M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le ministre, le projet de loi organique que nous examinons concernait, à l’origine, comme M. le rapporteur vient de le souligner, l’application à la magistrature de l’accélération du relèvement de l’âge de départ à la retraite prévue dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012.
En effet, un an à peine après avoir décidé la réforme des retraites censée, selon le Gouvernement, « assurer le maintien de l’équilibre du système », celui-ci revient sur sa copie non pour corriger ses fautes mais pour en ajouter.
Évidemment, vous ne serez pas surpris, monsieur le ministre, d’entendre que nous contestons cette mesure, comme bien d’autres d’ailleurs, contenue dans le « plan de rigueur », qui vise à ponctionner tous les Français sauf les plus aisés. En la contestant, nous sommes cohérents avec l’opposition générale que nous avons manifestée au sujet du report de l’âge de la retraite, car il s’agit d’une proposition injuste, mais aussi inopérante pour ce qui est de réduire les déficits ou l’endettement. Cette énième réforme sera inefficace aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé. Les derniers chiffres du chômage sont là pour vous rappeler que la situation des salariés âgés ne s’améliore pas, bien au contraire. Quoi qu’il en soit, la bataille des retraites n’est pas encore finie : on y reviendra sans aucun doute en 2012.
L’inefficacité de la réforme est patente s’agissant du présent projet de loi organique.
Nous nous sommes interrogés sur les conséquences de l’application immédiate aux magistrats des mesures relatives aux retraites et sur leur intérêt pour les finances publiques. L’étude d’impact, jointe au projet, fait état d’une économie de 470 000 euros en raison de l’application de la réforme des retraites aux magistrats de l’ordre judiciaire. Toutefois, elle ne tient pas compte, comme le souligne le rapport, du coût de maintien plus long dans leurs fonctions de magistrats au sommet de la grille indiciaire. En prenant en considération ce paramètre, l’économie à laquelle nous aboutissons est en réalité nulle. La réforme serait même plus onéreuse pour le budget global de l’État.
La logique nous oblige à admettre, monsieur le ministre, que de nombreux magistrats, à la suite du double cumul de l’âge de départ à la retraite et de l’âge limite, resteront plus longtemps dans leurs fonctions, ce qui empêchera de facto la génération suivante, qui coûte pourtant moins cher à l’État, de prendre leur place. Par conséquent, le maintien en fonction les anciennes générations obère le recrutement des plus jeunes, ce qui est parfaitement regrettable.
En modifiant le texte initial, au dernier moment et discrètement, car la consultation des organisations syndicales a été réalisée en un tour de main, le Gouvernement tente de faire adopter par le Parlement, en procédure accélérée, quatre dispositions, par voie d’amendements, sans rapport avec la retraite des magistrats. Ces quatre amendements portant sur le statut de la magistrature sont issus d’un projet de loi organique en attente d’examen.
Dans ce texte, figuraient une dizaine de mesures, dont une réforme des procédures organisant la réintégration dans les fonctions juridictionnelles après détachement ou congé parental et une réforme relative au statut des juges de proximité. Ces derniers seront amenés, pour bon nombre d’entre eux, à quitter leurs fonctions prochainement, l’ordonnance de 1958, modifiée en 2003 afin d’y intégrer la loi créant les juges de proximité, ne leur permettant pas d’exercer leurs responsabilités plus de sept ans. Le projet de loi organique initial prévoyait de porter la durée maximale de leurs fonctions à dix ans. L’urgence aurait bien été justifiée en ce qui les concerne puisqu’ils attendent de connaître le sort qui leur sera réservé !
Monsieur le ministre, vous avez précisé à l’Assemblée nationale que ces quatre dispositions ont fait l’objet d’une concertation avec les organisations syndicales, ce que vous venez de réaffirmer à l’instant devant le Sénat. Pourtant celles-ci s’étonnent du recours à la procédure d’urgence et déplorent qu’un réel débat ne puisse être mené sur des articles importants pour le statut des magistrats.
En effet, à l’exception de la disposition relative au comité médical national chargé de gérer les situations particulières des magistrats en cas de maladie, dont l’examen d’urgence se justifie pleinement eu égard à la multiplication des situations de souffrance au travail des magistrats ces dernières années, l’usage de la procédure législative ordinaire, qui garantit le déroulement normal du débat, aurait été plus approprié.
