Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.
Mme Anne-Marie Escoffier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comment ne pas saluer aujourd’hui la belle initiative de Jean-René Lecerf et Michel Houel qui, six ans après la remise du rapport sur la nouvelle génération de documents d’identité et la fraude documentaire, proposent de mettre en place les instruments susceptibles de renforcer la lutte contre la fraude à l’identité ?
Comment ne pas saluer, aussi, le travail précis et méthodique de notre rapporteur, qui s’est attaché à trouver un juste équilibre entre deux principes difficiles à concilier, la protection des libertés individuelles et la préservation de l’ordre public ?
Comment ne pas se féliciter, enfin, de l’intervention d’un texte protecteur des données personnelles, au moment où se multiplient les attaques des systèmes informatiques ? Celle de PlayStation, dont on fait largement part les médias le 26 avril dernier, illustre la fragilité de nos dispositifs.
Qu’importe les données quantitatives sur le nombre de victimes par an de la criminalité identitaire ? Le chiffre donné par le CREDOC, pour l’année 2009, s’élève à 200 000.
Pour la même année, l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales recensait près de 13 900 faits constatés de fraude documentaire et à l’identité. Il relevait qu’en cinq ans, de 2004 à 2009, le nombre de signalements de personnes utilisant au moins deux identités a crû de 130 %.
Même si l’on ne peut se satisfaire de ces approches chiffrées – non concordantes pour certaines d’entre elles –, force est de constater l’augmentation vertigineuse du phénomène, qui ne manquera pas de s’amplifier encore si l’on en juge par le – mauvais – génie des pirates informatiques.
La proposition de loi qui est soumise à notre assemblée a un double objectif : d’une part, renforcer les moyens de lutte contre les fraudes à l’identité et, d’autre part, simplifier le quotidien des citoyens en leur permettant d’apporter la preuve « par tout moyen » de leur identité dans certaines de leurs démarches de la vie courante.
La carte nationale d’identité comme le passeport sont les deux documents privilégiés pour faire foi de son identité, mieux qu’avec le permis de conduire ou le permis de chasser par exemple, mais ils n’ont de caractère obligatoire que dans certaines circonstances, les voyages à l’étranger notamment. Ils sont un des maillons d’une même chaîne de preuves identitaires dont le dysfonctionnement, même s’il ne provient que d’un seul de ses éléments, suffit à produire les « vrais faux ».
Le nouveau passeport biométrique a montré et montre sa capacité à réduire de façon incontestable la fraude : de là l’option proposée, depuis longtemps d’ailleurs explorée dans le projet inabouti INES, d’étendre à la carte nationale d’identité un dispositif de même nature, mais élargi pour tenir compte de l’utilisation habituelle de ce titre d’identité.
Deux types de données se trouvent conservées, selon des modalités clairement distinctes : celles qui ont un caractère spécifiquement régalien, à l’image du passeport, et les données plus personnelles, adaptées à la vie quotidienne.
Pour les premières, les dispositions utiles ont été prises pour que l’ensemble des données contenues dans la puce régalienne ne soient accessibles qu’à des agents habilités qui, en tant que de besoin, auront pu procéder à la vérification des données de l’état civil auprès des officiers d’état civil dépositaires des registres concernés. Il s’agit là d’une procédure de vérification directe des informations transmises, essentielle quand on sait – ou, plutôt, quand on ne sait pas… – l’ampleur de l’explosion du nombre de « vrais faux » titres d’identité.
Afin de réduire le risque de fraude, le texte prévoit la création d’un fichier central qui a pour vocation la collecte et la conservation des données biométriques tant des cartes nationales d’identité que des passeports.
La centralisation de ces données obéit strictement aux conditions requises par la loi Informatique et libertés : décret en Conseil d'État pris après avis de la CNIL, contrôle de cette dernière sur le fonctionnement du fichier et droit d’accès et de vérification pour l’intéressé des données le concernant.
Très opportunément, la commission des lois a adopté un amendement sur l’initiative du rapporteur pour doubler les garanties juridiques apportées à l’utilisation du fichier d’une garantie matérielle, à savoir la constitution de la base biométrique selon la technique du « lien faible », qui rend impossible l’identification d’une personne uniquement à partir de ses empreintes digitales ou de l’image numérique de son visage tout en permettant la détection des fraudes éventuelles à l’identité.
