M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe socialiste, apparentés, et groupe Europe écologie Les Verts rattaché, 30 minutes ;
Groupe Union pour un mouvement populaire, 29 minutes ;
Groupe de l’Union centriste et républicaine, 11 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 9 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 8 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 3 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Marc Daunis.
M. Marc Daunis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est bien naturel qu’un tel texte soit examiné en premier lieu par la Haute Assemblée, car il revient d’abord aux sénateurs de concilier lois de la République et spécificités des territoires.
La Corse nous invite souvent à ce délicat exercice, à ce passionnant débat, elle dont l’histoire, la culture, l’exceptionnelle beauté des paysages ont, au long des siècles, forgé une identité forte et singulière.
Ce débat se poursuit aujourd’hui au travers de l’examen d’un texte important pour l’avenir de l’un des territoires de la République, la Corse, qui doit permettre à celle-ci de lever les blocages de toutes sortes qui minent depuis trop longtemps son développement.
Ce projet de loi a trait à l’élaboration du futur plan d’aménagement et de développement durable de la Corse, le PADDUC. Mesurons bien le fait, mes chers collègues, qu’il s’agit d’un document-cadre d’aménagement et de planification spatiale du territoire sans équivalent dans aucune autre région de France métropolitaine. Il a valeur de directive territoriale d’aménagement et de développement durable, de schéma de mise en valeur de la mer, de schéma régional d’aménagement du territoire et de schéma régional du territoire. Croyez-le bien, monsieur le ministre, les élus locaux que nous sommes aussi mesurent bien l’originalité et l’importance d’un tel document.
Dans cette perspective, permettez-moi, mes chers collègues, de regretter, au nom du groupe socialiste et apparentés, que nous n’ayons pas pu disposer de davantage de temps pour approfondir le sujet et examiner plus en détail un texte qui fera de la Corse la région de France métropolitaine la plus décentralisée.
Ce texte constitue une marque de confiance à l’égard des élus insulaires : cela est devenu si rare ces dernières années, monsieur le ministre, que je m’empresse de le souligner.
Les conditions d’élaboration du PADDUC méritent donc une attention toute particulière de la part de la représentation nationale.
Au cours des cinq ans qui ont suivi le vote de la loi, le conseil exécutif de la collectivité territoriale de Corse a tenté, en vain, de trouver une majorité au sein de l’Assemblée de Corse pour approuver le projet de PADDUC. Il a dû retirer le texte de l’ordre du jour des travaux de celle-ci, le 15 juin 2009.
Il y a des raisons de fond à cet échec ; M. le rapporteur, que je salue, les a rappelées à juste titre en commission.
Le projet, selon ses détracteurs, avait le tort d’orienter le développement de la Corse vers une économie presque exclusivement tournée vers le tourisme et, surtout, d’ouvrir trop largement le littoral et les terres agricoles à l’urbanisation, avec évidemment pour conséquence une demande d’assouplissement des conditions d’application des lois Littoral et Montagne.
C’est particulièrement ce point qui a suscité la polémique. Il faut aborder cette question, essentielle pour la Corse : elle sera, à n’en pas douter, le fil rouge de nos discussions sur ce projet de loi.
En tant qu’élu des Alpes-Maritimes, cette problématique m’est familière. Dans mon département aussi, les montagnes entrent dans la mer, ce qui a une forte incidence sur les possibilités d’aménagement. Notre département a d’ailleurs fait l’objet de la première directive territoriale d’aménagement appliquée sur le territoire national, et certaines de ses communes relèvent elles aussi à la fois de la loi Montagne et de la loi Littoral.
Quelle est la situation en Corse ?
L’évolution démographique de l’île, sa croissance économique et ses besoins insatisfaits en matière de logement induisent de réelles et profondes attentes en termes d’aménagement, lequel pose des difficultés tout à fait particulières.
La Corse est, en effet, il est banal de le dire, une « montagne dans la mer ». En dehors de la plaine orientale, rares sont les espaces facilement urbanisables ou pouvant accueillir des activités agricoles à caractère maraîcher.
