Mme Annie David. Des moyens de faire face à ces événements ponctuels sont pourtant prévus par les accords de Schengen. Il n’est donc pas nécessaire de durcir encore les conditions d’entrée et de circulation sur le territoire européen. Votre réponse n’est pas adaptée : elle ne résoudra en rien les problèmes posés par une immigration illégale due avant tout à des motivations économiques.
Nous nous opposerons donc à ces projets de révision des accords de Schengen, tendant à donner aux États une plus grande latitude pour rétablir temporairement les frontières nationales, les visas et la conditionnalité des aides. Tout cela traduit une approche étroitement sécuritaire des mouvements migratoires qui n’est pas la nôtre : nous proposons au contraire que l’on s’attaque à la source de ces problèmes, en aidant financièrement les pays concernés de façon équitable et en établissant des coopérations équilibrées. Si nous partageons la même volonté de refonder la politique de voisinage, nous divergeons profondément sur les moyens de le faire.
En remettant en cause le principe de la libre circulation des personnes dans l’espace Schengen, en vous confinant dans une « Europe forteresse » que je dénonçais déjà lors de la rencontre interparlementaire des 16 et 17 novembre 2009, dont le thème était « Construire l’Europe des citoyens », vous ne permettrez pas à la France d’être à la hauteur des événements historiques en Tunisie et en Libye, ni même d’en mesurer la portée. En proposant de relancer une politique de voisinage conditionnelle, sans tenir compte de la nouvelle situation dans cette région, vous ne changerez rien sur le fond.
Pour instaurer véritablement de nouvelles relations entre les pays européens et ceux du sud de la Méditerranée, il faut les fonder sur des rapports économiques justes et équilibrés et sur une nouvelle politique de circulation entre les deux rives. Sinon, vous persisterez dans la même démarche déséquilibrée, marquée par des relations conditionnées à l’ouverture au marché européen et à la conclusion d’accords renforcés de libre-échange.
Telles sont, monsieur le ministre, les réflexions dont les sénateurs du groupe CRC-SPG voulaient vous faire part avant le Conseil européen de demain. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Denis Badré.
M. Denis Badré. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cela a été dit, le Conseil européen qui s’ouvrira demain est stratégique. Une nouvelle fois, sa capacité à décider va être rudement mise à l’épreuve. Il doit absolument montrer qu’il sait où il veut aller. Les difficultés rencontrées doivent être présentées non pas comme des occasions de sombrer, mais comme autant d’exigeantes chances d’approfondir la construction européenne.
Il faut retrouver un discours européen tonique, tourné vers l’avenir, portant sur l’essentiel.
Le Conseil va traiter de l’adhésion de la Croatie. Réjouissons-nous avant tout que l’Union continue à attirer, spécialement dans des régions du continent aussi éprouvées que les Balkans, où l’on sait bien que l’Europe est, d’abord et essentiellement, « pardon et promesse », pour reprendre l’une des plus belles définitions que je connaisse.
Il ne s’agit pas d’être pour ou contre la mondialisation : l’universalité et l’instantanéité qui caractérisent notre époque sont des données. C’est clairement le cas pour les marchés financiers. La crise économique et financière dont nous voulons sortir est non pas européenne, mais mondiale. L’existence de l’Union n’est pas à l’origine de la crise, et l’euro n’en est pas la cause. J’ai été a contrario frappé par la réflexion d’un responsable d’un pays ayant récemment rejoint l’Eurogroupe : pour lui, ce qui protégeait son pays, c’était, bien plus que l’euro lui-même, l’effet des réformes engagées en vue de la qualification pour l’euro.
Si la crise n’est pas imputable à l’euro, elle n’est pas non plus une crise de l’euro. Nous devons simplement déplorer le fait que l’euro soit toujours une monnaie « orpheline d’État », pour reprendre une expression chère à Jean Arthuis. Tout ce que le Conseil pourra faire pour donner une famille à notre monnaie sera donc bienvenu. Plus vite et plus loin on ira en matière de gouvernance économique, et mieux cela vaudra !
Si la mutualisation entre les États de l’Union vaut pour les ambitions, elle vaudra évidemment aussi pour les risques, ainsi que pour les secours. Notre soutien à la Grèce doit donc être sans faille. Si tel n’était pas le cas, les marchés financiers ne le feraient pas payer à la seule Grèce, ils nous entraîneraient tous vers l’abîme. Ils ne doivent pas douter de notre détermination, même si vivre la démocratie à vingt-sept États peut rendre parfois difficile l’expression de cette détermination. Les choix opérés, les décisions prises sont capitaux ; la fermeté du discours également !
