Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, comme pour tout budget, les crédits de la mission « Défense » que nous examinons ce soir sont la traduction d’une politique.
Avec ces crédits, monsieur le ministre, vous voulez mettre en œuvre une politique de défense à laquelle mon groupe s’oppose vivement.
À l’intention des personnels militaires, je voudrais d’emblée préciser que, si nous ne votons pas ces crédits, c’est non par refus de donner à nos forces armées les moyens nécessaires pour remplir leur mission, mais en raison de nos profonds désaccords avec les orientations stratégiques définies par le Gouvernement, avec le format et le modèle d’armée qu’il choisit, ainsi qu’avec l’affectation des crédits qu’il propose.
Monsieur le ministre, vous nous proposez un budget « hors sol ». Dans votre projet initial, vous prétendiez scrupuleusement respecter la loi de programmation militaire, mais sans prendre véritablement en compte la crise financière internationale et les bouleversements géostratégiques survenus cette année, qui devraient pourtant nécessairement influer sur les choix concernant les équipements.
Je sais que ce sera le rôle de l’actualisation du Livre blanc en 2012, mais, d’ores et déjà, certaines modifications d’orientation budgétaire auraient dû être faites.
En réalité, vous vous éloignez des objectifs fixés par la LPM. Ce contexte fait que nous discutons ce soir au Sénat de crédits virtuels pour une mission, qui, comme l’ensemble du projet de loi de finances, repose sur des prévisions de croissance régulièrement revues à la baisse, et alors même qu’une nouvelle loi de finances rectificative a été présentée en conseil des ministres il y a près de quinze jours.
Ce projet de budget pour 2012 devrait permettre, selon vous, la poursuite de la réduction drastique du format de nos armées et la modernisation de nos forces en maintenant la priorité donnée aux équipements. Mais, dans le même temps, lorsque vous réalisez des économies, c’est au prix de réductions capacitaires.
Dans le contexte actuel de crise financière, je doute que vous puissiez conserver cet équilibre et faire réellement ce que vous annoncez.
En effet, la rentrée des recettes exceptionnelles se produira avec retard, les recettes immobilières attendues risquent de se déprécier, les reports de crédit ne sont pas inépuisables et les économies attendues de la création des bases de défense ne sont pas encore au rendez-vous en raison du surcoût, certes inévitable au début, des restructurations.
En outre, lors de la présentation de votre budget à l’Assemblée nationale, vous avez procédé à une diminution des crédits de 167 millions d’euros, imposée, semble-t-il, par la baisse des prévisions de croissance et par les dernières annonces d’économies budgétaires faites par le Premier ministre et destinées à réduire la dépense publique pour se conformer aux exigences des marchés financiers.
Ces mesures n’ont d’ailleurs eu aucun effet sur ces marchés, car les agences de notation continuent de menacer la France, actuellement titulaire d’un triple A, de déclassement, avec toutes les conséquences que cela pourrait emporter.
Les plus fortes réductions de crédits, avec 102 millions d’euros, portent notamment sur votre programme prioritaire d’équipement des forces. Vous nous assurez qu’elles seront partiellement compensées par la perception de recettes exceptionnelles supplémentaires au titre de la vente de fréquences hertziennes.
Une baisse de 30 millions d’euros portera sur le financement d’opérations d’infrastructures, sans, paraît-il, en modifier la programmation.
Enfin, les crédits du programme « Préparation et emploi des forces » seront, quant à eux, minorés de 25 millions d’euros, ce qui aura inévitablement des effets négatifs sur l’entraînement des forces et le maintien en condition opérationnelle des équipements.
On a aussi du mal à croire que ces diminutions de crédits n’entraîneront ni réduction ni retard de programmation des matériels et des infrastructures.
Il y a lieu d’être inquiet pour le maintien des capacités opérationnelles de notre pays si ces menaces budgétaires devaient affecter des programmes comme ceux des hélicoptères NH 90, des frégates multimissions ou bien encore du sous-marin d’attaque à propulsion nucléaire de type Barracuda.
De même, certains experts craignent pour la rénovation des Mirage 2000 et pensent que le programme CERES de renseignement militaire sur l’écoute des signaux électromagnétiques sera décalé.