Que l’on me permette de revenir sur quelques données essentielles rappelées par M. le rapporteur.
L’urbanisation est peu dense et prend souvent des formes extensives. Bon nombre de communes ne comportent pas d’agglomération bien identifiée, mais se composent d’un ensemble de hameaux éparpillés sur leur territoire. Cette situation, qui rend les choses très complexes, renvoie à la notion d’urbanisation en continuité avec les agglomérations existantes, à laquelle la loi Littoral fait référence.
Enfin, les espaces forestiers et les milieux semi-naturels représentent plus de 80 % du territoire de l’île, dont la majeure partie fait l’objet d’une protection. Le Conservatoire du littoral – je parle sous le contrôle de son premier vice-président – a acquis 23 % du linéaire côtier de l’île, alors que cette proportion ne s’élève qu’à 11 % sur le plan national. Pour bien fixer les enjeux, je soulignerai que le littoral de la Corse est aussi long que celui qui s’étend de Menton jusqu’à Collioure !
Sur un total de 360 communes, un tiers à peine disposent d’un plan local d’urbanisme, d’un plan d’occupation des sols ou d’une carte communale. Par ailleurs, il n’existe, à ma connaissance, aucun schéma de cohérence territoriale en Corse.
Je voudrais enfin insister sur un élément qui ne vaut pas pour d’autres régions et dont l’importance a souvent été sous-estimée : les lois Littoral et Montagne, au demeurant excellentes et dont il est heureux qu’elles aient été adoptées, sont antérieures au développement démographique de la Corse.
Le décor ayant ainsi été planté au travers de ces quelques constats, il faut donc sécuriser juridiquement le dispositif pour concilier efficacement développement et protection durable d’un territoire exceptionnel. Tel est bien l’enjeu de notre débat, tel est aussi le défi que doivent relever les Corses eux-mêmes.
Face à la complexité et à la multiplicité des enjeux, en Corse comme ailleurs, rien ne pourra se faire sans l’adhésion et l’engagement des élus et des populations concernés.
Rien n’a été facile. Une mandature de la collectivité territoriale de Corse s’est écoulée, à partir de 2002, sans qu’un consensus, ou au moins une majorité, ne se soit dégagé sur ce sujet. Il était donc urgent d’avancer.
Je veux saluer, à cet instant, le travail effectué par la nouvelle majorité…
M. Thierry Repentin. Du Sénat ? (Sourires.)
M. Marc Daunis. Non, de l’Assemblée de Corse !
Cette nouvelle majorité, installée depuis à peine dix-huit mois, et le président du conseil exécutif de la collectivité territoriale de Corse, Paul Giacobbi, sont parvenus à aller de l’avant. Conformément au statut, l’Assemblée de Corse a été consultée sur l’avant-projet de loi le 8 novembre 2010. Elle a adopté à l’unanimité – j’y insiste –, le 17 décembre 2010, la délibération évoquée précédemment par M. le rapporteur et M. le ministre.
Il y a donc, et c’est tout à fait remarquable, consensus sur cet avant- projet de loi. Cela représente l’espoir de voir le prochain PADDUC adopté à une forte majorité pour le moins.
Loin de moi, cependant, l’idée que le législateur doive se soumettre. Le débat doit avoir lieu, et il aura lieu.
Le texte contient bien plus encore que ce que j’ai souligné. Je pense notamment à l’intégration des conséquences de l’adoption de la loi portant engagement national pour l’environnement, qui constitue un autre objectif central, ainsi qu’à l’amélioration et à la simplification de la procédure d’élaboration et de modification du PADDUC prévues à l’article 5.
