M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai l’impression que nous sommes au début de la période budgétaire… En effet, le débat d’orientation des finances publiques doit s’organiser en fonction de la trajectoire budgétaire que la majorité parlementaire a approuvée à la fin du mois d’avril, avec le programme de stabilité, et dans la perspective de la discussion du projet de loi de finances pour 2012.
Au demeurant, nous devons être attentifs au fait que le semestre européen transforme en profondeur notre calendrier budgétaire. En l’état, cela pourrait avoir des effets négatifs pour la représentation nationale et pour la démocratie, au regard de l’exercice par le Parlement de ses prérogatives en matière budgétaire.
Des solutions sont envisageables et envisagées. J’ai noté par exemple que, à l'Assemblée nationale, M. Carrez a souhaité que le projet de loi de programmation des finances publiques soit déposé avant la transmission du programme de stabilité à Bruxelles. Pour notre part, nous préférons un vote faisant suite aux recommandations du Conseil sur ce dernier à une proposition de résolution. Je tiens d’ailleurs à souligner que c’est grâce à l’action de M. le rapporteur général, qui a su vaincre les réticences du Gouvernement, que nous avons pu émettre un vote en amont de la transmission du programme de stabilité à la Commission européenne. À l’heure où la souveraineté budgétaire des États est quelque peu remise en question, notamment dans la zone euro, il s’agit là d’un véritable enjeu démocratique.
Quoi qu’il en soit, si la Commission européenne a entériné la trajectoire budgétaire, elle a jugé « optimiste » l’hypothèse macroéconomique qui la sous-tend et demandé quelles mesures seraient prises, en matière tant de recettes que de dépenses, si les prévisions ne se vérifiaient pas, particulièrement en 2012, année de tous les dangers. Du reste, M. le rapporteur général avait posé la même question au Gouvernement – il l’a renouvelée tout à l’heure –, sans obtenir de réponse. Il a jalonné ses observations en vue du présent débat d’interrogations qu’il n’était pas en mesure de lever sur l’évolution du taux de croissance et du solde public en 2011.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. C’est vrai !
Mme Nicole Bricq. J’approuve votre prudence, monsieur le rapporteur général, même si je ne partage pas vos conclusions quant à l’arbitrage délicat entre recettes et dépenses : c’est là tout ce qui nous sépare !
En effet, une hirondelle ne fait pas le printemps. Si le taux de croissance a été relativement satisfaisant au premier trimestre, puisqu’il a atteint 0,9 %, cela est essentiellement dû au restockage par les entreprises et les indicateurs du chômage, du commerce extérieur, de la consommation, de l’activité manufacturière ne sont pas bons pour le second trimestre de 2011. De plus, la situation des finances publiques est d’une extrême fragilité. Ce panorama morose, où les inquiétudes s’accumulent, avec une croissance mondiale qui marque le pas, nous oblige à la lucidité et à l’action.
Examinons donc l’orientation de nos finances publiques au regard de la trajectoire budgétaire.
Sur le plan des dépenses, le Gouvernement estime que sa trajectoire des finances publiques sera respectée grâce aux dispositions prises en 2010, à la poursuite des suppressions de postes de fonctionnaire et au gel des salaires dans la fonction publique, sans qu’il soit nécessaire d’avoir recours à d’autres mesures d’ampleur. Tel n’est pas l’avis du rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale ni celui de la Cour des comptes, non plus que celui de notre rapporteur général, qui estime à 7 milliards d’euros le dérapage total des dépenses publiques en 2011 par rapport aux prévisions de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014.
Si, en 2010, l’augmentation des dépenses a pu être contenue à 0,6 %, l’examen de la loi de règlement révèle que cela s’explique par des facteurs exceptionnels, qui ne se renouvelleront pas : je pense notamment aux effets du plan de relance. Ce matin, madame la ministre, M. Lellouche, secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, nous a stupéfaits lorsqu’il s’est emporté contre ce qu’il a appelé la « gabegie » des collectivités locales. C’est un comble de nous dire cela !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Il a été très raisonnable !