Une des dispositions de ce texte, tout particulièrement, est loin de faire l’objet d’un consensus. Je veux parler de celle qui porte de six à douze ans la durée pendant laquelle un magistrat pourrait exercer la fonction de magistrat placé et qui interdit ainsi aux magistrats placés l’accès à tous les postes correspondant à leur grade.
Les magistrats placés constituent, à l’évidence, un contingent à la libre disposition du chef de cour et ne bénéficient d’aucune garantie de pérennité dans l’exercice de leurs fonctions. Il est indispensable de limiter cette précarité. La tentation est forte, en effet, d’utiliser les magistrats placés non pas pour répondre à des situations locales difficiles, mais pour faire face à des vacances de postes volontairement organisées. Cette dérive a été constatée à l’occasion de la réforme de la carte judiciaire : on a volontairement fait fonctionner, pendant des mois, des juridictions vouées à la suppression avec des magistrats placés.
Pour nécessaire qu’elle soit, cette fonction doit rester exceptionnelle, car elle constitue une atteinte au statut des magistrats. Porter de six à douze ans sa durée revient à créer une véritable carrière de magistrats précaires. Le syndicat de la magistrature, par exemple, préconise de réduire la durée de cette fonction à quatre ans. Il aurait pu être intéressant de discuter de ce point.
De surcroît, les magistrats placés ne seraient même pas assurés de bénéficier d’une promotion en fin de parcours. L’article 2 prévoyait d’exclure les postes dit « B bis » de la « liste » des postes auxquels les magistrats peuvent prétendre de droit après une période de deux ans d’exercice de la fonction de placés. Ces postes correspondent à des postes de premier vice-président, de premier vice-président adjoint, de procureur de la République adjoint ou de premier vice-procureur de la République.
Si, dans certains cas cette situation peut aboutir au blocage de ces postes et empêcher l’avancement de magistrats plus expérimentés, l’amendement du Gouvernement revient à exclure automatiquement les magistrats placés de toute nomination à ces fonctions. Or ces derniers, selon vos propres mots, « sont souvent confrontés à des pratiques juridictionnelles diversifiées dans les juridictions dans lesquelles ils sont délégués ». Ils peuvent dès lors justifier parfois d’une expérience professionnelle riche, qui leur offre toutes les compétences requises pour accéder à des postes d’encadrement au même titre que les autres magistrats.
À l’évidence, ce point soulève de nombreuses questions méritant un débat qui permettrait de les approfondir et peut-être de modifier la façon de voir du Gouvernement. Qui plus est, certaines organisations professionnelles dénoncent la multiplication de ces postes d’encadrement intermédiaire qui ne correspondraient à aucune réalité dans un grand nombre de juridictions, ainsi que leur distribution inégalitaire.
L’ordonnance de 1958 dispose que le statut des magistrats doit être fixé par la loi organique afin de mettre l’indépendance de l’autorité judiciaire à l’abri de toute modification de circonstance. Encore faut-il que les délais laissés aux assemblées permettent un vrai travail de concertation. L’adoption par la commission d’un amendement supprimant entièrement l’article 2 est donc appropriée.
Dans la même logique de rejet des cavaliers législatifs, et même s’ils soulèvent moins d’interrogations, les articles 4 et 6 doivent être repoussés, afin que l’on puisse en débattre en même temps que du texte dont ils sont issus, texte toujours en attente et qui comporte d’autres dispositions tout à fait intéressantes. Il n’y a donc aucune raison de l’inclure dans ce texte examiné en procédure accélérée. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le ministre, au cours des nombreux débats qui nous ont réunis autour des questions de justice, vous avez pu mesurer l’attachement de notre groupe aux principes fondamentaux qui devraient régir la justice de notre pays : l’indépendance, l’accessibilité et l’adéquation de ses moyens à ses missions. Vous ne serez donc pas surpris que la très grande majorité de notre groupe ne partage pas votre point de vue sur ce texte, sans toutefois rejoindre complètement la position de M. le rapporteur.
Cela a déjà été dit, ce projet de loi organique procède en premier lieu de l’accélération du calendrier de mise en œuvre de la réforme des retraites qu’a décidée, le 7 novembre dernier, le Premier ministre, en application du deuxième plan de rigueur du Gouvernement. Ces mesures avaient ensuite été retranscrites dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, bien que rejetées par le Sénat.
