Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Renault peut le décider ! Il suffit de réduire les marges.
M. Pierre Hérisson. J’entends déjà les critiques : l’usine que Renault inaugure aujourd’hui à Tanger serait la porte ouverte à toutes les délocalisations. Néanmoins, la réalité économique est celle d’une production mondiale et d’une concurrence internationale.
Mme Éliane Assassi. Mais quelle réalité ?
M. Pierre Hérisson. Nous ne pouvons l’ignorer, bien que nous regrettions qu’il en soit ainsi et que nous n’ayons peut-être pas suffisamment anticipé cette évolution.
Certes, nous n’avons peut-être pas le marché du travail le plus attractif au monde. L’acharnement de certains à handicaper notre compétitivité en s’accrochant à de vieilles lunes n’y est certainement pas étranger. Cependant, grâce aux politiques menées depuis 2002, la filière automobile demeure une réalité industrielle dans notre pays. Nous devons le dire et le répéter !
Des résultats concrets le prouvent : par exemple, Renault est en train de rapatrier en France toute sa gamme de véhicules utilitaires et des entreprises étrangères s’installent dans notre pays. Dans le département dont je suis l’élu, la Haute-Savoie, l’entreprise de fabrication de roulement mécanique SNR, à laquelle je faisais référence tout à l'heure, a choisi, par son regroupement avec le japonais NTN, d’aller plus loin dans son implantation et dans la réindustrialisation du territoire. Elle a créé quelque 4 000 emplois en CDI dans la région Rhône-Alpes, ses effectifs étant plus importants qu’avant la fusion. Je crois que ce point mérite d’être souligné ici.
Cette évolution a été rendue possible par la diversification : dans cette perspective, et grâce à la fusion et à un niveau élevé de recherche et de développement, cette société a pu devenir le leader du roulement ferroviaire et elle est en passe de dominer le secteur de la construction des éoliennes. Notre devoir est donc d’aider à la diversification des filières, en particulier en promouvant la recherche et le développement dans les énergies nouvelles.
Certes, la course à l’innovation est difficile. Elle doit être aidée. Nous n’avons pas toujours pu gagner sur tous les plans, mais la France est bien loin d’être en retard. Elle est même en pointe technologiquement – je le tiens des auditions de ces derniers jours – sur les questions de protection de l’environnement. PSA sera le premier constructeur mondial à produire un véhicule hybride diesel. Ses travaux sur les moteurs font de Renault l’une des entreprises les plus performantes en matière de recherche et de développement.
J’émettrai un seul regret, sous forme de clin d’œil : le meilleur motoriste du monde travaille pour des véhicules de Formule 1 qui ont pour sponsor une boisson sucrée. Nous pourrions faire davantage pour la reconnaissance de la marque, me semble-t-il. Le Red Bull a probablement son utilité, mais pas dans l’automobile…
Je le répète, la concurrence internationale est vive, et même parfois sans merci. On ne fait guère de sentiment dans ce secteur ! Toutefois, notre industrie y réussit, puisque PSA réalise aujourd’hui hors de France 42 % de son chiffre d’affaires, qui ne cesse d’augmenter. Est-ce le signe du déclin d’une filière nationale pour laquelle la marque, la recherche et le développement, ainsi que la reconnaissance restent des éléments très importants ? De même, 75 % des véhicules de Renault sont vendus à l’international ; voilà une preuve supplémentaire que le savoir-faire français est reconnu partout dans le monde.
Mes chers collègues, ces deux chiffres prouvent bien que le parc automobile européen est saturé et qu’il faut conquérir des parts de marché à l’international, ce qui suppose, si nous voulons conserver cette production sur notre territoire, de desserrer un certain nombre de contraintes. Il s'agit bien de produire en France et de nous donner les moyens d’être compétitifs.
Je le répète, notre industrie automobile reste pleine de promesses et d’espoirs. Elle demeure un vivier d’emploi et d’innovation, même si l’on peut s’inquiéter des regroupements, des délocalisations ou des relocalisations sur le territoire national, qui portent atteinte au tissu industriel d’une région, parfois d'ailleurs au profit d’une autre.
Il nous faut donc cesser au plus vite de verser dans le catastrophisme et de nier toutes les réalités de l’une des filières françaises les plus renommées au monde. Comment pouvons-nous seulement espérer rivaliser avec les autres nations productrices d’automobiles si certains continuent à dénigrer sans cesse ce qu’il y a de meilleur chez nous ?
