M. André Dulait, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour la préparation et l’emploi des forces. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite évoquer, pour ma part, les chances et les risques qui s’attachent à la réforme de notre outil de défense en matière de ressources humaines.
Le budget de la mission « Défense » pour 2012 s’inscrit dans le cadre fixé par la LPM. Comme vous le savez, celle-ci prévoit la suppression de 54 000 postes. Mais plus encore que la déflation des effectifs, c’est la réorganisation des méthodes qui constitue l’enjeu majeur de la réforme.
La mutualisation et la rationalisation du soutien commun, les restructurations territoriales, le déploiement des bases de défense et la poursuite des expérimentations d’externalisation – toutes réformes qui ont été menées de front – constituent autant de défis pour nos armées.
Les opportunités offertes par ces réformes sont réelles : une organisation rationalisée et mutualisée est une condition de la fiabilité de notre outil opérationnel.
Mais l’effort de transformation demandé à notre armée est considérable, surtout dans une année où elle a engagé en opérations, de manière permanente, plus de 12 000 hommes sur neuf théâtres d’opération.
Les économies de personnel doivent provenir des réorganisations et des mutualisations : tel est l’enjeu de la réforme. Réduire les effectifs sans réformer l’organisation en profondeur fragiliserait l’outil militaire dans sa globalité.
En 2011, le pilotage de la déflation a été satisfaisant. Pour l’instant, le seul volet de la manœuvre qui ne fonctionne pas est le reclassement des militaires vers la fonction publique. Ce n’est pas une surprise : les administrations, qui réduisent leurs effectifs, n’accueillent pas nos militaires à bras ouverts.
Comme le chef d’état-major des armées l’a souligné au cours de son audition par notre commission, la fin des déflations programmées sera sans doute plus difficile à réaliser. En effet, les réductions d’effectif doivent résulter non plus de la dissolution massive de structures, mais de rationalisations dans de multiples métiers : c’est un véritable défi.
Je veux parler maintenant des crédits du programme 178 « Préparation et emploi des forces ».
L’une des difficultés de la manœuvre réside manifestement dans la concordance entre le cadrage financier retenu pour l’évolution de la masse salariale et les objectifs en matière d’effectifs.
Plusieurs évolutions ont conduit, alors même que les effectifs ont diminué, à une augmentation de la masse salariale par rapport aux objectifs fixés par la LPM. Des engagements avaient été pris, en particulier, d’améliorer la situation des militaires.
Certaines dépenses supplémentaires ont été souhaitées : c’est le cas de celles liées à la réintégration de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, qui s’est traduite par un surcoût de près de 26 millions d’euros en 2011, au doublement des effectifs de la base d’Abou Dhabi ou au maintien de certains effectifs en Côte-d’Ivoire.
D’autres dépenses, comme l’augmentation du coût de l’indemnisation chômage des militaires, ont été subies. Cette hausse a représenté plus de 100 millions d’euros depuis 2009. Le coût de l’indemnisation chômage atteint aujourd’hui des records, démontrant l’impérieuse nécessité de réussir la reconversion.
L’autre difficulté consiste à faire coïncider, dans le temps et selon les types d’emplois, les départs naturels avec les besoins de réductions de postes.
De ce point de vue, il faut prendre en compte l’incidence de la réforme des retraites sur la déflation des effectifs. Le prolongement des carrières, en effet, va à l’encontre de la réduction du format. Les premiers effets de la réforme des retraites se feront sentir en 2012, réduisant le nombre des départs spontanés d’environ 600 chaque année.
Quelles mesures envisagez-vous de prendre, monsieur le ministre, pour que cette réforme ne se traduise pas par une déformation de la pyramide des âges ?
Pour conclure, je veux souligner l’ampleur des réformes en cours : peu d’organisations publiques ou privées de cette taille se sont lancées dans une modification aussi profonde de leur mode de fonctionnement, de leurs implantations géographiques et de leur effectif.
Je tiens à saluer M. le ministre, à qui j’adresse nos vœux de complète réussite, mais également le personnel des armées, qui conduit cette réforme.