Notre solidarité ne doit plus être mise en doute. Les jugements de valeur portés sur la situation grecque laissent supposer que nous accordons notre soutien avec réticence et qu’il pourrait s’interrompre. Il faut être très ferme : la mutualisation des secours ne peut se concevoir sans mutualisation de la surveillance et des contrôles. Il vaut mieux d’ailleurs être sous le contrôle de ses pairs que sous celui d’un syndic de faillite.
Dorénavant, nous devrons tout naturellement parler de mutualisation des disciplines. C’est tout le sens du « trimestre européen ».
Il appartient aux parlements nationaux de jouer pleinement leur rôle en la matière. Les budgets nationaux resteront évidemment votés par ces derniers. Les États ne sont pas sous la tutelle de l’Union : il s’agit ici non pas d’une conception « communautaire », mais de l’exercice conjugué de compétences nationales, placées sous des contraintes communes mutuellement acceptées.
Au demeurant, le budget de l’Union ne prévoit pas, pour l’instant, de possibilité d’emprunter. À la marge de manœuvre de 40 millions d’euros dont dispose la Commission près, ce sont les parlements nationaux qui ont été appelés à se prononcer afin de constituer, chacun pour une tranche, la réserve commune de garantie des dettes souveraines. C’est un peu compliqué, peut-être, mais rempli de sens en ces temps de tempête où les solidarités les plus durables, car les plus exigeantes, peuvent se forger.
Incontestablement, le débat suivi d’un vote que nous avons eu fin avril sur le projet de programme de stabilité européen participe de ce mouvement. Je ne peux que m’en réjouir. Il fallait, tant à l’égard de Bruxelles qu’au plan intérieur, que ce programme nous engage tous.
La résolution européenne que notre commission des finances a adoptée ce matin confirme le bien-fondé de cette procédure. Le Sénat y souligne que les programmes de stabilité doivent reposer sur des hypothèses de croissance correspondant à la croissance potentielle de l’économie, que la France doit impérativement déplacer sa charge fiscale du travail vers la consommation et l’environnement, que le recours aux niches fiscales n’est pas de bonne pratique et que des mesures supplémentaires doivent être présentées pour renouer avec l’équilibre dès 2013. C’est exactement ce que la commission des finances demande depuis des mois. Nous soulignons simplement une nouvelle fois qu’il reste du chemin à faire pour que la recommandation de la Commission et les réflexions de notre commission des finances puissent porter tous leurs fruits !
J’en viens à l’autre grand sujet inscrit à l’ordre du jour du Conseil, l’immigration. Gardons-nous d’adopter une approche trop sécuritaire de ce thème ; elle ne préparerait pas l’avenir.
L’actualité de la question a été ravivée par l’extraordinaire élan qui traverse aujourd’hui les pays arabes. Le cas de la Tunisie, sur lequel j’intervenais hier soir à Strasbourg devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, est à ce titre emblématique.
En Tunisie, une révolution de la faim s’est transformée en révolution pour la liberté. Les deux vont de pair parce que, pour avoir le droit de voter, il faut avoir celui de manger. Ce sont des difficultés économiques et sociales qui ont provoqué le soulèvement : il ne faut pas que des difficultés de même nature viennent entraver la démocratisation en marche de la société tunisienne. La Tunisie se heurte à d’immenses difficultés. La grave crise économique qu’elle connaît pousse à l’exil une jeunesse pourtant indispensable au pays, tant sur le plan économique que sur le plan politique.
Lampedusa ne peut être notre seule réponse : nous devons, en priorité, accompagner sur le plan économique la transition démocratique tunisienne. Pour ce faire, il convient de mobiliser de nouvelles aides au redressement du pays. Le G20 s’y est engagé à l’occasion de son sommet de Deauville. Il convient de rechercher tous les canaux de financement possibles.
