M. le président. La parole est à M. François Zocchetto. (Applaudissements sur les travées de l’UCR.)
M. François Zocchetto. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous traversons une période trouble. La croissance économique des pays développés pâtit encore des effets de la récession de 2009 et nous subissons de plein fouet l’impact de la crise des dettes souveraines. Le chômage mondial atteint des niveaux jamais mesurés. Le prix des matières premières, comme celui des denrées alimentaires de base, tend à devenir si volatil qu’il met en péril la survie quotidienne de millions de personnes à travers le monde.
Un tel climat est propice à la montée de tensions politiques, voire militaires, au sein des pays les plus fragilisés du monde. Et pourtant, dans un sens radicalement contraire aux évènements des années trente, les puissances de ce monde sont parvenues, même au plus fort de la crise économique, à travailler ensemble vers davantage d’ouverture et de stabilité mondiale.
Le G20 représente 90 % de la population mondiale et 80 % de la production annuelle. C’est un forum ouvert, accordant une place majeure aux grands pays émergents qui s’imposent au centre du débat : la Chine, l’Inde et le Brésil.
Depuis la première réunion du G20, au niveau des chefs d’État, le 15 décembre 2008, d’importants progrès ont été réalisés dans les modalités de gouvernance mondiale. Le sommet de Cannes des 3 et 4 novembre derniers en atteste. Jamais la question de la réforme du système monétaire international n’avait été poussée aussi loin depuis le sommet de la Jamaïque, qui a marqué l’acte de décès du système de convertibilité issu de la lointaine conférence de Bretton Woods. Jamais la question de la dimension sociale de la mondialisation n’avait pris une telle ampleur.
La France s’est honorée en parvenant à mener une présidence aussi efficace, d’ailleurs saluée par l’ensemble des membres du G20. Notre pays a tenu son rang de premier plan au sein du concert des nations. Je tiens donc, monsieur le ministre, au nom du groupe de l’Union centriste et républicaine, à saluer l’action du Gouvernement et le travail qu’il a réalisé à cette occasion.
Le G20 a clairement annoncé qu’il mettrait la mondialisation au service des besoins de la population mondiale. Ses membres se sont engagés à faire respecter le plus largement possible les huit conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail. Un cap a été fixé : il s’agit de doter la plus grande partie de la population mondiale de garanties minimales de protection sociale.
La situation aux États-Unis et en Chine n’est certes pas satisfaisante, puisque la majeure partie de leurs populations ne bénéficie pas de mécanismes de protection sociale. Beaucoup reste donc à faire en la matière, et même tout, oserais-je dire, pour ce qui concerne la Chine. Du temps s’écoulera avant que les standards sociaux de ces pays ne soient comparables aux nôtres.
Nous avons tout à gagner, soyons-en convaincus, à l’aboutissement d’une telle démarche. La mise en place d’un système de protection sociale en Chine contribuera à alimenter sa demande intérieure et la dissuadera de s’engager dorénavant dans des entreprises de dumping social. Nous pouvons même rêver d’un système dans lequel la compétition commerciale tendra davantage à une compétition des produits plutôt qu’à une course au moins-disant social.
Autre sujet d’importance : la réforme du système monétaire international.
Le G20 a fait en la matière d’importantes annonces, qui constituent l’aboutissement de plus de dix-huit mois de travaux et de négociations internationales. Le groupe des Vingt s’est mis d’accord pour renforcer les capacités d’action du Fonds monétaire international, dont la réforme sera étendue vers une plus large représentativité. Autant dire que la suprématie du dollar devra faire une place à l’euro comme au yuan. La Chine s’est d’ailleurs engagée dans la voie d’un pilotage plus responsable de sa politique monétaire, de manière à rapprocher la parité de sa monnaie de ses fondamentaux économiques.
L’équation est simple, selon nous : la croissance et la prospérité grandissante de la Chine doivent conduire à une appréciation de sa monnaie par rapport aux autres devises internationales. Nous ne devrons pas relâcher notre vigilance quant à la réalisation de cet objectif.