Sous le bénéfice de ces observations, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées recommande l’adoption des crédits de la mission « Défense ». (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Jean-Marie Bockel applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine, rapporteure pour avis.
Mme Michelle Demessine, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour le soutien des forces. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne sais pas si le 9 novembre 2011 fera date dans l’histoire sociale ou parlementaire, mais il me semble que c’est la première fois, à une petite exception près, que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a entendu les représentants des syndicats des personnels civils de la défense à l’occasion de l’examen d’un projet de loi de finances.
Il est très important que cette expérience soit renouvelée plus souvent car les syndicats nous permettent d’entrevoir l’envers du décor de la réforme de la défense ; leur approche réaliste nous permet de lire avec un œil plus critique les six cent huit pages du « bleu » budgétaire consacré à la mission « Défense ».
Je vais vous exposer, monsieur le ministre, mes chers collègues, les quatre principales raisons, tirées de l’analyse du programme 212 « Soutien de la politique de défense », pour lesquelles j’ai exprimé devant la commission des affaires étrangères l’opposition de mon groupe à l’adoption des crédits de la mission « Défense ».
Sur le plan financier, ma principale inquiétude porte sur le projet Balard. Je me demande si la fascination excessive pour les grands projets n’a pas conduit à signer, avec ce contrat, une sorte de bombe à retardement financière…
D’abord, ce contrat engage l’État et les générations futures pour une durée de trente ans, au moment où les évolutions financières et politiques n’ont jamais été aussi rapides.
Ensuite, a-t-on tiré toutes les leçons de l’expérience du partenariat public-privé conclu pour la construction de l’hôpital sud-francilien ? Cette démarche, initialement présentée comme exemplaire, s’est révélée en pratique catastrophique, les travaux conduisant à des malfaçons et à des surcoûts inacceptables.
Enfin, on prétend que la redevance de 130 millions d’euros par an – hors taxes ! – sera financée par des économies de fonctionnement. Certains doutent de la pertinence des calculs qui conduisent à une telle affirmation. J’ajoute que, si l’hypothèse présentée par le Gouvernement se vérifie – souhaitons-le ! –, on pourra alors s’interroger rétrospectivement sur l’efficacité de la gestion des crédits de la défense. Je signale que la Cour des comptes vient de tenir un raisonnement analogue : elle conclut que la réduction du nombre d’applications informatiques est un révélateur des redondances auxquelles ont conduit la gestion et les cloisonnements antérieurs.
Plus généralement, je dénonce le décalage important entre l’affichage budgétaire et la réalité humaine et territoriale.
Les difficultés des collectivités territoriales confrontées aux restructurations sont souvent bien analysées et relayées par le Sénat. Je saisis l’occasion pour citer le cas du territoire du Cambrésis, qui doit aujourd’hui faire face aux bouleversements liés à la fermeture de la base aérienne de Cambrai-Épinoy. Dans cette partie de la France, les friches militaires succèdent aux friches industrielles. La seule perspective consiste en une hypothétique reconversion aidée par un État qui procède à des coupes budgétaires de plus en plus rigoureuses.
Je souhaiterais que le Sénat défende la cause des personnels aussi bien que celle des territoires. Les restructurations en effet portent en elles l’éclatement des communautés de travail au sein de la défense. Cet éclatement est amplifié par le transfert au secteur privé d’un certain nombre de fonctions de soutien. Certes, le Gouvernement semble aujourd’hui hésiter à intensifier sa politique d’externalisation, dont nous demandons solennellement un bilan précis. Ce dernier montrera vraisemblablement que les économies de fonctionnement ne sont pas systématiquement au rendez-vous. La notion de réorganisation semble véhiculer, pour le Gouvernement, une image de progrès, alors qu’elle est un facteur d’épuisement et de stress pour les agents. Par-dessus tout, la suppression des 54 000 emplois dans la défense s’accompagne d’une destruction de nos savoir-faire qui met en péril à la fois notre communauté de travail et notre indépendance nationale.