Le groupe socialiste a d’ailleurs déposé deux amendements importants à l’article 5 : le premier vise à intégrer dans le champ du débat public les dérogations accordées à l’Assemblée de Corse pour l’application des lois Montagne et Littoral ; le second tend à associer à l’élaboration du projet toutes les parties normalement prenantes à l’élaboration des directives territoriales d’aménagement et de développement durable, dans l’esprit de l’article L. 113-2 du code de l’urbanisme. Ces deux amendements, que nous avons présentés avec notre collègue Thierry Repentin, nous paraissent extrêmement importants. Ils constituent une garantie supplémentaire et exposent en toute transparence les éventuelles adaptations aux spécificités locales, particulièrement géographiques.
Nos collègues Nicolas Alfonsi et Évelyne Didier ont quant à eux déposé des amendements à l’article 4, portant sur le degré d’appréciation octroyé à l’Assemblée de Corse pour déterminer l’échelle des documents cartographiques, ainsi que sur les modalités d’application des lois Littoral et Montagne.
Le débat aura donc bien lieu dans l’hémicycle, mais, je le répète, le Sénat doit prêter une oreille attentive à ce qui s’est dit au sein de l’Assemblée de Corse : le consensus était recherché, l’unanimité a été obtenue.
Bien sûr, nous devons être vigilants. Le passé a montré, en Corse comme ailleurs, que les lois de la République pouvaient parfois être sinon bafouées, en tout cas contournées. Cela étant, je note que le président de l’Assemblée de Corse, Dominique Bucchini, ancien maire de Sartène et défenseur acharné de la loi Littoral, a exprimé sa confiance et voté la délibération.
Mes chers collègues, si les sénateurs ne font pas confiance aux élus locaux, qui le fera ? Vous l’avez compris, le groupe socialiste aborde l’examen de ce texte dans un tel esprit de confiance. Ce débat est très attendu par nos amis corses, ainsi que par toutes celles et tous ceux, dont je suis, qui croient aux vertus de la décentralisation et du débat citoyen, qui ont confiance en l’intelligence des territoires et au sens de la responsabilité des élus locaux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui un projet de loi qui tend à revoir la procédure d’élaboration et le contenu du plan d’aménagement et de développement durable de la Corse, cela pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, l’insécurité juridique est forte : en effet, l’absence de SCOT, combinée à l’échec du précédent PADDUC, a abouti à un vide juridique et à une absence d’articulation entre les documents d’aménagement, ce qui constitue un handicap pour le développement du territoire corse et sa compatibilité avec la protection de l’environnement.
Ce vide juridique est d’autant plus grand que bien peu de communes sont dotées de documents d’urbanisme, qu’il s’agisse de cartes communales, de plans d’occupation des sols ou de plans locaux d’urbanisme. Par ailleurs, plusieurs PLU ont été annulés par le tribunal administratif au cours des deux dernières années.
Rappelons que l’ancienne Assemblée de Corse n’était pas parvenue à un consensus et avait été critiquée en raison d’un manque de concertation, d’une part, et de sa volonté d’apporter des assouplissements à la loi Littoral, d’autre part.
La nouvelle Assemblée de Corse, élue en 2010, s’était alors vu soumettre par l’État une proposition de modification législative du cadre d’élaboration du PADDUC, qu’elle a examinée en décembre 2010 et sur laquelle elle a adopté, à l’unanimité, un certain nombre de propositions. Certaines d’entre elles ont été reprises par l’État et intégrées dans le texte qui a été discuté en commission.
La volonté du groupe CRC est double : assurer à la Corse la possibilité de se doter dans les meilleurs délais d’un PADDUC juridiquement renforcé et soutenu par les élus de l’Assemblée de Corse, tout en veillant à ce que ce texte n’altère pas l’esprit des grandes références législatives que sont les lois Montagne et Littoral.
D’emblée, je tiens à souligner la qualité du travail du rapporteur, qui est allé au fond des choses, même si certains choix peuvent être contestés et si certaines dispositions sont d’un maniement délicat. L’examen des amendements que nous avons déposés nous donnera l’occasion d’en débattre.