Mme Nicole Bricq. Il a bien parlé de « gabegie » ! Vous l’avez entendu comme moi, et cela figurera dans le compte rendu officiel de nos débats.
Je tiens à m’inscrire en faux contre cette assertion assez scandaleuse.
On sait que les collectivités locales ont ralenti leurs dépenses d’investissement et de fonctionnement.
Mme Raymonde Le Texier. Eh oui !
Mme Nicole Bricq. Le gel des dotations financières prévu dans la loi de programmation des finances publiques les a en outre privées de 800 millions d’euros, somme qui est venu abonder le budget de l’État.
M. Michel Sergent. Exactement !
Mme Raymonde Le Texier. Absolument !
Mme Nicole Bricq. La réduction à 7,1 % du PIB du déficit de l’État, initialement prévu à 7,7 %, s’est donc opérée au détriment des collectivités territoriales.
Mme Raymonde Le Texier. Diminuez, diminuez, il en restera toujours quelque chose !
Mme Nicole Bricq. Je tenais à le souligner !
Quant aux effets de l’application de la RGPP, madame la ministre, vos services doivent en établir le bilan net. Les économies attendues ne sont pas au rendez-vous : en 2010, seulement 265 millions d’euros ont été économisés, au lieu des 544 millions d’euros prévus. Pour 2012, le Gouvernement prévoit de supprimer 30 400 postes, mais, compte tenu des mesures catégorielles de compensation de ces suppressions, il pourrait ne pas y avoir d’économies l’année prochaine.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Aurait-on tort de prendre des mesures catégorielles ?
Mme Nicole Bricq. En revanche, la dégradation du service public est une réalité incontestable, particulièrement dans l’enseignement scolaire qui, une fois de plus, subira l’essentiel des réductions d’effectifs, la suppression de 14 000 postes en son sein étant prévue. Le Président de la République a beau annoncer un moratoire sur les fermetures de classes en 2012, tout cela est déjà programmé !
Les dépenses d’intervention ont quant à elles été activées pour faire face au chômage de masse, qui persiste néanmoins. Ce fait met en lumière l’échec de la politique de l’emploi du Gouvernement. Le nombre de demandeurs d’emploi est ainsi reparti à la hausse en mai, avec une augmentation de 0,7 %, le taux de chômage s’établissant en France à 9,2 % de la population active, soit à un niveau très supérieur à celui d’avant la crise.
Au total, la trajectoire des dépenses que vous avez établie n’est donc pas crédible.
Celle des recettes ne l’est pas davantage. Leur élasticité en 2010 revêtait un caractère exceptionnel et ne saurait constituer une règle pour les projections futures. Si l’on combine, madame la ministre, votre prévision de croissance optimiste pour 2012 à la surestimation par le Gouvernement de l’élasticité des prélèvements obligatoires, la crédibilité de la réduction du déficit annoncée se trouve remise en cause.
Le Gouvernement se refuse à utiliser les marges de recettes non exploitées et reporte le dévoilement de son action sur les dépenses fiscales à la présentation du projet de loi de finances pour 2012. Or la réduction des dépenses fiscales est un levier essentiel pour ramener nos finances publiques à l’équilibre. Selon les estimations portant sur la liste annexée au projet de loi de finances pour 2011, le coût des dépenses fiscales s’élève à 73 milliards d’euros. Ce montant n’intègre pas les mesures retirées arbitrairement de cette liste, dont le coût atteint 75 milliards d’euros, sans parler des réductions et exonérations d’impôts, de l’intégration fiscale des sociétés, de la baisse de la TVA pour le secteur de la restauration, etc.
Si encore le Gouvernement arrêtait cette course folle à la dépense fiscale ! Mais il n’en est rien : en 2010, celle-ci a crû de 2,5 milliards d’euros, tandis que la prime de partage de la valeur ajoutée, désormais inscrite dans le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, est elle aussi assortie d’une dépense fiscale et d’une exonération de cotisations sociales !
M. Michel Sergent. Eh oui !
Mme Raymonde Le Texier. Tout à fait !