En revanche, le coût total des opérations extérieures de nos armées, en Afghanistan, en Libye, en Côte d’Ivoire, a explosé : il s’élève à 1,2 milliard d’euros, dont 350 millions pour la seule Libye, alors que 630 millions étaient inscrits en loi de finances initiale. Certes, la fin des opérations en Libye et le début de retrait de nos troupes d’Afghanistan peuvent raisonnablement nous faire espérer un allégement significatif des charges de nos OPEX.
À cet égard, je pense qu’il faut accélérer le retrait de nos troupes d’Afghanistan. Nous n’avons pas à calquer notre calendrier sur celui des États-Unis. En effet, puisque ce retrait est décidé, le demi-milliard d’euros annuels de cette opération s’effectue maintenant en pure perte. Et même s’il est financé par la réserve de précaution interministérielle, il faudra de toute façon payer cet énorme surcoût, qui aurait pu être utilisé à des fins plus pertinentes.
À ce propos, au-delà de la question de la légitimité et du bien-fondé de ces opérations extérieures, que je mets en cause, les difficultés de financement ne peuvent que nous conduire à nous interroger sur le modèle et le format d’armée que traduisent les choix budgétaires du Gouvernement.
Si toutes ces OPEX dépassent en fait nos capacités financières et humaines, c’est notamment parce que les crédits consacrés à la modernisation et au développement de l’arme nucléaire revêtent une trop grande importance. Cet argent est dépensé au détriment de nos équipements et de nos capacités conventionnelles.
Enfin, je voudrais souligner, après les avoir relevés dans le rapport sur le programme 212 « Soutien de la politique de défense », les risques de dérapage financier inhérents à l’opération Balard, les incertitudes de la politique d’externalisation, ainsi que les dégâts économiques et humains causés aux territoires et aux personnes par les restructurations.
Mais c’est avant tout pour des raisons de fond que je critique l’affectation de vos crédits pour les cinq missions stratégiques, les priorités au service desquelles vous réalisez des économies et le choix des secteurs dans lesquels vous les faites.
J’estime qu’il est inutile et dangereux de tant dépenser pour un modèle d’armée qui n’est plus adapté au monde d’aujourd’hui.
Vous prétendez dépenser mieux en réduisant de façon drastique le format de nos armées, mais cela vous permet surtout de payer fort cher des technologies qui ne sont pas efficaces pour le type de conflits ou d’opérations dans lesquels nos armées sont engagées.
C’est ainsi que, face à un appareil militaire qui rétrécit, la part de l’arme nucléaire grandit, au détriment des armements conventionnels. Les règles stratégiques ont pourtant changé depuis la fin de la guerre froide et il n’y a plus de menace nucléaire stratégique. Le coût et la puissance dévastatrice de cette arme ne se justifient donc plus. J’ajouterai même que, avec l’apparition de nouveaux acteurs stratégiques au comportement irrationnel, elle crée maintenant une source d’instabilité, menaçant l’ensemble de la planète.
Si l’on prend en compte les études, les opérations d’armement, l’entretien programmé du matériel et les infrastructures liées à la dissuasion, ce sont 3,4 milliards d’euros par an, soit près de 10 millions d’euros par jour, qui seront consacrés à l’arme nucléaire. À elles seules, nos forces nucléaires consomment 21 % des crédits d’équipement.
Le renouvellement des deux composantes nucléaires, avec la mise en service d’un nouveau missile air-sol de moyenne portée et celle du M51 pour la force océanique stratégique, représente une modernisation et un renforcement de notre arsenal qui entrent en contradiction avec le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires que notre pays a signé. Cette posture n’est plus conforme au principe de la « stricte suffisance » ni au seul maintien de la crédibilité technique de la dissuasion.
C’est pourquoi je proposerai un amendement supprimant les crédits de commande d’une tranche de production du missile balistique M51.2 pour les affecter à d’autres équipements de nos forces conventionnelles.
Cet aveuglement volontaire concernant l’arme nucléaire se retrouve dans le choix, politique autant que stratégique, du Président de la République, qui a accepté que notre pays participe au système de défense antimissile balistique. Ce système de haute technologie extrêmement coûteux, à la fiabilité et à la doctrine d’emploi incertaines, aux règles d’engagement qui laisseraient les Américains seuls maîtres des tirs, est de surcroît contradictoire avec notre doctrine de dissuasion nucléaire.