L’imagination étant mise à contribution, je m’interroge sur la possibilité de gager de nouvelles aides sur les fonds gelés de la famille Ben Ali, actuellement bloqués dans des établissements financiers pour la plupart européens. Ces fonds sont d’un niveau autrement plus important que ceux qui ont pu être dégagés jusqu’ici et devraient permettre de lancer vraiment en Tunisie les investissements porteurs d’avenir qu’attendent les jeunes de ce pays. Il sera probablement démontré, mais plus tard, que ces fonds appartiennent bien aux Tunisiens. Est-il vraiment exclu de trouver, tout de suite, une solution pour les « dégeler », pour les utiliser, au moins dans un premier temps, afin de garantir des prêts ou de mobiliser les produits financiers qu’ils génèrent ? Est-ce plus difficile et moins immédiatement efficace que de remettre les accords de Schengen en chantier ?
Monsieur le ministre, je vous livre cette idée qui a rencontré un écho certain hier à Strasbourg. Avec encore un effort d’imagination en matière de procédure, nous pourrons peut-être la mettre en œuvre. C’est aujourd’hui que les Tunisiens nous attendent : ne les décevons pas !
L’Union doit investir dans la démocratie, avez-vous dit à l’instant, monsieur le ministre. Vous visiez la politique de voisinage « sud » de l’Union européenne. Je vous rappelle que si nous voulons être efficaces et bien utiliser les moyens disponibles, il faut laisser agir ceux qui savent, sans doubles emplois. Nous devons faire jouer en parfaite complémentarité l’Union européenne et le Conseil de l’Europe dès lors qu’il est question de démocratie, d’État de droit ou de droits de l’homme. Monsieur le ministre, cela doit vous rappeler un rapport que j’ai eu récemment l’honneur de remettre au Premier ministre !
De même que, dès 1990, le Conseil de l’Europe avait su donner immédiatement un statut d’invité spécial aux pays d’Europe centrale et orientale qui retrouvaient la liberté, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a inauguré hier le nouveau statut de « partenaire pour la démocratie » dont j’avais personnellement proposé la création dans un rapport sur l’Euro-Méditerranée. Ce statut a été offert au parlement marocain, qui l’a accepté, en présence des présidents de ses deux chambres. Pour l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, cette initiative est d’une importance historique comparable à celle des efforts qui avaient été déployés au début des années quatre-vingt-dix au bénéfice des pays d’Europe centrale et orientale. Nous retrouvons ainsi la possibilité de susciter un grand élan, qui devrait permettre de proposer à nos jeunes le projet européen qu’ils attendent avec confiance ! (Applaudissements au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Roland Ries.
M. Roland Ries. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre débat d’aujourd’hui doit concourir à l’élaboration de la position française en vue du Conseil européen qui se tiendra demain et après-demain à Bruxelles. La tâche sera difficile. En effet, comme l’ensemble des sénateurs socialistes au nom desquels je m’exprime ce soir, je ne partage pas la position assez défensive du Gouvernement face aux défis européens qui nous attendent, particulièrement ceux qui seront à l’ordre du jour de ce Conseil.
Je ne suis pas de ceux, par exemple, qui constatent passivement et sans enthousiasme l’adhésion de la Croatie à l’Union européenne. Je considère que c’est là un événement important. Je partage plutôt la position de la Commission, qui recommande aux États membres de clore les négociations sur les quatre derniers chapitres en suspens et de retenir le mois de juillet 2013 comme date butoir pour l’entrée de ce pays dans l’Union. Certes, la Croatie devra continuer à renforcer l’État de droit, poursuivre sa réforme judiciaire et intensifier la lutte contre la corruption, mais elle fait partie intégrante de l’Europe. Je me réjouis de voir s’unir des peuples autour des mêmes aspirations et d’un réel désir d’avancer ensemble.
L’adhésion de la Croatie montrera, je l’espère, la voie aux autres pays candidats de la région – je pense en particulier à la Serbie – et les encouragera à poursuivre leurs efforts afin de respecter les critères requis pour intégrer l’Union européenne.
En matière de politique migratoire, je regrette que la Commission ait cédé aux interpellations des présidents français et italien en concédant, le 4 mai dernier, une possible révision des clauses dites de sauvegarde de l’espace Schengen. Nous le savons, les accords prévoient d’ores et déjà la possibilité de rétablir temporairement le contrôle aux frontières nationales en cas de « menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure ». La réponse de la Commission tend donc simplement à conforter les attitudes inquiètes, frileuses de certains États de l’Union face au printemps arabe et aux mouvements migratoires qu’il a engendrés.