Mme Nicole Bricq. Madame la ministre, je vous ai entendue vanter hier, dans cet hémicycle, les mérites de la niche ISF-PME, dont le coût pour le budget de l’État s’élève à 1,4 milliard d’euros. La pertinence économique ou sociale d’une dépense fiscale doit être évaluée : quelle est celle de cette niche ? En quoi permet-elle de disposer d’un réseau de PME solides en taille et en capital ? En quoi améliore-t-elle leur compétitivité dans le jeu mondial, alors que les déficiences de notre commerce extérieur nous coûtent chaque année depuis sept ans 0,4 % de PIB ? Il faut évaluer la pertinence de cette dépense !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Bien sûr !
Mme Nicole Bricq. On nous dit que la remise du travail d’évaluation des dépenses fiscales confié par Mme Lagarde à l’Inspection générale des finances a été retardée. Reconnaissez, mes chers collègues, qu’il eût été hautement souhaitable d’avoir communication des résultats de ce travail avant la tenue de ce débat d’orientation des finances publiques !
M. Jean-Pierre Fourcade. C’est vrai !
Mme Nicole Bricq. Au demeurant, comment expliquer la fuite dans la presse économique, en début de semaine, d’informations sur les dépenses fiscales dans les départements d’outre-mer ? Est-elle fortuite ou a-t-elle été organisée pour faire oublier toutes les autres dépenses fiscales ?
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Tout est poreux… (Sourires.)
Mme Nicole Bricq. Monsieur le président de la commission des finances, à l’occasion d’une controverse que nous avons eue sur un amendement au projet de loi de finances rectificative concernant le Centre national de la fonction publique territoriale, le CNFPT, vous avez dénoncé la campagne publicitaire menée par cet organisme dans la presse écrite.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Oui !
Mme Nicole Bricq. Je voudrais pour ma part évoquer une autre campagne publicitaire, qui sera lancée à la rentrée sur les chaînes de télévision : celle d’une entreprise leader dans le secteur du soutien scolaire payant. Une étude fort étayée montre que notre pays est le plus gros consommateur en Europe de ce genre de services, qui ouvrent droit à réduction d’impôt. Il s’agit là d’une vraie niche fiscale, incluse dans celle des emplois à domicile, dont j’avais estimé, voilà deux ans, le coût à 300 millions d’euros ! Par conséquent, cette campagne publicitaire d’une grande société privée sera, en définitive, financée par les contribuables !
Cette situation est d’autant plus révoltante que, dans le même temps, on rogne sur les effectifs dans l’enseignement scolaire public. Pour nous, le soutien scolaire doit être assuré au sein de l’éducation nationale. (Mme Marie-France Beaufils approuve.)
S’agissant toujours des dépenses fiscales, la presse s’est également fait l’écho de ce que le groupe Total, notre champion national pétrolier, allait renoncer à recourir au bénéfice mondial consolidé, dispositif dont l’Élysée serait disposé à encourager la suppression par la majorité parlementaire.
Je me réjouis de cette évolution, car voilà des années que le groupe socialiste dépose régulièrement des amendements en ce sens, que vous rejetez tout aussi régulièrement !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Le bénéfice mondial consolidé a été institué en 1965 ! Que ne l’avez-vous supprimé lorsque vous étiez majoritaires !
Mme Raymonde Le Texier. Laissez Mme Bricq s’exprimer !
Mme Nicole Bricq. Son coût est estimé à 500 millions d’euros par an : on est loin de la petite économie que vous prônez concernant le CNFPT ! Tout cela relève d’un plan de communication : la ficelle est un peu grosse à l’approche des échéances électorales !
Si l’on ajoute aux dépenses fiscales les niches sociales, on aboutit à un total de 215 milliards d’euros : voilà où puiser les 40 à 50 milliards d’euros nécessaires pour assurer l’ajustement, selon un calendrier raisonnable, de nos finances publiques, tout en soutenant la croissance dans le même temps.