Cette réforme des retraites, nous l’avions combattue, car nous estimions injustes pour nos concitoyens les plus modestes un certain nombre de ses dispositions. Dès lors, et comme il n’est pas dans nos habitudes de tourner casaque au gré des circonstances, nous confirmerons naturellement et majoritairement notre opposition à l’article 1er du texte, tout comme nous nous étions très majoritairement opposés à la loi organique du 10 novembre 2010 qui avait le même objet.
Vous nous direz peut-être, monsieur le ministre, que le Conseil constitutionnel vient tout juste de valider la loi de financement de la sécurité sociale, donnant ainsi une base légale à ce texte. Mais nous vous répondrons que cette décision ne constitue en aucune façon un brevet définitif de respectabilité législative, car, comme le disait Aristote, « l’équitable, tout en étant juste, n’est pas le juste selon la loi, mais un correctif de la justice légale ».
À l’instar des organisations syndicales de magistrats, quelle ne fut pas notre surprise de découvrir que ce projet de loi organique, initialement très circonscrit, avait été complété par des amendements du Gouvernement sans lien direct avec l’objet du texte, moins d’une semaine après son adoption en conseil des ministres !
Nous considérons que cette façon de légiférer n’est pas très bonne, sans même préjuger du fond de ces adjonctions. C’est aujourd’hui un lieu commun que de stigmatiser l’inflation législative, la surcharge de l’ordre du jour et la dégradation de la qualité et de la lisibilité de la loi. Mais ces lamentations n’en restent une nouvelle fois qu’au stade incantatoire.
Ces amendements proviennent d’un projet de loi organique relatif au statut de la magistrature, déposé en juillet à l’Assemblée nationale et toujours en attente. Le Gouvernement a préféré appliquer la technique du saucissonnage sélectif, sans d’ailleurs justifier le choix de ces dispositions plutôt que d’autres. Fallait-il, monsieur le ministre, que vous sentiez poindre une telle urgence pour vous raccrocher au premier wagon législatif qui passait ? II est vrai que d’autres urgences s’annoncent, comme la proposition de loi de simplification du droit ou le projet de loi de programmation relatif à l’exécution des peines... La récente visite au Puy de M. le garde des sceaux est annonciatrice d’urgences de fin de mandature.
Plus généralement, cette mauvaise façon de légiférer vient masquer une fois de plus les problèmes de fond de la magistrature. Sans parler de la faiblesse criante des moyens que le Gouvernement alloue à la justice – en dépit, chaque année, de quelques efforts au niveau budgétaire néanmoins insuffisants –, il faut noter que la logique aveugle de la révision générale des politiques publiques, la RGPP, a conduit à altérer gravement la pyramide des âges des magistrats. En 2011, 160 magistrats entreront en fonction pour 230 départs à la retraite. Où est la logique à l’heure où la justice de ce pays va mal – nous le savons tous et ce n’est pas récent – et où les magistrats attirent l’attention sur le profond malaise de leur profession ?
Il est acquis que, d’ici à 2017, ce corps subira des départs à la retraite massifs et non couverts par les recrutements. Nos collègues Yves Détraigne et Simon Sutour avaient déjà mis en évidence en 2009 que les départs à la retraite volontaires avant la limite d’âge étaient supérieurs aux départs contraints par l’âge, ce qui est révélateur. Même l’étude d’impact de la réforme des retraites de 2010 indiquait que seuls 71 magistrats étaient maintenus en activité en surnombre.
Au final, le recul de l’âge de la retraite, désormais acté, conduira mécaniquement à allonger les perspectives d’avancement des magistrats et à entraver l’accès aux grades supérieurs. La politique de recrutement n’est pas en adéquation avec les besoins criants de notre justice et la réalisation de vos propres réformes.
Que proposez-vous aujourd’hui ? L’examen furtif de quelques dispositions tirées d’un autre texte, ce qui en dit long sur la volonté de mettre les choses à plat et de procéder à une réforme d’envergure et adaptée !
Sur le fond de ces articles, nous ne sommes néanmoins pas opposés à l’exclusion des emplois d’encadrement intermédiaire « B bis » du bénéfice de la priorité d’affectation, ou encore aux dispositions relatives au comité médical national ; nous les savons attendues par nombre de magistrats.
