M. Jean Desessard. Eh oui !
M. Guy Fischer. Cela représente un doublement en dix ans en euros constants et un détournement structurel des richesses de 2,4 points de PIB par rapport à la moyenne de la décennie 1991-2000.
La solution que vous refusez porte un nom : une plus juste répartition des richesses. Si vous n’en voulez pas, c’est parce que vous devez, coûte que coûte, protéger les intérêts des plus riches, des actionnaires, des boursicoteurs, c’est-à-dire les intérêts de la minorité contre les besoins de la majorité de nos concitoyens.
Il faut avoir le courage de le dire : si ce projet de loi était adopté, si, par malheur, le Congrès devait se réunir et l’entériner, les décisions économiques, fiscales et sociales seraient prises non plus au Gouvernement, ni au Parlement ni même à la Commission européenne, mais directement au sein des conseils d’administration des grandes multinationales cotées en bourse. Ce sont en effet à elles que profite le pacte de compétitivité, que l’on devrait plutôt qualifier de « pacte antisocial », tant les conséquences désastreuses qui en découlent sont grandes. Ce pacte produira une baisse généralisée des salaires à raison de la suppression de leur indexation sur l’inflation. Il entraînera une chute considérable du niveau des pensions de retraite, avec l’instauration de régimes de retraite fondés sur les comptes notionnels, et il conduira à la destruction massive d’emplois, notamment au sein des trois fonctions publiques.
Le postulat même de ce pacte de compétitivité, dont l’interdiction constitutionnelle des déficits prend corps dans ce texte, repose sur l’idée selon laquelle ce qui ne fonctionne pas aujourd’hui, ce qui nuit au développement économique des entreprises, ce sont les mesures de protection sociale, à commencer par celles concernant le droit du travail, la retraite et la santé.
Pour les libéraux qui sont à la manœuvre, l’appétit sans fin des actionnaires exigeant toujours plus de rentabilité n’est pas en cause. En lieu et place d’une réduction des milliards d’euros de dividendes qui sont aujourd’hui distribués aux actionnaires au détriment de la recherche, de l’innovation et de l’emploi, l’institut patronal Coe-Rexecode propose – écoutez bien ! – une baisse de 5 % à 10 % des coûts de production pour l’industrie sur notre territoire par le biais d’une mesure de réduction des charges pesant sur le travail,…
M. Thierry Foucaud. C’est vrai !
M. Guy Fischer. … suggérant tout simplement que ce soient les ménages, c'est-à-dire les salariés, qui compensent la différence.
M. Jean Desessard. Comme d’habitude !
M. Guy Fischer. Non contents de faire supporter une première fois votre politique par les salariés, en réduisant le champ des solidarités et les salaires, vous les faites payer une seconde fois, en leur transférant les charges des entreprises. Il ne faudra sans doute pas attendre longtemps pour que vous proposiez la création d’une TVA sociale – n’est-ce pas, monsieur Arthuis ? –, laquelle pourrait coûter plus cher aux foyers que ce que rapporterait la prime de 1 000 euros, dont seule une poignée de salariés pourrait bénéficier.
Enfin, ce pacte de compétitivité, négocié au sein de la Commission européenne, autrement dit au sein de l’une des instances les moins démocratiques qui soient, porte atteinte à notre modèle démocratique.
La Commission, en imposant le « semestre européen » et en obtenant des États membres qu’ils consentent à adopter de nouvelles règles en matière de réduction des déficits, est, de fait, devenue le véritable décideur des politiques sociales de notre pays.
Nous dénonçons avec force l’instauration de ce gouvernement économique au service de la compétitivité des entreprises européennes – sous-entendu, des actionnaires avant tout –, qui méprise le droit de nos concitoyens à décider, au travers de leurs représentants, du modèle économique dont ils veulent se doter.
Le groupe CRC-SPG, considérant que les peuples non seulement de France, d’Allemagne, d’Espagne, de Grèce, mais aussi d’Irlande et du Portugal ont déjà trop payé pour une crise dont ils ne sont pas responsables, votera contre le projet de loi constitutionnelle ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Cornu. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Gérard Cornu. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi constitutionnelle que nous examinons aujourd’hui part d’un constat simple : notre pays ne peut plus vivre à crédit. Depuis près de quarante ans, le Parlement vote en effet des budgets en déficit.
