, souvent dans un cadre bilatéral, ont permis de débloquer la situation.
Les États membres n’ont pas tous accepté de se lancer. C’est la volonté de neuf d’entre eux – France, Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Italie, Grèce, Portugal et Slovénie – qui, au travers d’une coopération renforcée, va permettre de mettre en œuvre cette taxe sur les transactions financières.
Si certains pays étaient moins décidés que d’autres, je tiens à souligner que le Chancelier autrichien ainsi que le Premier ministre belge se sont toujours portés à la pointe de ce combat ; puis la France. En tout cas, partout, il y a eu débat : en Italie, la décision est venue vite ; l’Allemagne s’est prononcée par la suite.
Il nous a été reproché d’avoir reçu récemment une délégation parlementaire du parti social-démocrate allemand. Nous aurions fait là un affront ; ce n’en était pas un ! C’était simplement une façon de reconnaître que, dans chaque démocratie, surtout dans les régimes purement parlementaires, le débat devait avoir lieu, notamment avec les groupes représentés au Parlement. On sait bien que la ratification du traité en Allemagne s’est faite par une négociation entre majorité et opposition. Parmi les conditions qu’avait posées le parti social-démocrate figurait l’adoption de la taxe sur les transactions financières. Mme Merkel et son parti ont été convaincus. Je m’en félicite !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Très bien !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Il faudra convaincre M. Cameron ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Alain Richard. Ce ne sera pas nécessaire !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Nous ne l’attendrons pas pour agir. S’il le fallait, cela compliquerait tout, sur bien des sujets d’ailleurs !
M. Jean-Pierre Michel. La Grande-Bretagne n’est même pas dans l’euro !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Nous respectons évidemment les décisions du gouvernement britannique. Au reste, monsieur le sénateur, j’espère que vous-même voterez en faveur de la mise en œuvre de cette taxe.
J’en viens maintenant au quatrième point de mon intervention : l’ouverture de perspectives d’évolution pour l’Union économique et monétaire. Voilà un point qui était particulièrement attendu et, sans doute, le plus difficile.
L’Union économique et monétaire avait plus que jamais besoin de nouvelles perspectives pour retrouver la confiance. Avec le mandat confié au président du Conseil européen pour élaborer, en liaison avec les présidents de la Commission, de la Banque centrale européenne et de l’Eurogroupe, une « feuille de route » assortie d’un calendrier, en vue d’une « véritable Union économique et monétaire », un pas a été franchi.
Nous attendons beaucoup d’un tel rapport, de cette commande politique du Conseil européen, en particulier des propositions concrètes pour nous permettre d’avancer vers une plus forte intégration solidaire, comme le Président de la République l’a appelé de ses vœux, autrement dit vers une union bancaire, avec une supervision intégrée, et un gouvernement économique. La France réclame depuis très longtemps cette forme de gouvernance, qui soit davantage encore au service de la croissance et de l’emploi.
Le rapport sera présenté au Conseil européen du mois d’octobre. M. Van Rompuy va travailler vite. Il appartiendra ensuite au Conseil d’adopter, s’il est d’accord avec les propositions, un échéancier précis.
Cinquième point à noter : l’accord des membres de la zone euro sur l’assouplissement des conditions d’utilisation des mécanismes financiers, qui était également indispensable à la stabilisation à court terme.
Obtenu à dix-sept et faisant l’objet d’un texte spécifique, cet accord ne fait pas partie des conclusions du Conseil européen au sens strict, mais il s’est traduit par une déclaration des chefs d’État et de gouvernement. C’est ce qui était certainement le plus attendu, tant la capacité des membres de la zone euro à trouver un accord sur le court terme était la condition indispensable à la restauration de la confiance.
Cette déclaration introduit trois innovations. Elles vont toutes dans le sens de l’assouplissement à court terme des conditions d’utilisation des mécanismes financiers mis en place pour répondre à la crise.
La première, c’est la mise en place avant la fin de cette année d’un mécanisme de supervision unique pour toutes les banques de la zone euro. Il pourrait, c’est le souhait de la France, que l’Eurogroupe devrait confirmer, du moins je l’espère, être confié à la Banque centrale européenne.
Voilà une étape extrêmement importante quand on connaît tous les grands débats qui ont eu lieu autour du rôle de la BCE. Les choses avancent. Il serait souhaitable qu’elle joue ce rôle : telle est sa vocation, finalement, et point n’est besoin de changer les traités pour cela, seule compte la volonté politique.
Dès lors que ce superviseur renforcé sera créé, le Mécanisme européen de stabilité pourra procéder directement à la recapitalisation des banques, sans devoir en passer par l’intermédiaire des États. C’est donc un moyen de couper le lien entre l’endettement des banques et l’endettement des États, d’en finir avec un cercle vicieux dont nous n’arrivions plus à sortir. Cette avancée n’est peut-être pas celle qui a été le plus mise en avant. Je voulais la souligner devant vous.
