Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Claude Jeannerot, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des affaires sociales soutient la motion tendant à opposer la question préalable.
Alors que l’ambition affichée de ce texte est de réorganiser les relations sociales dans le secteur des transports aériens, celui-ci nous est soumis sans dialogue social en amont. Nous estimons donc qu’il n’y a pas lieu d’en délibérer.
J’ajoute que cette proposition de loi, telle qu’elle est rédigée, est contraire à l’esprit de la loi Larcher sur le dialogue social, dont l’une des dispositions, rappelez-vous, mes chers collègues, prévoit qu’il n’est pas possible de modifier le code du travail sans organiser, au préalable, le dialogue social.
Par ailleurs, le véhicule législatif retenu, à savoir une proposition de loi, n’est ni adapté ni convenable.
Aucune étude d’impact n’a été réalisée, alors même que les dispositions concernées touchent à un secteur, le transport aérien, d’une immense complexité, ce que nous avons démontré.
Le Conseil d’État n’a pas donné son avis, alors même que l’on peut s’interroger sur le caractère constitutionnel des dispositions proposées. D’ailleurs, nous allons sûrement saisir le Conseil constitutionnel sur cette question, qui aura probablement à y redire !
Enfin, et surtout, aucune concertation sociale préalable n’a été organisée dans la mesure où le dépôt d’une proposition de loi permet d’y échapper.
Dans ces conditions, il ne nous est pas possible d’accepter le principe même de cette discussion qui va à l’encontre de fondamentaux qui sont, à nos yeux, essentiels. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Procaccia, contre la motion.
Mme Catherine Procaccia. Surprise, surprise ! Alors que la commission des affaires sociales s’est réunie ce matin, nous avons découvert à quatorze heures trente qu’une motion tendant à opposer la question préalable avait été déposée. Les membres de la commission se sont retrouvés, il y a quelques instants, durant la suspension de séance, pour en délibérer et apprendre que c’était le rapporteur lui-même qui en avait eu l’idée !
Alors que nous savons depuis un certain temps que ce texte est inscrit à l’ordre du jour de nos travaux, pourquoi la majorité sénatoriale vient-elle subitement de choisir cette procédure ? Que s’est-il passé à l’heure du déjeuner ? Avez-vous, mes chers collègues, reçu des consignes de la rue de Solferino (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.),…
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Pas moi !
Mme Catherine Procaccia. … des consignes de Dijon – je ne vois pas M. Rebsamen – ou de l’avenue de Ségur ?
Le groupe UMP est vraiment très surpris de l’acharnement quasiment thérapeutique que subit cette proposition de loi, qui répond, pourtant, aux attentes des Français.
Mais j’en viens aux arguments qui ont été avancés pour justifier le dépôt de cette motion.
Vous avez indiqué, monsieur Labazée, qu’il s’agissait d’une proposition de loi purement circonstancielle.
À l’instar de notre collègue Louis Nègre, j’ai indiqué, lors de la discussion générale, que cette idée circulait chez les parlementaires depuis un certain nombre d’années. En effet, ainsi que l’a rappelé M. le ministre, le nombre de conflits sociaux dans les transports aériens n’est pas en voie de diminution, bien au contraire !
Il y a peu de temps encore, étaient en grève les personnels de la sûreté aéroportuaire. Auparavant, c’étaient des personnels navigants commerciaux et des pilotes. C’est l’ensemble de la chaîne aéroportuaire qui est affectée, empêchant les avions de décoller. Or, je le répète, ce sont toujours les passagers qui sont pris en otages, ce qui est intolérable.
M. le ministre l’a souligné, ce texte n’a pas été inscrit à l’ordre du jour de nos travaux parce qu’une grève a eu lieu la semaine dernière, ni parce qu’on en annonce une autre sous peu, ni même parce que c’est la troisième fois que des grèves sont systématiquement organisées lors des vacances scolaires.
M. Jacques Legendre. Eh oui !
Mme Catherine Procaccia. Cette proposition de loi a pour objet de mettre fin à ces pratiques, des pratiques que la majorité sénatoriale approuve, puisqu’elle refuse la mise en place d’un processus de dialogue social pour y mettre fin. Et pourtant, les 360 conflits que nous connaissons en moyenne, chaque année, dans le secteur aérien auraient parfaitement justifié que nous légiférions pour essayer d’améliorer les choses.
