M. Didier Guillaume. Exactement !
Mme Marie-France Beaufils. ... destructrice de nos institutions locales ; le conseiller territorial disparaîtra avant même d’avoir vécu. C’est en tout cas ce à quoi nous nous emploierons ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Gourault.
Mme Jacqueline Gourault. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chacun sait ici que je me suis toujours opposée au mode de scrutin pour l’élection des conseillers territoriaux. D’ailleurs, tout à l’heure, la manière dont ce mode de scrutin a été introduit dans le débat par l’Assemblée nationale a été rappelée.
Ce mode de scrutin présente trois désavantages qui ont été rappelés. Le premier est l’inflation des conseillers territoriaux. Le deuxième est la diminution évidente du rôle et du nombre de femmes élues. Enfin, le troisième est selon moi la disparition pure et simple de la notion, de l’esprit, de l’idée même de région !
C’est la raison fondamentale pour laquelle je me suis opposée à la loi de réforme des collectivités territoriales.
Aujourd’hui, nous débattons de la répartition par département et région des conseillers territoriaux, à la suite de l’annulation par le Conseil constitutionnel d’une partie de cette loi. Je ne reviendrai pas sur le détail du texte, d’autres l’ayant fait avant moi. J’ai par ailleurs un trop mauvais souvenir des discussions de marchands de tapis qui se sont tenues au cours des deux lectures.
Il me paraît toutefois souhaitable de rappeler deux points importants à mes yeux.
D’abord, je regrette que, au moment fatidique du vote de la loi de réforme des collectivités territoriales, il n’y ait pas eu plus de voix pour s’y opposer. À mon avis, il est trop tard maintenant pour s’affoler !
Mme Nicole Bricq. Il n’est jamais trop tard pour bien faire !
Mme Jacqueline Gourault. Vous pouvez tout de même déplorer une telle situation !
Ensuite, je regrette que cette réforme n’ait pas fait l’objet de deux textes distincts, l’un relatif à l’intercommunalité et l’autre, au conseiller territorial.
Nous le savons bien, si le Gouvernement a choisi de réunir ces deux sujets, c’est parce qu’il savait que la création du conseiller territorial, seule, ne passerait pas. Je rappelle à cet égard que M. Marleix lui-même avait préparé un texte sur l’intercommunalité, et ce depuis fort longtemps.
Par ailleurs, je souhaite évoquer une question dont il n’a guère été question jusqu’à maintenant. Mais peut-être n’ai-je pas prêté une attention suffisante ! Je fais ici allusion au fameux découpage des territoires dans le cadre de l’élection des conseillers territoriaux, à propos duquel nous n’avons reçu aucune information. Le bon sens, en l’occurrence le bon sens paysan, voudrait qu’on tienne compte de l’intercommunalité qui va se mettre en place.
M. Jean-Michel Baylet. Bien sûr !
Mme Jacqueline Gourault. J’espère que le Gouvernement – vous ne serez pas forcément celui qui tiendra la paire de ciseaux, monsieur le ministre ! – respectera les bassins de vie dont il a lui-même défendu l’existence au cours de l’examen de ce projet de loi, dans le cadre du découpage des futures circonscriptions que seront les circonscriptions territoriales.
À l’instar de M. le rapporteur, je profite de cet instant, monsieur le ministre, pour vous poser deux ou trois questions concernant, de façon plus générale, la réforme territoriale.
D’abord, j’évoquerai le projet de loi n° 61 relatif à l’élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale, qui fixera le seuil pour le panachage ou le scrutin de liste.
Comme je l’ai déjà dit au cours de mon intervention dans le cadre des questions d’actualité du 12 mai dernier, et pour reprendre les propos tenus tout à l’heure par M. le rapporteur, si deux communautés souhaitent fusionner avant 2014, la loi leur impose de limiter leur nombre de délégués communautaires et de vice-présidents. Cette contrainte nous avait échappé au cours de l’examen du texte ! (M. Dominique Braye proteste.)