M. François Marc. Avec des cadeaux par milliers !
M. Bernard Frimat. Arrêtez donc de les voter !
M. Gérard Cornu. Cette situation n’est plus tenable ! Les événements survenus récemment en Grèce ou au Portugal doivent nous interpeller et nous rappeler la précarité de la situation financière de notre pays.
Ce texte est donc particulièrement bienvenu. À cet égard, je souhaite saluer l’initiative du Gouvernement, qui s’est appuyé très largement sur les travaux du groupe de travail présidé par Michel Camdessus.
Le projet de loi constitutionnelle a pour objectif de tracer la route du retour à l’équilibre des comptes publics. Sa proposition phare est l’institution des lois-cadres d’équilibre, nouvelle catégorie de lois visant à assurer une réelle discipline budgétaire.
Comme l’indiquait l’excellent rapporteur général de la commission des finances, Philippe Marini, dans son rapport d’information de 2011 sur le projet de programme de stabilité, aucune des programmations budgétaires récentes n’a été respectée. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
En instaurant des lois-cadres d’équilibre qui s’imposeront aux lois de finances, nous mettrons en place un dispositif coercitif facilitant le retour à l’équilibre des finances publiques.
En parallèle de la création de cette nouvelle catégorie de lois, le projet de loi constitutionnelle consacre le monopole des lois financières en matière de prélèvements obligatoires.
Le texte adopté par l’Assemblée nationale ne me paraît pas acceptable sur ce point. L’institution de ce monopole n’est, selon moi, nullement justifiée par l’objectif de maîtrise des déficits publics. En outre, si nous adoptions un tel dispositif, nous risquerions de porter atteinte aux droits du Parlement, autrement dit, mes chers collègues, à nos propres prérogatives.
Deux aspects du monopole me semblent particulièrement problématiques.
Premier aspect : le monopole nuirait fortement à la cohérence de nos débats. Comment débattre de façon cohérente s’il n’est plus possible de discuter, dans un même texte, des aspects techniques d’une réforme et de son volet financier ?
Je prends un exemple : en 2010, j’ai eu l’honneur d’être rapporteur du projet de loi relatif aux réseaux consulaires, au commerce, à l’artisanat et aux services. Celui-ci comprenait un article précisant les modalités de financement des chambres de commerce et d’industrie.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois. Eh oui !
M. Gérard Cornu. Il s’agissait d’un volet essentiel du texte, indissociable de la réforme car s’inscrivant totalement dans la logique de rationalisation du réseau.
Il aurait été impossible de discuter de façon cohérente de l’ensemble de la réforme si le monopole avait existé. À l’époque, le problème fut résolu en saisissant pour avis la commission des finances, qui a tout naturellement traité du volet budgétaire.
Autre exemple : le Parlement a adopté définitivement, en février 2010, une proposition de loi relative au service civique de notre collègue Yvon Collin, ici présent. Cette proposition visait, pour reprendre les termes de la commission de la culture, à « faire du service civique une étape naturelle dans la vie des jeunes ». Y figurait une disposition tendant à ne pas soumettre l’indemnité versée à la personne effectuant un volontariat de service civique à l’impôt sur le revenu.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mesure fiscale !
M. Gérard Cornu. Avec le monopole, une telle disposition n’aurait pu être adoptée dans le cadre d’une proposition de loi.
M. Yvon Collin. En effet !
M. Gérard Cornu. J’en viens, mes chers collègues, au second aspect du monopole qui ne peut nous laisser insensibles : la place du Sénat dans l’équilibre des institutions.
Je rappellerai à mon tour l’acquis de la révision constitutionnelle de 2003 : la reconnaissance de la primauté de la Haute Assemblée en matière de collectivités territoriales. Ainsi, aux termes du deuxième alinéa de l’article 39 de la Constitution, « les projets de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales sont soumis en premier lieu au Sénat ». Qu’adviendrait-il de cette disposition si le monopole était institué ?
Les textes relatifs aux collectivités territoriales comportent très souvent des dispositions financières. Avec le monopole, ces dispositions ne pourraient plus figurer dans un projet de loi ordinaire ; elles seraient alors examinées dans le cadre des projets de loi de finances, textes qui sont soumis en premier lieu à l’Assemblée nationale.
Plus généralement, le monopole signifierait purement et simplement que l’aspect financier de toutes les réformes serait soumis en premier lieu à l’Assemblée nationale, en procédure accélérée. Cela représenterait une grave régression pour la Haute Assemblée et pourrait conduire, à terme, à ce qu’il en soit de même pour le volet technique des réformes.