C’est pourquoi nous devons continuer, comme nous le faisons depuis dix ans, Gouvernement et représentation nationale, à soutenir et à encourager la filière automobile nécessaire tant à notre tissu industriel qu’au rayonnement de la France dans le monde. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’industrie automobile produit dans notre pays 2 millions de véhicules chaque année ; elle représente 445 000 emplois directs et au moins autant dans la distribution et les services.
Cette industrie souffre actuellement de nombreuses difficultés, comme l’actualité nous le rappelle tous les jours. La situation résulte pour l’essentiel d’une saturation du marché des pays européens. Pour y faire face, les choix effectués jusqu’à présent ont été d’accroître les exportations dans un contexte de compétitivité insuffisante et de guerre économique effrénée, ce qui a entraîné des délocalisations, des réductions d’effectifs, des licenciements massifs et des fermetures d’ateliers, voire de sites, conduisant à terme à des difficultés dramatiques dans de nombreux territoires de notre pays.
Ces décisions sont la conséquence d’une vision purement comptable, financière et court-termiste. Elles s’accompagnent de pressions très fortes sur les PME sous-traitantes et de menaces quant à leur existence. Elles ne créent pas d’emploi en France et en suppriment même beaucoup.
Il est courant d’aborder la question de la politique industrielle sous l’angle des coûts, qu’il s’agisse de ceux du travail ou de ceux de la production, ainsi que de la productivité. Mes chers collègues, je souhaiterais, quant à moi, les envisager au travers d’un autre prisme, celui d’une réalité territoriale et – j’y insiste – humaine.
Comme Éliane Assassi et Claude Dilain, ici présents, je suis élue d’un territoire, la Seine-Saint-Denis, sur lequel PSA est établi depuis 1973 à Aulnay-sous-Bois.
Le site comptait en 2004 près de 5 000 contrats à durée indéterminée et environ 1 700 contrats précaires, postes pour la plupart occupés par des habitants du département. À ce jour, il ne reste plus que 3 000 CDI, dont 2 400 ouvriers, et 330 intérimaires. Ce sont 50 % des emplois industriels en Seine-Saint-Denis qui ont ainsi disparu !
Quand on connaît les difficultés qui s’accumulent sur ce territoire, dont la population est massivement frappée par la crise, il y a de quoi s’inquiéter.
Cette situation risque de s’aggraver avec la menace de fermeture qui pèse à présent sur tout le site. Je dis bien qu’elle « risque » de s’aggraver, car il règne actuellement une telle incertitude que même les principaux intéressés, à savoir les salariés, leurs représentants syndicaux, les sous-traitants et les fournisseurs, ne sont ni informés ni associés.
Il est de notre devoir d’être vigilants, et je voudrais, après Éliane Assassi, dire tout mon soutien aux salariés et cadres inquiets, ainsi que ma volonté, en tant que parlementaire, de travailler à des solutions.
L’entreprise doit assumer sa responsabilité à l’égard de son environnement territorial, des salariés et des élus locaux ; sa stratégie doit être discutée avec ces derniers, en amont, c'est-à-dire dès maintenant, sur les choix qui les concernent directement. Et il en va de même pour les autres sites, en Franche-Comté, dans le Nord et ailleurs.
Toutefois, mes chers collègues, nous devons regarder la réalité en face. Je serai directe, parce que j’ai peu de temps.
Pour relancer les emplois industriels, il est grand temps, selon les écologistes, d’entamer également une démarche de conversion du secteur automobile. Nous n’annonçons pas la fin de l’automobile individuelle, mais la fin du « tout automobile individuelle ».
En effet, l’automobile individuelle est tout simplement en train d’occuper une place moins importante dans le système des transports, non seulement parce qu’il est nécessaire de contribuer à la lutte contre le dérèglement climatique et à la décarbonisation de l’économie, non seulement parce que l’épuisement des ressources naturelles non renouvelables, notamment le pétrole, rend ces dernières de plus en plus chères, mais aussi parce que nos concitoyens évoluent dans leurs comportements du fait de la saturation des villes, qui entraîne de graves problèmes de partage de la voirie et de l’espace public.
