Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Les deux amendements que nous soumettons à la Haute Assemblée reviennent sur les amendements nos 9 et 11, présentés par Jean-René Lecerf, au nom de la commission des lois, mercredi dernier.
Le Gouvernement a travaillé étroitement avec les deux rapporteurs, Jean-Louis Lorrain et Jean-René Lecerf, pour parvenir à une solution de compromis qui satisfasse la commission des affaires sociales et la commission des lois.
Les deux amendements que nous vous proposons sont le fruit de ces échanges fructueux. Ils maintiennent, dans le cadre de l’examen d’un recours facultatif ou obligatoire, la possibilité pour le juge des libertés et de la détention, lorsqu’il prend une décision de mainlevée de l’hospitalisation complète, d’en différer l’effet, pendant une durée maximale de vingt-quatre heures, non plus pour mettre en œuvre des modalités de soins qui s’y substituent, mais pour permettre à l’équipe soignante d’élaborer, le cas échéant, un programme de soins.
Il est précisé que la décision de mainlevée, qui sera motivée au regard des éléments de chaque dossier, produira effet à l’issue du délai fixé par le juge, sauf à ce que le programme de soins soit défini plus rapidement. Dans ce cas, la mainlevée prendra effet à compter de l’établissement dudit programme, sans attendre la fin du délai fixé par le juge.
Une telle précision est en effet plus protectrice pour le patient. Ces amendements répondent au souhait de la Haute Assemblée comme du Gouvernement de permettre à chacun des acteurs – équipe médicale, préfet, juge – de jouer pleinement et seulement son rôle.
Ainsi, le juge, gardien des libertés individuelles selon l’article 66 de la Constitution, n’aura plus à intervenir dans un domaine qui ne relève pas de sa compétence, à savoir la détermination des modalités de soins qui incombent à l’équipe médicale.
C’est au regard de l’ensemble de ces éléments que je vous saurais gré, mesdames, messieurs les sénateurs, de bien vouloir adopter ces deux amendements.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur. Le Sénat a adopté deux amendements de notre collègue Jean-René Lecerf, qui permettent au juge de substituer des soins sans consentement hors de l’hôpital à une hospitalisation complète.
Au travers des deux amendements de cette seconde délibération, le Gouvernement nous demande de revenir sur cette décision, tout en prenant en compte les préoccupations de la commission des lois. Ces deux amendements disposent que le juge, lorsqu’il lève l’hospitalisation, peut prévoir que sa décision entre en vigueur dans un délai maximal de vingt-quatre heures, comme vient de le dire Mme la secrétaire d’État, afin qu’un programme de soins puisse éventuellement être établi.
La commission considère que cette rédaction respecte les compétences entre le juge et les médecins – c’est important –, puisque le juge n’ordonnera pas lui-même l’élaboration d’un programme de soins, mais permettra aux médecins d’en préparer un s’ils l’estiment nécessaire. Les amendements prennent en compte la préoccupation de la commission des lois en évitant qu’une personne ne soit retenue pendant quarante-huit heures après la levée de son hospitalisation.
C’est pourquoi la commission a donné un avis favorable à ces deux amendements et se propose de revoir cette question lors de l’examen en deuxième lecture du projet de loi.
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, pour explication de vote.
M. Guy Fischer. Je souhaite expliquer le vote du groupe CRC-SPG sur ces deux amendements.
Nous constatons une amélioration par rapport à la tonalité des débats. La commission des lois a su évoluer pour faire, par l’intermédiaire de Jean-René Lecerf, des propositions qui pourraient presque nous satisfaire. Nous nous abstiendrons donc sur ces deux amendements, tout en rappelant que nous sommes profondément contre l’article 1er. Néanmoins, nous avons noté un progrès. Le Gouvernement pourrait aller plus loin à l’occasion de la deuxième lecture. Nous ne baisserons pas les bras car nous souhaitons vraiment rééquilibrer l’exercice des compétences du juge et du médecin.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange, pour explication de vote.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Le groupe UMP votera ces amendements qui trouvent un point d’équilibre dans le débat entre justice et médecine. (Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG.). Ils redonnent en effet à l’équipe soignante la possibilité de choisir les soins adaptés. Telle est la raison de notre soutien.