La détermination du bon dosage relève du choix politique qui sera proposé aux Français dans quelques semaines, lesquels trancheront en mai de l’année prochaine. Il faudra que la nouvelle majorité fasse preuve de la lucidité et de la volonté d’agir nécessaires pour financer les dépenses nouvelles autrement que par les déficits, comme vous l’avez fait en 2010, à hauteur de 17 milliards d’euros. Si la croissance est inférieure d’un quart de point à ce que vous avez prévu et si l’élasticité des recettes est ramenée à la normale, en l’état actuel des choses, madame la ministre, la trajectoire envisagée par le Gouvernement pour 2012 ne pourra être respectée, sauf à réaliser des cessions d’actifs exceptionnelles.
Pour en revenir aux collectivités territoriales, j’observe que la chute de l’investissement local en 2011 et en 2012 leur fera perdre 1,4 milliard d’euros au titre des concours du FCTVA. Or, comme vous avez opportunément exclu ce dernier de l’enveloppe fermée des concours de l’État, cette somme contribuera à la réduction du déficit, encore une fois aux dépens des collectivités locales…
La dette publique a atteint un sommet vertigineux au premier trimestre de 2011, pour s’établir à 84,5 % du PIB, et sa charge approchera 50 milliards d’euros en 2012, ce qui obère gravement les marges de manœuvre de la puissance publique et met celle-ci sous la pression des marchés financiers !
Du reste, il est étonnant que le Gouvernement maintienne inchangée sa prévision de la charge des intérêts, alors que l’inflation peut être plus élevée qu’attendu et qu’une hausse des taux d’intérêt est probable. Or, l’évolution de la charge de la dette est capitale, car un dérapage nous obligerait à procéder à des économies supplémentaires sur les dépenses d’intervention, déjà fortement contraintes.
Les années Sarkozy – ministre ou Président de la République – nous auront coûté cher : elles resteront comme celles d’une augmentation historique de la dette publique, qui aura doublé, et des déficits, dont la crise n’explique que pour un tiers le dérapage, le déficit structurel s’élevant à 5 % du PIB.
En 2012, il nous faudra prioritairement, et dans l’ordre, mener une réforme fiscale d’ampleur, tout en restaurant la compétitivité de notre industrie à moyen terme, et créer des emplois à court terme, afin de soutenir la demande des ménages. Bref, il faudra mettre en place une véritable stratégie économique, trouvant sa traduction dans une trajectoire budgétaire crédible. Aucune règle d’or constitutionnelle ne pourra restaurer la confiance, celle des Français en eux-mêmes, en leur pays et en l’avenir, ainsi que celle des marchés financiers, qui craignent autant l’excès de dette que les effets négatifs d’une trop grande contrainte budgétaire sur la croissance. Un beau défi nous attend en 2012 : de ce côté de l’hémicycle, nous sommes prêts à le relever ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Roland du Luart. Cela demande des explications !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, après les propos critiques des trois orateurs qui m’ont précédé, le groupe UMP tient à apporter au Gouvernement son soutien. Nous nous réjouissons de la tenue de ce débat d’orientation des finances publiques, qui s’inscrit désormais dans le cadre du semestre européen : le programme de stabilité adressé à la Commission européenne a marqué une orientation nouvelle dans nos rapports avec celle-ci, qui a présenté un certain nombre d’observations sur lesquelles il me semble bon de réfléchir.
Les recommandations de la Commission européenne, qui ont fait l’objet d’une proposition de résolution adoptée par le Sénat le mois dernier, portent sur les trois points suivants.
Premièrement, comme je le dis depuis de nombreuses années – sans être écouté ! –, notre principale difficulté tient à l’importance du déficit de notre commerce extérieur, qui nuit à notre crédibilité aux yeux de l’Allemagne, quelles que soient les mesures courageuses que nous puissions prendre par ailleurs.
Deuxièmement, la Commission européenne estime que nos prélèvements obligatoires sont trop élevés – par conséquent, il est difficile de réduire le déficit en augmentant les impôts – et qu’ils frappent excessivement le travail et insuffisamment la consommation. C’est aussi la thèse du président Arthuis, que la commission des finances a reprise à son compte. De fait, imposer davantage le travail que la consommation des ménages par rapport à d’autres pays industriels peut s’avérer handicapant dans l’optique de la mondialisation.