Pour l’instant, rien n’est prévu pour les usagers, et la désorganisation règne dans les aéroports en cas de grève comme en cas de problème météorologique.
Deuxième argument pour justifier la question préalable : il n’y aurait pas eu de dialogue avec les partenaires sociaux et la procédure n’aurait pas été respectée.
Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué la loi Larcher, dont j’ai été rapporteur. Elle ne contenait aucun élément imposant le dialogue social avant le vote des textes d’origine parlementaire.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est pour cela que vous avez choisi la voie de la proposition de loi !
M. Claude Jeannerot, rapporteur. Tout à fait !
Mme Catherine Procaccia. Cela faisait pourtant partie des dispositions que j’avais voulu y intégrer, afin que les parlementaires aient à respecter les délais nécessaires, mais il n’en a pas été décidé ainsi.
Dernièrement, à l’occasion de l’examen de la proposition de loi garantissant le droit au repos dominical, présentée par Mme Annie David, j’avais également proposé d’intégrer l’obligation pour les parlementaires de respecter le temps du dialogue social, mais vous avez voté contre. Alors, pardonnez-moi, mais il y a une certaine contradiction entre vos propos et votre attitude !
Par ailleurs, je trouve que le rapporteur fait preuve de beaucoup d’humour en parlant d’auditions. En effet, pour la première fois depuis très longtemps, les auditions organisées par le rapporteur n’ont pas été ouvertes à l’ensemble des membres de la commission, contrairement à ce qui se passe depuis des années à la commission des affaires sociales.
Le jour même où M. Jeannerot a été chargé de ce rapport, deux autres rapporteurs, qui présenteront d’ailleurs leur texte demain, ont été désignés. Eux, en revanche, ont trouvé le temps d’ouvrir leurs auditions à l’ensemble des commissaires des affaires sociales. Comme par hasard, il n’y a que sur ce texte que l’opposition sénatoriale n’a pas été autorisée à écouter les partenaires sociaux. Alors ne nous parlez pas de dialogue social, ni de dialogue préalable !
Vous savez ce que l’on dit : il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Cela s’applique bien à vous, madame Procaccia !
Mme Catherine Procaccia. Vous connaissez aussi la parabole de la paille et de la poutre. Je cite cette parabole de l’évangile car, ce matin, le rapporteur a évoqué à plusieurs reprises le péché originel de cette proposition de loi. Le péché, c’est de vouloir légiférer dans ce domaine !
Troisième argument justifiant la question préalable : cette proposition de loi contiendrait des dispositions de nature à porter gravement atteinte au libre exercice du droit de grève.
Saisi par vous-mêmes, le Conseil constitutionnel a déjà tranché en août 2007, après la loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs : il n’y a pas d’atteinte au droit de grève ; il n’y a pas de délai disproportionné.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Vous mélangez tout !
Mme Catherine Procaccia. En défendant cette motion, vous ne parlez que du seul droit de grève des salariés. Il n’est absolument pas question d’un autre droit constitutionnel : la liberté de circuler, de travailler, ...
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. On peut circuler quand les avions ne volent pas !
Mme Catherine Procaccia. ... le droit des passagers !
Enfin, s’agissant de la mission de service public, vous faites, là encore, preuve de contradiction puisque, en commission, vous avez rejeté mes amendements qui concernaient les missions de service public et la continuité territoriale, en particulier avec l’outre-mer. Alors que nous venons de créer une délégation sénatoriale à l’outre-mer, c’est vraiment faire fi des décisions qui sont prises au sein de notre assemblée !
Je conclus en rappelant que, la semaine dernière, Mme la présidente de la commission des affaires sociales a demandé le retrait de ce texte. Après la proposition de loi Warsmann, c’est une nouvelle proposition de loi que vous refusez d’étudier, d’amender et de faire évoluer. Au nom du groupe UMP, je dénonce ces pratiques qui ont cours depuis plusieurs mois au Sénat et qui remettent en cause le bicamérisme.
M. Charles Revet. Eh oui !
Mme Catherine Procaccia. En renvoyant les propositions de loi, reprochant sans arrêt qu’il ne s’agisse pas de projets de loi, vous niez notre rôle d’initiative parlementaire.