M. le président. La parole est à M. Jacky Le Menn, pour explication de vote.
M. Jacky Le Menn. Nous avons bien noté un frémissement de la part du Gouvernement, qui, sous la pression non seulement de la commission des lois, mais surtout d’une partie de la commission des affaires sociales, a fait bouger les lignes, même si c’est bien sûr encore insuffisant. Aussi, le groupe socialiste s’abstiendra. Ce n’est évidemment pas un quitus donné à l’ensemble de l’article 1er, contre lequel nous voterons.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° A–1.
M. Guy Fischer. Le groupe CRC-SPG s’abstient.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° A–2.
M. Guy Fischer. Le groupe CRC-SPG s’abstient.
M. Jacky Le Menn. Le groupe socialiste également.
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
(L'article 1er est adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Guy Fischer, pour explication de vote.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre opinion sur ce projet de loi n’a pas varié, et ce malgré l’adoption de quelques amendements, trop rares et trop peu significatifs pour en changer réellement l’esprit.
Ce projet de loi demeure ce qu’il était avant son examen par le Sénat : un texte d’opportunité, d’affichage, permettant au Gouvernement d’utiliser, de prendre prétexte des drames naturellement regrettables, condamnables, pour imposer de nouveaux reculs en matière de libertés.
Au travers, notamment, de telles dispositions, nous assistons à une stigmatisation de la maladie mentale. L’objectif premier du Gouvernement, c’est le maintien de l’ordre public ; et ce texte a une visée résolument sécuritaire.
Si nous nous réjouissions de ce que les modalités des sorties thérapeutiques jusqu’alors applicables ont pu être rétablies, nous ne perdons pas de vue que la circulaire, elle, demeure valable : l’extension des pouvoirs des préfets est maintenue, sans que puisse être engagée à leur encontre une procédure en excès de pouvoir. Autrement dit, l’équilibre des pouvoirs, pourtant indispensable dans une société démocratique, ne peut être assuré.
Ces mêmes préfets bénéficieront, demain, de nouvelles compétences et se substitueront parfois au corps médical et aux équipes de soins, ces dernières devenant alors des auxiliaires de justice. Les garants de l’ordre public l’emportent sur ceux dont la vocation est la préservation de la santé des patients.
C’est donc bien une optique sécuritaire qui guide le Gouvernement dans ses choix, et nous ne pouvons que le regretter. Vous instrumentalisez la souffrance psychique des personnes atteintes de troubles mentaux, vous les présentez à nos concitoyens, à l’opinion publique, comme des personnes potentiellement dangereuses, faisant fi d’oublier qu’elles ont d’abord et avant tout besoin de soins.
Votre manière d’aborder ainsi la psychiatrie vous permet de contourner la question – ô combien légitime ! – des moyens. Nombre d’entre nous se sont émus, sur toutes les travées de cet hémicycle, de leur grande insuffisance. Les chiffres que vous avez évoqués ne tiennent pas compte du nombre croissant de personnes en souffrance psychique et ne permettront pas aux patients, qui attendent plusieurs mois avant de rencontrer des professionnels, d’être accueillis plus tôt.
De la même manière, vous continuez de faire comme si les soins sous contrainte constituent des réponses adaptées. Nous avons eu beau les rebaptiser, ils demeurent des soins sans consentement. Or la nature même des maladies mentales exige que le parcours de guérison soit élaboré avec les patients eux-mêmes. Ce sont des soins qui doivent d’abord et avant tout reposer sur le relationnel : en la matière, rien ne peut être imposé, il s’agit d’une construction progressive.
Le seul traitement que l’on peut imposer, c’est le traitement médicamenteux, celui que vous privilégiez bien souvent. Cela fait dire aux professionnels que vous n’entendez vous attacher qu’aux périodes de crise, sans doute parce qu’elles demeurent pour vous des troubles insupportables à l’ordre public.
Enfin, l’intervention du juge des libertés et de la détention, rendue obligatoire par le Conseil constitutionnel et qui aurait dû être la seule mesure contenue dans ce projet de loi, est réduite d’une manière telle que, je l’affirme aujourd’hui, le Conseil pourrait une nouvelle fois sanctionner le Gouvernement et nous demander de réviser notre copie.
Si je dis que cette mesure aurait dû être la seule à figurer dans ce projet de loi, c’est qu’il est selon nous impossible d’examiner la moindre modalité de soins en dehors d’une loi plus globale sur la psychiatrie dans son ensemble et sur la psychiatrie publique en particulier. Nous aurions voulu véritablement débattre d’une grande loi de santé mentale.