En revanche, nous nous opposons à l’extension à douze ans de la période maximale pendant laquelle un magistrat, durant sa carrière, pourrait être affecté à un emploi de magistrat placé. Une telle mesure n’est vraiment pas raisonnable. Elle ne fait qu’acter à notre sens une forme de précarisation de la carrière de ces magistrats. La gestion des vacances provisoires de postes est bien sûr nécessaire, mais la pénurie de postes ne doit pas servir de prétexte à la banalisation de l’instabilité des carrières.
Enfin, j’évoquerai l’article 3 relatif à l’interdiction de décorer les magistrats durant leur carrière.
Soyons clairs : les décorations sont sans doute aujourd’hui devenues plus un marqueur social ou la récompense d’une fidélité – qui peut d'ailleurs changer – qu’un gage de compétence. Comme le disait Jules Renard, « en France, le deuil des convictions se porte en rouge et à la boutonnière » ; c’est particulièrement vrai dans le monde judiciaire. Mais nous n’estimons pas légitime de n’interdire la remise de décoration qu’aux seuls magistrats de l’ordre judiciaire. Quid des magistrats administratifs ? Des membres du Conseil constitutionnel ? Des membres d’autorités administratives indépendantes ? Ce serait un bien mauvais message de la part du Parlement que d’acter une telle inégalité de traitement. Les magistrats attendent aujourd’hui, et à juste titre, des mesures bien plus essentielles que celles-ci. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne serai qu’un modeste substitut de Mme Catherine Troendle, qui devait intervenir cet après midi, mais qui en est empêchée par des problèmes de transport aérien –,…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Nous avons ainsi la chance de vous entendre !
M. Roger Karoutchi. Merci, monsieur le président de la commission des lois !
… sur un sujet que je maîtrise parfaitement, comme chacun va pouvoir le constater ! (Sourires.)
Afin de garantir l’indépendance de la justice, l’article 64 de la Constitution prévoit qu’« une loi organique porte statut des magistrats ». Dès lors, l’accélération du relèvement de la limite d’âge de départ à la retraite applicable aux magistrats rend nécessaire l’adoption d’un texte « relatif à la limite d’âge des magistrats de l’ordre judiciaire ».
Le principe de la réforme proposée initialement par le Gouvernement qui prévoyait le relèvement de deux ans de l’âge de départ à la retraite ayant déjà été acté lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour une génération antérieure, il ne s’agissait, dans le texte qui nous est arrivé de l’Assemblée nationale, que d’en tirer formellement les conséquences en alignant le régime applicable aux magistrats sur celui des autres fonctionnaires. Cette limite d’âge a d’ailleurs connu au cours des cinquante dernières années des évolutions similaires à celles qui ont affecté la limite d’âge de l’ensemble des agents de l’État.
Cette réforme laisse inchangée la limite d’âge précédemment fixée pour les magistrats nés avant le 1er janvier 1952.
Pour les magistrats nés à compter de cette date, l’accélération du relèvement de la limite d’âge interviendra à raison d’un mois pour ceux nés en 1952, de deux mois pour ceux nés en 1953, de trois mois pour ceux nés en 1954 et de quatre mois pour ceux nés en 1955. La limite d’âge à soixante-sept ans s’applique désormais pleinement pour les magistrats nés à compter de 1955.
En revanche, l’âge d’ouverture des droits à pension des magistrats ne fait pas partie intégrante de leur statut ; ceux-ci se voient donc appliquer, par la loi ordinaire, les mêmes règles que les fonctionnaires. Cet âge est fixé, depuis la loi de réforme des retraites, à soixante-deux ans pour les assurés nés à compter du 1er janvier 1956.
Permettez-moi, monsieur le rapporteur, de formuler plusieurs remarques.
Tout d’abord, selon l’étude d’impact indexée au projet de loi, ce texte aura un effet limité sur le nombre de départs à la retraite, car le nombre de magistrats concernés ne devrait être que de quelques dizaines, comme l’a rappelé notre collègue Yves Détraigne, qui a rapporté le texte que nous modifions aujourd’hui.
De plus, aux termes de l’article 76-1 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, « les magistrats sont maintenus en fonction, sauf demande contraire, jusqu’au 30 juin suivant la date à laquelle ils ont atteint la limite d’âge », afin que leur départ coïncide avec les vacances judiciaires. Cette disposition, très largement utilisée, atténuera les effets de cette réforme sur la date de cessation effective des fonctions des magistrats concernés.