En l'occurrence, il s’agit donc d’une proposition de loi et nous avons démontré qu’elle existait depuis longtemps. Mais vous refusez que l’on étudie ce texte d’origine parlementaire. Sans l’amender, vous le renvoyez à l’Assemblée nationale, donnant à celle-ci la possibilité de faire ce qu’elle veut.
Le groupe UMP s’oppose à cette entreprise de démolition du Sénat et votera naturellement contre cette motion. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Thierry Mariani, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai envie de répéter ce que j’ai déjà dit puisqu’il semble que je n’aie pas réussi à vous convaincre de notre bonne foi. Mais n’est-ce pas une mission impossible ? (Mme Isabelle Debré approuve.)
Cette proposition de loi n’est en rien un texte de circonstance et, je le répète une fois de plus, elle n’a aucun lien direct avec le tout dernier conflit qui a affecté la sûreté aéroportuaire. En témoigne la date de son dépôt.
Par ailleurs, j’observe que d’autres propositions de loi sur le même sujet ont été déposées depuis l’été 2011.
Mme Isabelle Debré. Bien avant !
M. Thierry Mariani, ministre. Avec ce texte, il s’agit non pas d’entraver le droit de grève, mais, au contraire, d’accorder la primauté au dialogue social et à la prévention des conflits, préoccupation que nous pouvons tous partager.
L’objectif de ce texte, je le répète une fois de plus, n’est pas de porter le discrédit sur les organisations syndicales, ni d’opposer les salariés aux passagers du transport aérien, et encore moins de réformer les règles relatives à la réquisition.
Nous le savons tous, cette proposition de loi n’empêchera en aucun cas les personnels concourant au transport aérien de faire grève. En revanche, le fait qu’ils se déclarent permettra aux entreprises de connaître par avance l’état de leur effectif et d’informer les passagers. Il est légitime de chercher à protéger les clients des compagnies aériennes.
Je me permets de rappeler qu’à ma connaissance il n’y a aucun pays en Europe où il n’existe pas de réglementation.
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Thierry Mariani, ministre. Quand je me suis rendu à Rome pour signer l’avenant au traité de Turin de 2001 relatif à la liaison ferroviaire Lyon-Turin avec mon homologue italien, ce dernier m’a expliqué qu’en Italie un accord existait aux termes duquel les grèves étaient interdites à certaines dates, et ce afin d’éviter que les voyageurs ou les entreprises ne soient pénalisés pendant ces périodes.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous allez citer l’Allemagne !
M. Thierry Mariani, ministre. Quand je me suis rendu en Allemagne la semaine dernière pour le Conseil des ministres européens des transports, mon homologue allemand, M. Peter Ramsauer, m’a dit que ce qui se passait en France était impossible dans son pays !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il y a tellement de choses qui sont différentes !
M. Thierry Mariani, ministre. Depuis, j’ai fait le point des grands pays européens. Aucun d’eux ne connaît ce genre grève non encadrée...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Empêchée !
M. Thierry Mariani, ministre. Non, je répète, « encadrée » !
Dans les autres grands pays européens, le droit de grève existe, mais il est encadré afin de garantir aux passagers un minimum de droits.
Cette proposition de loi me paraît donc concilier le respect du droit de grève et la légitime préoccupation d’assurer la liberté de se déplacer.
Pour ce qui concerne le dialogue avec les partenaires sociaux, je rappelle d’abord que, lors de ses travaux, M. Diard a très largement consulté les partenaires sociaux du secteur : vingt-huit personnes ont été auditionnées. De plus, les rapporteurs des deux assemblées ont auditionné les représentants des organisations sociales et professionnelles.
En conclusion, il convient de préciser que l’article L.1 du code du travail ne trouve pas à s’appliquer au présent texte dans la mesure où il s’agit d’une proposition de loi et qu’il ne porte pas sur un texte relatif à une négociation nationale et interprofessionnelle.
Tout comme Mme Procaccia, je suis très surpris par l’argument selon lequel il est regrettable qu’il s’agisse d’une proposition de loi et non d’un projet de loi. Pour avoir siégé dix-sept ans à l’Assemblée nationale, je peux vous dire que les parlementaires se plaignent plutôt, et à juste titre, de voir le Gouvernement monopoliser les initiatives et souhaiteraient, eux, en avoir davantage !