Pour toutes ces raisons, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe CRC-SPG votera contre ce projet de loi ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jacky Le Menn.
M. Jacky Le Menn. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’issue de nos travaux, on perçoit bien comment s’est ordonné le travail d’ensemble sur ce projet de loi, qui va sans doute devenir loi.
Le texte résulte en effet d’un péché originel : la volonté de répondre rapidement à un événement qui, pour être dramatique, ne nécessitait pas pour autant une telle précipitation.
Certes, il fallait répondre à la décision du Conseil constitutionnel et aller dans le sens d’une plus grande garantie des libertés. Mais il était possible de le faire sans verser dans la caricature s’agissant des autres dispositions soumises à notre examen.
J’ai eu, avec d’autres, l’occasion de le souligner, on attendait tous une grande loi sur la maladie mentale. Les évolutions constatées depuis 1990 la justifiaient. Il avait d’ailleurs été prévu, à l’époque, de revoir déjà la copie au bout de cinq ans en vue de l’améliorer.
Le présent projet de loi comporte-t-il véritablement des améliorations ? Entre-temps, un certain nombre de rapports ont été publiés. Je pense notamment au rapport Couty : privilégiant une approche d’ensemble de la psychiatrie, il s’intéressait aux moyens et au mode d’organisation à envisager pour résoudre les problèmes, notamment au niveau des soins d’urgence.
Dans ce projet de loi, il n’y a rien de tout cela. Seule transparaît cette idée « géniale », sortie, après d’autres, de la tête du Président de la République, selon laquelle il fallait utiliser une loi pour y glisser le principe de soins sans consentement en ambulatoire. On l’a bien senti, c’est à partir de là que tout a tourné autour de cette proposition.
Tel est notamment l’objet de l’article 1er. Malgré quelques infléchissements pour rendre le dispositif moins pire en quelque sorte, le point central demeure cette volonté résolue d’instaurer des soins ambulatoires sans consentement.
J’ai eu l’occasion d’expliquer lors de la discussion générale tout le paradoxe, encore plus marqué dans le domaine de la psychiatrie, qu’il y a à vouloir imposer des soins sans consentement, soigner les gens malgré eux, nonobstant les médicaments qui peuvent être très puissants.
Nous nous sommes efforcés, en cours de route, d’apporter notre contribution. À cet égard, je remercie bien évidemment la commission des lois, qui a fait son possible pour encadrer la disposition initiale. Dans la recherche du nécessaire équilibre dont on parlait au début et qui avait été reconnu par tous, il aurait fallu peser les actions envisagées au trébuchet du pharmacien, comme je le disais lors de la discussion générale, plutôt que de sortir la Grosse Bertha, ce canon qui tirait des obus sur Paris à plus de cent kilomètres de distance, dévastant tout sur leur passage.
Il convenait de trouver la juste mesure entre trois dispositifs, qui, au vu de leur importance, méritent d’être rappelés.
Le premier se concentre sur les soins, des soins de qualité. Le deuxième, découlant de la décision du Conseil constitutionnel, vise la défense des libertés individuelles – ô combien importante ! Le troisième s’intéresse, bien sûr, à l’ordre public, qui doit être garanti pour protéger les personnes en difficulté, notamment celles qui sont les plus violentées, les plus agressés, je veux parler des malades mentaux. On a d’ailleurs pu entendre, à cette même tribune, l’un de nos collègues exposer son cas personnel, tout à fait édifiant, avec une sincérité touchante, et je l’en remercie.
Ce nécessaire équilibre, on ne le retrouve pas dans le projet de loi. Le curseur est coincé au niveau du contrôle et de la sécurité : le préfet pourra passer en force.
C’est un texte avant tout sécuritaire qui sort de notre examen. Il vient s’ajouter à l’amas de lois du même genre que l’on a vu apparaître dans d’autres domaines au cours de la mandature. Et ce n’est sans doute pas fini, il y en aura d’autres ; je fais confiance à l’inventivité des ministres qui nous gouvernent et à celle de leurs conseillers…
Toujours est-il que l’on ne retrouve pas dans ce projet de loi ce que l’on attendait tous, à savoir la prise à bras-le-corps de cette question de la maladie mentale, pour améliorer dans l’intérêt des malades et des gens qui souffrent et en agissant ainsi on améliorera en même temps tout ce qui est autour, y compris l’aspect sécuritaire.