Le groupe de l’Union centriste et républicaine approuve grandement ces initiatives, et nous vous encourageons sincèrement, monsieur le ministre, à poursuivre dans cette voie. Votre démarche concorde en effet avec nos convictions les plus profondes, qui tendent à l’instauration dans l’économie mondiale d’une justice et d’une équité renforcées.
Cela étant, le sommet de Cannes a été entaché, et en partie détourné de son agenda officiel, par les prolongements récents de la crise de la zone euro. M. Georges Papandréou n’est pas passé loin de déclencher la crise de trop. Nous ne pouvons cependant pas nous féliciter du retrait de son projet de référendum, car celui-ci ne suffit pas à nous rassurer. La situation sociale en Grèce est en effet plus que préoccupante. La jeunesse grecque se résigne à un avenir fait d’austérité ou se prépare à l’exil. Le taux de suicide a été multiplié par deux. La violence gagne les rues et les consciences.
Nous n’ignorons pas les difficultés terribles que la Grèce affronte. Pour autant, M. Papandréou aurait mieux fait d’organiser ce référendum au cours de l’année passée, dès mai 2010. Une telle annonce, faite à l’issue d’un cycle aussi serré de négociations entre les plus hautes instances de l’Union européenne et les créanciers de la Grèce, aurait pu nous conduire à un désastre généralisé. Notre continent se serait alors dirigé vers des territoires encore inconnus, et nous en aurions tous été les victimes.
Le mal est en partie déjà fait. L’Italie emprunte sur les marchés à près de 7 %, ou peut-être plus à l’heure où je parle. Son gouvernement a été si ébranlé que le Président du Conseil, Silvio Berlusconi, a d’ores et déjà annoncé qu’il démissionnerait, une fois voté le dernier train de mesures d’assainissement des finances italiennes. L’Italie, déjà acculée à des difficultés majeures du fait d’un endettement supérieur à 120 % de son PIB, cherche désespérément à garantir sa crédibilité auprès de ses créanciers.
Si je rappelle ces récents événements, c’est pour mieux définir le contexte dans lequel le G20 s’est déroulé. Cette situation n’est en rien stabilisée.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le monde avance et s’organise chaque jour un peu plus, chaque jour un peu mieux. Notons bien que la crise de la zone euro a manqué, et manque encore, de nous exclure de cette marche vers une mondialisation plus responsable et plus soucieuse des populations, vers ce monde plus stable auquel nous aspirons tous. Il ne tient qu’à nous de nous hisser au niveau des exigences de notre temps.
L’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, puis du projet de loi de finances, nous donnera l’occasion de débattre encore des moyens de nous hisser au niveau de ces exigences. (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.)
M. Jean Bizet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. François Rebsamen. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. François Rebsamen. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Gouvernement a souhaité organiser un débat sur les conclusions du G20 qui s’est tenu à Cannes les 3 et 4 novembre, sous présidence française.
Il est logique que l’exécutif vienne rendre compte devant le Parlement des résultats de cette réunion internationale. Peut-être aurait-il été plus logique encore qu’un débat spécifique au G20 ait lieu préalablement pour donner plus de légitimité aux positions françaises dans les négociations. Mais cela impliquait une autre conception du rôle du Parlement…
Le Président de la République avait affiché de très grandes ambitions pour cette réunion du G20, et ce dans cinq domaines : la lutte pour la stabilité des prix des matières premières et la réponse au défi agricole, le soutien à l’emploi et le renforcement de la dimension sociale de la mondialisation, la lutte contre la corruption, l’action pour le développement, enfin, la réforme du système monétaire international et sa régulation avec la taxation des transactions financières. Rien à redire sur le bien-fondé de ces objectifs.
Mais en réalité qu’est-il advenu ? Certes, de belles paroles, des promesses réitérées ont été exprimées, de longs rapports ont été rédigés, mais in fine rien de concret.