Il est vrai que vous aviez déposé, monsieur Braye, au cours des deux lectures, des amendements tendant à reporter après 2014 l’application d’une telle mesure.
Il faut bien se rendre compte, monsieur le ministre, qu’une telle évolution constitue un obstacle à la fusion des communautés. Bien évidemment, certaines d’entre elles ne sont pas concernées, puisque le nombre de leurs conseillers communautaires et de leurs vice-présidents est inférieur à la limite imposée. Dans les autres communautés, il est particulièrement difficile de demander à certains élus occupant des fonctions exécutives de renoncer à leur mandat, alors qu’ils travaillent bien, et ce pour permettre à une autre personne de prendre leur place.
J’évoquerai enfin certains bruits qui circulent.
Premièrement, monsieur le ministre, quand examinerons-nous le projet de loi n° 61 ?
M. Didier Guillaume. Après l’élection présidentielle ! (Sourires.)
Mme Jacqueline Gourault. Deuxièmement, nous avons entendu dire que toutes ces questions pourraient être traitées dans le cadre de la proposition de loi déposée par notre collègue Bernard Saugey.
Quoi qu’il en soit, nous avons besoin de réponses précises sur ces questions ! Je vous rappelle en effet que les élus devront, avant le 31 juillet prochain, avoir pris leur décision concernant d’éventuels changements de périmètre ou fusions. Il convient donc de les rassurer sur ces sujets, et notamment sur les contraintes que je viens de rappeler.
Monsieur le ministre, je vous remercie d’avance de nous donner, sur ces différents points, des réponses extrêmement précises. (Applaudissements sur certaines travées de l’Union centriste et du RDSE. – MM. Jean-Louis Carrère et Dominique Braye applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet.
M. François-Noël Buffet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici aujourd’hui rassemblés pour rediscuter, à la suite d’une censure du Conseil constitutionnel, d’un sujet que nous avons déjà longuement évoqué il y a quelques mois, à savoir les conseillers territoriaux, dont nous avons majoritairement adopté le principe.
La création du conseiller territorial est, quoi que nous ayons pu entendre jusqu’à maintenant, l’une des grandes innovations de la loi de réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 2010, dont le Conseil constitutionnel a d’ailleurs validé les autres dispositions. Elle est l’originalité même de cette grande réforme, que nous avons voulue et soutenue.
Dans son principe, la création du conseiller territorial avait fait l’objet de critiques, notamment du point de vue de sa constitutionnalité. Or, dans sa récente décision, le Conseil constitutionnel a rejeté tous les griefs qui prétendaient remettre en cause l’existence même du conseiller territorial.
Le Conseil a ainsi considéré que cette réforme est conforme au principe de libre administration des collectivités territoriales, puisqu’elle ne porte pas atteinte à l’existence de la région et du département ou à la distinction entre ces collectivités,…
M. Didier Guillaume. Bien sûr que si !
M. François-Noël Buffet. … et n’institue pas de tutelle de la région sur le département. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Cette réforme est également conforme au principe de liberté de vote : ce principe ne saurait avoir pour effet d’interdire au législateur de confier à un élu le soin d’exercer son mandat dans deux assemblées territoriales distinctes.
M. Jean-Louis Carrère. Les grands électeurs vous répondront ! Vous aurez leur réponse ! Continuez ainsi !
M. François-Noël Buffet. De la même manière, le juge constitutionnel a validé le mode de scrutin que nous avons retenu, à savoir le scrutin uninominal majoritaire à deux tours, relevant notamment que sa mise en place ne portait pas, par lui-même, atteinte à l’objectif d’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Je rappelle que ce mode de scrutin renforce la légitimité de l’élu sur un territoire déterminé,…
M. Didier Guillaume. C’est l’inverse !
M. François-Noël Buffet. … ce dont le conseiller régional avait bien besoin. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
M. Dominique Braye. Très bien ! Bravo !
M. François-Noël Buffet. Ainsi, ni la création des conseillers territoriaux ni ses modalités d’élection ne posent donc de problème d’un point de vue juridique et constitutionnel.