Auparavant, je souhaite revenir sur les motifs de satisfaction que nous offre ce texte : l’intégration d’un certain nombre d’apports de la loi Grenelle II, en particulier la compatibilité du PADDUC avec les objectifs des plans de prévention des risques d’inondation, les PPRI, et la mise en œuvre de la trame verte et bleue, sur laquelle je reviendrai plus en détail ultérieurement ; la référence aux articles L. 110 et L. 121-1 du code de l’urbanisme, qui s’inscrit dans la création d’un cadre juridique commun à l’ensemble des documents d’aménagement et d’urbanisme ; la tenue d’un débat au sein de l’Assemblée de Corse préalablement à l’élaboration du PADDUC, qui permettra de s’assurer des attentes des élus corses, avant même d’engager tout le travail d’élaboration de ce plan, la procédure permettant en outre d’associer un maximum d’acteurs ; la procédure de modification, plus souple que celle de la révision, destinée à permettre d’intégrer plus efficacement des modifications marginales et d’adapter le document aux évolutions de l’île ; la mise en cohérence du délai au terme duquel est menée l’évaluation environnementale avec celui qui est prévu pour les SCOT, soit six ans au lieu de dix ; la possibilité de tenir compte de cette évaluation par le biais de la procédure de modification, et non par la seule procédure de révision, ce qui permet aussi de justifier la suppression de la menace de caducité qui pesait, dans le texte initial, sur le PADDUC, en cas d’absence de délibération de l’Assemblée de Corse sur l’opportunité d’une révision, dans la mesure où, avec une procédure simplifiée, il est plus facile de tenir des délais raisonnables ; enfin, les mesures transitoires concernant la trame verte et bleue, ainsi que la mise en compatibilité avec le PPRI.
Quelques sujets de débat subsistent toutefois dans ce texte.
Le principal concerne l’application des lois Montagne et Littoral.
Si la possibilité de préciser dans le PADDUC les modalités d’application des lois Littoral et Montagne faisait en effet partie des demandes exprimées par les élus corses, il ne me semble pas que ces derniers aient jamais évoqué l’adaptation de ces lois aux particularités géographiques locales. L’Assemblée de Corse avait bien demandé que soit ouverte la possibilité de préciser la législation en vigueur dans les zones littorales et de montagne, mais jamais celle d’adapter cette législation ! À moins que l’on ne nous démontre le contraire, il s’agit bien là d’une porte ouverte à l’instauration de dispositions dérogatoires à ces deux textes de loi. Vous avez dit dans votre propos liminaire, monsieur le ministre, qu’en aucun cas il ne pourrait être porté atteinte aux lois Littoral et Montagne ; nous espérons que vous nous apporterez, au cours de l’examen des amendements, des précisions susceptibles de nous rassurer sur ce point. D’ailleurs, n’évoquer que les particularités « géographiques » locales, c’est peut-être adopter une vision assez restrictive des choses.
Ce débat a déjà eu lieu devant le Parlement voilà précisément dix ans, à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à la Corse, qui intégrait la question du nouveau PADDUC. Le problème suivant s’était alors posé : la loi Montagne, et surtout la loi Littoral, pouvaient-elles éventuellement faire l’objet d’adaptations, afin de permettre une meilleure valorisation du littoral à des fins touristiques et de développement économique ? Plusieurs dispositions avaient fait l’objet de vifs débats, tant à l’Assemblée nationale, alors majoritairement de gauche, qu’au Sénat, alors majoritairement de droite…
Les choses ont bien changé depuis ! Le gouvernement de Lionel Jospin et les parlementaires socialistes cherchaient à satisfaire les revendications de certains élus corses, qui constataient que le littoral insulaire n’avait rien à voir avec le littoral continental et que des adaptations étaient nécessaires. La droite, alors qu’elle était farouchement opposée à toute dérogation à la loi Littoral à l’Assemblée nationale, en avait accepté le principe au Sénat, à la surprise générale. Plus compliquée était la situation au sein de la majorité de l’époque. Certains députés lui appartenant, après avoir cherché à renforcer les conditions de ces adaptations, avaient finalement considéré que celles-ci échapperaient rapidement au contrôle des élus, et demandé la suppression de cette possibilité. Les communistes défendaient déjà cette idée, et le député Michel Vaxès était parvenu à établir, avec la majorité plurielle, un compromis tendant à limiter considérablement les possibilités d’adaptation. Or il semble que notre rapporteur nous propose aujourd’hui d’ouvrir à nouveau la boîte de Pandore… Nous en discuterons.