Il s’agit là, monsieur le ministre, d’un « point dur » auquel tiennent tout particulièrement avec moi l’ensemble de mes collègues du RDSE, car c’est un dispositif protecteur des libertés individuelles, en même temps que garant de l’ordre public, puisque l’on peut concevoir qu’il « bloque » les intentions d’un ministère de l’intérieur qui pourrait voir dans ce fichier central le moyen de réunir directement des informations à des fins d’investigation policière avec des données personnelles.
Je veux ici rappeler l’extrême attention qu’a toujours portée notre Haute Assemblée au principe du respect des libertés individuelles dont l’État est le garant, principe placé sous l’œil vigilant de la CNIL, qui, à plusieurs reprises, a été conduite à rappeler le droit.
S’agissant ensuite de la puce « vie quotidienne », le texte proposé respecte scrupuleusement la liberté de chaque individu de se laisser identifier par voie électronique sur les réseaux de communication, de plus en plus nombreux et qui deviennent incontournables au quotidien.
Cette liberté laissée à l’individu a opportunément pour contrepartie l’obligation faite aux réseaux de communication, qu’ils soient publics ou privés, d’accepter que leurs utilisateurs ne soient pas tous titulaires de la future carte nationale d’identité biométrique.
Une telle disposition va dans le sens de l’ensemble des réflexions conduites aujourd'hui sur la protection du droit au respect de la vie privée.
Le 23 mars 2010, nous avions adopté ici, en première lecture, une proposition de loi, présentée par Yves Détraigne et par moi-même, visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique.
Cette proposition de loi avait mis en évidence les risques liés aux nouvelles mémoires numériques du fait des progrès technologiques et du développement des réseaux sociaux ainsi que des considérations relatives à la sécurité. Nous proposions en particulier de renforcer les garanties en matière de contrôle par la CNIL des dispositions de la loi Informatique et libertés. Nous avions également porté une attention particulière sur les enjeux de la protection des données personnelles.
La proposition de loi relative à la protection de l’identité s’inscrit dans la même démarche globale, même si son objet est ciblé sur la fraude des titres identitaires. Il montre de façon claire l’absolue nécessité qu’il y aura à très court terme d’envisager de nouveaux outils pour encadrer, contrôler et réguler la communication informatique sous toutes ses formes.
En attendant, les membres du groupe RDSE voteront la proposition de loi telle que présentée par la commission des lois, texte de sagesse et de raison qui ne remet pas en cause l’équilibre entre ordre public et libertés individuelles. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, sur les travées du groupe socialiste et de l’Union centriste, ainsi que sur plusieurs travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Jean-René Lecerf nous est présentée comme devant permettre de lutter concrètement contre un phénomène en augmentation constante, celui de l’usurpation d’identité.
Que le nombre des cas de vols d’identité, particulièrement sur Internet, augmente est un fait que je n’entends pas remettre en question, tout comme je ne conteste ni le fait que l’usurpation d’identité est une infraction traumatisante pour ses victimes, ni le désarroi qui peut habiter celles-ci et les difficultés importantes auxquelles elles doivent faire face.
Cependant, la présente proposition de loi ne nous satisfait ni sur la forme, c'est-à-dire le support législatif, ni sur le fond.
En effet, elle ressemble beaucoup au projet d’identité nationale électronique sécurisée, dit « projet INES », porté hier par l’ancien premier ministre Dominique de Villepin et qui prévoyait d’instaurer, comme il nous est à nouveau proposé de le faire, une nouvelle génération de carte nationale d’identité comportant un volet biométrique.
Devant le mécontentement grandissant des associations dénonçant un projet instaurant un fichage biométrique généralisé de nos concitoyens, le Gouvernement avait dû renoncer.
Aujourd’hui, ce projet fait donc sa réapparition au travers de cette proposition de loi et, voyez-vous, mes chers collègues, je m’interroge : pourquoi une proposition de loi ? Notre collègue Jean-René Lecerf est, à l’évidence, très intéressé par le sujet, mais, à mon sens, cela n’explique pas tout.
Pour ma part, je vois là une technique destinée à contourner l’avis du Conseil d’État, qui aurait été obligatoire si les dispositions qui nous sont proposées avaient fait l’objet d’un projet de loi. Or le Conseil d’État comme la CNIL sont très réservés sur la création des titres d’identités contenant des données biométriques.
C’est d’ailleurs tellement vrai que, toujours pour contourner le Conseil d’État, c’est par décret que le Gouvernement a autorisé la création des passeports biométriques. Ce processus particulier a été contesté par de nombreuses associations, dont la Ligue des droits de l’homme et l’IRIS, qui ont déposé plusieurs recours en annulation devant le Conseil d’État.