M. Didier Guillaume. Écoutez les élus locaux et vous verrez !
M. François-Noël Buffet. Cependant, le tableau des effectifs des conseillers territoriaux, auquel renvoyait l’article 6 de la loi de réforme des collectivités territoriales, n’a pas été validé.
M. Didier Guillaume. Il était inégalitaire !
M. François-Noël Buffet. Tout en admettant la constitutionnalité d’un minimum de quinze sièges attribués à tous les départements, le Conseil constitutionnel a jugé que les effectifs dont bénéficiaient six d’entre eux méconnaissaient le principe d’égalité devant le suffrage, en raison des écarts disproportionnés de représentation qu’ils entraînaient pour les conseillers régionaux dans leurs régions respectives.
Le projet de loi que vous nous proposez aujourd’hui, monsieur le ministre, a donc pour objet de redéfinir les effectifs des conseillers territoriaux par département et par région, en ne touchant qu’aux régions ayant été invalidées.
M. Jean-Louis Carrère. C’est de la petite cuisine !
M. François-Noël Buffet. L’essentiel, mon cher collègue, c’est que la cuisine soit bonne, petite ou grande !
M. Jean-Louis Carrère. Elle manque de condiments ! Elle est insipide !
M. François-Noël Buffet. Lors de l’examen du projet de loi de réforme des collectivités territoriales, la répartition du nombre de conseillers territoriaux avait été déterminée en fonction de plusieurs principes directeurs, qui n’ont pas été remis en cause, ce dont nous nous félicitons, par le Conseil constitutionnel.
Ces principes étaient les suivants : dans chaque région, le nombre total de conseillers territoriaux était significativement inférieur au nombre actuel des conseillers généraux et régionaux ; dans chaque région, l’effectif des conseillers territoriaux par département ne pouvait conduire à ce qu’un département plus peuplé dispose d’un nombre de sièges inférieur ou égal au nombre de sièges d’un département moins peuplé ; un maximum de 310 conseillers territoriaux par région avait été retenu ; la carte cantonale était prise en compte, puisque, dans le département le moins peuplé de chaque région, la diminution du nombre de conseillers territoriaux était limitée, autant que possible, au quart de l’effectif actuel, de façon à permettre une fusion deux par deux des cantons concernés, situés le plus souvent en zone rurale ; un minimum de quinze conseillers territoriaux devait être attribué à chaque département ; la représentation moyenne des habitants par les conseillers territoriaux du département ne devait pas s’écarter de plus ou moins 20 % par rapport à la représentation moyenne des habitants par les conseillers territoriaux de la région.
M. Jean-Louis Carrère. Il ne lit pas de manière très expressive !
M. François-Noël Buffet. En d’autres termes, afin de respecter au mieux l’égalité des citoyens devant le suffrage, le ratio entre la population départementale et le nombre de conseillers territoriaux du département devait être compris dans un « tunnel » de plus ou moins 20 %, par rapport au ratio entre la population régionale et le nombre total de conseillers territoriaux de la région.
M. Jean-Louis Carrère. Qui lui a écrit ce texte ? Il est très mauvais !
M. Claude Bérit-Débat. On est dans le « tunnel » !
M. François-Noël Buffet. Monsieur le ministre, vous avez fait en sorte que les rapprochements démographiques fonctionnent dans le cadre non seulement départemental, mais aussi régional, afin que l’élu le plus familier à nos compatriotes après le maire, à savoir le conseiller général, puisse être à la fois le gestionnaire respecté du département, parce que représentant des assises démographiques comparables, et, pour les domaines de compétence de la région, l’élu qui représente les territoires au sein de l’ensemble régional.