Mes chers collègues, si les majorités se sont inversées depuis lors dans les deux chambres, nos convictions, quant à elles, sont restées les mêmes : nous demeurons opposés à toute dérogation à la loi Littoral et à la loi Montagne. Nous reviendrons sur ce sujet à l’occasion de l’examen des amendements.
Je souhaite à présent aborder une réflexion plus générale sur l’économie du texte qui nous est soumis.
Il est certain qu’il existe une tension forte entre la nécessité de pouvoir déterminer de façon lisible la destination générale des différentes parties du territoire et celle de ne pas imposer, pour autant, la tutelle d’une collectivité sur les niveaux de collectivités inférieurs. Si je reconnais que ce texte parvient à concilier ces deux impératifs de manière assez satisfaisante, certaines incohérences et certaines contradictions demeurent néanmoins. En particulier, le plafonnement de l’échelle de la carte associée au PADDUC peut sembler surprenant, dans la mesure où il reviendra à l’Assemblée de Corse de déterminer les échelles pour toutes les cartes précisant ce plan. La fixation de ce plafond relève-t-elle vraiment du domaine de la loi ? Je pense que les élus chargés de l’élaboration du PADDUC sauront montrer suffisamment de bon sens pour faire en sorte que leur plan ne soit pas entaché d’inconstitutionnalité, au motif qu’il présenterait un degré de précision excessif, transformant le rapport de compatibilité avec les documents de niveau inférieur en rapport de conformité. Cela correspond tout de même à une revendication des élus de l’Assemblée de Corse : ils veulent pouvoir s’emparer de cette question technique déterminante pour la qualité et la pertinence des documents d’aménagement. Il me semble que nous pouvons tous nous accorder sur le point que, en matière d’aménagement, un minimum de décentralisation est de mise.
À l’opposé, toutes les spécifications liées à la trame verte et bleue ne descendent-elles pas parfois à un degré de précision excessif ? Il est question d’une carte au 1/100 000e, précisée par des cartes plus détaillées encore pour certaines zones. Considérons les ordres de grandeur : avec une telle échelle, un centimètre sur la carte représente un kilomètre sur le terrain. La bande des 100 mètres de la loi Littoral tiendrait alors dans l’épaisseur du trait, et que dire de la bande des 5 mètres le long des cours d’eau ? Il faudrait retenir une échelle au 1/10 000e, voire moins, pour la faire apparaître dans l’épaisseur du trait ! Il me semble que l’on devrait réserver certains détails aux documents de rang inférieur, sauf à mettre à mal le difficile équilibre entre lisibilité des documents et libre administration des communes.
Bien entendu, nous n’avons pas l’intention d’entraver le cheminement de ce texte : j’ai dit combien il était urgent qu’il aboutisse. Toutefois, il me semble indispensable d’avoir une discussion permettant d’approfondir la réflexion menée par le rapporteur et d’amender ce projet de loi, pour garantir que les lois Montagne et Littoral ne seront pas écornées – les propos de M. le ministre seront importants à cet égard –, que la sécurité juridique ne sera pas amoindrie, que les élus corses s’y retrouveront ; il s’agit, en définitive, d’améliorer la qualité d’un texte dont l’équilibre, j’en conviens bien volontiers, est difficile à trouver. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.)
M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi.