Franchement, si cela vous choque qu’un texte d’origine parlementaire soit discuté, je me demande à quoi servent l’Assemblée nationale et le Sénat ! Que des parlementaires, quel que soit leur bord, quelle que soit leur assemblée, fassent des propositions qui aillent jusqu’à leur terme, c’est tout de même la moindre des choses !
Mesdames, messieurs les sénateurs, si vous deviez adopter cette motion portant question préalable, à laquelle je suis défavorable, je ne pourrais que vivement le regretter car, ce faisant, vous rejetteriez une proposition de loi dont le texte aurait pu être enrichi. Je pense, et je persiste à le dire, que cette proposition de loi est particulièrement utile pour nos concitoyens comme pour l’ensemble du secteur aérien, où elle permettra d’améliorer le dialogue social. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour explication de vote.
M. Vincent Capo-Canellas. Nos collègues socialistes nous proposent de voter d’emblée la question préalable. Une autre solution consistait à vider peu à peu le texte de son contenu. Nous pourrions considérer que les deux solutions se valent. Pour autant, opposer la question préalable à cette proposition de loi, c’est estimer que le sujet n’est pas tel qu’il mérite d’être discuté, amendé.
Tout à l’heure, M. le rapporteur a admis l’exaspération légitime des passagers. Et pourtant, vous prenez la responsabilité, mes chers collègues de gauche, de refuser que soit mis en place un dispositif de prévention des conflits, d’information des passagers dans le secteur aérien. Ce n’est pas le moment de décider sur ce sujet, semblez-vous dire.
Puisque votre conception est différente de celle qui prévaut dans cette proposition de loi, vous auriez dû – c’eût été à votre honneur ! – tenter de proposer un dispositif différent. Vous auriez alors eu à trouver une voie entre le respect du droit de grève et le respect des passagers. Dommage que vous fuyiez ce débat !
Amender un texte, c’est jouer le rôle du législateur. A contrario, opposer la question préalable sur un tel sujet, c’est refuser par avance l’apport du Sénat. Je ne suis pas sûr que ce soit l’intérêt de la Haute Assemblée.
M. Vincent Capo-Canellas. Appeler au dialogue social en cet instant, avant les élections, est-ce inopérant ? Légiférer deux mois avant une élection importante est-ce devenu un exercice impossible ? Autant décider d’avancer la fin de la session et mettre tout de suite le Parlement en vacances.
M. Vincent Capo-Canellas. Bien entendu, nous voterons contre cette motion tendant à opposer la question préalable car, sur le fond, nous sommes pleinement favorables au présent texte. Il est équilibré et nécessaire. Même M. le rapporteur, pourtant opposé à la proposition de loi, en a reconnu la nécessité en commission, déclarant qu’il était tout à fait « conscient des difficultés que rencontrent les voyageurs en cas de perturbation du trafic aérien consécutive à un conflit social ».
Lorsque l’on est conscient des difficultés que causent de tels conflits dans la vie de nombreux usagers, on est aussi conscient de la nécessité de faire quelque chose. L’argument du délai importe peu, car il est toujours temps de bien faire !
Naturellement, il s’agit de respecter le droit de grève, droit constitutionnel auquel nous sommes viscéralement attachés. De ce point de vue, aucune preuve n’a été faite qu’il y avait une difficulté majeure. On a vu que le texte de 2007 s’appliquait.
Il s’agit de concilier doit de grève et continuité du service, ni plus, ni moins. Lors de la discussion générale, j’ai rappelé que le groupe de l’Union centriste et républicaine était attaché au droit de grève, au dialogue social mais, bien évidemment aussi, au droit des passagers et au respect d’un minimum d’organisation dans le transport aérien. En cela, le présent texte est un texte équilibré, car c’est précisément ce à quoi il tend.
Il ne remet pas en cause le droit de grève ; je le répète, parce que c’est la clé. Cette proposition de loi n’instaure absolument pas un service minimum dans le service de transport aérien. Cela supposerait de parvenir à limiter le droit de grève ou de réquisitionner certains personnels, ce qui n’est pas l’objet du texte. Je signale au passage que les réquisitions sont d’ores et déjà possibles aujourd’hui pour certaines catégories de personnels.
En fait, cette proposition de loi peut contribuer à prévenir les conflits en relançant le dialogue social, avec un gros bémol toutefois : contrairement à ce qui existe pour les transports terrestres, la négociation d’accords-cadres de prévention des conflits est ici facultative.