En outre, un magistrat atteignant la limite d’âge dispose de plusieurs régimes lui permettant de prolonger son activité comme le recul de la limite d’âge applicable à l’ensemble des fonctionnaires de l’État ou les régimes de maintien en activité spécifiques à la magistrature.
Enfin, l’accélération du calendrier de relèvement de la limite d’âge pour les magistrats de l’ordre judiciaire se traduira nécessairement par une diminution des dépenses de pensions des agents de l’État. N’est-ce pas l’effet essentiel recherché par le Gouvernement, dont je tiens d’ailleurs à saluer les efforts considérables en matière de lutte contre les déficits.
Ce gain, contrairement à ce qui a été affirmé en commission, monsieur le rapporteur, a été pris en compte dans l’évaluation qui a été faite de la montée en charge pour l’ensemble des agents de la fonction publique de l’État. Pour le régime de ces agents, la mesure proposée permet ainsi d’économiser 470 millions d’euros en cumulé sur la période 2012-2016.
Le projet de loi présenté par le Gouvernement était donc une excellente nouvelle ; néanmoins, la décision prise par la commission des lois de vider substantiellement le texte en est une nettement moins bonne.
Tout d’abord, j’évoquerai la suppression de l’article 1er, cœur du dispositif présenté, puisqu’il constituait l’article unique initialement proposé au Parlement.
II avait en effet pour objet d’aligner le calendrier de relèvement de la limite d’âge, par génération, applicable aux magistrats sur celui prévu pour les fonctionnaires des trois fonctions publiques par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012. L’équité commande en effet que cette accélération du calendrier de mise en œuvre progressive du relèvement de la limite d’âge concerne aussi bien les magistrats que les fonctionnaires.
Durant les cinquante dernières années, la limite d’âge applicable aux magistrats a connu une évolution parallèle à celle en vigueur pour les fonctionnaires de l’État.
En 1958, la limite d’âge était de soixante-dix ans pour la très grande majorité des magistrats judiciaires. Pour les autres magistrats, cette limite était de soixante-huit ans.
En 1976, c’est la limite d’âge de soixante-cinq ans qui a été appliquée à la majorité des magistrats ; une limite plus élevée, de soixante-huit ans, est retenue pour les magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation.
En 1984, la règle des soixante-cinq ans a été généralisée avec pour seule exception le premier président de la Cour de cassation et le procureur général près ladite Cour. Le groupe UMP propose de rétablir cet article.
L’article 3, que vous avez réintroduit, mes chers collègues, vise, et vous l’avez rappelé, à interdire que les magistrats puissent recevoir de l’autorité exécutive une décoration publique.
Il s’agit en l’occurrence, vous en êtes bien conscients, on l’a dit à propos d’autres éléments de ce texte, d’un véritable cavalier. Il y a donc un fort risque d’inconstitutionnalité.
Il est très important pour nous de ne pas faire de discrimination entre les différents fonctionnaires de l’État. Je ne vois pas au nom de quoi nos magistrats ne pourraient plus avoir accès aux décorations telles que la Légion d’honneur et le Mérite, même si je salue les références littéraires de notre collègue Jacques Mézard. Pourquoi ne pourraient-ils pas être récompensés de leurs mérites éminents ?
Ce n’est pas parce que les magistrats sont décorés qu’ils sont soumis au pouvoir en place. Nous sommes, tout autant que vous, attachés à la séparation des pouvoirs. Vous prétextez que cette mesure permettra de garantir une indépendance et une impartialité plus grandes : restons mesurés ! M. Dosière, qui est l’initiateur, à l’Assemblée nationale, de cette idée originale, avait pris l’exemple des parlementaires,…
M. Bruno Sido. Cela n’a rien à voir !
M. Roger Karoutchi. … qui ne peuvent effectivement se voir attribuer de décorations pendant leur mandat. Mais tout le monde sait bien que les parlementaires, à la différence des magistrats, n’exercent pas leur fonction à vie !
Mme Nathalie Goulet. Hélas ! (Rires.)
M. Roger Karoutchi. Il arrive d’ailleurs à nombre d’entre eux, une fois leur mandat terminé, de se voir attribuer quelques décorations.