En outre, ce bouclier antimissile est de nature à relancer une course aux armements, comme vient de le démontrer la récente réaction de la Russie, qui a menacé de déployer ses missiles si l’OTAN et les États-Unis poursuivaient leur projet.
Dans ce domaine, la décision du Président de la République procède directement de son alignement atlantiste et de son souci de faire en sorte que nos industries de défense, grâce à leur savoir-faire, puissent recueillir quelques miettes de ce marché. Mais cette décision découle aussi directement de notre pleine réintégration dans le commandement militaire de l’OTAN qui a remis en cause notre autonomie stratégique en nous plaçant au service d’une alliance politico-militaire strictement offensive.
Parce que nous nous opposons aux choix politiques et aux grandes orientations stratégiques que traduit ce budget, le groupe communiste, républicain et citoyen votera contre les crédits de la mission « Défense ».
M. le président. La parole est à M. Jacques Gautier.
M. Jacques Gautier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’année qui s’achève aura été particulièrement dense pour nos forces armées, engagées dans plusieurs opérations de stabilisation ou de maintien de la paix sous mandat de l’ONU et trois interventions majeures en Afghanistan, en Côte d’Ivoire et en Libye, soit au total sur vingt théâtres d’opérations. Je veux rendre hommage à l’ensemble des hommes et des femmes qui, témoignant leur engagement envers la Nation, ont mis leur professionnalisme, leur courage et parfois leur vie au service de notre pays.
Nous devons insister sur les réformes et les défis que le ministère de la défense et ses personnels ont dû relever depuis quinze ans avec, rien que pour ces dernières années, la réduction du format de nos armées, la mutualisation des moyens, la création des bases de défense, la réorganisation de notre implantation nationale. Aujourd’hui, compte tenu de la place de la France dans le monde et de notre approche globale des problèmes internationaux, nous ne pouvons, au-delà de la LPM, poursuivre la réduction des effectifs sans mettre à mal notre ambition et l’efficacité de nos engagements.
Il n’y a pas d’armée sans hommes, mais il n’y a pas non plus d’armée sans équipements. De ce point de vue, les événements de 2011 ont prouvé la justesse des choix réalisés depuis des années.
Cela est vrai dans le domaine de l’aviation, notamment avec le sans-faute du couple Rafale-A2SM, l’intervention efficace de l’ensemble de la gamme des Mirage 2000, mais aussi le travail moins connu des Mirage F1 RC, pourtant en fin de vie, et des C160 Gabriel.
Cela est vrai pour la marine, avec l’apport indiscutable du porte-avions Charles-de-Gaulle, des frégates de type Horizon, des bâtiments déployés en protection autour des navires français et alliés, y compris les SNA, mais aussi les BPC, qui ont permis de mener en Libye des actions héliportées depuis la mer, avec le redoutable hélicoptère Tigre – celui-ci y a démontré, comme en Afghanistan, sa puissance de feu –, ainsi que la participation déterminante des hélicoptères Gazelle Hot armées en Libye comme en Côte d’Ivoire.
En Côte d’Ivoire, justement, l’armée de terre et les forces spéciales ont montré avec des matériels parfois anciens – je pense au blindé Sagaie – le bien-fondé des choix français.
Enfin, le théâtre afghan, avec le volet aérien – Rafale, Mirage, hélicoptères Tigre, Gazelle, Caracal, Cougar – et le volet terrestre – protection de nos soldats, VBCI, VAB, canon Caesar – démontre quotidiennement, dans un environnement difficile et toujours plus dur, la pertinence des choix effectués il y a des années.
L’Afghanistan et la Libye ont aussi, malheureusement, démontré nos faiblesses, notamment, et de façon globale, en matière d’ISR – intelligence, surveillance et reconnaissance –, avec le drone MALE, ainsi que dans le domaine du ravitaillement en vol.
Monsieur le ministre, il vous appartient d’apporter le plus rapidement possible des réponses adéquates à ces points négatifs.
En ce qui concerne la mission « Défense » du projet de loi de finances pour 2012, je veux tout d’abord vous remercier. En effet, dans le contexte actuel d’une crise financière européenne et mondiale d’une ampleur historique, vous avez su défendre votre budget et obtenu que les coupes budgétaires effectuées sur la mission « Défense » ne l’affectent que marginalement, sur un total de 31,5 milliards d’euros. Ainsi, les crédits 2012 restent à un niveau quasi identique à ceux de 2011 ; c’est un point largement positif.