M. Jean-Louis Carrère. Vous tuez le département !
M. François-Noël Buffet. À l’issue de la mise en œuvre des différents principes directeurs évoqués, le tableau adopté en décembre 2010 comportait 3 496 conseillers territoriaux, à comparer aux 5 657 conseillers régionaux et généraux actuellement élus, ce qui représente – faut-il le rappeler ? – une diminution de plus de 38 %.
Le Conseil constitutionnel a jugé que le rapport entre le nombre de conseillers territoriaux d’un département et la population de celui-ci s’écartait de la moyenne régionale dans une mesure « manifestement disproportionnée » dans six départements, qui ont été rappelés : l’Aude, le Cantal, la Haute-Garonne, la Mayenne, la Meuse et la Savoie.
La nouvelle répartition est donc effectuée, comme vous nous l’avez rappelé, monsieur le ministre, sur la base des chiffres relatifs à la population des départements applicables au 1er janvier 2011.
Ainsi, dans seize des dix-sept régions n’ayant fait l’objet d’aucune critique de la part du Conseil constitutionnel, les effectifs de conseillers territoriaux adoptés par le Parlement dans le tableau censuré sont repris sans aucun changement.
J’évoquerai rapidement la région monodépartementale de Guadeloupe, pour laquelle les modifications proposées renforceront la représentation de la population.
Je ne reviendrai évidemment pas, vous l’aurez compris, sur la volonté de fixer dans la loi le rôle et la fonction du futur conseiller territorial. Certes, il est beaucoup raillé et contesté.
M. Didier Guillaume. Il y a de quoi !
M. François-Noël Buffet. Toutefois, sur le terrain, les élus locaux comprennent, lorsque nous le leur expliquons, sa création et les motifs de cette évolution.
M. Bernard Piras. Ils ne comprennent pas et ne sont pas d’accord ! Écoutez-les !
M. François-Noël Buffet. Je souhaite insister sur un point qui, de mon point de vue, reste majeur, monsieur le ministre. C’est un constat irréfutable, les dernières élections, quel que soit leur résultat, l’ont encore montré,…
M. Bernard Piras. Nous les avons gagnées !
M. François-Noël Buffet. Le conseiller régional reste éloigné du territoire, méconnu principalement de la population. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Le conseiller territorial sera un candidat connu des électeurs et responsable devant eux, comme l’était le conseiller général, mais non le conseiller régional. Il disposera d’un territoire délimité et précis. Une telle évolution ne peut pas être considérée comme une régression. C’est un progrès.
M. Bernard Piras. Et la parité ?
M. François-Noël Buffet. La régression, c’est d’éloigner systématiquement l’électeur de celui qui est censé le représenter. Le mandat doit être direct, c’est ainsi que la légitimité est la plus forte.
M. Jean-Louis Carrère. Vous êtes un mauvais avocat de ce texte !
M. François-Noël Buffet. Dans ces conditions, monsieur le ministre, le groupe UMP votera avec conviction le texte que vous nous proposez. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Louis Carrère. Mauvais texte, mauvais avocat !
M. le président. Mes chers collègues, je vous demande de bien vouloir faciliter la tâche du président de séance, en vous rappelant que la démocratie suppose l’écoute…
La parole est à M. Claude Bérit-Débat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Claude Bérit-Débat. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’examen de ce texte nous replace dans le contexte que nous avons connu il y a quelques mois : les réactions dans notre hémicycle en sont la preuve.
Nous voilà en effet en train de débattre, une fois encore, de la mise en place d’un élu dont nous savons pertinemment que la création est un non-sens : le conseiller territorial.
En première lecture, le Gouvernement et sa majorité avaient délibérément choisi d’ignorer les arguments qui, déjà, plaidaient en défaveur de cet élu « nouvelle formule » : ceux-ci étaient pourtant très nombreux, et même trop nombreux…
Comme cela a déjà été dit, l’un d’entre eux, particulièrement fondé, suffisait, à notre sens, à justifier l’abandon de la réforme envisagée : il s’agit du constat d’une inflation disproportionnée des conseils régionaux et d’un écart entre les nombres des élus dans les différents départements.