M. Nicolas Alfonsi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’aborde l’examen de ce texte avec perplexité, lassé d’entendre vanter en permanence la beauté des paysages corses et le souci que nous avons, tous les quatre ou cinq ans, de prendre notre destin en main… Pour paraphraser Boileau, je dirai que le Gouvernement doit avoir l’âme bien chevillée au corps pour remettre ainsi, quatre fois, l’ouvrage sur le métier.
L’âge étant là, j’ai pour ma part connu pas moins de quatre textes sur le sujet. Celui de Gaston Defferre disposait, si ma mémoire est bonne, que la collectivité territoriale de Corse devait établir son plan d’aménagement dans un délai de dix-huit mois. Or, pendant dix ans, rien ne s’est passé. Puis, quand la majorité régionale a voulu procéder, dans un sursaut, à l’établissement de ce schéma, M. Joxe, alors ministre de l’intérieur, a dit qu’il était trop tard. Et alors que, pendant dix ans, personne n’avait protesté contre la carence de l’Assemblée de Corse, il a été subitement décidé, après avis du Conseil d’État, que l’État se chargerait d’établir le schéma d’aménagement !
Dans une deuxième période, nous avons eu le texte de Pierre Joxe, qui était un « copié-collé » de celui de Gaston Defferre, mais qui prévoyait, pour l’élaboration du schéma d’aménagement, un délai d’un an, et non plus de dix-huit mois. Puis, à nouveau, plus rien ne s’est passé pendant dix ans…
Sous le gouvernement Jospin sont intervenus les accords de Matignon, qui ont abouti à la loi relative à la Corse du 22 janvier 2002. Il ne s’agissait alors plus d’un schéma d’aménagement, mais d’un PADDUC, la terminologie ayant changé et la mode du développement durable étant apparue. Il n’était plus question de délai dans le nouveau texte, sans doute par prudence : ses auteurs estimaient probablement que l’échéance ne pourrait jamais être tenue.
Nous revenons aujourd’hui sur ce sujet à l’occasion de l’examen du présent projet de loi. Je sens bien, à cet instant, qu’il existe une contradiction très forte, s’agissant de l’échelle de la cartographie, entre l’avis unanime de l’Assemblée de Corse et celui du Conseil d’État.
Je vous demande, mes chers collègues, de ne pas accorder trop d’importance à l’avis de l’Assemblée de Corse, car celle-ci vote très souvent ses textes à l’unanimité, dans le cadre d’un consensus mou. Je vous mets au défi de me dire quels textes ont fait l’objet de discussions féroces au sein de cette assemblée : il n’y en a pas !
Il peut donc y avoir une contradiction, sur laquelle nous reviendrons dans un instant, entre l’avis de l’Assemblée de Corse et celui du Conseil d’État. Comment concilier les deux ? Toute la difficulté est là ! On ne peut y parvenir, car l’avis de la collectivité de Corse, je le souligne, c’est la « légitimité » de la Corse !
Un leader nationaliste a récemment déclaré dans la presse que la co-officialité ayant été votée par 70 % des élus, l’Assemblée de Corse représentait la légitimité de la Corse. Or, il y a dix ans, nous avons été deux élus, sur cinquante et un, à voter contre les accords de Matignon. À ce moment-là, la légitimité était de 90 % ! Mais lors du référendum de 2004 organisé par le Président de la République – j’évoque un souvenir douloureux ! –, le résultat fut : 51 % de voix contre, 49 % pour…
Méfiez-vous donc de ce concept de légitimité, selon lequel il faudrait, en permanence, considérer comme un avis définitif ce que peut dire l’Assemblée de Corse.
J’évoque ce problème d’entrée de jeu, afin d’aborder le texte non pas avec l’esprit chagrin, mais avec la sérénité nécessaire à nos travaux ! Il nous faudra, en effet, aboutir, même si la majorité sénatoriale a changé. Après tout, sur un texte d’une « telle importance », un consensus peut se faire jour dans cette assemblée, avec quelques nuances tout de même…
Nous devons garder à l’esprit cet aspect des choses. J’ai souvent eu l’occasion de dire que l’étalon du « temps corse » ressemble un peu à celui du temps judiciaire. (Sourires.) Il faut gravir toutes les étapes de la procédure, puis éventuellement redescendre : les choses se font lentement ! Le schéma d’aménagement, cela fait déjà trois décennies que nous en parlons !