Ce n’est pas dans cette voie que l’on s’est dirigé. J’espère que la situation évoluera en deuxième lecture. On a senti dès à présent un petit frémissement avec les deux amendements que le Gouvernement vient de nous sortir à la va-vite. Peut-être y aura-t-il d’autres avancées qui nous feront revenir sur ce jugement quelque peu sévère.
Toujours est-il, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, que, en l’état, mon groupe votera contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, au nom du groupe UMP, je voudrais tout d’abord remercier nos deux commissions et nos rapporteurs, MM. Jean-Louis Lorrain et Jean-René Lecerf, ainsi que la présidente de la commission des affaires sociales, Mme Muguette Dini. Je veux dire, à titre personnel, que j’ai bien noté, comme sans doute beaucoup d’autres, le silence de Mme la présidente Dini tout au long du débat dans cette enceinte.
M. Guy Fischer. Silence désapprobateur !
Mme Marie-Thérèse Hermange. Le projet de loi tire, ne l’oublions pas, les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel qui impose la mise en œuvre d’un contrôle de plein droit des hospitalisations sans consentement par le juge des libertés et de la détention, et ce avant le 1er août prochain.
L’internement d’une personne sans son consentement est un sujet délicat et nous ne saurions nous réclamer aisément d’évidences en matière de privation de liberté. Au regard de la situation d’un certain nombre de malades atteints de pathologies mentales, nous devons tous nous rappeler avec émotion de la leçon de vie que nous a donnée Laurent Béteille lorsqu’il s’est exprimé à titre personnel. Plus que les dispositions du texte de loi, son intervention nous a permis de mieux comprendre l’importance de parvenir au plus juste équilibre entre les exigences en matière d’ordre public, la nécessité des soins et la considération des personnes malades.
Les amendements que vous venez de présenter, madame la secrétaire d’État, témoignent d’une volonté de ne pas judiciariser la procédure, qui doit privilégier avant tout l’aspect sanitaire. S’ils nous étaient parvenus au début de la discussion, peut-être n’en serions-nous pas là et n’aurions-nous pas connu les problèmes que nous avons eus au sein de la commission des affaires sociales.
Je tiens à souligner que, contrairement à ce qui a pu être dit, le but du texte n’est en aucun cas le risque zéro. Nous savons tous qu’en la matière il ne peut exister. Nous ne souhaitons surtout pas qu’une logique sécuritaire prenne le pas sur la délivrance adaptée des soins. Au travers de certains amendements que nous avons votés, nous avons prévu la remise de rapports d’évaluation : nous pourrons donc formuler nos propres observations dans le cadre de la mission de contrôle qui nous est dévolue, avec l'objectif d’adapter au mieux les dispositions législatives.
En outre, le projet de loi renforce les droits des patients : ceux-ci se verront informés des décisions dont ils font l’objet, de leurs droits au sein des établissements ainsi que des voies de recours possibles.
La mesure qui a fait le plus débat porte sur les soins ambulatoires sans consentement, notamment sur leur mise en pratique. J’en reviens aux deux amendements que vous venez de déposer, madame la secrétaire d’État, ainsi qu’à l’amendement de notre collègue Alain Milon, sous-amendé par Jean-Louis Lorrain. Leur vote a permis d’apporter des réponses aux inquiétudes légitimes qui avaient été soulevées. Je regrette néanmoins que l’essentiel de la définition des modalités relatives aux soins ambulatoires soit renvoyé à un décret.
Le texte que nous nous apprêtons à voter établit une typologie des lieux de soins et précise que tous les outils thérapeutiques de la psychiatrie devront être adaptés à la personne concernée. Par ailleurs, la notion de « protocole de soins » a été remplacée par celle de « programme de soins ». Nous osons espérer, madame la secrétaire d’État, que cette typologie des soins coïncidera avec le lancement du plan de santé mentale, dont nous aurions aimé connaître le contenu avant le vote du présent projet de loi.
Pour toutes ces raisons, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, c’est dans un esprit de responsabilité que mon groupe votera ce texte, tout en étant conscient de cette réalité : ce sont les hommes et les femmes qui servent dans les rangs de la justice, travaillent au sein des hôpitaux, sur nos routes, dans le réseau associatif, qui, par leurs actions, feront de ce texte un outil pour mettre en place une véritable politique de la personne au bénéfice des malades mentaux. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, si j’ai quitté le banc des commissions pour rejoindre ma travée, c’est parce que je tiens à signifier que cette explication de vote est personnelle.