En outre, votre proposition est à mon sens discriminatoire à l’égard des magistrats de l’ordre judiciaire : s’il s’agit ici d’indépendance et d’impartialité, alors pourquoi oubliez-vous, comme M. Mézard l’a souligné, les magistrats de l’ordre administratif, les membres du Conseil constitutionnel, de la Cour des comptes ou des autorités administratives indépendantes ? Vous créez une inégalité flagrante que nous récusons.
Pour finir, je voudrais évoquer l’article 2, que vous avez également souhaité supprimer.
Cette disposition visait à répondre à deux difficultés d’application du régime spécifique des magistrats placés auprès des chefs de cour d’appel.
En effet, institués par la loi organique du 29 octobre 1980 pour donner aux chefs de cour une plus grande latitude dans la gestion des effectifs de magistrats, les magistrats placés sont des magistrats du siège ou du parquet, placés respectivement auprès du premier président ou du procureur général d’une cour d’appel, et qui ont qualité pour exercer les fonctions du grade auquel ils appartiennent à la cour d’appel à laquelle ils sont rattachés.
C’est l’article 3-1 de l’ordonnance du 22 décembre 1958, portant loi organique relative au statut de la magistrature, qui définit limitativement les fonctions que ces magistrats peuvent occuper à l’intérieur du ressort d’une cour d’appel. Vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, ils sont appelés à remplacer temporairement les magistrats de leur grade empêchés d’exercer leurs fonctions pour cause de maladie ou de maternité. Ils peuvent également être temporairement affectés, pour une durée maximale de huit mois, à un emploi vacant ou bien encore être affectés, pour cette même durée maximale, dans une juridiction afin de renforcer l’effectif de celle-ci et, ainsi, réduire le délai de traitement du contentieux.
De plus, l’article 3-1 énonce le principe selon lequel le nombre de ces magistrats ne peut excéder, pour chaque cour d’appel, le quinzième des emplois de magistrats de la cour d’appel et des tribunaux de première instance du ressort. Selon l’étude d’impact annexée que vous nous avez présentée, on comptait, en 2011, 382 emplois de magistrats placés, dont 244 magistrats du siège et 138 du parquet ; ces magistrats représentaient environ 4,9 % des emplois de magistrats, des postes souvent proposés aux auditeurs de justice du fait d’une relative désaffection pour la fonction. Les dispositions de cet article semblaient soulever des difficultés. C’est pourquoi nous saluons l’initiative du Gouvernement pour améliorer ce régime.
Monsieur le ministre, le groupe UMP soutient le projet de loi organique du Gouvernement et les amendements que vous présenterez pour rétablir certaines dispositions. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaiterais faire plusieurs observations sur ce projet de loi organique.
Ma première observation porte sur l’objet même de ce texte. Une loi organique est nécessaire pour étendre aux magistrats l’accélération du calendrier de relèvement, en 2017 au lieu de 2018, à 62 ans de la limite d’âge de départ en retraite, adoptée dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012. Nous avons voté contre le projet de loi de financement de la sécurité sociale et, bien sûr, contre cette mesure : nous voterons donc contre l’application de cette disposition aux magistrats. Il n’est pas nécessaire que j’apporte des explications supplémentaires, elles ne feraient qu’allonger inutilement nos débats.
Ma deuxième observation concerne les magistrats placés. À l’époque, le Conseil constitutionnel n’avait pas fait beaucoup d’observations. Pour ma part, j’y ai toujours été opposé, notamment pour les magistrats du siège, car ce régime me semble incompatible avec le principe de l’inamovibilité des magistrats. En effet, ces magistrats nommés à la sortie de l’école sont placés soit comme magistrats du siège soit comme magistrats du parquet auprès du premier président ou du procureur général de la cour d’appel. Ils sont chargés de remplacer des magistrats sur des postes vacants, de pallier la pénurie de personnel dans les tribunaux, et sont en quelque sorte laissés à la discrétion des chefs de cours pour remplir telle ou telle fonction.
Le Conseil d’État avait précisé que les magistrats placés devaient bénéficier en priorité d’emplois correspondant à leurs fonctions s’ils en faisaient la demande et si ces emplois étaient vacants. Il a, par ailleurs, fortement encadré la durée pendant laquelle ces magistrats étaient ainsi mis à la disposition des chefs de cour.