De nouvelles pratiques de consommation se développent fortement, telles que le recours accru aux transports en commun, le covoiturage entre salariés, les associations d’autopartage. C’est un fait, et les chiffres sont là : la voiture est utilisée de temps en temps, pour certains trajets, et non en permanence.
Il faut donc penser, dès maintenant et dans les dix ans à venir, à la reconversion de l’appareil de production et des salariés de l’industrie automobile. Sur quelles bases peut se redéployer cette dernière ?
Il est impératif de poser la question maintenant, sinon cette évolution se fera comme celle de la sidérurgie dans les années quatre-vingt, dans l’urgence, c’est-à-dire mal. Plutôt que de subir la situation, nous proposons de la préparer pendant qu’il est encore temps.
Dans cette perspective, il faut mettre autour d’une même table les salariés, leurs représentants syndicaux, les dirigeants des entreprises, l’État, les collectivités locales et d’autres acteurs, publics et économiques.
L’objectif d’un tel collectif doit être, dans un premier temps, de diagnostiquer les savoir-faire et les compétences collectives existant sur un site.
Dans un deuxième temps, il s’agira de définir des produits correspondant à l’outil de production existant et au savoir-faire de l’entreprise, afin de repositionner celle-ci sur un créneau industriel qualitatif, en prenant en compte les indicateurs sociaux et environnementaux et les besoins et spécificités du territoire.
Enfin, il faudra mettre en œuvre une transition industrielle, en assurant l’adaptation des machines et la formation du personnel, sans casser le collectif de travail, sans disperser les salariés et en leur assurant donc une sécurité sociale professionnelle.
Pour le secteur automobile, plusieurs orientations sont envisageables. Il faut faire évoluer la voiture vers un produit du XXIe siècle, en développant une anti-obsolescence programmée pour des véhicules plus robustes et solides et en créant des automobiles beaucoup moins dépendantes du pétrole et plus recyclables.
Il est nécessaire aussi de renforcer la filière du recyclage, potentiellement créatrice de très nombreux emplois, et de penser l’évolution des centres de production afin de rendre possible la mutualisation de certaines chaînes de production pour des produits différents : il faut passer de la fabrication de la voiture à celle d’autres produits industriels à définir.
Je citerai un seul exemple, qui ne doit pas être sur-interprété, mais qui est tout de même significatif : l’usine Bosch de Vénissieux, en 2011, à la suite d’un long travail de réflexion associant tous les acteurs concernés, s’est réorientée vers le montage de panneaux solaires, ce qui a permis de pérenniser 200 emplois.
De tels exemples sont encore rares, mais ils peuvent nous aider si nous les analysons et nous nous en inspirons. Monsieur le secrétaire d'État, si la volonté politique existe, si une impulsion forte est donnée, c’est possible ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard.
Mme Valérie Létard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous savons tous que la filière automobile reste l’une des grandes filières industrielles de notre pays. Sur un territoire, elle demeure un formidable moteur d’entraînement. Au total, 800 000 salariés au moins travaillent en lien avec le secteur automobile, compte tenu de ses effets induits.
L’industrie automobile, en raison tant de la place prépondérante quelle occupe dans notre économie que de ses capacités exportatrices, n’a jamais laissé les pouvoirs publics indifférents : l’État comme les collectivités territoriales qui accueillent des sites de production ou de recherche ont réalisé des efforts importants pour soutenir la filière.
L’action de l’État, à la fois conjoncturelle et structurelle, s’est notamment traduite par la signature du Pacte automobile de février 2009, ainsi que par la mise en place de la prime à la casse et du bonus écologique.
Des mesures plus structurelles ont également été prises pour améliorer le fonctionnement de la filière, comme la création du comité stratégique de filière automobile, qui est un organe indispensable, la mise en place du fonds de modernisation des équipementiers automobiles et, pour soutenir la sous-traitance, la signature du code de performance et de bonnes pratiques ainsi que la nomination d’un médiateur.
De leur côté, les collectivités territoriales, en particulier les régions et les agglomérations qui ont en charge le développement économique, sont mobilisées pour être des facilitateurs sur leur territoire. Leur rôle consiste à anticiper les évolutions, à mettre du foncier à la disposition des entreprises, à aménager les infrastructures et à se préoccuper de l’environnement des usines, ainsi que des salariés de celles-ci.