Le Conseil constitutionnel n’a entendu cet argument que de façon très partielle. C’est pourquoi nous nous trouvons aujourd’hui saisis d’un tableau de répartition différant seulement à la marge de celui qui nous fut proposé en première lecture. Les deux sont souvent identiques à un ou deux postes près, ce que notre ami Collombat a excellemment exposé.
Aussi rien n’est-il résolu sur le fond : pas davantage aujourd’hui qu’hier, la légitimité, la nécessité et l’utilité du conseiller territorial ne sont avérées. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Le statut de cet élu demeure identique. Il s’agira d’un élu hybride : ni vraiment régional, ni vraiment départemental, il sera un peu les deux sans être pleinement ni l’un ni l’autre.
Cette situation posera évidemment un problème de gouvernance. À cet égard, j’attends toujours que l’on m’explique comment un élu représentant à la fois deux collectivités s’y prendra pour articuler et hiérarchiser les intérêts propres à chacune d’elles…
Peut-être la création de cet élu annonce-t-elle une « super-cantonalisation » des régions ? En vérité, nul ne le sait aujourd’hui – c’est bien là que réside le problème.
Pour moi, il est tout à fait inconséquent de créer un nouvel élu sans avoir préalablement réfléchi à sa pertinence, ni surtout sans avoir déterminé précisément son rôle et le champ de sa compétence. En réalité, comme cela a déjà été dit, vous créez ex nihilo un élu hors sol, en espérant que son existence suffira à justifier son utilité : je doute pour ma part qu’il s’agisse d’une raison suffisante…
Je suis en revanche certain que la création du conseiller territorial manifeste l’incompréhension par le Gouvernement du fait territorial, voire sa volonté de le nier. (M. Jean-Louis Carrère applaudit.)
Les Français ont soif de proximité : ils veulent des élus proches d’eux, et la possibilité d’agir en s’investissant dans l’action publique au quotidien.
Les collectivités locales ont su répondre à cette attente. Pourtant, le Gouvernement n’a qu’un seul objectif : éloigner les centres de décision des Français, en accord avec la doxa imposée par la révision générale des politiques publiques, la RGPP. Nous avons déjà vu les effets de cette politique avec la création des agences régionales de santé, puis la recentralisation des réseaux consulaires à l’échelle régionale. La création du conseiller territorial en constitue une expression supplémentaire.
Au lieu de rapprocher le citoyen de ses représentants, vous voulez l’en éloigner ; ce qui était, hier, la force des collectivités risque de devenir, demain, la faiblesse des départements et des régions. On tourne ainsi le dos à trente années de décentralisation, au nom d’une loi de circonstance dont l’unique objectif consiste à stigmatiser les collectivités ainsi qu’à les opposer pour mieux les affaiblir ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Louis Carrère. Le roi ne veut pas de seigneurs locaux !
M. Claude Bérit-Débat. À propos de la RGPP, permettez-moi de vous dire, monsieur le ministre, que je trouve particulièrement infondé l’argument économique par lequel vous avez défendu la création du conseiller territorial.
C’est ainsi qu’en Aquitaine – Jean-Louis Carrère connaît bien cet exemple – il est prévu de passer de quatre-vingt-cinq élus régionaux à deux cent onze conseillers territoriaux. Pour quel résultat ? Comme on ne peut pas pousser les murs du conseil régional, on va les abattre pour pouvoir accueillir deux fois et demie plus de conseillers… Quelle belle économie !
M. Jean-Louis Carrère. On va prendre la mairie de Bordeaux !
M. Claude Bérit-Débat. C’est cela : le palais Rohan…
De manière encore plus fondamentale, la création du conseiller territorial soulève un grave problème dans le cas des régions qui comprennent seulement deux départements.