À l’issue de ce long parcours d’examen, permettez-moi quelques mots pour remettre en perspective le texte que nous allons adopter.
Trois objectifs distincts lui étaient assignés, et cette pluralité a largement participé de la difficulté de l’exercice.
Il devait, d’abord, satisfaire les exigences formulées, le 28 novembre 2010, par le Conseil constitutionnel.
Il devait, ensuite, répondre aux attentes des malades et de leurs familles, mais aussi aux préoccupations des élus locaux, préoccupations que nous sommes nombreux à partager pour avoir été nous-mêmes confrontés à des situations difficiles.
Il devait, enfin, rassurer la société, intention louable que je traduirai par une formule caricaturale : « Dormez en paix, bonnes gens, les fous dangereux sont enfermés ! ». (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bravo !
Mme Muguette Dini. Pouvons-nous considérer que nous avons atteint ce triple objectif ?
Pour ce qui est de la demande du Conseil constitutionnel, les réponses apportées par le Sénat sont, à mon sens, satisfaisantes.
Je serai beaucoup plus réservée sur le deuxième point. Je crains que ce texte n’améliore en rien la situation, parfois dramatique, des familles de malades, qui se trouvent totalement démunies face aux crises de leurs proches. Aucune disposition de ce texte ne renforce l’aide dont elles ont désespérément besoin pour s’assurer du bon suivi des traitements et du soutien dans l’accompagnement des patients.
Les malades eux-mêmes ne trouveront pas davantage d’amélioration de leur prise en charge dans ce projet de loi qui reste très en deçà – nous l’avons abondamment déploré – de la grande loi de santé mentale que nous réclamons depuis longtemps.
J’observe, enfin, que le travail délicat, difficile et exigeant des élus locaux que nous sommes ne s’en trouvera pas davantage allégé.
J’en viens à la nécessité de protection de la société, parfaitement justifiée, pour espérer que le texte apporte une amélioration en prévoyant l’organisation, par l’Agence régionale de santé, d’un dispositif de réponse aux situations de crise, associant les forces de police, de gendarmerie, les pompiers et l’ensemble des intervenants.
Cela étant, peut-on affirmer qu’en remplaçant les mots « soins sans consentement » par les mots « soins auxquels [la personne] n’est pas à même de consentir du fait de ses troubles mentaux », on a réglé le problème ? Poser la question, c’est y répondre.
Outre qu’elle ne brille pas par son élégance sémantique, cette formule n’apporte rien.
Tout au long de nos débats, vous nous avez expliqué, madame la secrétaire d’État, que la période d’observation de soixante-douze heures permettra au psychiatre de trouver « un consensus » avec son patient, d’obtenir « le consentement du malade » sur son programme de soins en ambulatoire.
Alors pourquoi persister à vouloir imposer des soins sans consentement ?
Je continue de penser que le dispositif actuel des sorties d’essai aurait pu être formalisé, perfectionné, amélioré pour aboutir à la dispensation de soins ambulatoires avec consentement.
Par ailleurs, j’observe que le choix du Gouvernement soulève, très légitimement, la question du champ et des limites de l’intervention du juge et nos débats ont illustré la difficulté de cette question.
Excepté le contrôle judiciaire systématique sur les décisions d’hospitalisation sous contrainte, que j’approuve, cette loi ne répond aucunement à la conclusion de la commission Couty de 2008, qui mérite d’être citée : « Ce texte législatif devrait intégrer les différentes facettes de l’accompagnement et des prises en charge des usagers de santé mentale, des familles et des proches des malades : le repérage et le diagnostic précoces, l’accès aux soins rapide et adapté, le suivi personnalisé et continu, la réhabilitation sociale, la prévention des risques, la recherche autour des déterminants de la santé mentale, l’organisation rénovée de dispositifs nécessaires aux hospitalisations sans consentement, ainsi que l’organisation des soins aux détenus. »
Pour toutes ces raisons, vous comprendrez que je fasse, pour ma part, un choix de cohérence en m’abstenant sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Jean-Pierre Fourcade ainsi que Mmes Marie-Thérèse Hermange et Lucienne Malovry applaudissent également.)
Mme Raymonde Le Texier. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Denis Badré.