Je ne m’épuiserai pas à énumérer toutes les difficultés qui peuvent se présenter, mais je reviendrai sur une observation dont j’avais fait part au rapporteur, concernant l’inconstitutionnalité du texte.
Le principe de l’autonomie des collectivités territoriales doit être respecté. Vous avez fort opportunément rappelé à l’instant, madame Didier, que, dans l’échelle fixée par le Conseil d’État, un centimètre sur la carte représente un kilomètre sur le terrain, et que la Corse compte de 900 à 1 000 kilomètres de côtes. Actuellement, le Conservatoire du littoral, dont je suis le premier vice-président, se fondant sur des techniques informatiques plus appropriées, considère d’ailleurs que le littoral corse s’étend en réalité sur 1 200 kilomètres. Vous imaginez ce que représente une échelle du 1/100 000e, très précise pour un document censé être le plan de développement de la Corse !
Quant à l’éventuelle anticonstitutionnalité du projet de loi, je ferai observer au passage que l’Assemblée de Corse ne se prive pas de voter des textes anticonstitutionnels : je pense à toute une série de sottises, dont la distinction entre deux catégories de citoyens sur le modèle calédonien…
Mais si le projet de loi que nous examinons est anticonstitutionnel, qui va soulever son anti-constitutionnalité ? Personne ! Que se passera-t-il alors ? Pendant deux ou trois ans, un texte anticonstitutionnel pourra être appliqué, jusqu’à ce qu’un jour soit posée une question prioritaire de constitutionnalité, par exemple sur l’initiative d’un propriétaire lassé de voir ses droits bridés.
M. Jean-Jacques Mirassou. Voilà !
M. Nicolas Alfonsi. Entre-temps, on aura accrédité l’idée, au sein de la population corse, qu’une fois encore des textes ayant été adoptés ne pourront pas être appliqués, ce dont il aurait fallu s’apercevoir plus tôt. Gardons cela à l’esprit. Il en ira ainsi, d’ailleurs, si est voté un jour, ce qu’à Dieu ne plaise, un texte relatif aux résidences corses, qu’elles soient secondaires ou principales, avant qu’il ne soit censuré par le Conseil constitutionnel.
Ces problèmes étant complexes, je ne m’y attarderai pas davantage. J’en reviens au texte.
L’article 1er, comme l’a souligné M. le rapporteur, soulève des problèmes de constitutionnalité. Je vous précise, mes chers collègues, qu’une décision du Conseil constitutionnel de 2002 et un avis du Conseil d’État de 1991 relatif à l’Île-de-France, tous deux visés par le rapport de la commission, prônent une extrême prudence.
En l’espèce, le texte respecte l’avis du Conseil d’État, mais pour tenir compte de l’avis de l’Assemblée de Corse, qui veut à tout prix gérer la cartographie à sa façon, en définissant les échelles, vous êtes obligés de concilier l’inconciliable : d’où l’article 4, qui permet au plan d’aménagement et de développement durable de Corse de statuer sur des espaces géographiques limités en raison de leur caractère stratégique. Mais qu’est-ce qu’un site stratégique ? Comment définir des espaces limités ? Ces derniers risquent d’être au texte que nous allons adopter ce que représentent les hameaux nouveaux, dont la définition n’est pas aisée, pour la loi Littoral. Il peut y avoir là une source de difficultés, c’est pourquoi je propose, par voie d’amendements, de faire simple en supprimant tout cela.
L’article 2 ne suscite aucune observation particulière de ma part.
L’article 3 et l’article 4 s’articulent de façon pyramidale. Au lieu de simplifier, je redoute que l’on ne charge la barque, d’autant que, au-dessus du schéma, s’appliqueront encore la loi Littoral et la loi Montagne.