Pour toutes ces raisons, j’espère que nous renoncerons au monopole des lois financières. Cette disposition donne en effet un goût amer à l’avancée très importante que constitue le projet de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Jégou.
M. Jean-Jacques Jégou. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs années, les rapports de la Cour des comptes nous alertent sur l’ampleur de nos déficits et de notre endettement publics ainsi que sur notre incapacité à les réduire, même durant les périodes de croissance. Compte tenu de l’état de nos comptes publics, de la crise économique et financière et de la crise de la zone euro, le rétablissement des comptes publics est devenu la principale priorité pour notre pays. Cette réforme constitutionnelle tendant à l’équilibre des finances publiques est, de fait, devenue indispensable.
Pour améliorer le pilotage et la gouvernance de nos finances publiques, il serait temps d’adopter des règles juridiques contraignant les gouvernements à atteindre l’équilibre des comptes publics.
Le constat est sans ambiguïté : depuis plus de trente ans, nous assistons à une dégradation continue des comptes publics, aggravée par la crise financière mondiale. Le dernier budget en excédent remonte en effet à 1975.
L’accumulation des déficits a conduit au creusement de la dette, de 21 % du PIB en 1978 à 82 % à la fin de 2010. L’encours de la dette a été multiplié par dix-huit.
Après plus de trente-cinq années de déficits cumulés, notre pays a dû affronter la crise économique dans une situation difficile, avec des finances publiques dégradées. La charge de la dette de l’État atteint désormais 45 milliards d’euros en 2011, ce qui en fait le deuxième poste budgétaire.
Si notre pays ne prend pas de mesure forte de rééquilibrage des comptes publics, le niveau de la dette pourrait atteindre cent cinquante points de PIB en 2050. Cet emballement de la dette, sur lequel Philippe Séguin nous alertait, réduit peu à peu les capacités d’action de notre pays ; l’augmentation de la dette entraîne une augmentation des charges d’intérêt, qui rend elle-même plus difficile la réduction du déficit.
Michel Camdessus a parfaitement résumé la situation : la France est confrontée au double handicap « d’une impuissance à s’arracher aux déficits publics et d’une dynamique perverse de l’endettement ». Si nous ne les affrontions pas vigoureusement, écrit-il, « ces deux phénomènes mineraient subrepticement notre capacité de riposte à une nouvelle crise de grande ampleur », obéreraient à terme la solidarité intergénérationnelle et menaceraient tant notre souveraineté que notre système de protection sociale.
La dégradation des comptes publics est autant due à une maîtrise insuffisante de nos dépenses qu’à des allégements d’impôts non gagés par des suppressions de dépenses équivalentes. Les déséquilibres actuels, conséquences des défaillances de gestions passées, obèrent durablement les capacités de réaction de la France face à de nouvelles crises ainsi que sa marge de manœuvre. Le redressement des comptes publics est aujourd’hui indispensable. Le désendettement de l’État s’impose alors comme la clé du redressement de la France.
Nous sommes d’autant plus à l’aise avec cette réforme que le candidat centriste à l’élection présidentielle de 2007 a été le premier à défendre l’idée d’inscrire dans la Constitution l’interdiction pour un gouvernement de présenter un budget en déficit de fonctionnement, hors période de récession.
Si les modalités pratiques de la réforme présentée aujourd’hui diffèrent de ce que nous proposions à l’époque, celle-ci s’inscrit dans la même philosophie générale. Il est d’ailleurs regrettable que le Président de la République ait pris conscience si tardivement de la gravité de la situation de nos finances publiques, malgré les avertissements répétés de la Cour des comptes. Il aura donc fallu attendre la conférence sur le déficit en janvier 2010… Avec 150 milliards d’euros de déficit et 1 600 milliards d’euros de dettes, il était temps !
Certes, la maîtrise des déficits publics est une question de volonté politique. Mais, depuis vingt-cinq ans, tous les gouvernements se sont rendus coupables de ce laisser-aller. À défaut de volonté, nous devons nous donner tous les moyens pour mener la politique indispensable d’assainissement budgétaire, notamment en renforçant les dispositifs susceptibles de garantir que les choix effectués seront conformes à l’objectif de réduction des déficits.