En fait, si les accords de Schengen doivent être révisés aujourd'hui, c’est plutôt, à mon avis, dans la perspective d’une réorientation vers une dimension plus démocratique. La bonne application des règles doit, par exemple, être contrôlée par les institutions européennes, et non plus exclusivement par les États membres, comme c’est le cas actuellement.
Il faudrait également instaurer un contrôle parlementaire de l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures, dite FRONTEX, qui est chargée de la gestion des frontières extérieures de l’Union européenne. C’était d’ailleurs le sens de la proposition de résolution européenne présentée par les sénateurs socialistes, malheureusement rejetée par la commission des affaires européennes la semaine dernière.
En revanche, rétablir un contrôle sous une forme ou une autre aux frontières intérieures contredit l’essence même du projet européen. Tout d’abord, la liberté de circulation des personnes et la constitution d’un espace sans frontières sont parmi les plus belles conquêtes de la construction européenne depuis l’origine. Les citoyens ont conscience qu’ils doivent à l’échelon européen le droit de voyager sans passeport à l’intérieur de l’espace Schengen, tout particulièrement dans les régions transfrontalières où ils traversent la frontière chaque jour pour aller travailler. Il s’agit d’une des réalisations les plus concrètes, les plus visibles de l’Union pour la vie quotidienne de nos concitoyens. Revenir d’une quelconque manière sur ce droit acquis alors que monte l’euroscepticisme ne manquera pas de nuire à l’image de l’Union européenne et alimentera les critiques de tous ceux qui doutent aujourd'hui de notre avenir européen commun.
Mais plus encore, monsieur le ministre, l’Europe, c’est aussi le Conseil de l’Europe, dont la finalité est la promotion de la démocratie, de l’État de droit et des droits de l’homme. En tant que maire de Strasbourg, capitale européenne où siège cette institution, j’y suis particulièrement sensible.
L’Europe des Vingt-Sept doit sortir de la logique purement défensive dans laquelle elle a tendance à s’enfermer. Elle doit arrêter de se penser en forteresse assiégée, en créant ainsi un climat de méfiance avec les pays voisins du Sud et parfois entre les États membres eux-mêmes. Au contraire, à mon sens, nous devons accompagner les pays voisins dans leur processus de démocratisation.
En tout état de cause, je ne peux concevoir que la France engage au Conseil européen une discussion se focalisant sur un élargissement des clauses de sauvegarde. L’Union européenne a aujourd'hui plus que jamais besoin de vrais débats en matière de migrations, par exemple pour définir les contours d’une politique commune d’asile, que nous réclamons depuis plusieurs années déjà.
En réalité, l’Union européenne s’enlise dans des considérations nationales, elle semble se contenter de faire face aux urgences au fur et à mesure qu’elles se présentent et de gérer les crises au coup par coup.
En matière économique, je ne peux bien évidemment que m’interroger sur les mesures de soutien financier à répétition prises pour éviter les défaillances des États en difficulté, s’agissant notamment de la Grèce. Je ne prétends pas qu’il puisse y avoir, dans le contexte actuel, une autre solution immédiate pour éviter une crise majeure, mais le vrai problème est de savoir comment on a pu en arriver là et de prendre les mesures de sauvegarde nécessaires pour que cela ne se reproduise pas ailleurs à l’avenir, car les menaces existent, nous le savons bien. La crise aura au moins eu le mérite de démontrer, s’il en était besoin, que le temps du chacun chez soi ou du chacun pour soi est dépassé, et que c’est ensemble que les États de l’Union parviendront à s’en sortir et à arrêter les mesures indispensables pour développer une politique économique et financière commune, seule capable d’empêcher les dérives nationales que nous constatons malheureusement aujourd'hui.
De ce point de vue, je pense que les mesures qui seront proposées à l’occasion de ce Conseil européen sont très insuffisantes. Les six textes législatifs du paquet « gouvernance économique » sont, pour l’essentiel, axés sur la réduction de la dette et des déficits des États, et leur mise en œuvre aura donc pour conséquence l’instauration dans les pays concernés d’une politique d’austérité généralisée dont les peuples feront les frais, alors même que les dérives financières sont le fait de spéculateurs qui s’engraissent sur le dos des plus pauvres de nos concitoyens.
Fondamentalement, il faut, à mon sens, envisager le problème sous un autre angle.