Vous savez qu’en pareil cas, monsieur le ministre, un déséquilibre risque d’apparaître au profit du département le plus peuplé ; il en résultera une véritable départementalisation de la région au profit d’un seul département.
M. Jean-Louis Carrère. C’est vrai !
M. Claude Bérit-Débat. Les conséquences de la réforme pour la parité méritent également d’être soulignées : la mise en place du conseiller territorial va conduire à une régression inédite sur le plan de l’égalité entre les hommes et les femmes. Le mode de scrutin actuellement en vigueur pour l’élection des conseillers régionaux a représenté un puissant vecteur de féminisation de la vie politique française. Le mode de scrutin retenu pour l’élection des conseillers territoriaux viendra briser net cet élan, et conduira à une régression.
Cela est d’autant plus préjudiciable que la parité n’est pas seule remise en cause. Le scrutin proportionnel l’est aussi, qui avait rendu possible la féminisation du corps régional, mais aussi son rajeunissement et une meilleure représentation de la diversité. Sans doute, certains partis avaient fait, plus que d’autres, le pari de l’ouverture… En tout état de cause, des résultats avaient déjà été obtenus, et ce pari était en passe d’être gagné. La mise en place du conseiller territorial va entraîner un retour en arrière sur le plan de la représentativité des élus : ce n’est pas là le moindre des reculs démocratiques auxquels cette réforme va conduire !
Je souhaite enfin m’attacher à ce que je crois être l’erreur ontologique de ce projet de loi : comme nous le savons tous, représentants des territoires, cette réforme territoriale n’est ni ce que les élus locaux demandaient, ni ce qu’ils souhaitaient.
La manière dont, ici même, nos débats se sont déroulés l’an dernier a bien montré combien le projet du Gouvernement était coupé des réalités du terrain. Sa réforme a été conduite sans les élus locaux, et contre eux. Elle est animée par une volonté de stigmatisation et n’a pas d’autre horizon que les besoins de l’instant. Au total, elle aura seulement réussi à complexifier et à rendre illisible l’organisation territoriale de notre pays.
Je terminerai donc en disant que, si tout n’était pas parfait, ce qui existait était préférable à ce qui va exister.
Sachez, monsieur le ministre, que votre contre-réforme territoriale constitue un appel pressant en faveur d’un véritable « acte III » de la décentralisation ; nous, socialistes, ne manquerons pas de le mener à bien avec les collectivités territoriales, pour elles et à leurs côtés ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE.)
Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il aura fallu la décision du Conseil constitutionnel du 9 décembre 2010 pour que nous examinions à nouveau l’une des dispositions les plus symboliques de la loi du 16 décembre 2010 portant réforme des collectivités territoriales. Il aura fallu la censure prononcée par le Conseil constitutionnel pour que nous soyons conduits à réviser le tableau fixant la répartition par département des conseillers territoriaux.
Cette révision intervient dans le cadre d’une procédure accélérée. Elle a d’abord été soumise à l’Assemblée nationale quand, traditionnellement, il appartient à la Haute Assemblée d’examiner en premier lieu les textes relatifs aux collectivités territoriales. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Michel Baylet. En effet, et ce n’est pas le cas !
Mme Anne-Marie Escoffier. Je ne veux pas, monsieur le ministre, m’appesantir indéfiniment sur les conditions dans lesquelles la loi du 16 décembre 2010 a été votée ; on n’aura pas manqué de vous dire que nous fûmes nombreux à nous émouvoir de l’état dans lequel cette loi était sortie de la navette parlementaire : malmenée, et peu respectueuse d’engagements pris par le Gouvernement
M. Jean-Louis Carrère. Très bien !
Mme Anne-Marie Escoffier. Le fait est que cette loi existe. Je ne doute pas que, les uns et les autres, nous nous attachions à l’expliquer dans nos départements, afin que ses dispositions soient mises en œuvre aussi harmonieusement qu’il est possible.