Parce que l’industrie nécessite de la matière grise, nous, élus des territoires, œuvrons aussi à la constitution de clusters et de mises en réseau propices à l’innovation.
Permettez-moi de citer l’exemple de Valenciennes, que je connais bien, puisque je suis aussi élue d’un territoire. On parle de produire en France ? Toyota fabrique ses Yaris en France, avec à la clé 3 800 contrats à durée indéterminée et trois emplois induits pour un emploi direct ! Imaginez ce que cela représente pour un territoire…
M. Jean-Claude Carle. C’est vrai !
Mme Valérie Létard. Mais pour attirer un tel groupe, une stratégie territoriale est indispensable. Nous avons démarché l’entreprise, mis un site à sa disposition et facilité la mobilisation des aides à l’aménagement du territoire, ainsi que le recrutement d’un personnel qualifié.
Nous nous sommes aussi préoccupés de l’attractivité de notre agglomération du point de vue des équipements culturels, de l’offre de logements, de l’offre de formations adaptées aux besoins de l’industrie automobile et de la performance de l’université. En effet, on n’attire pas une entreprise industrielle sur un territoire qui n’est pas attractif, où les cadres, les salariés et les chercheurs n’ont pas envie de venir vivre.
C’est sans doute parce que nous nous efforçons de créer ce dynamisme de territoire, en tirant parti de nos atouts et en nous attachant à corriger nos retards, qu’un certain nombre d’industriels continuent d’investir dans notre région. Toyota a choisi d’y fabriquer sa Yaris hybride pour l’Europe, ce qui entraînera 800 emplois supplémentaires et 125 millions d’euros d’investissements nouveaux. La boîte de vitesse de PSA y sera aussi produite, ce qui créera 400 emplois supplémentaires. Enfin, Toyotomi a décidé de s’y implanter, avec à la clé 100 emplois supplémentaires.
Mais il ne s’agit pas de nous voiler la face en ignorant les facteurs négatifs qui mettent en péril cet équilibre.
Certains facteurs sont anciens et récurrents, la crise ne faisant que les rendre plus aigus.
Je pense en particulier au coût du travail, plus élevé en France que dans d’autres pays européens, sans parler des pays à bas coûts. Par exemple, il faut trouver le moyen de réduire l’écart de coût, au départ de 600 euros, entre les véhicules produits sur le site de Sevelnord – vous avez évoqué ce site, madame Assassi – et le véhicule produit à Vigo, en Espagne. Voilà un premier exercice auquel les industriels doivent s’employer, tout en respectant bien évidemment la condition des salariés.
Il faut aussi tenir compte du fait que certains sites travaillent en partenariat avec des industriels étrangers. C’est le cas de celui de Sevelnord, associé avec Fiat pour la production de son véhicule utilitaire. Or Fiat s’étant désengagé, Peugeot, qui n’est pas responsable, doit trouver un nouveau partenaire.
En pareil cas, comme l’a dit Mme Archimbaud, seuls l’anticipation et le travail collectif peuvent permettre de trouver une solution. C’est la méthode que nous essayons d’appliquer, en lien avec les membres concernés du Gouvernement et leurs services, les régions, les communautés d’agglomération et l’ensemble des forces vives du territoire, sans oublier les salariés et les syndicats qui sont au cœur du dispositif.
Certes, des efforts de compétitivité sont nécessaires. Mais, pour avancer, il faut aussi savoir anticiper et évoluer, c’est-à-dire bâtir une stratégie, conclure de nouveaux partenariats et trouver de nouveaux gisements d’activité. Cette adaptation permanente est d’autant plus nécessaire que l’univers automobile est mondialisé et en perpétuelle évolution.
Il n’en demeure pas moins qu’il existe un différentiel entre les coûts de production. M. Tavares, dirigeant de Renault, nous a expliqué que la fabrication d’une Clio IV coûtait 1 300 euros de plus en France qu’en Turquie. Cette réalité relance une nouvelle fois le débat sur le coût du travail, qui sera assurément un enjeu des prochaines échéances électorales. C’est une question extrêmement complexe, qui nécessite de prendre en considération de nombreux paramètres, à commencer bien entendu par le paramètre humain.