Votre texte, monsieur le ministre, revient sur cette jurisprudence. Il tend à prévoir que les magistrats placés pourraient faire une grande partie de leur carrière dans ces conditions puisqu’il autorise le maintien à ce poste durant six années consécutives, pour une durée maximale de douze années au total. Or, on le sait bien, les magistrats placés sont, en termes de carrière et d’avancement, toujours quelque peu laissés pour compte.
C'est la raison pour laquelle nous sommes totalement opposés à ce dispositif.
Ma troisième observation est relative à une vieille affaire, celle des décorations. Avec François Colcombet, un ancien magistrat comme moi, j’avais déposé, dans le cadre d’un projet de loi présenté par Mme Lebranchu, un amendement prévoyant un dispositif similaire à celui de l’article 3. À l’époque, le Gouvernement s’en était remis à la sagesse de l'Assemblée nationale, qui avait voté cet amendement, par la suite rejeté au Sénat.
J’entends dire ici ou là que les magistrats judiciaires sont des agents publics. Certes ! Mais ils sont différents de tous les autres, y compris des magistrats de l’ordre administratif ou des magistrats financiers. En effet, la garantie de leur indépendance est statutaire. Ils n’ont plus aucun lien avec le pouvoir exécutif, particulièrement depuis la réforme de la Constitution intervenue en 2008 : l’exécutif, en l’occurrence le garde des sceaux, ne préside plus le Conseil supérieur de la magistrature.
Il ne serait pas bon d’autoriser les magistrats du siège à recevoir une décoration accordée par le pouvoir exécutif. Je rappelle que, en l’espèce, ils sont soumis au régime de droit commun et que, pour certaines décorations comme la Légion d’honneur, il faut qu’ils en fassent la demande.
C'est la raison pour laquelle je pense très sincèrement que les magistrats du siège ne doivent pas recevoir de décoration du pouvoir exécutif pendant l’exercice de leurs fonctions. Je connais de nombreux magistrats du siège qui, jusqu’à la Cour de cassation, ont décliné toute décoration, terminant leur carrière « la robe vierge », si vous me permettez cette expression, de toute récompense. Cette règle devrait être applicable à tous les magistrats du siège. Je m’abstiendrai de dresser ici la liste des magistrats du siège – ceux auxquels je pense sont d’ailleurs aujourd'hui décédés – qui ont été récompensés pour services rendus…
En revanche, j’ai déposé un amendement relatif aux magistrats du parquet. Pour eux, la situation est totalement différente : ils n’ont pas les mêmes garanties d’indépendance, même s’ils les réclament aujourd'hui très largement. Dernièrement, de nombreux procureurs de la République ont demandé au garde des sceaux d’avoir le même statut que les magistrats du siège au moins pour les nominations et les règles disciplinaires. On demande depuis des années au Gouvernement de procéder à cette réforme, mais il continue d’y être hostile et de résister. Il en a été ainsi lorsque s’est posé le problème de la garde à vue et du rôle des magistrats du siège ou du parquet lors de la présentation par Mme Alliot-Marie de l’avant-projet de réforme de la procédure pénale. Rien n’y fait, le pouvoir reste absolument sourd à ces revendications.
Les magistrats du parquet sont soumis à l’autorité hiérarchique du garde des sceaux. Ils rendent souvent d’éminents services, notamment dans les grands tribunaux ; je n’insisterai pas sur certaines réquisitions récentes, manifestement inspirées par la chancellerie et prononcées par des procureurs de la République très connus, qui ont ensuite été désavoués par les décisions des magistrats du siège… Ils peuvent donc recevoir toutes les décorations qu’ils veulent et qu’on veut bien leur remettre tant qu’on ne modifie pas la Constitution, comme ils le souhaitent, pour enfin prévoir un régime similaire à celui des magistrats du siège – avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature pour les nominations et l’avancement et alignement des régimes disciplinaires.
Lorsqu’il n’y aura plus de lien avec le pouvoir exécutif pour la carrière ou le statut, même s’il reste un rapport hiérarchique en ce qui concerne l’application de la politique pénale, les magistrats du parquet ne devront plus pouvoir recevoir de décorations.
Voilà les observations que je souhaitais faire. J’ajoute que j’ai déposé un amendement, qui va dans le sens du Gouvernement – je m’en expliquerai tout à l’heure –, pour modifier l’intitulé de cette loi organique, afin d’éviter que le Conseil constitutionnel ne trouve un cavalier législatif dans la loi, ce qui est préjudiciable à l’autonomie du Parlement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)