Rien, ou pas grand-chose, sur la sécurité alimentaire, si ce n’est des déclarations d’intention. Rien, ou pas grand-chose, sur les politiques sociales, si ce n’est l’engagement des pays à coordonner leurs politiques et à soutenir les institutions existantes, « chacun jouant son rôle » – on fait difficilement plus vague.
Rien de neuf sur la lutte contre la corruption, celle-ci étant pourtant l’un des fléaux majeurs pour le développement.
M. Claude Bérit-Débat. Eh oui !
M. François Rebsamen. Rien de neuf non plus d’ailleurs sur les politiques de développement pour les pays moins avancés.
Rien encore en matière de sanctions contre les paradis fiscaux, qui sont d’ailleurs cités, et c’est bien le moins.
Rien surtout sur la taxe sur les transactions financières, si ce n’est une mention annexe dans la déclaration finale, une simple évocation au détour d’un paragraphe traitant des politiques de développement – sans aucune avancée concrète donc –, mais que le Président de la République a brandie comme un étendard de victoire.
Je le dis comme je le pense, il est vraiment dommage pour la France que le Président de la République n’ait pas obtenu plus.
En réalité, la crise de la dette européenne et l’urgence du problème grec ont été au cœur des débats des grands de ce monde, étant donné l’incapacité des dirigeants européens à avoir apporté à celles-ci une réponse.
Tous ensemble nous devons faire ce constat : une fois de plus, nous payons – aujourd’hui au sens propre – l’absence d’une véritable gouvernance politique et économique de la zone euro. À agir trop peu et trop tard, à force de prendre des décisions de circonstance qui ne peuvent être que provisoires, l’austérité budgétaire tient aujourd’hui lieu de politique économique à l’échelon de l’Union européenne. L’Europe ne pense plus, l’Europe n’élabore plus : elle réagit et navigue à vue.
La France, en particulier son Président, n’est pas étrangère à cette dérive, notamment à cause de la méthode employée : dramatisation et ultra-médiatisation des « rendez-vous de la dernière chance ». Ainsi, le 21 juillet dernier, fut annoncée une décote de 21 % de la dette grecque censée régler tous les problèmes. Mais les faits sont têtus, et la réalité a contredit les communiqués de victoire : au mois d’octobre, il a fallu accepter de porter cette décote à 50 %.
En réalité, devant l’absence d’une stratégie de long terme, les dirigeants européens se retrouvent acculés au regard des circonstances, contraints de mettre en œuvre une politique de rigueur et d’austérité voulue par nos partenaires allemands, sans contreparties en termes de croissance, de relance économique, de soutien à l’activité et de stratégie de retour de l’emploi.
Certes, personne ne peut nier l’énergie dépensée par le Président de la République pour tenter de convaincre nos partenaires de la justesse de ses positions. Peut-être aurait-il pu d’ailleurs en mettre autant pour persuader le leader de la droite grecque qui siège au Parlement européen d’accepter le plan européen ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
MM. Yves Pozzo di Borgo et Jean-Paul Emorine. Quel rapport ?
M. François Rebsamen. Je vous expliquerai ultérieurement, mes chers collègues, les raisons pour lesquelles il eût été bon que la droite grecque soutienne le plan présenté par les responsables européens !
M. Jean-Louis Carrère. Par la droite !
M. François Rebsamen. Quoi qu’il en soit, force est de le constater, aujourd’hui, c’est la Chancelière allemande qui impose ses règles. Aussi, au-delà des efforts de communication et des images, il est bien difficile de savoir ce qui restera effectivement de la réunion du G20 à Cannes.
Bien que le Président de la République ait démontré sa capacité à se mettre en scène – qui en doutait ? –, il n’a pas pu masquer son absence de résultats derrière des effets d’annonce, lesquels, on le sait, ne seront pas suivis de mesures avant longtemps.