De leur côté, les entreprises mentionnent volontiers les contraintes administratives. Il faut neuf mois pour monter une usine en Chine, alors qu’il en faut le double en France dans le meilleur des cas… C’est un point sur lequel il faut absolument évoluer. Pour faire venir Toyota à Valenciennes, nous avions réussi à obtenir des dérogations aux démarches administratives classiques ; sans cela, le constructeur japonais ne serait pas venu s’implanter chez nous, car les délais auraient été trop longs ! Il est donc indispensable de faciliter l’organisation et de simplifier les démarches administratives.
La qualité du climat social est également citée comme l’un des facteurs qui encouragent ou dissuadent les investisseurs, surtout s’ils sont étrangers.
Dans ma région, en 2010, on a dénombré dix-sept ruptures de livraison d’usine, dont quinze avaient pour origine des conflits sociaux chez des fournisseurs. Cet exemple illustre la nécessité de renforcer encore le dialogue social. Patronat et syndicats, tous les acteurs du monde du travail doivent se parler et travailler ensemble afin de prévenir les difficultés de ce type, qui nuisent aux salariés comme au développement des entreprises.
Les concertations issues des déclinaisons régionales du Pacte automobile contribuent au renforcement du dialogue social. Il est essentiel que l’adoption d’un code de bonnes pratiques se traduise par une amélioration pérenne des relations entre les donneurs d’ordre et les sous-traitants.
Enfin, on ne peut occulter l’effondrement du marché automobile en Europe occidentale et le déplacement des zones de croissance vers les pays émergents. Songez qu’il y a seulement 15 voitures pour 1000 habitants en Inde, contre 700 en Europe : la marge de progression est tout simplement fantastique ! Nos constructeurs doivent se positionner sur ces nouveaux marchés ultracompétitifs.
Le constat de l’existence de difficultés ne doit pas nous rendre défaitistes, bien au contraire. Certes, nous avons perdu des parts de marché et notre compétitivité s’est érodée par rapport à celle de nos voisins allemands. Mais la crise a eu l’effet bénéfique de nous pousser à réagir !
Pour rendre à la filière automobile la compétitivité qui lui fait défaut, il faut agir dans quatre directions.
Tout d’abord, il faut améliorer la formation initiale pour redonner aux jeunes le goût de l’industrie, développer la formation en alternance et rendre les carrières plus attractives. En Allemagne, les emplois industriels sont mieux rémunérés que les emplois de la finance !
M. Jean-Claude Carle. Eh oui !
Mme Valérie Létard. Nous devons aussi travailler à une meilleure adéquation entre les formations proposées et les besoins des industriels. Par exemple, pour vingt des cinquante-deux types de compétences mécaniques et métallurgiques recensés par Pôle Emploi dans le répertoire opérationnel des métiers et des emplois, l’offre d’emplois est supérieure à la demande… C’est que l’adéquation entre l’offre et la demande est insuffisante ! (M. le secrétaire d’État opine.)
Par ailleurs, il convient d’investir dans la recherche et l’innovation pour que nos constructeurs soient compétitifs et conservent une longueur d’avance sur leurs concurrents. Les constructeurs doivent investir dans l’innovation, la recherche et le développement, et s’appuyer sur les recherches conduites dans les laboratoires publics, ceux des universités et des clusters.
L’enjeu est le transfert de technologie, ce qui soulève la question de la propriété intellectuelle, ainsi que celle des rapports entre les organismes de recherche publics et les organismes de recherche privés dans la gestion des brevets. Dans ma région, j’ai observé qu’il est très difficile de partager les informations lorsque des enjeux de propriété intellectuelle et de brevet se posent. Pourtant, nos voisins allemands (Mme Brigitte Gonthier-Maurin s’exclame.) arrivent à faire travailler intelligemment tous les acteurs de la chaîne qui unit le donneur d’ordre aux sous-traitants. Pourquoi pas nous ?
En outre, il est nécessaire d’aider nos entreprises à grandir pour atteindre une masse critique suffisante, seules ou en grappes, sur le modèle des entreprises de taille intermédiaire allemandes. Ainsi, elles disposeront des ressources nécessaires, notamment humaines, pour se développer et conquérir des marchés extérieurs. Cette réflexion doit être conduite très rapidement au sein des comités de filières, afin que soit définie une méthode à la française pour atteindre cet objectif.