Toutefois, l’ampleur de la crise économique fait naître des incertitudes sur l’exécution budgétaire de 2012 et, plus encore, sur celles de 2013 et de 2014.
Les rapporteurs de la commission des affaires étrangères ont détaillé l’ensemble des programmes relevant de la mission budgétaire correspondant à l’activité de votre ministère : je salue leur travail et la qualité de leur contrôle.
Dans ces conditions, je me bornerai à évoquer rapidement quelques sujets non seulement de satisfaction, mais aussi de mécontentement.
Les crédits pour 2012 permettent de répondre aux grandes actions qui structurent le programme 146, « Équipement des forces ».
Il en est de même en ce qui concerne l’activité et les moyens de la DGA et des trois armées, en matière de préparation et de conduite des opérations d’armement.
Comme Daniel Reiner, je me félicite que les dernières opérations de levée de risque soient conduites dans les prochaines semaines, en vue du lancement, en 2012 – du moins l’espère-t-on –, du programme du missile de moyenne portée, véritable successeur du Milan, qui fournira à l’armée de terre un missile performant et moderne, Fire and Forget et « homme dans la boucle », adaptable sur les porteurs terrestres. Pour la partie aérienne, je pense à nos hélicoptères, ainsi qu’au futur drone MALE.
Les crédits permettent la poursuite de la modernisation de nos sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de nouvelle génération, avec l’implantation du missile M51, ce qui explique que je voterai contre l’amendement de Mme Demessine. Ils permettent également la livraison du troisième BPC, la continuité de la fourniture de matériels à l’armée de terre, avec notamment le système FELIN et la montée en puissance dans nos forces aériennes du Rafale – dont on ne soulignera jamais assez la dimension « omnirôle » exceptionnelle, et dont on continue de regretter unanimement que les exportations ne démarrent pas, alors qu’il est aujourd’hui le meilleur appareil sur le marché. Cela a été dit : cette absence de ventes à l’exportation nous oblige à acquérir chaque année cinq Rafale supplémentaires pour assurer le maintien de la chaîne de montage.
Je veux aussi saluer la qualité du « programme RAPID » de la DGA en direction des PME : ce programme soutient la R&D et commence à produire des résultats visibles, comme nous avons pu le constater au salon Milipol.
S’agissant du lancement du démonstrateur du radar à très longue portée – TLP –, élément de lutte antiaérienne mais aussi antibalistique, il impose, comme le rappelait mon collègue Xavier Pintat, de trouver un pays partenaire pour sa réalisation future et son implantation.
Monsieur le ministre, je veux vous donner acte de cet effort global sensible et soutenu en matière d’équipements et de programmes.
Toutefois, ce budget ne prend pas en compte un certain nombre de points qui, pour moi, sont essentiels.
Tout d’abord, mes collègues l’ont évoqué, le Mirage 2000D, excellent appareil, deuxième pilier de nos forces aériennes, le Rafale étant le premier, pourrait, sous réserve d’une rénovation de ses systèmes d’armes, être opérationnel jusqu’en 2024, ce qui éviterait d’avoir à réduire le format de notre aviation de combat de 77 appareils d’ici à la fin de la décennie.
De la même façon, je regrette, comme mes collègues, le report du programme MRTT. Lors de la crise libyenne, on a bien vu la nécessité de disposer d’une véritable flotte de ravitailleurs. En effet, sans le soutien, dans 80 % des cas, des ravitailleurs américains, la faiblesse des appareils européens n’aurait pas permis d’intervenir en Libye ou aurait rendu les choses beaucoup plus difficiles. De surcroît, la nécessité de ces ravitailleurs est indispensable pour la composante aérienne de notre dissuasion. Or, dans l’attente du programme MRTT, il est nécessaire d’intervenir et d’investir dans une rénovation partielle des C135 et KR ; à cet égard, une meilleure anticipation aurait certainement permis d’éviter ces travaux sur des appareils vieillissants.