M. Denis Badré. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il n’est pas très facile d’intervenir après Muguette Dini, au nom du groupe de l’Union centriste dont elle est l’un des membres les plus éminents, et à la suite de l’analyse très percutante qu’elle vient de nous présenter de ce projet de loi. Je m’efforcerai néanmoins de faire de mon mieux.
L’examen du texte qui va être soumis à notre vote a été, c’est le moins que l’on puisse dire, très riche en rebondissements.
Voilà quelques instants encore, en disant qu’elle partageait l’analyse de Mme Anne-Marie Payet présentée au travers de l’amendement n° 436 rectifié, notre assemblée a pris quelques libertés avec l’orthodoxie, bien que ce ne soit pas l’usage. Il allait cependant de soi que nous devions apporter notre soutien au combat que mène Anne-Marie Payet avec beaucoup de conviction et de force. Je pense donc que nous avons bien fait de nous prononcer de cette manière même si ce n’était pas tout à fait la voie habituelle, d’autant que je ne suis pas inquiet pour la suite, sachant que la commission mixte paritaire remettra le texte dans l’ordre. Il fallait envoyer ce message : cela a été fait et c’est bien.
Atypiques ont été aussi l’ensemble des travaux qui ont été conduits au fil des dernières semaines, où nous avons vu une commission rejeter un texte après l’avoir très substantiellement amendé, un rapporteur démissionner – et quel rapporteur, Muguette Dini elle-même, présidente de la commission des affaires sociales ! –, une commission d’examen des amendements extérieurs dominée par l’opposition, un nouveau rapporteur reprendre en vol l’examen du texte et amené à présenter des avis favorables sur des amendements qu’il contrait en tant que rapporteur.
Tout cela montre que nous avons encore du chemin à faire pour apprivoiser complètement la réforme constitutionnelle de 2008. (M. Guy Fischer s’exclame.)
C’est d’ailleurs également de cette réforme qu’il est question s’agissant du fond même du texte. En effet, ce dernier répondait pour une large part à une question prioritaire de constitutionnalité imposant un renforcement du contrôle judiciaire sur les hospitalisations sans consentement.
Ce projet de loi comporte aussi un second volet, médical quant à lui, afin de mettre en place des solutions alternatives à l’hospitalisation complète.
L’un et l’autre de ces volets, tels qu’ils nous venaient de l’Assemblée nationale, posaient deux problèmes de fond : comment préciser les solutions alternatives à l’hospitalisation complète que le texte entendait promouvoir ? Comment renforcer les pouvoirs du juge pour établir un équilibre avec l’autorité préfectorale, sans pour autant choisir la voie d’une judiciarisation excessive ?
Sur chacun de ces deux points, une formule, qui me semble raisonnable, a pu être dégagée, et ce grâce au travail énorme et remarquable effectué par nos commissions, mais aussi, je dois le dire, à l’écoute du Gouvernement.
En cet instant, je veux féliciter Muguette Dini et Jean-Louis Lorrain, les deux rapporteurs successifs de la commission des affaires sociales, ainsi que Jean-René Lecerf, rapporteur pour avis de la commission des lois, pour l’excellence de leur travail.
J’en profite également pour vous remercier, madame la secrétaire d’État, de votre ouverture et votre sens du compromis.
Grâce à un amendement de notre collègue Alain Milon, sous-amendé par Jean-Louis Lorrain, nous avons clarifié la notion d’alternative à l’hospitalisation complète.
En matière de contrôle judiciaire, nous avons donné la possibilité qu’une hospitalisation complète soit commuée en un programme de soins sous l’impulsion du juge des libertés et de la détention, sans que ce dernier s’en trouve exagérément surchargé, ce à quoi nous tenions.
Nous avons adopté le principe de l’unification du contentieux. J’ai cru comprendre que ce point avait donné lieu à des débats assez difficiles en commission. Cependant, grâce à un travail ultérieur, la situation a pu se dénouer dans de bonnes conditions lors de notre débat en séance plénière.
Les solutions retenues me semblent satisfaisantes. Leur détermination témoigne de l’intérêt de ce que l’on appelle, à un échelon qui m’est cher, celui de l’Union européenne, la coproduction législative. À mes yeux, nous avons accompli un bon exercice de coproduction législative. À quelque chose malheur est bon : nous ouvrons des voies, nous défrichons.
L’immense majorité du groupe de l’Union centriste votera donc ce texte.