Nous ne pourrons pas sortir de ces difficultés sans avoir, au préalable, répondu à la question du projet politique européen. Il faut donc franchir un nouveau pas vers une intégration politique plus poussée de l’Union européenne : c’est la condition de la réussite. Les pères fondateurs s’étaient eux-mêmes rendu compte assez rapidement que l’objectif ultime de la construction européenne ne pouvait et ne devait pas être purement économique. Jean Monnet ne disait-il pas : « si c’était à refaire, je commencerais par la culture » ?
Il ne suffit donc pas de réduire les déficits ou de contrôler l’évolution de la dette. Nous devons mener une politique commune de soutien à la croissance et à l’emploi, ou encore accentuer l’harmonisation de nos politiques économiques et fiscales à l’échelon européen.
Par exemple, la proposition de directive ACCIS sur une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés, qui vise à offrir la possibilité aux entreprises présentes dans plusieurs États membres de produire leurs déclarations fiscales dans un seul d’entre eux, ne réglera pas le problème fondamental que constitue la coexistence de vingt-sept systèmes fiscaux différents. Elle risque même de créer une niche fiscale supplémentaire – c’est un comble ! En effet, seules les entreprises qui y trouveront leur intérêt opteront pour ce nouveau système. Plutôt qu’à une démarche par petits pas, je suis favorable, pour ma part, à une réelle harmonisation, à l’échelon européen, de l’impôt sur les sociétés, pour éviter le développement d’une concurrence interne fondée sur un dumping fiscal très malsain.
Toutefois, cette harmonisation nécessaire ne sera vraiment possible qu’à la condition que nous parvenions à renforcer l’intégration politique de l’Union européenne. Je note d’ailleurs que, depuis quelque temps, la perspective fédéraliste européenne semble resurgir alors même que l’on n’en parlait plus guère.
Mme Nicole Bricq. Exact !
M. Roland Ries. Nicolas Demorand résume cette situation par une formule lapidaire dans le journal Libération : « L’avenir de l’Europe, c’est, à court terme, la faillite ou le fédéralisme. »
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Quelle illusion !
M. Roland Ries. Sans aller aussi loin et de manière aussi brutale, je suis pour ma part convaincu que la sortie de la grave crise européenne que nous connaissons aujourd’hui est dans la relance de la construction politique d’une Europe démocratique, équilibrée et solidaire. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Aymeri de Montesquiou applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Humbert.
M. Jean-François Humbert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Conseil européen qui se réunira les 23 et 24 juin prochains doit répondre à trois défis majeurs pour l’Europe.
Le premier défi est celui de la crise de la dette publique et de l’euro. Au-delà de la situation très difficile de la Grèce, les États membres devront apporter, pour l’avenir, une réponse commune, solide et crédible en termes de gouvernance économique européenne. J’y reviendrai.
Le deuxième défi est celui de la gestion des flux migratoires, avec la crise de la gouvernance de l’espace Schengen. Il s’agit non pas de remettre en cause la libre circulation des personnes, qui est un acquis fondamental et non négociable de la construction européenne, mais de permettre à l’Union européenne de mieux contrôler ses frontières extérieures. Je pense par exemple au nécessaire renforcement de l’Agence FRONTEX.
Au-delà de cette question, nous devons avancer vers la mise en œuvre d’une véritable politique européenne de l’immigration et de l’asile, ainsi que vers la mutualisation des moyens humains et matériels des États membres. Il nous faut des orientations claires et précises, à même de convaincre nos concitoyens que les États membres ont la volonté et la détermination de régler cette question qui, vous le savez, monsieur le ministre, est politiquement très sensible.
Enfin, le troisième défi à relever par le Conseil européen est celui de la rénovation de la politique européenne en Méditerranée, face à la crise des printemps arabes. Il nous faut absolument mettre en œuvre une politique européenne durable en Méditerranée, je dirais même une stratégie européenne de voisinage dans cette zone, notamment en matière d’intégration économique, de consolidation de la démocratie et de gestion des flux migratoires. Là aussi, notre pays a un rôle important à jouer, grâce à l’Union pour la Méditerranée, dont on voit aujourd’hui qu’elle constituait une initiative particulièrement clairvoyante du Président de la République.
Ces trois défis à relever par l’Union européenne et ses États membres obligent ces derniers à plus de solidarité et de confiance mutuelle, à plus de volonté politique commune, sous peine de voir les acquis de plus de cinquante ans de construction européenne voler en éclats.