Je regrette, moi aussi, qu’aucun crédit ne soit alloué à la défense antimissile balistique, alors qu’au sommet de Lisbonne, il y a un an, la France s’est engagée dans cette voie avec l’OTAN. Dans un récent rapport d’information, Xavier Pintat, Daniel Reiner et moi-même avons montré que, s’il n’y a pas de menace militaire directe, des investissements dans le domaine de la R&D sont néanmoins indispensables pour sauvegarder notre savoir-faire ainsi que notre base industrielle technologique de défense, et pour faire évoluer notre outil de dissuasion. Il me semble qu’au moins la mise en place d’un « centre français antimissile », dont nous préconisons la création, aurait pu être prévue ; cela n’aurait quasiment rien coûté. Un tel centre permettrait de faire dialoguer nos chercheurs et nos experts, notamment sous l’autorité, côté État, de la DGA et de l’ONERA.
Je salue un début de rénovation de nos radars de défense aérienne, mais ce budget est insuffisant pour passer de la défense antiaérienne à la défense antimissile. Or, au sommet de Chicago, en mai 2012, nos amis américains pousseront l’OTAN vers un C2 qu’ils auront conçu et qui ne nous permettra pas de garder la souveraineté sur l’espace exo-atmosphérique européen.
Monsieur le ministre, s’agissant de l’indigence du drone MALE, je peux vous assurer que nous partageons votre volonté de donner à la France des compétences dans ce domaine pour aboutir, en 2020, à un drone de troisième génération, si possible franco-britannique, et préparer l’UCAV – c'est-à-dire un avion de combat non piloté – du futur.
Nous pensons que le choix du Heron TP, à cent pour cent israélien, ne profitera que marginalement à Dassault- Thales et, surtout, qu’il prive nos armées d’un outil opérationnel, performant, éprouvé, armé et interopérable avec nos alliés, dont nos troupes ont un urgent besoin.
Je reviendrai sur ce dossier tout à l'heure lors de la discussion de l’amendement de la commission des affaires étrangères.
Monsieur le ministre, ne voyez pas, dans ces quelques réflexions, une volonté de gêner votre action : il s’agit plutôt de faire avec vous les bons choix pour notre pays. Si le mot « délibérer » a bien un sens, c’est celui que nous lui donnons ce soir : peser le pour et le contre, au service d’une meilleure efficacité de la décision publique.
C'est la raison pour laquelle le groupe UMP votera les crédits de la mission « Défense ». (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Didier Boulaud.
M. Didier Boulaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais à mon tour, au nom de mon groupe, rendre un hommage tout particulier à l’ensemble de nos soldats ; nous avons une pensée spéciale pour ceux d’entre eux qui, cette année, ont fait le sacrifice de leur vie en Afghanistan.
Monsieur le ministre, le temps est venu de jouer cartes sur table. Les temps qui viennent seront difficiles pour le budget de la défense, comme pour l’ensemble des budgets.
Par conséquent, le Gouvernement serait bien inspiré de cesser de nous cacher la vérité – à nous, mais surtout aux militaires, qui ne sont plus dupes – en nous présentant des chiffrages fictifs, des programmations en trompe-l’œil, et en projetant d’année en année des ressources exceptionnelles dont tout le monde a compris qu’elles sont comme les mirages : elles s’éloignent au fur et à mesure que l’on croit s’en approcher.
C’est en réalité depuis 2002 que la défense fait l’objet d’une véritable fiction budgétaire. Et force est de constater que, depuis 2007, la situation ne s’est pas arrangée.
Hélas, mon propos n’est pas seulement partisan, tant l’inquiétude perce non seulement chez tous les parlementaires qui s’intéressent à ces questions, mais aussi chez les experts qui ne cessent de tirer le signal d’alarme : l’insincérité budgétaire nuit à la crédibilité militaire.
En 2012, notre pays devra faire des choix, trop longtemps repoussés, retardés ou ajournés, concernant nos équipements, nos matériels. Toutefois, si la dégringolade financière devait se poursuivre, la France serait contrainte une fois de plus de retoucher les formats, de revoir la carte militaire et, ainsi, de tailler dans nos capacités, ce qui est tout aussi grave.
Voilà l’héritage des gouvernements qui, depuis 2002, se succèdent, soutenus par une majorité docile.
Bien entendu, nous sommes tous conscients des difficultés financières, de « l’état de faillite » qu’aime à déplorer M. Fillon.
Mais je tiens à l’affirmer solennellement, pour le regretter : vos successeurs issus des élections de 2012, quels qu’ils soient, auront à prendre les décisions que vous aurez esquivées pendant dix années. Ce ne sera pas facile ; ce sera même probablement très douloureux.