En tout état de cause, la proposition de loi permettrait d’améliorer sensiblement l’information des usagers. Il n’y a rien de choquant à demander aux grévistes de se déclarer individuellement quarante-huit heures avant de cesser le travail, afin que le service puisse être organisé au mieux et que les usagers disposent d’une information fiable.
Ayant eu à connaître, dans des fonctions antérieures, de l’organisation dans les aéroports, j’ai été frappé d’entendre les témoignages des personnels qui, dans l’urgence, sont contraints d’accueillir des passagers en dérive, en plein désarroi, des passagers qui sont obligés de dormir sur place plusieurs nuits consécutives, pour qui des fonctions basiques, telles que la toilette, deviennent une préoccupation majeure, et dont les enfants ne peuvent être accueillis dans de bonnes conditions.
Pour les personnels des aéroports et des compagnies, ces questions-là sont difficiles à traiter. Légiférer comme nous le souhaitons, c’est aussi prendre en compte la situation des personnels au sol qui doivent gérer ces passagers en détresse. Cette situation, qui se présente aussi dans le transport terrestre, a été réglée, et cela ne choque personne.
Enfin, reste la question du délai minimum de « dédit ». Nous n’allons pas refaire le débat que nous avons eu à ce sujet, mais nous savons pourquoi il était nécessaire. L’abus de la déclaration d’intention est une réalité et elle vide de son contenu tout le dispositif du service minimum dans les transports terrestres. Il fallait donc réagir.
Pour toutes ces raisons, les membres du groupe Union centriste et républicaine voteront contre la motion opposant la question préalable. (Applaudissements sur les travées de l'UCR et de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Louis Nègre, pour explication de vote.
M. Louis Nègre. Il me semble opportun de reprendre les grandes lignes de l’argumentaire défendu par les auteurs de la question préalable.
Tout d’abord, selon eux, la proposition de loi serait « de nature purement circonstancielle ». C’est faux, archifaux, nous l’avons démontré ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est convaincant…
M. Louis Nègre. Ensuite, le texte n’aurait « fait l’objet d’aucun dialogue préalable avec les partenaires sociaux. » Mais c’est le contraire de la vérité ! Je le disais tout à l’heure, et je persiste. Que trouve-t-on en effet dans le rapport de l’Assemblée nationale ? Sous le titre « Liste des personnes auditionnées », l’énumération suivante : CFDT, CFTC, CGC, CGT, Force Ouvrière, Syndicat national des pilotes de ligne, Union syndicale des syndicats autonomes, Syndicat professionnel, Union française des pilotes de ligne, avec sous chaque rubrique le nom des intéressés. Tout le monde a été consulté ! Et vous prétendez qu’il n’y a pas eu de consultation !
M. Claude Jeannerot, rapporteur. Moi aussi, je les ai reçus !
M. Louis Nègre. Enfin, la proposition de loi comporterait « des dispositions de nature à porter gravement atteinte au libre exercice du droit de grève des salariés ». En quoi ? Elle vise simplement à prévoir que les salariés devront se déclarer grévistes. Quand vous voulez faire grève, vous assumez votre choix, c’est normal ! Dans un pays démocratique, on est totalement libre de suivre ou non un ordre de grève.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Vous ne savez pas de quoi vous parlez !
M. Louis Nègre. C’est un droit, et c’est même un honneur de se déclarer en grève. À partir de là, où est le problème ?
En évoquant une grave atteinte à l’exercice du droit de grève, vous passez sous silence les nombreuses remises en cause du droit d’aller et venir de nos concitoyens. Vous oubliez surtout l’article 7 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, selon lequel « le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent. »
M. Louis Nègre. Si nous sommes tous d’accord pour dire que le droit de grève est un principe constitutionnel, n’oublions pas de préciser « dans le cadre des lois qui le réglementent ». Cette proposition de loi est donc la bienvenue.
Monsieur le rapporteur, vous avez « récusé » – c’est le terme que vous avez utilisé – la méthode retenue. Mais je vous ai déjà répondu sur ce point.
Vous avez également invoqué l’engagement de la procédure accélérée. Mais oui, mon cher collègue, à nos yeux, il y a urgence ! Après mille grèves en trois ans, vous estimeriez qu’il ne faut rien faire ! Si nos collègues et le Gouvernement n’étaient pas montés au créneau, où en serions-nous aujourd’hui ?