En ce qui me concerne, je suis très sensible au sort réservé aux personnels civils. Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale a posé un principe très clair : « Les personnels militaires devront se concentrer sur les missions opérationnelles, les personnels civils sur les tâches administratives et de soutien. » Dans ces conditions, pourquoi, monsieur le ministre, ne pas offrir de meilleures perspectives de carrière aux personnels civils ? Comme nous l’ont rappelé les syndicats que nous avons auditionnés, on trouve des militaires à des postes ne présentant aucun caractère opérationnel tandis que les postes d’encadrement sont rarement occupés par des personnels civils, qui en ont pourtant la capacité.
Je me demande enfin si la modernisation de notre défense est bien en phase avec celle de la société française. En effet, il faut constater que la féminisation de la défense n’est pas encore très développée. Ce n’est pas seulement une question de genre. Faut-il rappeler qu’un certain nombre d’études spécialisées montrent que la participation accrue des femmes aux fonctions de management d’une structure renforce son efficacité et sa rentabilité, tout en y réduisant les conflits ? C’est pourquoi, pour une meilleure visibilité, il serait nécessaire qu’au milieu de la grande profusion de chiffres et de données qui accompagnent la présentation du budget de la défense figurent aussi des indicateurs chiffrés sur la place des femmes dans la défense de notre pays.
Telles étaient, mes chers collègues, mes principales remarques concernant le programme 212.
À titre personnel, je ne voterai donc pas les crédits de la mission défense, mais je rappelle que la commission des affaires étrangères a suggéré au Sénat de les adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel, rapporteur pour avis.
M. Jean-Marie Bockel, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour le soutien des forces. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’interviendrai en complément de ma collègue Michelle Demessine sur la mission « Défense ».
Convaincu, en ce qui me concerne, de la nécessité des mutations en cours, je m’attacherai, au nom de la commission, à souligner les efforts destinés à limiter les inconvénients de ces transformations en analysant certains aspects du programme 212 « Soutien de la politique de défense ».
Nous avons entendu en commission, je tiens à le souligner, les propos rassurants du secrétaire général pour l’administration. Il a d’abord rappelé que l’État perfectionnerait sa démarche pragmatique en matière de cessions d’emprises aux collectivités territoriales, en tenant compte des difficultés rencontrées dans le passé. Il s’est également engagé sur la dimension humaine des restructurations.
Le programme 212 est le reflet budgétaire fidèle des mutations en cours. Ses deux piliers sont les crédits liés à la politique immobilière, qui représentent 47 % du total, et aux restructurations, qui totalisent 16 % des crédits du programme. Techniquement, il connaît un déséquilibre structurel entre les autorisations d’engagements et les crédits de paiement. Il ne faut d’ailleurs pas surinterpréter les brusques variations d’une année sur l’autre des autorisations de programmes, qui sont inhérentes à une politique immobilière active.
La commission m’a spécialement chargé d’interroger le Gouvernement sur le « rabot » adopté par l’Assemblée nationale, qui minore de plus de 1 % les crédits de ce programme. Nous nous demandons, monsieur le ministre, si le Gouvernement est en mesure de nous confirmer que le premier et le second « rabots » ne porteront pas atteinte au plan de financement économique des restructurations, dont les 213 millions d’euros financés par le Fonds pour les restructurations de la défense, le FRED.
J’en viens au volet spécifique des dépenses immobilières ou d’infrastructure et de leur financement. Au cours des années précédentes, la fragilité des prévisions de recettes issues des cessions immobilières a été soulignée par notre commission. Aujourd’hui, le bilan des cessions et les perspectives de recettes me paraissent comporter quelques éléments positifs d’évolution.
S’agissant notamment des ventes d’emprises régionales, je crois que nous sommes sur le bon chemin pour trouver le meilleur point d’équilibre entre l’intérêt de l’État et celui des collectivités territoriales. Je rappelle que la moitié des emprises est éligible au dispositif de cession à l’euro symbolique. C’est un progrès considérable par rapport à la situation qui prévalait dans le passé. Comme nombre de responsables de collectivités, je puis en témoigner. Responsable de territoires en difficulté, j’ai en effet souvent été confronté à des négociations bien compliquées en la matière. Cela constitue donc un vrai progrès, que l’on peut aussi porter au crédit de la RGPP. Le bilan détaillé de l’application de ce dispositif démontre que c’est un succès.