Certes, les difficultés budgétaires ne concernent pas seulement la France. Si la Chine augmente encore et encore son effort de défense, elle constitue une exception, ou presque. Nous le savons, pour la première fois depuis trente ans, les États-Unis diminuent leur budget militaire, et ils ne le font pas en aveugles : ils opèrent des choix et rendent de vrais arbitrages. Ils ont ainsi décidé d’augmenter leurs dépenses d’investissement et de recherche, pour maintenir et même accroître leur avancée technologique sur les autres puissances.
Le Président de la République, pourtant si prompt d’ordinaire à emboîter le pas aux États-Unis, serait bien inspiré, cette fois, de suivre leur exemple.
Car, c’est le moins que l’on puisse dire, la situation en Europe n’est guère brillante. Tous les budgets sont à la baisse. Le Royaume-Uni et l’Allemagne, se refusant aux maquillages budgétaires dans lesquels nous sommes passés maîtres, ont annoncé publiquement une diminution – de 15 % pour le premier et de 14 % pour la seconde – de leur budget militaire, d’ici à 2014.
Pourtant, la réponse à nos problèmes devrait être européenne. Plus personne ne le conteste : une politique de défense et de sécurité exclusivement nationale n’a pas d’avenir.
Vue d’Amérique, l’Alliance atlantique n’a déjà plus l’importance qui fut la sienne au XXe siècle. Le redéploiement de la puissance militaire américaine épouse déjà les nouvelles lignes de ses intérêts stratégiques et commerciaux, ses intérêts de puissance, qui la mènent vers le Pacifique.
Or la politique en matière de défense européenne du Gouvernement français ne semble pas prendre en compte cette nouvelle donne : il semble qu’en dehors de l’OTAN et de la coopération franco-britannique, saupoudrée d’une bonne dose de suivisme à l’égard des États-Unis, il n’y ait point de salut !
Pour ma part, je considère que la France pourrait faire preuve de souci dans la recherche de compromis, d’un peu moins de naïveté et de plus d’imagination ; elle pourrait aussi marquer davantage de détermination dans la recherche de la construction européenne en matière de défense, dont on nous disait pourtant il y a peu qu’elle était l’un des deux points incontournables pour opérer le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN.
D’abord, la France doit faire preuve de plus de souci dans la recherche du compromis. Pour ce faire, n’aurait-il pas été judicieux, en matière de défense, d’avancer vers la réalisation d’un Livre blanc européen associant tous les partenaires, à tout le moins ceux qui le souhaitent, pour une meilleure coordination de la planification de la défense, de ses besoins et de ses moyens ?
Ensuite, la France doit faire preuve de plus d’imagination. En effet, nous ne saurions rester cantonnés à un mouvement binaire et alternatif, consistant à marcher tantôt avec les Allemands, tantôt avec les Britanniques ! Nous ne devons pas nous enfermer dans des coopérations bilatérales qui sont loin de faire progresser l’ensemble et cristallisent les rancœurs parmi les pays qui se sentent écartés.
Enfin, la France doit faire preuve de plus de détermination, d’une part, pour mener une politique européenne cohérente, capable d’articuler sécurité, défense et développement, en tirant le meilleur parti du traité de Lisbonne afin de faire avancer la politique de sécurité et de défense commune et, d’autre part, pour résoudre la question récurrente de la création d’un centre de planification et de commandement militaire pour les opérations de l’Union européenne.
Monsieur le ministre, vous êtes pleinement responsable du « faire » ou du « ne pas faire » de la France en la matière ; c'est la raison pour laquelle je vous pose les questions suivantes.
Premièrement, nous avons été informés des difficultés que rencontrait le commandant de l’opération Atalante à avoir suffisamment de bâtiments sur place dans la lutte antipiraterie ; nous connaissons également le manque d’effectifs des unités de police au Kosovo. Ces difficultés s’ajoutent à celles d’EUPOL en Afghanistan, qui ne datent pas d’hier. Quelles sont exactement ces difficultés, et que fait-on pour les résorber ?
Deuxièmement, le Parlement européen a pris acte, dans un rapport, des diminutions sans précédent opérées dans les budgets de la défense des États membres de l’Union européenne. Pour en compenser les effets, il propose une démarche comprenant une meilleure coordination de la planification de la défense, une harmonisation poussée des exigences militaires, la mise en commun et le partage de certaines fonctions et moyens, une coopération améliorée dans la recherche et le développement technologique, la collaboration et la consolidation industrielles, l’optimisation du processus de passation des marchés et la suppression des entraves au marché.