Les ambitions ultra-médiatisées – c’est une stratégie ! – affichées par le Président de la République à Washington au mois de novembre 2008 de moraliser le capitalisme mondial et de mettre en place la régulation financière et bancaire qui est au cœur de la problématique de la crise actuelle sont restées lettre morte depuis cette date. Or tant que nous n’avancerons pas sur cette question centrale de la régulation financière, tant que nous nous contenterons d’apporter au coup par coup des réponses de circonstance pour tenter de rassurer les marchés, l’Europe et la zone euro seront toujours en butte à la spéculation et aucune solution forte, durable, à la crise ne pourra être apportée.
Tels sont les résultats bien faibles de cette présidence du G20.
Le Président de la République avait, comme il en a l’habitude, claironné son ambition. On allait voir ce qu’on allait voir ! C’est tout juste si le monde n’allait pas être transfiguré ! Le Président français se voulait sauveur ; il est arrivé en quémandeur, notamment de la participation des pays émergents au fonds de soutien européen. Il est même allé jusqu’à téléphoner au Président chinois pour lui faire le compte rendu des discussions des États européens, sans doute en quête d’approbation, mettant ainsi la France et l’Europe dans une situation bien compliquée pour négocier la réciprocité commerciale et le respect des normes sociales et environnementales, deux principes bien nécessaires.
Mme Chantal Jouanno. Vous, qu’avez-vous proposé ?
M. François Rebsamen. Le Président de la République ne cesse de se targuer d’une stature internationale. Il en fait même l’un de ses principaux arguments de campagne électorale. Mais c’est aux résultats qu’une telle stature peut se mesurer. Et à cette aune, elle ne vaut plus grand-chose, permettez-moi de le faire remarquer.
Pour conclure, il me suffirait de citer les propos que tenait dans cette enceinte même le 11 octobre le ministre des affaires étrangères et européennes, chargé des affaires européennes : « […] si l’Europe n’a pas réglé d’ici au sommet de Cannes l’ensemble des problèmes de la zone euro et de l’Europe, le G20 sera celui de la dette de la zone euro et nous serons désignés comme les responsables de la récession et des difficultés que rencontre le reste du monde. » C’est exactement ce qui s’est passé ! Ce G20 est donc avant tout une grande occasion manquée.
Il faudra revenir sur tous ces sujets, reprendre le travail tendant à convaincre nos partenaires internationaux pour transformer réellement la gouvernance économique mondiale, pour remettre la finance à sa place, c’est-à-dire au service de l’économie, pour réguler les marchés agricoles, pour relancer l’économie mondiale et pallier ses déséquilibres.
Bref, il reste beaucoup à faire d’ici au prochain G20, qui se tiendra au Mexique. Mais pour arriver au résultat susvisé, il nous faut mener une autre politique,…
M. Jean Bizet. Le plan B !
M. François Rebsamen. … une politique qui conduise à la relance de la croissance et à la réduction de la dette en France, qui soutienne la consommation et qui permette, enfin, de régler la crise européenne grâce à la prise de décisions adéquates avec nos partenaires.
Trop de temps a été perdu. Il est urgent de changer de politique. C’est tout l’enjeu des échéances démocratiques du printemps prochain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes non pas consultés avant la réunion du G20, mais informés ultérieurement.
M. Jackie Pierre. C’est déjà pas mal !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Certes, mais nous sommes bien éloignés du renforcement, acquis aux dires de certains, des droits du Parlement !
Mme Chantal Jouanno. Vous avez fait des propositions ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quoi qu’il en soit, la parole nous étant donnée, exprimons nos sentiments à l’égard de cette réunion du G20 !
À la veille de celle-ci, lundi 31 octobre, naissait le sept milliardième habitant de notre planète. Sept milliards de terriens, quel espoir et quel défi immenses ! Espoir pour chaque enfant qui naît de continuer la grande aventure humaine ; défi lancé à la collectivité mondiale de s’organiser pour permettre à chacun de vivre dignement.
De toute évidence, ce formidable défi exige des réponses nouvelles, radicales, que les dirigeants des pays les plus riches de ce monde, à commencer par les puissances occidentales, paraissent dans l’incapacité d’apporter.
Quelle est la situation mondiale aujourd’hui ? Les inégalités ont atteint un seuil critique : 2 % de la population détient la moitié de la richesse mondiale ; un quart des 10 % des personnes les plus riches vit d’ailleurs aux États-Unis.