La première priorité, à la fois pour l’État et les collectivités territoriales, est d’éviter de laisser s’installer des zones de friches militaires. Je veux sur ce point aussi apporter mon témoignage. Il s’agit de problèmes auxquels nous avons été confrontés par le passé, notamment du fait de la dégradation très rapide des immeubles. Ainsi, les cessions rapides, réalisées dans les conditions que je viens de mentionner et comportant, pour chacune d’entre elles, la clause de retour à meilleure fortune, permettent à l’État de réaliser des économies en coûts d’entretien – des crédits sont d’ailleurs prévus sur ce poste, comme cela nous a été rappelé lors des auditions – et aux collectivités territoriales de s’engager dans la réalisation de projets susceptibles de générer de nouvelles recettes.
À Paris, le regroupement des administrations centrales à Balard doit permettre de libérer des immeubles de grande valeur. En 2013, le montant prévisionnel des cessions est évalué à 672 millions d’euros. On a beaucoup épilogué sur ce processus de cession : je mentionne simplement qu’il pourrait aboutir à vendre de l’immobilier parisien dans une conjoncture favorable. On ne s’en plaindra donc pas.
Je voudrais faire une autre remarque sur le projet Balard, qui a été critiqué par certains. Il s’agit d’une démarche à la fois importante, inédite et certainement fructueuse en termes de qualité de travail et d’efficacité, qui consiste en l’installation de 9 300 personnes en 2014 sur un site nouveau dont la construction, l’acquisition et le fonctionnement, dans toutes ses composantes, seront couverts par une redevance de 130 millions d’euros par an jusqu’en 2041. Je précise surtout que cette redevance sera versée à un opérateur qui a remporté le marché public sans que personne conteste la régularité de la procédure, ce qui constitue, à tout le moins, un indice du sérieux de cette opération. Cela méritait d’être dit.
Un mot, enfin, sur le sort réservé à l’hôtel de la Marine. La commission et le rapporteur pour avis que je suis saluent les perspectives d’affectation de ce monument exceptionnel – je pense notamment au rapport de la commission de l’hôtel de la Marine, présidée par Valéry Giscard d’Estaing, qui a fait un travail tout à fait intéressant et approfondi – qui semblent bénéfiques culturellement, touristiquement et symboliquement, puisque le lien avec la marine est soigneusement préservé.
Je voudrais finir mon intervention en posant quelques questions au Gouvernement. Elles portent sur les modalités juridiques du dispositif de préfiguration, sur la future gestion immobilière de l’hôtel de la Marine, et sur le financement des travaux puis du fonctionnement courant du nouvel ensemble. Il s’agit là de questions très concrètes dont les réponses seront déterminantes pour la réussite de ce projet. Monsieur le ministre, le diable se situe dans les détails, mais je suis sûr que vous nous apporterez les réponses susceptibles de nous rassurer !
Pour toutes ces raisons, je recommande, avec la commission, de voter ces crédits. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. La majorité se doit d’être exemplaire. C’est pourquoi monsieur le président, je souhaiterais que vous demandiez à M. François Trucy, rapporteur spécial de la commission des finances, de présenter son rapport. Cela nous ferait à tous extrêmement plaisir. (Applaudissements.)
M. François Trucy, rapporteur spécial. C’est embarrassant !
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Mais non, on n’est jamais embarrassé au pays du rugby ! (Sourires.)
M. François Trucy, rapporteur spécial. C’est vrai !
M. le président. La parole est donc à M. François Trucy, rapporteur spécial.
M. François Trucy, rapporteur spécial. Je suis désolé d’avoir perturbé ainsi la séance, et je suis très sensible à la démarche du président de la commission des affaires étrangères, Jean-Louis Carrère, à qui il m’était difficile d’opposer un refus !
Je reprends donc mon exposé. Comme je le disais, à la conclusion près du rapporteur spécial de la commission des finances, que j’appelle le « rapporteur principal », M. Krattinger, qui recommandait de s’abstenir, j’aurais cosigné assez facilement l’ensemble du rapport. Je m’explique.