Troisièmement, les exonérations fiscales et sociales que nous avons accordées au fil des ans afin de tenter de remédier aux difficultés sont jugées excessives par Bruxelles.
La mise en perspective de ces trois observations devrait nous permettre d’élargir notre réflexion dans ce débat d’orientation des finances publiques.
Madame la ministre, je souscris aux orientations que vous avez développées et je fais miennes les recommandations brillamment exprimées par la commission des finances. Comme M. le rapporteur général, j’estime que nous devons impérativement réduire notre déficit et stabiliser notre dette, d’autant que nous vivons une période cruciale pour l’avenir de la zone euro, marquée par une crise de la dette sans précédent : la crise grecque est présente à tous les esprits, mais n’oublions pas non plus la situation délicate du Portugal et de l’Irlande.
Dans ce contexte, madame la ministre, je pense que, plutôt que d’assigner la réduction du déficit budgétaire comme objectif central à notre politique en matière de finances publiques, nous devons nous attacher prioritairement à diminuer notre endettement : avec une dette publique qui a dépassé, à la fin du mois de mars, 1 646 milliards d’euros, soit 84,5 % du PIB, la tâche s’annonce difficile !
Dans cette optique, madame la ministre, au lieu de me lancer, comme d’autres intervenants, dans des considérations rebattues sur la sous-taxation des riches et la surtaxation des pauvres, je me permettrai de vous adresser trois suggestions précises.
Mme Nicole Bricq. Nous n’avons pas utilisé ces mots-là !
M. Jean-Pierre Fourcade. En premier lieu, j’estime que nous ne parviendrons à stabiliser la dette publique qu’à la fin de 2013 ou au début de 2014 au plus tôt. D’ici là, nous devons adresser des signaux aux marchés.
Tout d’abord, dès qu’une recette fiscale progressera un peu plus vite que prévu, il nous faudra en profiter pour réduire, à due concurrence, notre programme d’émissions d’emprunts à moyen et long terme sur les marchés. Pour l’année 2011, nous avons voté hier, dans le cadre de la loi de finances rectificative, un programme d’emprunts de 186 milliards d’euros : nous commençons ainsi à nous rapprocher du volume des emprunts allemands, qui avoisine les 200 milliards d’euros. Tel le premier signal que nous devrions donner aux marchés dès que possible : faisons alors clairement savoir que, la situation de nos finances publiques s’améliorant, nous réduisons de quelques milliards le volume de nos emprunts. Cela n’a l’air de rien, mais nous évoluons dans un contexte mondialisé et les marchés financiers réagissent beaucoup plus rapidement que nos administrations ou les instances de Bruxelles.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade. Par ailleurs, madame la ministre, il ne faut pas gaspiller les économies budgétaires qui peuvent être réalisées sur la charge des intérêts de la dette. En 2010, j’avais demandé à votre prédécesseur de réduire le programme d’émissions d’emprunts à hauteur de l’économie de près de 2 milliards d’euros qui avait pu être dégagée à ce titre, mais je n’ai pas été écouté : cette somme a servi, très inopportunément, à financer des augmentations de dépenses, 700 millions d’euros ayant notamment été affectés à des dépenses de personnel supplémentaires dans la fonction publique… Or de telles économies doivent à mon sens elles aussi être mises à profit pour réduire le programme d’émissions d’emprunts. C’est ainsi que nous montrerons que nous nous orientons vraiment vers une réduction de notre endettement.
Ma deuxième suggestion a trait aux collectivités territoriales. Je comprends et j’approuve que le Gouvernement leur demande de participer à l’effort global de réduction des dépenses et gèle leurs dotations. Je ne pense pas que l’on puisse agir autrement dans la situation d’endettement que nous connaissons.