Vaste programme ! me direz-vous… Il n’empêche que je souhaiterais entendre vos suggestions d’action sur chacun de ces points.
Troisièmement, enfin, permettez-moi de vous poser une question liée à l’actualité.
Monsieur le ministre, je n’ai attendu ni les prises d’otages – qui, hélas, se multiplient – ni les retombées de la guerre en Libye : cela fait dix ans qu’en commission j’interroge et j’alerte les Gouvernements successifs sur la dégradation de la situation au Sahel. Pourtant, je n’ai jamais eu que peu de réponses ; je n’ai parfois même pas eu de réponse du tout, alors que tout le monde s’accorde désormais à dire que la situation au nord du Mali, aux confins de l’Algérie et du Niger, devient particulièrement préoccupante.
Dans l’édition du 23 novembre dernier d’un journal du soir, M. Éric Peters, conseiller du président de la Commission européenne, l’a affirmé avec force, tout en regrettant que les plans envisagés restent dans les cartons.
Monsieur le ministre, cela signifie-t-il que, tout en étant consciente des risques et périls pour la sécurité commune, l’Europe resterait l’arme au pied ? Ce ne serait ni sérieux ni responsable, car ces événements se passent aux portes de l’Europe !
Attendons-nous que la situation devienne totalement ingérable, socialement et politiquement, au point que seule une intervention militaire puisse être alors envisagée ? Que faisons-nous ? La France a-t-elle proposé à l’Union européenne de réagir enfin et de sortir ces plans des fameux cartons bruxellois ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. René Beaumont.
M. René Beaumont. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen des crédits de la mission « Défense » pour 2012 s’inscrit cette année dans un contexte des plus particuliers, et pas seulement parce que la majorité sénatoriale a changé…
Depuis 2008, notre pays est touché par l’une des crises économiques et financières les plus graves que nous ayons connues. En 2011, s’ajoute la crise de la dette, dont personne ne sait quand elle finira.
Que cela nous plaise ou non, nous touchons à la fin de l’ère où les États dépensaient sans compter, sans justifier leurs choix, quitte à hypothéquer l’avenir des générations futures.
Parallèlement, les bouleversements géopolitiques s’accélèrent et les menaces, qu’elles soient étatiques ou non, se multiplient. Aujourd’hui, les guerres sont asymétriques. Alors, mes chers collègues, permettez-moi de rester perplexe quand j’entends dire, comme on l’a fait cet été à La Rochelle, par exemple, que « le terrorisme n’est pas une menace militaire et qu’il ne peut être assimilé aux menaces d’invasion ou d’agression du passé ».
Reconnaître que, de la situation à Islamabad, à Kaboul, à Pyongyang ou à Téhéran dépend la sécurité des Français tant sur le sol national qu’à l’étranger, c’est voir le monde tel qu’il est. Ce sont précisément les orientations que le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale a mises en avant. Les enlèvements, les assassinats de nos concitoyens hors de nos frontières, et tout récemment encore, en sont, hélas ! de tragiques illustrations.
Même si le Livre blanc de 2008 a accordé une place trop importante, paraît-il, au terrorisme, il aura eu le mérite d’être élaboré en association avec les parlementaires des commissions des deux assemblées ; raison pour laquelle, sans doute, Mme Valter, secrétaire nationale à la défense rue de Solferino, l’a jugé « conservateur »...
Assurer la sécurité des Français et celle de nos intérêts vitaux, tel est le rôle de la défense. Mais la défense est aussi le bras armé de notre diplomatie : dans ce domaine, l’année 2011 marquera un tournant pour nos armées. Jamais la France n’a été présente sur autant de théâtres d’opérations. Que ce soit au Liban, en Afghanistan, en Côte d’Ivoire, en Libye, mais aussi aux confins de nos territoires d’outre-mer, les soldats français font l’honneur de notre pays. Leur courage, leur professionnalisme et leur dévouement sont à la hauteur des valeurs, des idéaux défendus par la France sur la scène internationale et du combat qu’elle mène pour la paix.