Je relève avec satisfaction, comme vous tous, la somme considérable de 38,3 milliards d’euros de crédits de paiement figurant dans le présent budget, en hausse de 2,3 % par rapport à 2011. Je relève en outre que les chapitres majeurs de cette mission sont pourvus et que les crédits affectés sont conformes, dans la plupart des cas, aux dispositions de la loi de programmation militaire pour la période 2009-2014 ; dans la plupart des cas seulement car, au final, cette année encore, la LPM ne sera pas respectée dans son intégralité. L’écart entre elle et la programmation budgétaire triennale pour 2011-2013 se monte à 1,35 milliard d’euros selon mes recherches, même si les chiffres peuvent varier d’une source à l’autre. La faute en revient à cette « bulle programmatique » qu’il semble difficile de résorber totalement.
Ce décalage entre la programmation et la réalisation n’étonnera néanmoins que ceux qui prenaient pour argent comptant les données de la LPM, données qui, pour satisfaire les options du Livre blanc, se nourrissaient de bien trop d’espérances. Ainsi étions-nous sceptiques, en particulier lors du précédent vote, quant aux recettes provenant des cessions immobilières et des ventes de fréquences hertziennes, qui semblent maintenant arriver à échéance. Nous craignions que les unes et les autres nous réservent d’importantes déceptions, tant sur le calendrier des réalisations que sur le plan de leur rendement. La suite nous a partiellement donné raison.
J’éprouve personnellement le même scepticisme à l’égard de la réalisation du projet Balard, le « Pentagone à la française ». Compte tenu de son coût et des difficultés multiples qu’il rencontre, compte tenu, en outre, de la quasi-impossibilité de réaliser dans le même temps les cessions immobilières nécessaires au financement du projet et dont certaines – je pense à l’hôtel de la Marine dont M. Bockel vient de parler – sont déjà déprogrammées, je me permets de penser que ce projet était déraisonnable.
S’il y avait, à l’évidence, un intérêt de confort à regrouper en un seul lieu tous les services de la défense, était-ce cependant le moment d’y procéder ?
Je note que le génial promoteur de ce projet, quand il était ministre de la défense, est maintenant le premier à critiquer et attaquer ceux de ses amis à qui il a laissé le soin de payer l’addition…
Monsieur le ministre, les sénatrices et sénateurs qui soutiennent le Gouvernement dont vous faites partie sont inquiets de la situation actuelle du budget de la défense et des perspectives d’avenir. D’ores et déjà, ce budget est amené, alors qu’il n’est même pas encore voté, à contribuer aux efforts d’économies que réclame la conjoncture économique et financière de notre pays. La RGPP, depuis quelque temps, contredit la LPM. Un décret d’avances a déjà été octroyé et des gels de crédits assez conséquents ont été annoncés.
Dans ces conditions, quel sort sera réservé aux grands programmes de matériel ? Que deviendront les programmes du nouveau NH90, du Rafale, des frégates FREMM ou de l’A400M ?
Au fond, plus que des critiques, la minorité sénatoriale tient surtout à exprimer des inquiétudes. Cette année, monsieur le ministre, compte tenu des conditions de préparation de l’examen du budget au Sénat, il ne nous a pas été possible de faire le point, comme c’était habituellement le cas, sur les sujets essentiels que sont la condition militaire, les activités des forces, le maintien en condition opérationnelle de tous les matériels, au-delà du simple matériel engagé dans les opérations extérieures, les OPEX.
Si M. le rapporteur principal, Yves Krattinger, en est d’accord, voilà des points qu’il nous faudrait éclaircir durant l’année 2012, qui, comme chacun sait, va nous réserver beaucoup de temps libre.
Il faudrait aussi préciser dans quelles proportions le plafond des autorisations d’emplois est sous-exécuté.
En effet, en 2012, à une réduction programmée de 7 462 équivalents temps plein travaillé, ou ETPT, s’ajoute la notion persistante de la sous-exécution de la programmation elle-même. Est-elle vraiment de 4 000 ETPT ?
Si c’est le cas, comme les années précédentes, c’est que la programmation n’a pas été réaliste sur ce point et que les autorités militaires, confrontées à une sous-estimation de la masse salariale, ne peuvent que piloter à vue. Il serait important pour nous d’obtenir des informations sur ce point, car elles seront déterminantes lors du vote de la future loi de programmation militaire de 2012.