La deuxième innovation concerne l’Espagne. Il s’agit de l’abandon du statut de créancier privilégié pour les interventions du Mécanisme européen de stabilité issues du Fonds européen de stabilité financière auquel le premier doit succéder. Cette décision devrait rassurer les investisseurs dans la solidité de la dette de l’État espagnol.
La troisième concerne l’assouplissement de l’utilisation des instruments d’aide existants pour les États qui respectent leurs engagements. À l’égard des États fournissant des efforts pour redresser leurs finances publiques et respectant les règles et les recommandations européennes, c’est-à-dire décidées en commun, la zone euro a rappelé sa détermination à agir en utilisant tous ses instruments pour stabiliser les marchés obligataires.
La Banque centrale européenne, encore elle, agira comme agent du Fonds européen de stabilité financière, et bientôt du Mécanisme européen de stabilité, pour les opérations d’achat d’obligations.
Quant à la sortie de crise des dettes souveraines dans la zone euro, que j’évoque au travers de mon propos, soyons toujours vigilants et exigeants, car elle prendra du temps, mais nous avons stoppé son aggravation et inversé la tendance. Je le répète, la France, grâce au vote des Français, a contribué à ce résultat. Nous devons donc continuer à jouer notre rôle et être d’une grande vigilance, parce que la situation, notamment en Grèce, reste très fragile.
À plus long terme, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est une réflexion globale que nous devons engager sur l’approfondissement du projet européen.
Le succès du dernier sommet nous permet d’espérer une évolution vers des réponses structurelles et pérennes à la crise de la zone euro et surtout de redonner une nouvelle perspective et une nouvelle ambition à la reconstruction européenne.
Dans ce monde nouveau qui est le nôtre, l’avenir des peuples européens passe par une Europe plus forte, plus solidaire, porteuse d’un grand projet économique, social, culturel et environnemental, qui fait encore défaut aujourd’hui et décourage les meilleures volontés. Chaque État-nation demeurera, avec son identité et sa souveraineté, mais l’ambition que nous aurons su mettre en commun nous rendra plus forts ensemble. C’est en tout cas notre responsabilité aujourd’hui ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Brigitte Gonthier-Maurin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le Premier ministre, je voudrais en tout premier lieu saluer votre présence à ce débat sur les conclusions du Conseil européen. C’est la première fois qu’un chef du gouvernement participe à ce type de débat au Sénat. J’y vois non seulement une marque de considération pour les travaux de notre assemblée, mais également un signe de l’importance des résultats de ce Conseil européen. Merci, monsieur le Premier ministre !
Il faut rappeler que, la semaine dernière, les milieux financiers bruissaient de rumeurs sur l’éclatement inévitable de la zone euro. On disait que le problème était de savoir non plus si cet éclatement aurait lieu, mais quand et comment. Or ce qui est ressorti du Conseil européen et plus précisément du « sommet » de la zone euro organisé en parallèle, c’est bien la volonté unanime de préserver cet acquis essentiel qu’est la monnaie unique.
Pour manifester clairement une telle volonté, il fallait aller plus loin que les palliatifs qui se sont ajoutés de sommet en sommet depuis deux ans. Nous obtenions un répit, puis les problèmes revenaient. Pour la première fois, il est ressorti des discussions une vision à plus long terme, une démarche plus globale, que l’on pourrait définir d’une manière générale comme un rééquilibrage.
Un rééquilibrage, d’abord, entre l’impératif d’assainissement des finances publiques et l’impératif de croissance. Ils doivent aller ensemble.
Oui, il faut rétablir les finances publiques, même lorsque la lourdeur de l’héritage rend la tâche difficile. Mais l’effort ne peut être efficace et accepté que dans un contexte plus favorable à la croissance. L’austérité est un cercle vicieux : la baisse des dépenses entraîne la baisse de l’activité, donc celle des recettes, et rend nécessaire, finalement, de nouvelles mesures restrictives.
Pour éviter ce piège, il faut compenser les effets négatifs que la maîtrise des dépenses publiques peut entraîner sur l’activité. Cela veut dire que la maîtrise des dépenses doit être sélective, qu’elle doit préserver celles qui préparent l’avenir et concourent au dynamisme économique.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. On verra tout cela dans le budget !
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Cassandre !
M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. Cela veut dire aussi que l’Union doit, à son niveau, assurer un soutien à l’activité, ce qui est fait avec les 120 milliards d’euros dégagés par le meilleur emploi des fonds structurels et l’augmentation des prêts de la BEI. Cela veut dire, enfin, que chaque État doit mener à bien les réformes susceptibles de lever les obstacles à la croissance et à l’emploi.