Cependant, il doit y avoir une contrepartie, et je compte sur vous à cet égard, madame la ministre. Nos collègues Claude Belot et Éric Doligé ont beaucoup travaillé sur la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales : il convient que la loi de finances pour 2012 reprenne largement leurs suggestions, afin de revoir une trentaine ou une quarantaine de normes qui créent des dépenses obligatoires aux collectivités territoriales.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Le Grenelle II ! Les zones sismiques !
M. Jean-Pierre Fourcade. Telle doit être la contrepartie du gel des dotations aux collectivités territoriales.
Enfin, ma troisième suggestion porte sur la dette de la sécurité sociale, que nous gérons très mal. Mme la présidente de la commission des affaires sociales a très justement souligné, en des termes fort civils, qu’il n’était pas supportable que nos comptes sociaux continuent d’enregistrer chaque année un déficit de 20 milliards d’euros,…
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Il faut augmenter la CRDS !
M. Jean-Pierre Fourcade. … dont nous chargeons ensuite la CADES, au préjudice des générations à venir et en dépit des engagements réitérés que nous avons pris.
Par conséquent, madame la ministre, ma dernière suggestion, si elle ne va pas dans le sens des préoccupations du Gouvernement, est conforme à la vérité économique. Nous disposons d’un impôt merveilleux, qui a une très large assiette et un très faible taux : la CRDS.
Mme Nicole Bricq et M. Jean-Jacques Jégou. Eh oui !
M. Jean-Pierre Fourcade. Il est clair que l’on doit augmenter cet impôt, dont le taux s’élève actuellement à 0,5 %, car nous ne pouvons pas traîner à l’infini une dette qui s’élève aujourd’hui à 150 milliards d’euros. M. Jégou, en tant rapporteur pour avis de la commission des finances pour le projet de loi de financement de la sécurité sociale, a proposé une telle mesure à plusieurs reprises, sans succès. Pourtant, la CRDS a précisément pour vocation d’amortir la dette de la sécurité sociale. Si j’approuve l’opposition de principe du Gouvernement aux augmentations d’impôts, j’estime cependant qu’il convient de faire une exception pour la CRDS,…
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Bravo ! Si la CRDS n’est pas augmentée, nous ne voterons pas le PLFSS !
M. Jean-Pierre Fourcade. … car on ne peut se contenter de réduire les niches fiscales ou sociales : il faut aller plus loin ! (M. Jean-Jacques Jégou applaudit.) Le levier majeur d’action doit être le relèvement de la CRDS.
J’ajoute que le déficit de la sécurité sociale est faible au regard des masses financières en jeu : il l’est beaucoup plus, proportionnellement, que le déficit de l’État. Adopter la mesure que je préconise représenterait un premier pas dans la voie de la vertu.
Tous les orateurs l’ont souligné, les questions fiscales seront au cœur de la campagne pour l’élection présidentielle de 2012 : nous devons tenir aux Français un langage de vérité, en particulier sur la nécessité de stabiliser puis de réduire la dette. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Roland du Luart. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Jégou.
M. Jean-Jacques Jégou. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, chaque année, le Premier président de la Cour des comptes vient nous présenter son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques. Chaque année, tout le monde, sur toutes les travées, approuve le constat dressé par la Cour des comptes de l’état très dégradé de nos comptes et des perspectives alarmantes de nos finances publiques, ainsi que les solutions proposées par les magistrats de la rue Cambon.
Pourtant, chaque année, la situation est pire que l’année précédente, comme si nous étions incapables de mettre en œuvre les réformes préconisées par la Cour des comptes. Notre pays continue, en reportant et en retardant les réformes indispensables, à aller dans le mur, lequel se rapproche dangereusement !
Aujourd’hui, avec ce débat d’orientation des finances publiques, nous avons l’occasion d’évaluer la détermination du Gouvernement à réduire les déficits. En effet, si des règles juridiques, voire constitutionnelles, peuvent aider à la réduction des déficits en améliorant le pilotage des finances, le redressement des finances publiques est surtout une affaire de volonté et de courage politiques.
Que nous dit la Cour des comptes de cette volonté ?