Je souhaite aussi vous dire, monsieur le ministre, à quel point nous avons été choqués, l’an passé, par le rapport qu’a publié la Cour des comptes sur le service de santé des armées. Nous sommes quelques-uns, ici, à considérer certaines des critiques comme injustes et déplacées dans la mesure où elles ne tiennent aucun compte des contraintes spécifiques de ce service – et Dieu sait qu’elles sont lourdes ! – ni de l’aide immense qu’il rend aux militaires, à leurs familles et aux populations des pays où nos forces sont engagées. Dans cette affaire, la Cour des comptes, pour laquelle nous avons le plus grand respect par ailleurs, nous semble être à côté de la plaque !
Dernier point : d’année en année, les OPEX sont un sujet permanent d’angoisse pour le ministre, qui ne sait jamais comment lui sera compensé le déficit considérable entre les crédits votés et la dépense réelle.
Elles sont également un sujet d’irritation tout aussi permanent pour le Parlement, qui n’apprécie guère ces impasses et encore moins les moyens que le Gouvernement utilise chaque année pour boucler le budget.
Cette année encore, faute de pouvoir estimer la dépense, ce qui est compréhensible, il faudra nous contenter d’une sorte de provision dont on reconnaîtra qu’elle a heureusement beaucoup augmenté en 2010 et en 2011.
Ce budget, particulièrement difficile à structurer et à exécuter, va à l’essentiel, c’est un fait, mais il est fortement impacté, comme tous les autres, par les difficultés financières que connaît notre pays. De plus, il s’écarte chaque année davantage de sa programmation, comme le rapporteur Krattinger l’a souligné d’entrée de jeu.
Je souhaite conclure sur des propos plus personnels et que je n’ai pas la prétention d’imposer à mes collègues de la minorité.
Monsieur le ministre, si la France n’a pas ou n’a plus, en matière de défense, la possibilité de tout faire, de tout construire, de tout acheter, si elle n’a pas les moyens de maintenir en condition opérationnelle tous les éléments du matériel de nos armées, si elle n’a plus la capacité de projection qui a été programmée, il vaudrait mieux le reconnaître et ajuster à nos ressources les efforts financiers que réclameront toujours les intérêts vitaux de notre pays, c'est-à-dire la défense de ses territoires et l’essentiel de sa présence et de son rôle dans le monde.
S’agissant des OPEX, par exemple, je constate qu’en 2010, sur 867 millions d’euros de dépenses, 231 millions d’euros, soit 27 % du total, ont été consommés pour le Kosovo – 59 millions d’euros –, pour la Côte d’Ivoire – 82 millions d’euros – et pour le Liban – 90 millions d’euros.
En 1993, après la mission parlementaire qui m’avait amené au Sud-Liban avec la Force intérimaire des Nations unies au Liban, la FINUL, je m’interrogeais déjà sur la justification de notre présence dans ce pays ami. Entre 1993 et 2011, il s’est écoulé dix-huit ans, monsieur le ministre ! Est-ce raisonnable ?
À ne pas savoir partir de certains pays, nous nous interdisons de participer à d’autres opérations majeures que l’ONU nous demandera de couvrir. À moins que l’abandon de notre droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU ne règle ce problème et ne nous dispense, demain, de toute intervention hors de nos sacro-saintes frontières.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai la charge de vous faire connaître que, sur ma proposition, la minorité de la commission des finances du Sénat vous recommande un vote favorable à l’adoption des crédits de la mission « Défense ».
Elle le fait non seulement à l’intention des sénateurs et sénatrices qui appartiennent à l’opposition dans cette assemblée, mais aussi à l’intention de tous les autres, puisque la recommandation de sagesse du rapporteur Krattinger les laisse libres de leur décision. Un tel vote exprimerait une solidarité légitime envers nos soldats. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. le président de la commission des affaires étrangères et M. Yves Krattinger, rapporteur spécial, applaudissent également.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Je vous rappelle aussi que, en application des décisions de la conférence des présidents, aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de trente minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.