Alors, au moment où certains considèrent que les défilés militaires sont des réminiscences d’« une autre période » ou d’« une France guerrière », en tant qu’élu de la représentation nationale, je tiens à rendre un hommage solennel à tous ces hommes et à toutes ces femmes qui font la défense française. Nous sommes fiers d’eux, et pas seulement le 14 juillet ! Cela dit, n’en déplaise à certains, le défilé du 14 juillet demeure un rendez-vous incontournable des Français avec leur histoire et avec leurs soldats, pour qui, depuis Valmy, la patrie a encore un sens.
L’année 2011 et les crises qui l’auront ponctuée nous imposent d’être responsables et raisonnables, au sens propre du terme : c’est notre devoir d’élus.
Assumer ses responsabilités dans le domaine de la défense, c’est répondre à un triple défi : être visionnaire et établir des priorités stratégiques entre les missions, sans pour autant sacrifier tel ou tel programme ; éviter, malgré les difficultés budgétaires, que l’outil de défense ne soit, comme ce fut malheureusement le cas par le passé, une variable d’ajustement des finances publiques ; enfin, assurer à nos soldats les moyens de leurs missions, depuis la préparation sur le terrain et jusqu’à la reconnaissance de la Nation.
Je ne reviendrai pas sur le détail des chiffres : les différents rapporteurs se sont exprimés largement sur chacun des programmes de la mission « Défense », et avec beaucoup de pertinence, au point que leur expertise fait, paraît-il, pâlir les bureaux et les techniciens aguerris du ministère.
Mais la discussion budgétaire sur les crédits de la défense doit, selon moi, prendre aussi en compte la réalité et les évolutions des dispositifs de défense à l’étranger, sur tous les territoires.
Avant tout, n’oublions pas que le ministère de la défense a déjà entrepris, et à plusieurs reprises, une politique de réforme. Ces restructurations ont créé un cercle économiquement vertueux puisque les économies réalisées ont été directement réinvesties au bénéfice des armées.
M. René Beaumont. Peu nombreux sont les ministères qui peuvent aujourd’hui se targuer d’une telle capacité ! Sur ce point, je me félicite de soutenir un gouvernement pour qui « gestion » ne rime pas systématiquement avec « création de postes ». Si certains crient encore haro sur la RGPP, en ce qui concerne le ministère de la défense, celle-ci aura néanmoins permis de mieux protéger et de mieux équiper nos soldats sur le terrain. (M. le ministre de la défense acquiesce.)
Dans un deuxième temps, je souhaite attirer votre attention sur un point essentiel. En période de crise, il est « moralement correct » de dire que les dépenses de défense sont immorales. Qui d’entre nous n’a pas été interpellé par les associations antimilitaristes, rouges ou vertes, qui nous accusent d’être inféodés aux marchands de canons ? (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.)
Or la défense, c’est une économie, un savoir-faire, une garantie de souveraineté et d’indépendance. Le secteur de la défense et les industries qui le composent sont des leviers fondamentaux pour la société civile et pour notre économie. La défense, en France, ce sont aussi des filières d’étude et d’apprentissage d’excellence. Ce sont des ingénieurs, mais aussi des artisans chevronnés, dont le savoir-faire est précieux.
Justement, au moment où les taux de chômage en Europe progressent de façon vertigineuse, il faut rappeler que la défense représente en France 165 000 emplois directs et autant d’emplois indirects, que près de 4 000 PME vivent de la sous-traitance des grands groupes, que les investissements en recherche et développement de ces groupes industriels constituent le meilleur rempart contre un décrochage technologique et capacitaire. Plus que jamais, il nous faut préserver les domaines de haute technologie, tels que l’aéronautique et le spatial !
À l’heure où les dépenses militaires chinoises devraient atteindre 91,5 milliards de dollars, soit un budget en hausse de 13 % par rapport à 2010, il est primordial que la France et ses partenaires européens ne sacrifient pas ce qu’il reste de la défense européenne.
Je sais que, sur ces travées, nombre d’entre vous évoquent l’Arlésienne lorsqu’il est question de défense européenne ou de base industrielle technologique de défense européenne. Il est vrai que, en 2010, nos voisins européens ont procédé à de sévères coupes dans leur budget militaire. Toutefois, aux eurosceptiques qui pensent que la crise leur donnera raison on peut répondre que cette même crise oblige les États à mutualiser les efforts afin de mieux répartir les coûts.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Mais ce n’est pas le cas !