Mais une chose est sûre : l’Europe avance, quoi qu’en disent les éternels sceptiques, confortablement installés sur les rives tranquilles de l’immobilisme, de la critique permanente et du conservatisme bon teint.
La crise a eu l’avantage d’accélérer la mise en place d’une gouvernance économique et financière à l’échelon européen : d’un côté, les États se sont mobilisés en faveur des plus touchés d’entre eux, comme la Grèce, le Portugal ou l’Irlande ; de l’autre, ils se sont mis d’accord sur un ensemble de dispositions visant à éviter que de telles situations ne se reproduisent à l’avenir.
Durant ces derniers mois, les institutions européennes et les États membres ont pris une série de décisions majeures qui renforcent la coordination économique et budgétaire de l’Union européenne dans son ensemble et de la zone euro en particulier. Le déséquilibre qui existait entre les deux volets de l’Union économique et monétaire est ainsi corrigé. Ces décisions doivent garantir une coordination des politiques économiques des États membres, élément qui est apparu essentiel pendant la crise. Les économies interdépendantes de l’Union européenne seront mieux armées pour tracer la voie vers la croissance et l’emploi. Il s’agit, mes chers collègues, d’une avancée majeure, qui était inimaginable avant la crise.
Je voudrais maintenant vous faire part de mes réflexions sur la situation de la Grèce, un an après l’intervention de l’Union européenne et du FMI. Mon collègue Simon Sutour et moi-même nous sommes rendus dans ce pays voilà quinze jours, et nous venons de rendre un rapport d’information sur sa situation, au nom de la commission des affaires européennes.
Un an après la mise en place d’un premier plan d’aide, la Grèce se trouve toujours confrontée à des problèmes majeurs de financement. Son endettement et l’absence de résultats tangibles de sa tentative de réduction de ses déficits vont ainsi interdire tout retour sur les marchés financiers l’année prochaine. Le plan d’aide international prévoyait pourtant un tel retour en 2012. La défiance des marchés à l’égard d’Athènes contraste avec les efforts déjà accomplis par le gouvernement grec en matière de réformes structurelles. Les systèmes de santé et de retraites ont notamment été réformés en profondeur, et l’administration territoriale largement rationalisée.
À ces bouleversements s’ajoute une cure d’austérité inédite, visant toutes les catégories de la population grecque et rompant de façon nette avec la tradition interventionniste de l’État grec. Néanmoins, en dépit de leur coût social, ces mesures demeurent insuffisantes pour juguler l’augmentation régulière des taux d’intérêts. La privatisation et la cession d’une large partie du patrimoine de l’État, l’intensification de la lutte contre l’évasion fiscale, mal endémique du pays, et une réforme en profondeur du marché du travail sont encore attendues. Au-delà, il apparaît indispensable que la Grèce renoue avec la croissance. La récession économique et l’augmentation concomitante du chômage lui interdisent pourtant, à l’heure actuelle, une telle perspective.
Ce constat induit inévitablement une nouvelle intervention européenne. Les modalités de celle-ci restent cependant à définir, notamment en ce qui concerne l’implication des créanciers privés dans l’allégement de la charge financière qui pèse sur la Grèce. Le défi demeure de taille, tant l’Union européenne semble incapable, à l’heure actuelle, d’aboutir à un consensus sur la question, au risque de brouiller son image et la cohérence de son action, à l’égard notamment de l’opinion publique grecque, lasse de la politique de rigueur appliquée par son gouvernement.
Un an après le premier choc grec, l’Union européenne a pourtant avancé de façon concrète en matière de gouvernance économique. Selon nous, il lui appartient cependant de franchir une seconde étape en renforçant encore celle-ci afin d’enrayer définitivement la crise de la dette souveraine, qui, après avoir frappé l’Irlande et le Portugal, menace dans une moindre mesure l’Espagne ou l’Italie. Pour l’Union européenne, le deuxième acte de la crise grecque est un test de grande ampleur. Elle doit faire montre de maturité politique en parlant d’une seule voix.
C’est sans aucun doute le défi majeur que devra relever le Conseil européen des 23 et 24 juin prochains, afin que la dette et l’austérité ne menacent pas la construction européenne.
Je conclurai en indiquant que je souscris pleinement à la proposition que notre collègue Pierre Bernard-Reymond formulera lors du débat interactif et spontané. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.