Enfin, il faut évoluer vers la production d’un véhicule décarboné et entièrement recyclable. Le choix fait par Renault de construire plusieurs véhicules électriques est un pari audacieux. Le véhicule hybride, de son côté, constitue une solution de compromis mieux adaptée à des usages moins urbains. Quant à la déconstruction, elle représente un marché en devenir.
J’ajoute que, comme tous nos collègues ayant participé aux réunions de la commission de l'économie, j’ai bien compris la nécessité pour nous de retrouver une place importante dans le marché de haut de gamme.
Mes chers collègues, mon temps de parole étant déjà largement dépassé, je veux simplement rappeler ceci : si l’on a pu douter que l’industrie était le socle indispensable d’une économie solide, durable et dynamique, il importe aujourd’hui, plus que jamais, de la mettre au cœur de la stratégie économique de notre pays ; cela vaut pour l’industrie automobile, mais plus généralement pour toute l’industrie ! (C’est raté ! sur les travées du groupe CRC.)
Mme Éliane Assassi. Adressez-vous aux salariés ! Qu’avez-vous fait pendant les dernières années ?
Mme Valérie Létard. On peut effectivement dire que notre industrie ne va pas bien, que l’économie évolue très vite, on peut être défaitiste et choisir d’abandonner… (Mme Éliane Assassi s’exclame.) Mais on peut aussi se retrousser les manches, prendre le problème à bras-le-corps et se battre pour avancer ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC.) C’est cette seconde solution que, pour ma part, j’ai choisie, en agissant sur le territoire avec tous les élus, les syndicats, l’État, les collectivités locales et les entreprises ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. –Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Bailly.
M. Dominique Bailly. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la situation de la filière automobile en France est assurément difficile.
Monsieur le secrétaire d’État, les indicateurs ne sont pas bons : comme il a déjà été dit, le niveau des ventes a chuté de plus de 20 % au mois de janvier par rapport à l’année 2011, s’établissant à son plus bas niveau depuis quatorze ans.
Comme Valérie Létard, je représente une région, le Nord–Pas-de-Calais, où l’industrie automobile est fortement implantée. Je puis vous dire que l’inquiétude y est réelle. En effet, selon une étude récente de l’INSEE, plus de 10 000 hommes et femmes employés du secteur automobile dans la région ont perdu leur emploi au cours des trois dernières années.
La même inquiétude existe partout en France, car les signaux pour l’avenir de la filière automobile sont très négatifs. Concrètement, des emplois sont menacés !
Or certaines annonces récentes n’encouragent pas à l’optimisme, n’en déplaise au Gouvernement qui pratique la méthode Coué et prétend que la situation n’est pas si mauvaise que cela…
Comment ne pas être inquiet, par exemple, lorsque le président de PSA annonce 6 000 destructions d’emploi en Europe, une compression des coûts de 800 millions d’euros en 2012 et l’instauration d’un chômage partiel sur quatre grands sites en février et en mars ?
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Quel triste bilan !
M. Dominique Bailly. Monsieur le secrétaire d’État, dans le Douaisis et le Valenciennois, territoires dont je suis l’élu, certaines entreprises sont en grande difficulté et l’horizon ne se dégage pas vraiment.
Sevelnord, par exemple, a dû faire face au retrait de Fiat, pendant longtemps partenaire de PSA sur le site. Je puis vous dire, monsieur le secrétaire d’État, que les salariés et leurs représentants goûtent peu le silence du Gouvernement sur ce dossier… Là-bas, comme sur d’autres sites automobiles en France, on a le sentiment que le Gouvernement est impuissant !
Quand les grands groupes industriels vont mal, une foule de PME et de sous-traitants en paient les conséquences. En effet, le modèle pyramidal de la filière automobile place de nombreuses PME dans un lien de dépendance très fort avec les donneurs d’ordre. Ainsi, les sous-traitants de capacité, c’est-à-dire ceux qui fabriquent des pièces que le constructeur pourrait produire lui-même, ont quasiment disparu dans la région Nord–Pas-de-Calais ; et partout en France, ils subissent la crise de plein fouet.
La filière automobile perd des emplois sans qu’une stratégie à l’échelle de l’État ne vienne la revitaliser. Les effectifs diminuent petit à petit, par le compactage de notre capacité de production décidé, il est vrai, par tous les constructeurs. Nous avons ainsi perdu une capacité de production de 500 000 véhicules par an depuis 2007 !