Ce dernier, qui ne s’est pas encore prononcé malgré un dépôt relativement ancien puisqu’il date du 4 juillet 2008, a, chose rare, récemment procédé à une nouvelle audition des associations engageant le recours. C’est dire l’embarras qui doit être le sien ! De son côté, la CNIL a fermement condamné le procédé.
Si la forme suscite des questions, le fond, lui, ne laisse que peu de place aux interrogations. Il mêle deux aspects qui devraient n’avoir aucun lien entre eux : le commerce en ligne et la sécurité, tantôt de nos concitoyens, tantôt de la nation, particulièrement face au risque terroriste.
La sécurité sert ainsi une nouvelle fois de prétexte à la création d’un fichier supplémentaire, d’autant plus dangereux qu’il intégrera des données biométriques, c’est-à-dire extrêmement personnelles.
La CNIL, dont il est prévu qu’elle sera sollicitée sans toutefois aller jusqu’à demander un avis conforme, est opposée à ce type de fichier. Elle l’a fait savoir clairement en 2009, au moment où le projet INES était de nouveau relancé : les raisons avancées par le Gouvernement – la sécurité et la lutte contre le terrorisme – « ne justifient pas la conservation, au plan national, de données biométriques telles que les empreintes digitales », écrit-elle dans sa délibération, et « les traitements […] mis en œuvre seraient de nature à porter une atteinte excessive à la liberté individuelle ».
C’est aussi notre conviction.
Nous considérons en outre que les fichiers, systématiquement présentés comme des armes anti-délinquance, ont radicalement changé de nature. Comment expliquer sinon que le STIC, le plus célèbre de nos fichiers, répertorie 34 millions de nos concitoyens, associant des personnes effectivement condamnées, d’autres ayant fait l’objet d’enquêtes non suivies de condamnation, voire parfois des personnes innocentes en raison d’une erreur ou, pis, les victimes elles-mêmes ?
Dans sa décision du 10 mars dernier sur la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite LOPPSI 2, le Conseil constitutionnel a décidé de modifier les conditions d’utilisation de certains fichiers qu’il a jugés trop intrusifs. Ces fichiers ne contenaient pourtant pas les données aussi sensibles que celles qui pourraient être contenues dans le futur fichier national si la présente proposition de loi devait, hélas ! être adoptée.
Par ailleurs, vous n’êtes pas sans savoir, chers collègues de la majorité, que les cartes de nouvelles générations que vous prévoyez de créer ne sont elles-mêmes pas sans risques. Des groupes de pirates informatiques sont parvenus, en Allemagne comme au Royaume-Uni, à pirater leurs propres cartes biométriques, en moins de douze minutes, accédant ainsi à tout leur contenu, qu’ils ont d’ailleurs modifié avec aisance.
Ces risques sont, compte tenu de la nature des informations contenues dans ces cartes, encore plus graves que ceux qui existent avec l’actuelle carte d’identité, nouvelle démonstration de l’adage selon lequel « le mieux est l’ennemi du bien ».
Enfin, mes chers collègues, nous considérons que la carte nationale d’identité, parce qu’elle a pour vocation d’établir l’identité de nos concitoyens, ne doit pas être considérée comme un outil au service du commerce en ligne.
Celui-ci connaît un fort développement et, s’il est vrai que les cas de fraudes augmentent eux aussi, ils sont plus souvent dus à des usurpations de comptes ou de données bancaires qu’à des usurpations d’identité au sens où l’entend la proposition de loi.
Ce mélange, transformant tour à tour la carte d’identité en un document administratif ou en un document à portée commerciale, participe d’un mouvement politique que nous condamnons : tout devrait toujours être tourné vers le commerce. C’est un dévoiement des missions et des services publics dont la fonction est, et doit rester, la satisfaction de l’intérêt général.
Comme le soulignait déjà la Ligue des droits de l’homme en 2005, « ce soudain intérêt porté par le ministère de l’intérieur aux désirs des consommateurs et son ingérence dans ce domaine masquent en réalité sa volonté d’imposer un outil de contrôle policier, sous couvert de prétendus bienfaits pour ses détenteurs ».
Cette association de données très différentes de par leur nature comme de par leurs fonctions rendra l’individu totalement transparent tant pour les autorités publiques que pour les opérateurs commerciaux, raison pour laquelle nous voterons notamment contre l’article 3 de la proposition de loi.