Ce rééquilibrage entre assainissement et croissance a été salué, y compris, il faut le souligner, par les marchés financiers, sensibles au manque de crédibilité des politiques de pure austérité. Mais il constitue avant tout un signal important pour tous les citoyens, comme, d’ailleurs, pour tous les acteurs économiques, qui ne peuvent avoir la baisse des dépenses publiques pour seul horizon.
Il s’agit, je le rappelle et j’y insiste, d’une décision du Conseil européen, qui engage les États membres, et non d’une simple déclaration d’intention.
À côté du rééquilibrage entre assainissement et croissance, le Conseil européen a engagé un deuxième rééquilibrage, entre l’impératif de surveillance mutuelle et l’impératif de solidarité, lesquels ne doivent pas non plus être dissociés.
Au sein de la zone euro, nos pays sont étroitement interdépendants ; nous le mesurons de plus en plus au fil du temps. Cela veut dire que nous devons prévenir ensemble les déséquilibres, ou empêcher leur réapparition : c’est la surveillance mutuelle.
M. Aymeri de Montesquiou. C’est la clé d’or !
M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. Cela veut dire aussi que les difficultés d’un ou plusieurs États membres retentissent sur les autres, et qu’il nous faut donc être solidaires. Ces deux principes se complètent. C’est l’« intégration solidaire », dont a parlé le Président François Hollande.
C’est pourquoi le Conseil européen, à juste titre, a prévu d’associer une supervision plus étroite à une solidarité plus grande. La possibilité de recapitaliser directement des banques est associée à la mise en place d’une surveillance bancaire unique dans la zone euro, sous l’égide de la BCE. Des interventions éventuelles du FESF, le Fonds européen de stabilité financière, et du MES, le Mécanisme européen de stabilité, sur le marché secondaire des titres de dettes sont associées au respect par les pays concernés de leurs engagements. Il y a ainsi un juste équilibre entre les droits et les devoirs. C’est l’« intégration solidaire » défendue par le Président François Hollande.
Enfin, le Conseil européen a esquissé un troisième rééquilibrage, qui n’est pas sans lien avec les deux autres, et qui concerne le fonctionnement du Conseil européen. Nous sommes sortis du schéma dans lequel les réunions étaient vouées à entériner les compromis préparés en petit comité entre la France et l’Allemagne, ou, plus exactement, entre l’Allemagne et la France, car ces compromis penchaient toujours du même côté. Nous sommes passés à un fonctionnement plus ouvert, dans lequel d’autres ont leur mot à dire, et c’est un progrès pour l’Europe. Bien entendu, tout le monde en convient, le couple franco-allemand est utile et même indispensable. Encore faut-il qu’il ne soit pas exclusif et qu’il ne prétende pas à lui seul faire la pluie et le beau temps en Europe ! Le couple franco-allemand doit, certes, favoriser la synthèse, sous réserve qu’elle intervienne à l’issue d’une préparation où il n’y a pas deux catégories d’États membres.
Je voudrais, pour terminer, souligner que les résultats de ce Conseil européen ont le mérite d’ouvrir une perspective et de s’inscrire dans la durée. Nous avons désormais l’esquisse de ce que sera une zone euro plus intégrée. Il y a, certes, encore beaucoup à faire pour parvenir à l’intégration financière, budgétaire et économique préconisée par le rapport Van Rompuy. Mais le mouvement est lancé. Pour le mener à bien, il ne faudra pas oublier la dernière des quatre orientations de ce rapport Van Rompuy, laquelle souligne la nécessité d’« assurer la légitimité démocratique et l’obligation de rendre compte ».
Les parlements – le Parlement européen mais aussi et, surtout, les parlements nationaux – devront être étroitement associés aux décisions. Nous nous situons en effet au cœur de leurs compétences, et nous traitons de domaines qui touchent directement nos citoyens. Le Sénat, je le rappelle, a déjà adopté une résolution sur ce sujet. D’ailleurs, je vous remercie, monsieur le président, d’avoir rappelé que, sur notre initiative notamment, un « carton jaune » vient, pour la première fois, d’être envoyé à la Commission sur un problème jugé par nous essentiel, celui du droit de grève. Cela montre que l’application du traité de Lisbonne nous donne des pouvoirs réels, qu’il nous faut appliquer de manière utile. Tel est le cas, puisqu’en cette matière de droit de grève, sur notre initiative, plus d’un tiers des parlements nationaux se sont prononcés contre la proposition de la Commission, laquelle doit maintenant revoir sa copie. Et nous entendons qu’elle le fasse dans un sens plus juste !
Je conclus en indiquant que le Conseil européen de la semaine dernière n’est pas un point d’arrivée. Le chemin à faire reste considérable, c’est entendu, mais nous avons pris un meilleur itinéraire, qui nous donne plus de chances d’arriver au but, et il me semble que c’est déjà beaucoup ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)