Le Programme des Nations unies pour le développement vient de rendre un rapport critique portant sur la dégradation de la distribution des revenus et la destruction de l’environnement, qui plaide en faveur de l’adoption de mesures audacieuses à l’échelon mondial. Ce document aurait pu être une feuille de route pour le G20, comme le proposait le Secrétaire général de l’ONU en évoquant « un investissement intelligent à long terme ». Il n’en fut rien, hélas !
Alors, vous avez un leitmotiv : la crise, les catastrophes annoncées, c’est-à-dire, toujours pis. Mais de quoi s’agit-il exactement ?
La richesse mondiale s’établit à 195 000 milliards de dollars, selon une institution experte en fortunes : le Crédit suisse. Elle a crû de 72 % depuis 2000. Cette vénérable institution prévoit d’ailleurs une progression de 61 % d’ici à 2015, la richesse devant atteindre alors 315 000 milliards de dollars.
Le Premier ministre, quant à lui, parle de faillite pour notre pays. Pourquoi ne pas rappeler que la France a enregistré une hausse des richesses de 146 % en dix ans et qu’elle est le troisième pays au monde à compter le nombre de millionnaires le plus élevé ? Si faillite il y a, c’est bien celle du capitalisme financier.
En 2008, le Président de la République se faisait fort de « refonder et moraliser le capitalisme ». Il n’évoque plus cela, et on comprend pourquoi…
En fait, depuis trois ans, la population paie le prix du système capitaliste à coup d’aides publiques accordées aux banques privées. Ce véritable hold-up sur les peuples soumis à la dictature des marchés a pour seuls gendarmes ces agences de notation dépourvues de toute légitimité démocratique qui ont pouvoir de vie ou de mort sur les États, lesquels sont sommés de se soumettre ou de se démettre.
Alors, ce G20 qui se tenait en France, G20 de l’avant-présidentielle, devait être l’occasion pour le Président de la République de se donner le rôle de leader européen, voire mondial, et de faire oublier, au passage, que l’austérité imposée depuis deux ans à nos concitoyens n’avait entraîné qu’un effondrement encore plus important de notre pays – emplois, salaires, retraites, dépenses utiles, dette –, tandis que les intérêts privés continuaient à prospérer.
En réalité, les marchés veillaient au grain et les objectifs des grands patrons, présents aussi au G20, étaient toujours les mêmes : réduction des dépenses plutôt qu’imposition des entreprises, refus d’un socle minimal de protection sociale, rejet total d’un changement de fonctionnement bancaire et financier. En conséquence, l’objectif du sommet était simple : préserver les banques de toutes pertes financières en cette période de crise de la dette ; imposer un mode de gouvernance qui met à mal le concept même de démocratie.
Malgré le long communiqué final, le résultat fut bien mince : point de taxe sur les transactions financières, donc point de régulation financière, pas de moralisation des banques et de réelles mises à contribution.
En revanche, la réunion de Cannes a été marquée par deux événements inquiétants : un combat féroce dominé par le duo Sarkozy-Merkel contre l’idée du référendum et la mise sous tutelle de l’Italie par le FMI.
Ce sommet marque une étape dangereuse, mais très significative, dans la mise en cause de la souveraineté populaire et des souverainetés nationales : le déluge politico-médiatique contre l’annonce par M. Papandréou d’un référendum, le Premier ministre de la Grèce envisageant de soumettre les décisions prises à Bruxelles au vote, alors qu’une régression sociale historique va être imposée au peuple grec.
Au-delà du jeu politique et tactique de M. Papandréou, qui a rapidement payé son audace, n’était-il pas symbolique que le pays fondateur de la démocratie soit mis à genou par l’oligarchie financière et ses représentants actifs sur le plan européen que sont M. Sarkozy et Mme Merkel ? Les instances européennes, pourtant entachées elles-mêmes d’un grave déficit démocratique, ne sont même plus consultées.