Par ailleurs, considérant que les moyens de l’État comme ceux des collectivités locales et territoriales – qui en manquent d’ailleurs cruellement – ne devaient pas servir au développement d’activités marchandes et lucratives qui bénéficient d’abord et avant tout aux actionnaires de ces entreprises, nous voterons également contre le dernier article de cette proposition de loi.
Nous regrettons que vous n’ayez pas prévu que le financement des nouvelles cartes repose partiellement sur une contribution des entreprises concernées par le e-commerce, dans la mesure où le second composant électronique est un outil qui est en partie dédié à l’accroissement de leur chiffre d’affaires.
En tout état de cause, parce que nous considérons qu’elle présente, malgré les amendements adoptés en commission, des risques importants en termes de libertés publiques et parce qu’elle ancre encore un peu plus dans notre droit une conception biologique de l’identité, jouant sur les peurs et les craintes de nos concitoyens pour justifier un fichage biométrique étendu à tous, le groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du Parti de gauche votera contre la proposition de loi. (Mme Virginie Klès et M. Jean-Pierre Sueur applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, Jean-Paul Amoudry ne peut être présent aujourd'hui, mais, faisant mien l’essentiel des observations qu’il aurait aimé développer, je n’ai aucun mal à lui prêter ma voix.
Nous abordons ce soir un phénomène de délinquance nouveau, relativement peu connu du grand public et dont l’ampleur est difficile à délimiter. Si l’on a ainsi du mal à quantifier ce phénomène, une chose est cependant certaine : il se développe.
Premier constat : les cas d’usurpation d’identité sont en augmentation, d’autant qu’Internet démultiplie les possibilités d’usurpation.
Second constat : nous ne disposons que de peu d’outils permettant de lutter efficacement contre cette forme de délinquance.
Ce double constat démontre la nécessité d’une intervention du législateur. Le but de la proposition de loi qui nous est soumise est donc de renforcer les moyens de lutte contre les fraudes à l’identité, tout en simplifiant la vie quotidienne des citoyens en leur permettant de prouver facilement leur identité.
Si, sur ces questions, ce texte est le premier à être débattu devant le Parlement, il n’est pas le premier à avoir été élaboré. De fait, depuis 2001, pas moins de trois projets de loi ont été conçus, chacun des gouvernements qui se sont succédé ayant réfléchi à la possibilité de mettre en place une carte d’identité biométrique, outil permettant une lutte efficace contre l’usurpation d’identité.
Si le projet de « titre fondateur d’identité », annoncé en juillet 2001, n’a pas dépassé le stade des travaux préparatoires, le projet INES, pour « identité nationale électronique sécurisée », s’est, lui, concrétisé dans un avant-projet de loi soumis à la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, en mai 2005. Ce projet fusionnait les procédures de délivrance du passeport et de la carte nationale d’identité. Toutefois, l’avant-projet de loi « INES » a finalement été retiré.
Deux autres projets l’ont suivi, en 2006 et 2008, mais ces travaux n’ont pas davantage abouti au dépôt d’un projet de loi devant le Parlement. Seule la création du passeport biométrique, opérée par voie réglementaire, conformément aux engagements européens de la France, constitue une réelle avancée en la matière.
Jusqu’à l’adoption récente de la loi dite « LOPPSI 2 », l’usurpation d’identité ne constituait pas une infraction spécifique. L’article 226-4-1 du code pénal punit désormais d’un an d’emprisonnement et de quinze mille euros d’amende le fait d’usurper l’identité d’un tiers ou de faire usage d’une ou plusieurs données de toute nature permettant de l’identifier en vue de troubler sa tranquillité ou celle d’autrui, que ces faits soient commis ou non sur un réseau de communication au public en ligne.
Cet outil répressif sera utile. Cependant, le moyen le plus efficace de lutte contre l’usurpation d’identité réside sans aucun doute dans la création de titres d’identité plus fiables et plus sécurisés que ceux qui existent aujourd’hui.
Les auteurs du texte que nous examinons aujourd’hui nous ont rappelé les raisons pour lesquelles il était nécessaire d’aller plus loin. Je ne reprendrai pas ici l’ensemble des dispositions de la proposition de loi et me bornerai à rappeler que son principal objet est la création de titres d’identité biométriques et d’un fichier central national correspondant.