Le mal français en matière de finances publiques vient principalement d’une mauvaise gestion des périodes de croissance. L’objectif principal du projet de loi constitutionnelle est de mettre fin à cette spécificité française, en contraignant le législateur et, surtout, le Gouvernement, à prévoir un effort prolongé de réduction du déficit public, notamment quand la croissance est forte.
C’est pourquoi nous sommes favorables à une règle budgétaire suffisamment contraignante pour préserver l’équilibre budgétaire, sans toutefois rogner les prérogatives de l’exécutif et l’initiative parlementaire. En s’imposant aux lois de finances et aux lois de financement annuelles, les lois-cadres d’équilibre des finances publiques, prévues par une disposition majeure du projet de loi constitutionnelle, répondent à cet objectif.
Selon nous, la loi organique introduisant les lois-cadres devra prévoir les dispositions les plus contraignantes possibles, à la fois pour les parlementaires et pour le Gouvernement, car ils ont fait preuve d’une faiblesse coupable en ne réduisant pas les dépenses et en ne garantissant pas les recettes fiscales. Or aucune amélioration ne peut être réalisée sans résorber l’écart permanent entre dépenses et recettes publiques.
Le dispositif des lois-cadres reprend, à raison, la gestion pluriannuelle des finances publiques prévue dans les lois de programmation des finances publiques. La pluriannualité est en effet un outil indispensable à l’assainissement des finances publiques. Compte tenu de la rigidité de la dépense, l’effort de réduction du déficit doit être planifié sur plusieurs années. Mais alors que l’examen des lois de programmation était purement formel, du fait de prévisions gouvernementales de croissance, de rentrées fiscales et de désendettement systématiquement surévaluées, la loi-cadre contient, quant à elle, des dispositions contraignantes.
La loi-cadre devra clairement préciser la trajectoire pluriannuelle de réduction des déficits en fixant, comme le propose le rapport Camdessus, des plafonds annuels s’appliquant aux dépenses de l’État et aux régimes obligatoires de base de la sécurité sociale en volume et à périmètre constants ainsi que des objectifs annuels en matière de ressources publiques, afin d’éviter de rogner les recettes de l’État par la multiplication des dépenses fiscales.
Afin de donner sa pleine portée au dispositif, la loi-cadre devra également inscrire la date à laquelle l’objectif d’équilibre des comptes devra être atteint. Cela renforcera la crédibilité du processus de redressement des finances publiques, sans brider pour autant les nouvelles majorités qui pourraient réviser la date de retour à l’équilibre. Le législateur financier restera libre de déterminer le niveau des objectifs en dépenses et en recettes prévu dans la loi-cadre, pour s’adapter aux aléas conjoncturels.
En outre, il est important que les objectifs en dépenses et en recettes soient fongibles, afin qu’un effort moindre que celui prévu sur la dépense puisse être compensé sur la recette, et inversement.
Si nous approuvons la souplesse du dispositif, nous souhaitons que ses conditions de révision soient limitées aux cas de circonstances exceptionnelles et de changement de majorité, afin de renforcer le caractère solennel de la loi-cadre. Il en va aussi de la crédibilité des engagements pris par le législateur pour redresser les comptes publics.
S’agissant enfin du monopole fiscal des lois de finances, je souhaite rappeler que la fin de l’éparpillement des mesures fiscales est un élément essentiel d’un pilotage efficace des ressources publiques, en permettant une meilleure visibilité des mesures fiscales et du niveau des prélèvements obligatoires. C’est un facteur majeur de la protection des recettes.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous sommes favorables à ce projet de loi constitutionnelle. En le votant, nous aurons à l’esprit le mot de Pierre Mendès-France : « Les comptes en désordre sont la marque des nations qui s’abandonnent ».
M. Pierre-Yves Collombat. Il n’a pas dit ça ! Il a dit qu’il fallait se préoccuper de l’emploi !
M. Jean-Jacques Jégou. Il est donc grand temps de remédier à notre situation ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et sur quelques travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, une réforme constitutionnelle relative à l’équilibre des finances publiques interroge tout parlementaire, a fortiori lorsqu’il est membre de la commission saisie au fond ou de l’une des trois commissions saisies pour avis.
Vous prétendez, monsieur le ministre, chers collègues de la majorité, que le présent texte est fondamental. Si tel était le cas, une commission spéciale aurait été créée au Sénat et à l’Assemblée nationale et le Parlement aurait accompli un long travail préparatoire, comme en 2000, lorsqu’il s’était agi de réformer l’architecture budgétaire.