Certes, en 2010, la situation des comptes publics s’est améliorée, avec une réduction du déficit public de 7,5 % à 7,1 % du PIB, c’est-à-dire de seulement 0,4 point. Pourquoi ce chiffre est-il aussi faible ? Parce que, comme le montre la Cour des comptes, malgré la diminution du coût du plan de relance, de nouvelles baisses d’impôts sont venues aggraver le déficit de 0,4 point de PIB. Sans ces baisses d’impôts, la réduction du déficit aurait été plus forte.
En 2011, la lente décrue du déficit se poursuit et celui-ci s’établira selon toute vraisemblance, comme vous l’avez indiqué, madame la ministre, à 5,7 % du PIB. Mais cette diminution est largement mécanique, liée à la disparition des dernières mesures de relance et à l’amélioration de la conjoncture. Peut-on se satisfaire de ce résultat ? Non, car notre déficit reste bien supérieur au déficit moyen des autres pays de la zone euro, qui s’établit à 3,9 %. L’Allemagne, quant à elle, finira l’année avec un déficit égal à 2 % du PIB.
Notre niveau de déficit restera donc très élevé et, surtout – c’est d’ailleurs le plus inquiétant –, sa composante structurelle ne diminue pas. Le déficit structurel représente 5 % du PIB, les éléments conjoncturels, la crise et le plan de relance ne représentant que 38 % du déficit de 2010. La crise a donc bon dos pour expliquer l’ampleur de nos déficits et de notre dette…
Pour l’année 2011, il faut d’ailleurs espérer que nous tiendrons l’objectif de 5,7 % du PIB, car il demeure actuellement quelques incertitudes quant à l’exécution du budget de 2011. En effet, des dépenses nouvelles sont apparues : une amende de 460 millions d’euros au titre de l’affaire des frégates de Taiwan, le plan pour l’emploi, le coût des opérations extérieures, les OPEX, et toutes les aides que nous devrons apporter au secteur agricole du fait de la sécheresse. Ajoutons à cela, en matière de recettes, le manque à gagner dû à la réforme de la fiscalité du patrimoine, qui n’est pas totalement financée, comme nous l’avons observé voilà une dizaine de jours.
Pour la période 2012-2014, le Gouvernement a fixé pour objectif de ramener le déficit public à 5,7 % cette année, à 4,6 % en 2012, à 3 % l’année suivante et à 2 % en 2014. Cette programmation du Gouvernement en matière de réduction des déficits est ambitieuse ; se donne-t-il tous les moyens pour tenir ses engagements ? Il est permis d’en douter quand on constate qu’elle repose sur un cumul d’hypothèses favorables en matière de recettes et sur une prévision de ralentissement des dépenses dont la Cour des comptes estime le contour imprécis.
Tout d’abord, l’hypothèse de croissance semble particulièrement optimiste pour 2013 et 2014, et la prévision de l’élasticité des recettes surestimée. Quant aux mesures visant à limiter la croissance moyenne annuelle des dépenses pour les années 2012-2014, le Gouvernement ne les détaille pas précisément.
Arrêtons-nous un instant sur l’année 2012.
Les commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat doutent que nous puissions finalement parvenir à un déficit de 4,6 % du PIB, objectif pourtant incontournable si nous voulons avoir une chance d’atteindre 3 % de déficit en 2013. Si le Gouvernement veut tenir son engagement de ramener le déficit à 4,6 points de PIB en 2012, il faudra faire un effort correspondant à 1,1 point, ce qui représente 22 milliards d’euros à trouver. Avec une croissance de 2 % –hypothèse qui paraît assez raisonnable –, nous devrions pouvoir couvrir, grâce aux recettes spontanées, environ 0,4 point. Reste donc à gagner 0,7 point, en dépenses et en recettes.
Pour les dépenses, le Gouvernement maintient l’objectif de réduire de 10 % les dépenses d’intervention : stabilisation des dépenses de guichet, réduction des dépenses d’intervention discrétionnaires de 13 %, stabilisation de la masse salariale. Mais les rapporteurs généraux nous disent qu’il manquera 2 milliards d’euros, qu’il faut absolument trouver du côté des dépenses.