En tant que membre de la CNIL, notre collègue Jean-Paul Amoudry est particulièrement attentif à toutes les problématiques mettant en jeu aussi bien l’utilisation de données à caractère personnel que la création de nouveaux fichiers. J’ajoute que, en tant que coauteur, avec Anne-Marie Escoffier, du rapport d’information déposé au nom de la commission des lois La Vie privée à l’heure du développement des mémoires numériques, je suis moi-même assez sensible à cette question.
Or, comme l’a justement rappelé M. le rapporteur, « les données biométriques ne sont pas des données personnelles comme les autres ». Si la CNIL n’a pas émis de contre-indication à l’usage des données biométriques, je rappelle qu’elle recommande, selon les prescriptions de la loi du 6 janvier 1978 modifiée, de veiller à la proportionnalité entre les objectifs fixés, les moyens mis en œuvre et les atteintes possibles aux libertés individuelles.
D’une manière générale, la CNIL considère comme légitime le recours, pour s’assurer de l’identité d’une personne, à des dispositifs de reconnaissance biométrique dès lors que les données biométriques sont conservées sur un support dont la personne a l’usage exclusif. En revanche, elle est plus réservée à l’égard de la constitution de bases centralisées de données biométriques, dont elle estime qu’elle doit être justifiée par de forts impératifs de sécurité.
Aussi, je tiens à saluer l’interprétation retenue par la commission des lois. En effet, il était important de limiter l’usage du fichier biométrique à la seule lutte contre la fraude à l’identité, en doublant les garanties juridiques de garanties techniques, avec un dispositif de liens faibles.
De fait, l’utilisation du fichier central biométrique dans le cadre de recherches criminelles, pour identifier une personne à partir des seules empreintes retrouvées sur le lieu d’un crime, suscite des interrogations : les impératifs de sécurité publique peuvent-ils justifier les restrictions apportées à l’exercice des libertés individuelles et au respect de la vie privée du plus grand nombre ?
À terme, ce fichier pourrait porter sur l’ensemble de la population française, ce qui constitue, par rapport aux fichiers de police actuels, un changement d’échelle sans précédent. En effet, contrairement à ce qui prévaut actuellement, l’enregistrement dans la base biométrique ne concernera pas exclusivement des personnes faisant l’objet d’une suspicion légitime. C'est pourquoi je me félicite que notre rapporteur ait considéré que, le fichier visant à améliorer la lutte contre la fraude à l’identité, il convenait d’en limiter l’usage à cette seule finalité et d’interdire toute utilisation à des fins de recherche criminelle.
Je salue également le fait que les garanties juridiques apportées à l’utilisation du fichier se doublent d’une garantie matérielle qui rendra concrètement impossible l’identification d’une personne à partir de ses seules empreintes digitales ou de la seule image numérique de son visage.
Il était également important d’assurer la traçabilité des consultations et des modifications effectuées dans le fichier central. En effet, le texte issu des travaux de notre commission prévoit expressément que le traitement de données à caractère personnel qui permet l’établissement et la vérification des titres, autrement dit le fichier central, sera utilisé « dans des conditions garantissant […] la traçabilité des consultations et des modifications effectuées par les personnes y ayant accès ».
Enfin, j’évoquerai l’intérêt que présenterait ce futur titre sécurisé pour l’application de la loi du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation, qui vise à lutter contre le surendettement. Cette loi a mis à l’étude les conditions juridiques et matérielles d’une centrale de crédit, appelée à enregistrer les données de quelque 30 millions de personnes. La fiabilité de ce dispositif repose sur une exacte identification des personnes, permettant d’écarter les risques de fraude et d’homonymie. Or, à ce jour, le seul moyen d’identification qui ait été jugé fiable est le numéro de sécurité sociale, ou numéro d’inscription au répertoire, le NIR, dont l’usage est réservé à la sphère sociale. Son utilisation hors de ce périmètre nécessiterait l’élaboration de procédures particulièrement complexes. Aussi la mise en service d’un titre d’identité sécurisé constituerait-elle une avancée fort utile pour le fonctionnement de cette centrale de crédit.
Cela constitue pour moi une raison supplémentaire, s’il en était besoin, de soutenir l’initiative de nos collègues Jean-René Lecerf et Michel Houel.
Pour conclure, je tiens à saluer l’excellent travail de notre rapporteur François Pillet, dont la mission était, en ce domaine très technique, d’une réelle complexité. Le texte qu’il nous soumet aujourd’hui me paraît équilibré. C’est pourquoi le groupe de l’Union centriste votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Virginie Klès.