Décidément, le G20 de Cannes est une défaite pour la démocratie. M. Sarkozy n’aime pas l’avis du peuple. Comment s’en étonner, alors qu’il a refusé de soumettre le traité de Lisbonne au peuple français, qui avait pourtant refusé le traité constitutionnel à une large majorité en 2005 ?
Le monde – l’Europe en particulier – vit un moment grave. Après le triomphe du libéralisme durant les dernières décennies et l’explosion de richesses au profit de quelques-uns, l’alternative paraît singulièrement simple.
Soit on commence à changer le monde, c’est-à-dire à répartir les richesses sur des bases nouvelles, à savoir un autre mode de développement durable, un projet d’égalité planétaire fondé sur un nouvel âge de la démocratie mondiale. Cela exige toutefois des décisions fortes, qu’un groupe de vingt pays ne peut avoir l’ambition d’organiser, en dehors des institutions permanentes et légitimes comme l’ONU.
Soit on choisit la fuite en avant d’un système capitaliste aujourd’hui incapable de proposer un modèle de développement aux sept milliards de terriens que j’évoquais au début de mon propos. Cette fuite en avant se fonde sur une mise en cause profonde de la démocratie. Je tiens d'ailleurs à exprimer solennellement ici notre grande inquiétude à l’égard des tensions qu’engendrerait un tel choix de la part des principaux dirigeants capitalistes.
Les peuples ne laisseront pas perdurer longtemps ce coup d’État permanent. Le mouvement des « indignés » de Wall Street, des « 99% » qui n’ont pas la parole, comme ils se désignent eux-mêmes, pourrait être prophétique. L’histoire a en effet montré qu’il était vain de s’opposer à la volonté des peuples.
D’autres choix sont possibles : le G20 les a effleurés, sans toutefois les aborder sur le fond, et surtout sans y répondre. Pourtant, deux mesures immédiates peuvent et doivent être prises.
La première est la taxation des transactions financières. Il ne faut plus tergiverser sur ce point. Selon des études diverses, le volume des transactions financières atteindrait entre 7 000 milliards et 10 000 milliards de dollars par jour. À titre de comparaison, les échanges de marchandises et de services s’élèvent à 10 milliards de dollars, ce qui, par ailleurs, révèle le mal profond qui ronge l’économie mondiale. En ce domaine, la France peut et doit donner l’exemple.
La seconde mesure consiste à s’attaquer réellement à l’évasion fiscale et aux paradis fiscaux qui accueillent cette évasion.
Monsieur le ministre, alors qu’on évalue à 125 milliards d’euros par an l’évasion des profits des multinationales vers les paradis fiscaux, le gouvernement auquel vous appartenez, par le biais de multiples conventions fiscales, organise, institutionnalise, légalise les transactions financières avec ces derniers. Il faut cesser ces pratiques et décider de sanctions réelles – éventuellement pénales – envers les hommes et les femmes qui jouent contre leur pays, contre leur peuple.
Pour nos concitoyens, les suites du G20 ne se sont pas fait attendre. Je pense au plan d’austérité « triple plus » pour conserver le « triple A » : nouvelles attaques contre les retraites, pénalisation des ménages avec l’accroissement de la TVA, réduction des prestations sociales. Décidément, encore un plan contre le peuple et contre la croissance !
Pour notre part, nous sommes partisans de répondre aux besoins populaires, plutôt qu’aux agences de notation : par exemple, en relevant les salaires, en réformant la fiscalité, en instituant un pôle bancaire public au service de l’emploi et de l’investissement durable. Nous sommes également convaincus que le choix à faire est celui non de la gouvernance mondiale des marchés, mais du progrès majeur de nos démocraties. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la période historique a connu, sous des formes diverses mais de manière cyclique, des crises économiques et financières. Si l’on sort toujours d’une crise, la question est de savoir dans quel état. À cet égard, le souvenir des années trente a marqué l’ère moderne.