Il y a dix ans, la voie parlementaire avait été payante : après trente-deux tentatives inabouties, c’est notre travail fructueux qui a permis d’instaurer la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF. Chacun avait alors pu prendre ses responsabilités. Autre majorité, autres mœurs…
La méthode employée par ce gouvernement ne supporte pas la comparaison.
Les questions que peut susciter cet exercice, les membres de la commission des finances du groupe socialiste se les sont posées. Elles sont essentiellement au nombre de deux : le Gouvernement est-il crédible lorsqu’il propose une réforme constitutionnelle afin de garantir l’équilibre des finances publiques ? Est-il sincère lorsqu’il affiche sa volonté d’appliquer cette réforme ?
M. Jean Desessard. Non !
M. François Trucy. Si !
Mme Nicole Bricq. C’est peu dire que le passé ne plaide pas en faveur de la crédibilité du Gouvernement lorsqu’il veut imposer un nouveau corpus de règles aux parlementaires.
J’ai entendu les orateurs de la majorité répéter que nos finances publiques n’avaient pas été en équilibre depuis au moins trente ans.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Trente-cinq ans !
Mme Nicole Bricq. Mettre en avant cette durée permet de gommer quelques aspérités : l’une, très négative, à savoir que c’est le gouvernement Balladur qui a fait exploser la dette ; l’autre, plutôt positive, qui est que c’est le gouvernement Jospin qui a laissé les finances publiques en bon état. (Eh oui ! sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Et la cagnotte ?
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. C’est votre lecture, ma chère collègue : vous portez des lunettes partisanes !
Mme Nicole Bricq. Les gouvernements qui se sont succédé depuis 2002 – notez qu’ils étaient tous de la même couleur politique –, en particulier celui qui est en place, ont fait exploser la dette. Celle-ci a été multipliée par deux. De plus, nous avons connu des déficits excessifs durant sept années consécutives.
La dette file allègrement pour s’établir aux alentours de 86 % du PIB. Quant aux déficits, ils ont atteint plus de 7 % à la fin de 2010.
Tous ces gouvernements ont multiplié les abandons de recettes fiscales. Celui qui est aux responsabilités actuellement ne rompt pas avec l’entrain caractéristique des gouvernements de droite depuis 2002. Ce sont ainsi entre 100 milliards d’euros et 120 milliards d’euros, soit six points de PIB, qui ont été dilapidés.
Le Gouvernement et la majorité n’ont pas respecté la loi de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012, qui prescrivait pourtant que les dépenses nouvelles devaient être gagées sur des recettes. On sait aujourd’hui ce qu’il en est du coût de la suppression de la taxe professionnelle – il atteint le double de celui initialement prévu ! – et de la funeste baisse de la TVA dans la restauration décidée, qui plus est, dans le cadre d’une loi ordinaire.
M. Jean-Marc Todeschini. Ils ont oublié !
Mme Nicole Bricq. Pour leur défense, le Gouvernement et la majorité invoquent la crise. Or la Cour des comptes a établi à un tiers l’impact de cette dernière sur les déficits. Nous connaissons encore un déficit structurel de 5 % !
Le Gouvernement s’appuie aujourd’hui sur le rapport du groupe de travail présidé par Michel Camdessus. Il oublie que, auparavant, il y avait eu la commission Pébereau, mandatée en juillet 2005 par le ministre de l’économie et des finances, Thierry Breton, qui avait indiqué dans sa lettre de mission que, pour la première fois, l’impôt sur le revenu servirait à payer les intérêts de la dette.
En 2006, le rapport Pébereau avait émis un diagnostic clair et, je crois, partagé : pour réussir à nous désendetter, il est indispensable de ne pas diminuer le niveau global des prélèvements obligatoires et de ne plus faire de nouvelles dépenses fiscales. Au lieu de cela, le candidat à la présidence de la République avait promis de baisser de quatre points les prélèvements obligatoires, promesse qu’il n’a pas tenue. Quant au gouvernement issu des élections de 2007, il a remisé au placard le rapport et sacralisé les dépenses et exonérations improductives au travers du paquet fiscal créé par la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite « loi TEPA ».