Mme Virginie Klès. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous étudions aujourd'hui une proposition de loi relative à la protection de l’identité.
Parce que je souscris, ainsi que le groupe socialiste, à bien des observations qui ont déjà été formulées, je vais m’efforcer d’éviter les redites.
L’usurpation d’identité a des conséquences importantes pour la société mais également pour les individus et, au-delà, pour leurs familles, sur le plan tant qualitatif que quantitatif. Je crois donc qu’il se dégage une unanimité sur la nécessité de lutter efficacement contre ces phénomènes d’usurpation d’identité et de réparer les dommages subis par les victimes.
Les outils proposés dans la proposition de loi s’appuient sur la biométrie ; c’est en effet un outil extrêmement fiable. Ce qui suscite davantage de souci, c’est la constitution de bases de données. L’on sent bien là un retrait, une prudence largement partagée, avec la mise en avant des principes de proportionnalité et de respect des seuls objectifs affichés. Tout cela a été dit et redit au sujet de la puce dite « régalienne ».
En revanche, s'agissant de la puce dite « vie quotidienne », on sent un peu moins de prudence, alors que, à mon sens, la prudence est ici particulièrement nécessaire dans la mesure où cette puce laissera des traces de nos navigations sur Internet, donc des éléments qui touchent à notre vie privée. J’insisterai donc davantage que ceux qui m’ont précédée à cette tribune sur la puce « vie quotidienne ».
L’usurpation d'identité peut s’effectuer par des moyens extrêmement variables, allant du simple vol de documents jusqu’à l’utilisation de « vrais-faux » documents. Les conséquences financières peuvent être aussi bien collectives, dommageables à la société dans son ensemble, qu’individuelles – nous avons parlé des escroqueries et de tous les autres délits qui peuvent s’ajouter au simple délit d’usurpation d’identité. Les conséquences sont morales, psychologiques, à la fois individuelles et familiales.
De nombreux exemples ayant été cités, je n’y reviendrai pas, sinon pour confirmer que nous partageons tous le désarroi des victimes et de leurs familles, et déplorons l’immense tort qui leur a été fait par ces usurpations d’identité.
Pour ce qui est des chiffres, je pense que ce n’est ni le lieu - ni l’heure ! - d’entamer une polémique. Certains ont évoqué 210 000 cas, le Gouvernement avait avancé un total de 13 000 ou 14 000 cas, enfin vous avez, monsieur le ministre, parlé tout à l’heure de 20 000 à 25 000 cas ; de fait, l’on ne sait pas très bien évaluer le nombre de victimes d’une usurpation d'identité. Mais, à la limite, qu’importe : chaque cas est un cas de trop, et les chiffres ne sont pas le cœur du débat de ce soir. (M. le ministre de l’intérieur acquiesce.) Du reste, il est toujours difficile de quantifier une nouvelle forme de délinquance quand on vient de la découvrir et que l’on s’organise pour lutter contre.
La vérité se trouve sans doute entre tous les chiffres que j’ai mentionnés.
En tout état de cause, il s’agit de drames humains. Nous sommes donc d’accord : il faut lutter contre l’usurpation d'identité.
Comment lutter ? La proposition de loi qui nous est soumise prévoit tout d'abord de renforcer les contrôles et la sécurisation lors de la délivrance du premier titre : par exemple, l’obtention des données d’état civil devrait être moins facile, en tout cas mieux contrôlée, et la vérification de l’identité de la personne serait effectuée lors du retrait du dossier afin de s’assurer que c’est la même personne qui l’a déposé. Ce texte contient donc un certain nombre d’avancées auxquelles nous adhérons, bien entendu.
Le texte prévoit également la nécessaire garantie que la même certification d’identité ne sera pas délivrée à deux personnes différentes. C’est le cœur du problème, nous en avons déjà parlé, et la question de la centralisation des données en est le corollaire. Celle-ci nécessite forcément la sécurisation tant du recueil que de la gestion et de la consultation des données.
Les données biométriques sont des données personnelles, non falsifiables, particulièrement attachées à la personne ; en l’occurrence, ces données seront confiées par la personne à un tiers. Je souhaite donc que l’on garde à l’esprit que l’outil qui sera construit pour gérer ces données biométriques afin de lutter contre l’usurpation d'identité doit demeurer un outil au service d’un objectif. Prenons un marteau pour enfoncer un clou, et non une massue. (Sourires.)