Quant à dire, monsieur le rapporteur, qu’il ne s’agit pas d’une réponse adaptée, j’en suis beaucoup moins sûr que vous. La même inspiration est en effet à l’origine de cette proposition de loi et de la loi du 21 août 2007 sur le dialogue social dans les transports terrestres,…
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Sur la continuité du service public dans les transports terrestres !
M. Louis Nègre. … que le parti socialiste et son candidat ont finalement décidé d’intégrer dans leur programme. Je le répète, oui, c’est une réponse adaptée !
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Cette loi concernait le service public !
M. Louis Nègre. Enfin, vous déclarez qu’il faut cesser d’opposer les personnels et les passagers ? Mais qui les oppose ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous !
M. Louis Nègre. Et qui pense aux passagers ? Des voyageurs sont abandonnés dans les aéroports, trouvez-vous que ce soit normal ?
M. Claude Jeannerot, rapporteur. Non !
M. Louis Nègre. Il faut agir !
La proposition de loi vise à introduire un système préventif. Vous auriez dû l’accueillir favorablement, pour mieux l’adapter.
J’évoquerai enfin ce qui me paraît le plus grave dans votre attitude. Comme vous, j’ai été élu au Sénat pour m’exprimer au nom du peuple. La démocratie se manifeste au travers du Parlement et de son fonctionnement bicaméral. L’adoption de cette question préalable, aux termes de laquelle « le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi », reviendrait à se tirer non pas une balle, mais deux balles dans le pied.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Aïe ! (Sourires.)
M. Louis Nègre. M. Jospin, qui avait, chacun s’en souvient, qualifié le Sénat d’« anomalie démocratique », verrait ainsi ses propos validés. Êtes-vous une anomalie démocratique ? Non, fort heureusement ! Pourquoi, dès lors, persister dans l’erreur et empêcher toute discussion démocratique ?
Selon moi, vous faites fausse route et donnez une mauvaise image du Sénat et des sénateurs, qui ont été élus pour travailler, éventuellement pour se confronter les uns aux autres, pour le plus grand bien de nos concitoyens. Je regrette donc profondément votre décision. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Peut-être l’avez-vous oublié, monsieur Nègre, mais le Sénat s’est déjà trouvé dans l’opposition. Il avait alors adopté de multiples questions préalables…
Par ailleurs, les casiers des assemblées sont pleins des propositions de loi déposées par les parlementaires. Vous le savez très bien, ce qui compte, c’est le moment où on les met en discussion. Or il est évident que la proposition de loi dont il est question a été inscrite à l’ordre du jour de nos travaux de façon tout à fait « opportune ». Encore une fois, le candidat-président ou le président-candidat, son gouvernement et sa majorité présidentielle veulent faire adopter une loi antisociale.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Si c’était le cas, vous devriez nous laisser faire !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous cultivez sans doute votre électorat avec cette loi d’affichage.
Quelle est l’efficacité des lois que vous avez adoptées ? Aux dires du Président de la République, les grèves ne se verraient même plus…. Et aujourd’hui, vous vous plaignez qu’il y ait des grèves partout et qu’elles empêchent les gens de partir en vacances. Alors, il faut savoir !
Ne l’oubliez jamais, si les salariés ont des congés, c’est grâce aux grèves de 1936 ! (Vives exclamations sur les travées de l'UMP.) Oui, ne l’oubliez pas ! Ce n’est pas le dialogue social qui leur a donné le droit aux vacances ! Et s’ils ne prennent pas l’avion pour partir, c’est qu’ils n’ont pas l’argent, voilà la réalité.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. On n’est plus en 1936 ! On est au XXIe siècle !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela vous met en colère, mais c’est vrai !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Plus ridicule, tu meurs !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. En soumettant des salariés du privé à une déclaration préalable de grève et à une déclaration de reprise d’activité – pire encore, vous voulez sanctionner le défaut de déclaration de reprise d’activité –, non seulement vous échafaudez un édifice bureaucratique (Rires et exclamations sur les travées de l'UMP.) rendant plus difficile l’exercice du droit de grève, mais en outre vous permettez que s’exercent, au sein des entreprises, des pressions inacceptables sur les salariés, en les individualisant au sein d’un mouvement collectif. Le droit de grève, c’est un droit collectif !