Je me dois de vous dire quel écho elle a reçu dans mon département.
Il y a quelques semaines, le président Gérard Larcher est venu présider le congrès départemental de l’association des maires de l’Aveyron. S’il était parmi nous, il pourrait témoigner de l’inquiétude que ressentent les élus d’un département essentiellement rural.
La création des métropoles ne résoudra pas le problème du millefeuille administratif, présenté comme la cause de la réforme. De surcroît, elle ne sera pas sans effets sur nos campagnes. Chacun des élus locaux mesure en effet clairement le risque qui pèse sur les collectivités locales qui ne seront pas rattachées aux futures métropoles, à Toulouse, par exemple pour ce qui concerne les élus de l’Aveyron. Les petites communes redoutent les difficultés auxquelles elles vont être confrontées pour se faire entendre.
Se faire entendre : c’est la préoccupation et le désir des élus locaux. Or ceux-ci ont le sentiment d’avoir en face d’eux un gouvernement autiste. En vérité, il leur faut une force et une conviction peu ordinaires pour faire comprendre ce dont leurs communes ont un besoin vital, afin seulement de fonctionner de manière solidaire.
La création des conseillers territoriaux revêt, à cet égard, une importante valeur symbolique. On aurait souhaité qu’elle apportât un nouveau souffle et une nouvelle cohérence aux politiques départementales et régionales. Mais ne nous leurrons pas : les obstacles sont nombreux, et le chemin difficile.
Il y a d’abord les obstacles matériels, et la nécessité d’offrir aux nouveaux élus départementaux et régionaux toutes les facilités utiles à l’accomplissement de leur mandat : il faut pour cela réorganiser les assemblées et leurs hémicycles, et assurer le financement des nouvelles charges qui vont leur échoir.
Il y a aussi les obstacles comportementaux, que me laisse entrevoir ce que j’observe aujourd’hui. Quel est en effet le conseiller général qui considère l’intérêt général avant celui propre à son petit canton ? Les futurs conseillers territoriaux sauront-ils faire primer les nécessités de la stratégie régionale sur celles des stratégies départementales et locales ? En accroissant le nombre des conseillers territoriaux en milieu urbain, et en réduisant corrélativement leur nombre en milieu rural, ne risquons-nous pas d’exaspérer encore ce mouvement naturel et d’éloigner un peu plus nos élus de leurs concitoyens ? La notion sacro-sainte de proximité deviendrait alors de plus en plus aléatoire…
La crainte est forte parmi les élus locaux de n’être plus que des outils administratifs, des calculettes fixant des budgets de plus en plus serrés, des ordinateurs voués à remplir chaque jour des formulaires multiples.
Par ces propos, monsieur le ministre, j’ai simplement voulu faire écho aux états d’âme de celles et ceux que je côtoie chaque jour et que secouent les études actuellement en cours pour redessiner les périmètres des intercommunalités. Ces élus s’interrogent : devant la détermination du Gouvernement, qui commande le comportement des préfets et fait fort peu de cas des avis émanant du terrain, comment est-il possible d’accepter les nouvelles dispositions relatives aux conseillers territoriaux ?
Comment comprendre que, après avoir soutenu l’absolue nécessité de fixer un nombre impair de conseillers territoriaux, le Gouvernement nous propose aujourd’hui, dans le tableau révisé, d’attribuer un nombre pair de conseillers à quatre départements : le Cantal, l’Aude, la Haute-Garonne et la Mayenne ?
Comment encore ne pas avoir envie de remettre en cause la disposition léonine ayant consisté à relever de 10 % à 12,5 % des électeurs inscrits le seuil de maintien au second tour des candidats au mandat de conseiller territorial ? Cette disposition privera les plus petits groupes politiques d’une représentativité qui fait aujourd’hui la force et l’honneur des territoires, en particulier des territoires ruraux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)