Selon leurs analyses, le compte n’y est pas : il manque au bas mot 5 milliards d’euros de recettes et/ou d’économies supplémentaires pour atteindre cet objectif. On voit bien, notamment, que l’effort de réduction du déficit structurel est notoirement insuffisant, puisqu’il s’établit à seulement 0,55 % du PIB pour 2012, alors qu’il devrait être de 1 %, selon les engagements pris par le Gouvernement auprès de nos partenaires européens.
Malheureusement, cela confirme que le Gouvernement a trop tendance à ne s’appuyer, pour réduire le déficit, que sur l’évolution spontanée des recettes publiques, donc sur la reprise de la croissance, qui est toujours hypothétique, hélas !
Certes, comme le reconnaît la Cour des comptes, des efforts sont consentis en matière de maîtrise des dépenses en volume et en valeur. Toutefois, nous le savons, ce n’est que par un effort bien supérieur que nous pourrons réduire nos déficits structurels. On voit bien la difficulté pour le Gouvernement, année après année, de s’attaquer réellement aux dépenses de fonctionnement et d’intervention, qui représentent une masse considérable de près de 100 milliards d’euros. Pourtant, la Cour des comptes donne chaque année des pistes de réduction de ces dépenses. Comment, dans ces conditions, ne pas douter de la volonté du Gouvernement de réduire les déficits à hauteur des engagements qu’il a lui-même pris devant les instances européennes ?
La situation demeure grave. Si nous voulons éviter l’emballement de la dette, il faut réduire drastiquement et rapidement ces déficits, qui, chaque année, se transforment en dette. Nos déficits restent beaucoup trop élevés de ce point de vue. Pour stabiliser la dette, il faut au moins abaisser le déficit à 3 % du PIB. S’il demeure supérieur à ce chiffre, l’effet boule-de-neige continue et, alors que nous approchons de la zone dangereuse des 85 % du PIB, nous risquons de voir notre endettement continuer de croître, ce que nous devons éviter par tous les moyens. Il y va de notre souveraineté nationale, et c’est indispensable pour conserver la confiance de nos créanciers. Si notre dette atteignait 90 % du PIB, les marchés financiers et les agences de notation nous placeraient immédiatement sous surveillance.
Or, si nous ne réduisons pas notre déficit structurel, notre dette franchira ce seuil dès 2012, puis s’élèvera à 100 % du PIB en 2016 et à 110 % en 2020 ! À ce niveau d’endettement, les charges d’intérêts représenteraient 10 % du montant des prélèvements obligatoires !
La Cour des comptes l’affirme très clairement : c’est un effort de 100 milliards d’euros que nous devons réaliser dans les cinq prochaines années pour réduire le déficit structurel, soit un effort de 20 milliards d’euros par an, ce qui correspond à un point de PIB. Ce n’est pas irréalisable.
C’est de toute façon le seul moyen pour écarter durablement les risques d’emballement de la dette publique et ramener celle-ci à 72 % du PIB en 2020. Atteindre cet objectif nécessitera de la part des gouvernements successifs une volonté forte et continue. Le redressement des comptes publics ne peut venir que de réformes ambitieuses et inscrites dans la durée. Il y va, à terme, de la crédibilité de notre pays sur les plans européen et international.
Il faut donc aller beaucoup plus loin dans la maîtrise et la réduction des dépenses, en s’attaquant aux dépenses d’intervention et aux dépenses sociales, puisque 45 % des dépenses publiques servent à financer des prestations sociales. Nous ne pourrons redresser la situation des finances publiques sans ralentir la croissance de ces prestations.
Dans le même temps, il faut préserver les recettes en évitant les cadeaux fiscaux et les baisses d’impôts inconsidérées. La Cour des comptes note justement que, à elle seule, la réduction du taux de TVA pour le secteur de la restauration a anéanti les huit années d’économies permises par le non-remplacement d’un fonctionnaire partant à la retraite sur deux !