La réalité est bien là ! Ces chiffres nous rapprochent, non pas – loin s’en faut – de l’Allemagne, souvent citée ces temps-ci, mais du Royaume-Uni, que Nicolas Sarkozy a décrit comme une terre ayant perdu son industrie.
Il est étonnant de constater que, dans le même temps, les marques allemandes ont progressé sur le marché français, ce qui valide certainement une stratégie industrielle de meilleure facture.
Une des raisons de cette panne de la production de voitures en France vient du peu de débouchés, déjà souligné par les précédents intervenants. On le sait, lorsqu’il n’y a pas de débouchés, l’emploi trinque !
Nos constructeurs ont tardé à investir les nouveaux marchés extérieurs et, lorsqu’ils l’ont fait, l’activité sur notre territoire national n’a pas été accrue puisque la production est réalisée sur place, donc à l’étranger, et c’est bien le problème !
Dans le même temps, ils appliquent une stratégie inverse pour le marché français puisque celui-ci est de plus en plus approvisionné par des usines d’Europe de l’Est ou du Maghreb. Renault inaugure ainsi aujourd'hui une nouvelle usine à Tanger…
C’est là, monsieur le secrétaire d'État, tout le paradoxe : le marché de l’automobile croît à l’échelle mondiale – les chiffres le démontrent –, mais le nombre d’emplois dans l’automobile en France décroît.
Cela n’est pas acceptable : nous devons inciter à la relocalisation et au maintien des entreprises sur notre territoire, mesure que vous n’avez, hélas ! jamais prise, alors qu’elle serait un catalyseur pour l’emploi industriel automobile.
Pour notre part, nous défendons cette mesure et nous sommes prêts à la mettre en œuvre dans quelques mois.
Pourquoi en sommes-nous là, monsieur le secrétaire d'État ? Une des raisons principales tient au manque de vision globale et de stratégie industrielle pérenne. Voilà le vrai problème ! Le gouvernement auquel vous appartenez s’est laissé guider, sans obtenir de contrepartie, par les grands constructeurs, lesquels n’ont pas fait de l’emploi leur priorité.
Ainsi, l’orientation des fonds stratégiques d’investissement, que pilote l’État, que vous pilotez, monsieur le secrétaire d'État, n’a pas permis de faire de la France un pays leader pour les voitures de demain.
La transition énergétique de nos véhicules est trop peu soutenue par le Gouvernement, alors que le potentiel économique et les bénéfices environnementaux sont immenses, tout le monde le sait.
La stratégie « court-termiste » de la prime à la casse a momentanément gonflé les ventes, ce qui en soi n’a pas été une mauvaise chose, mais elle a occulté le besoin d’une ambition plus grande pour la filière automobile.
Par ailleurs, les mesures prises par le Gouvernement concernant la défiscalisation des heures supplémentaires ont abouti à de véritables aberrations dans nos usines de production automobile. Figurez-vous que, dans une même usine, – on en a des exemples dans le Nord – Pas-de-Calais – certains ouvriers peuvent être au chômage partiel tandis que d’autres sont contraints de faire des heures supplémentaires, le tout ne créant évidemment pas d’emplois, mais produisant beaucoup de frustration chez de nombreux salariés.
Monsieur le secrétaire d'État, permettez-moi de conclure par une image : le réservoir de votre imagination en matière de politique industrielle automobile est à sec !
Il est temps de promouvoir les PME qui innovent, les équipements automobiles novateurs, les nouvelles motorisations avec des énergies propres. Il est temps d’inciter nos grands constructeurs à produire en France, pour le marché français comme pour les marchés émergents.
Notre savoir-faire est immense : notre ingénierie est en pointe, les ouvriers dans nos usines sont parmi les plus compétents dans le monde. Pourtant, le constat est sans appel : notre industrie automobile traverse une crise que vous n’avez pas su résoudre.
Aussi, monsieur le secrétaire d'État, je vous le dis avec tout le respect qui vous est dû, le moment est peut-être venu de changer de pilote à la tête de l’État (M. Pierre Hérisson s’exclame.) et de changer de route. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Aline Archimbaud applaudit également.)