Certes, à l’approche de l’élection présidentielle de 2012, le Président et son gouvernement détricotent le fameux paquet fiscal. Mais, en fait de rupture, ils creusent un gouffre dans nos finances publiques, nous privant de toute marge de manœuvre face à la crise pour en assurer la sortie. Je n’hésite pas à le dire : ils livrent la France, pieds et poings liés, aux marchés financiers,…
M. Jean Desessard. Eh oui !
M. Jean-Marc Todeschini. Ce n’est pas croyable !
Mme Nicole Bricq. … qui ne croient pas plus que nous à la crédibilité de leurs initiatives. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder leur évolution dans la période récente.
La charge de la dette est estimée à 55 milliards d’euros par an.
M. Jean Desessard. Eh oui, 55 milliards !
Mme Nicole Bricq. À partir de 2013, elle sera équivalente au budget de l’éducation nationale, soit 60 milliards d’euros.
M. Guy Fischer. Elle risque d’être supérieure !
Mme Nicole Bricq. Cela en dit long sur la gravité des mauvais choix que vous avez effectués.
S’agissant du déficit, le premier trimestre de 2011 a connu un alourdissement par rapport au premier trimestre de 2010. M. le ministre nous dira sans doute qu’il opérera, avant la fin de l’année, les régulations nécessaires pour tenir la trajectoire.
Parlons justement de la trajectoire définie par le programme de stabilité adressé à la Commission européenne à la fin du mois d’avril dans le cadre du « semestre européen ».
Nous disposons désormais des recommandations de la Commission. Elles sont contestables dans la mesure où elles suggèrent des dispositions qui ne sont pas en phase avec la stratégie de croissance de l’Union européenne pour 2020. Nous déposerons donc dans les prochains jours, François Marc et moi-même, au nom du groupe socialiste, une proposition de résolution. En effet, je le rappelle, le pacte de stabilité, auquel les trajectoires nationales de finances publiques doivent se référer, est encore en débat entre la Commission de Bruxelles et le Parlement européen au moment où l’on nous demande – paradoxe du calendrier – d’adopter une nouvelle règle pour modifier la hiérarchie des normes, notamment financières.
La Commission n’est pas allée jusqu’à marquer sa défiance envers la stratégie du gouvernement français, mais elle a montré, comme nous, son incrédulité, certainement au regard des pratiques passées – je les ai rappelées –, et elle a fait part de ses doutes pour l’avenir. En clair, elle ne croit pas au scénario macroéconomique sur lequel repose la trajectoire de finances publiques de la France. Celle-ci sera toujours contestable dans la mesure où c’est le Gouvernement qui l’élabore à partir d’une philosophie et d’une stratégie politiques. Il faudrait changer de méthode et adopter le principe d’une élaboration indépendante de l’hypothèse sur laquelle repose la loi de finances, et a fortiori la trajectoire budgétaire, comme le font depuis la fin de la guerre les Pays-Bas au travers du Bureau central de planification. Dans ce pays, personne, quelle que soit la majorité au pouvoir, ne conteste le travail de cet organisme et chaque parti qui ambitionne d’exercer les responsabilités soumet son programme à son évaluation.
Pour faire bonne mesure, puisque ce dispositif a été mis en place par un gouvernement travailliste, je prendrai un autre exemple – vous voyez que je ne suis pas sectaire, monsieur Marini. Le gouvernement de M. Cameron, conservateur s’il en est, a choisi – cela a même été la première mesure qu’il a prise – de créer un office de responsabilité budgétaire, qui est désormais chargé de l’élaboration de l’hypothèse macroéconomique sur laquelle reposent les prévisions budgétaires.
Pour nous, socialistes, compte tenu de nos fondamentaux, il est clair que le chemin d’une croissance solide passe par l’emploi, seul facteur susceptible de consolider la reprise. Le Gouvernement serait donc bien avisé de supprimer la dernière mesure qui subsiste du paquet fiscal, celle relative aux heures supplémentaires, dont le coût pour les finances publiques est de 4 milliards d’euros, charges sociales et exonérations fiscales comprises.
M. Jean Desessard. En effet, 4 milliards !
Mme Nicole Bricq. Il s’agit d’une véritable entrave qui empêche de revenir au niveau de l’emploi du premier trimestre de 2008, c’est-à-dire avant la crise. Si vous voulez donner un signal positif, agissez sans tarder !
Au lieu de cela, le Gouvernement continue de s’égarer dans des propositions coûteuses pour les finances publiques…