En 2008, la crise avait son origine dans les subprimes américains. C’était le temps – pourtant pas si lointain – où le remède présenté comme le gage efficace d’un retour rapide à la normale était la relance à tout va ; c’était le temps où faire exploser le déficit à 8 % du PIB, loin des 3 % imposés par Bruxelles, était considéré comme la thérapie idoine ; c’était le temps où le retour à la croissance devait forcément permettre de traiter le problème du déficit.
Les mois ont passé et, à l’instar d’un virus mutant, la crise a évolué, pris de nouvelles formes et frappé l’Europe de plein fouet, faisant apparaître les faiblesses structurelles de cette dernière aux yeux du monde, en particulier des pays émergents, dont certains font preuve d’une solidité financière et économique nouvelle.
L’Europe a été attaquée là où elle est faible. Quoi que l’on pense d’eux, les marchés financiers savent en effet depuis toujours que deux plus deux n’égalent jamais cinq. Ainsi, les pays de la zone euro, aux politiques économiques divergentes malgré leur monnaie unique, ont subi de plein fouet l’absence d’une politique financière et économique coordonnée, le premier domino à tomber – le plus faible – étant la Grèce.
En dépit des déclarations successives des gouvernements européens, la situation n’a fait qu’empirer. L’opinion, y voyant de l’impuissance de la part des pouvoirs publics, en fait très naturellement grief aux gouvernements, quelle que soit leur sensibilité. En tout cas, il ne saurait être bon pour le pays de faire une utilisation électorale de la crise.
Ce propos me conduit naturellement aux conséquences de la réunion du G20 à Cannes.
La bouteille est-elle à moitié vide ou à moitié pleine ? Quelques jours seulement après la fin du sommet, nous manquons encore de recul. Néanmoins, nous pouvons sereinement considérer que, pour nombre d’observateurs, le bilan est au mieux mitigé, et c’est un euphémisme. Les secousses perdurent, voire prennent de l’ampleur en Grèce et en Italie. Le G20 n’a rassuré personne.
Le gouverneur de la Banque de France a déclaré, il y a trois jours, que « la solution passe par la réparation des finances publiques des pays de la zone euro ». Nous savons que c’est exact, mais que cela ne résout pas tous les problèmes à court terme. Et comment oublier qu’il y a encore peu votre ligne politique consistait à ne point augmenter la pression fiscale et à rejeter catégoriquement le mot « rigueur », même lorsque le Premier ministre relevait lui-même l’état catastrophique de nos finances ?
Le G20 se caractérise par l’annonce tardive de mesures qui auraient été sensiblement plus efficaces voilà dix-huit mois. Beaucoup relèvent encore de l’effet d’annonce : je pense notamment à la taxation des transactions financières, si souvent renvoyée par le Gouvernement aux calendes grecques – sans mauvais jeu de mots –, y compris dans cet hémicycle.
Reconnaissez par ailleurs que la lutte contre les paradis fiscaux n’avance que très lentement.
Nous souhaitions une intervention beaucoup plus massive de l’Union européenne sur le dossier grec. À cet égard, nous déplorons que vous ayez renoncé à proposer la solution des eurobonds, pourtant acceptée par les autorités européennes.
Je l’affirme : les ressources disponibles du Fonds européen de stabilité financière sont encore insuffisantes face aux 3 400 milliards de dollars de dette des pays les plus menacés. J’affirme également que, s’agissant de la valeur de l’euro et de la correction des déséquilibres économiques mondiaux, nous pouvons considérer que la réforme du système monétaire international n’a pas vraiment avancé.
Certes, monsieur le ministre, l’exercice est très difficile. Nous sommes d’ailleurs conscients de l’ampleur de la tâche qui est la vôtre. Il mérite les efforts de tous, au-delà des différences de sensibilités.
Toutefois, la façon dont notre pays a été dirigé ces dernières années, sur le plan économique comme sur le plan financier, a rendu cet exercice encore plus difficile. La responsabilité incombe naturellement et légitimement à ceux qui exercent le pouvoir : c’est la règle de la démocratie ; vous n’y échapperez pas ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste-EELV.)