M. Georges Patient. Madame la ministre, les 10 et 24 janvier 2010 ne doivent pas être vécus uniquement comme des victoires électorales.
En choisissant, à une large majorité, de demeurer dans le droit commun de l’article 73 de la Constitution et en optant pour la mise en place d’une collectivité unique, les Guyanais ont voulu vous adresser un double message : certes, le maintien dans l’article 73, mais aussi le refus d’un statu quo qui reconduirait un système de région monodépartementale unanimement décrié pour « ses enchevêtrements de compétences préjudiciables », pour reprendre les termes de votre étude d’impact.
Dès lors, la collectivité unique devait permettre de rationaliser et de rendre plus efficace l’action publique locale à une Guyane qui en a grandement besoin tant sont mauvais ses chiffres et indicateurs, et ce dans tous les domaines – santé, éducation, chômage, logement...
Ainsi était-on en droit d’espérer que la collectivité unique, par son côté novateur et correcteur, serait un instrument plus performant, qui apporterait plus de consistance au développement économique, social et culturel de la Guyane.
Trouve-t-on dans les deux textes qui nous sont proposés aujourd’hui les éléments qui apportent des réponses à notre légitime attente, même si le titre du rapport d’information des sénateurs Cointat et Frimat « Guyane, Martinique, Guadeloupe : L’évolution institutionnelle, une opportunité, pas une solution miracle » est déjà fortement évocateur ?
Il existe, certes, de réelles avancées dans ces projets de loi. Certaines ont d’ailleurs été introduites par la commission des lois. Je profite de cette occasion pour saluer le travail qu’elle a réalisé, tant sur les textes qu’au travers des déplacements sur le terrain. Et je suis bien placé pour en parler pour avoir accompagné ses représentants dans tous les coins et recoins de Guyane, en avion, en voiture et en pirogue !
Ces textes comportent, certes, des avancées. C’est le cas, notamment, sur le régime des habilitations. À la prolongation prévue par le projet initial jusqu’à la fin du mandat de l’Assemblée qui en fait la demande, la commission des lois a ajouté une possibilité de prorogation de droit de deux ans après le renouvellement de l’Assemblée et adopté plusieurs dispositions de nature à éviter un contrôle d’opportunité de la part du Gouvernement. Permettez-moi de noter que l’on est tout de même loin d’un nouveau statut apparenté à l’article 74, comme certains n’hésitent pas à l’évoquer !
Une autre avancée importante est la garantie d’une représentation équilibrée du territoire à l’Assemblée de Guyane, avec un découpage des sections et une affectation des sièges dans chaque section, qui devront tenir compte des caractéristiques du territoire : son étendue, son éclatement, voire sa diversité.
Il faut aussi retenir la préservation de la dimension culturelle dans la fusion des deux conseils exécutifs locaux, par la création, au sein du Conseil économique, social environnemental et culturel de la Guyane, de deux sections, l’une « économique et sociale », et l’autre « culture, éducation et environnement ».
De même peuvent être considérées comme des avancées l’introduction dans la loi du comité consultatif des populations amérindiennes et bushinengué, la conservation et la rénovation du Congrès des élus dans les futures collectivités uniques, avec l’adjonction de l’ensemble des maires, même avec voix consultative, la création du centre territorial de promotion de la santé et le conseil territorial de l’habitat. La santé et l’habitat sont en effet deux secteurs en panne en Guyane, qui devient de plus en plus un désert médical. Plus de 13 000 personnes sont en attente d’un logement pour un parc de 11 000 logements totalement occupés.
Certaines dispositions méritent cependant d’être encore revues. Je veux parler de celles sur lesquelles la commission des lois n’a finalement pas tranché, alors qu’elle avait semblé prendre acte de la justesse des demandes locales. Il s’agit du pouvoir de substitution et du calendrier électoral.
Sur ces deux points, il y a pourtant unanimité des deux collectivités de Guyane, tant pour la suppression de ce pouvoir de substitution au « fort relent colonialiste » que pour la fixation de la date des élections en mars 2014. Aussi, les positions arrêtées dans le texte – encadrement, mais maintien du pouvoir de substitution, en définitive, et la formule retenue pour la date de l’élection « au plus tard 2014 » – ne nous satisfont guère !
Beaucoup plus surprenant est le silence embarrassant affiché par la commission des lois sur mes amendements d’ordre financier. (M. le rapporteur sourit.)
Est également troublant, madame la ministre, votre refus persistant de ne pas nous rétablir dans nos droits financiers, alors que vous connaissez parfaitement la difficile situation financière des collectivités locales de Guyane.
En effet, dans votre propre étude d’impact, on peut lire que « le conseil régional de Guyane connaît une situation financière fragilisée par un endettement préoccupant, une pression fiscale relativement élevée » et que « les indicateurs se sont même dégradés en 2009 ». La situation est identique pour le conseil général, qui, selon ce même document, « se maintient dans un équilibre précaire avec un taux d’épargne faible et des marges de manœuvre étroites du fait d’une fiscalité déjà élevée ».
Madame la ministre, comment peut-on s’attendre à un fonctionnement optimal pour une collectivité qui démarrera avec un tel handicap ?
Vous évoquez le droit commun pour justifier le fait que les compétences des deux collectivités étant regroupées et conservées à l’identique, elles continueront à percevoir strictement les mêmes produits des impôts locaux et des taxes et les mêmes dotations de l’État. Cela explique que vous n’ayez pas retenu la proposition des élus de Guyane d’instaurer une « dotation spécifique d’accompagnement » pour compenser les frais généraux engendrés par la fusion.
Vous présentez cette fusion comme un véritable gisement d’économies qui permettra de dégager de nouvelles marges de manœuvre financières. Néanmoins, l’expérience de transferts intervenus dans le cadre du développement des structures intercommunales ou, plus récemment, dans le prolongement des différents transferts de l’État vers les départements et régions démontre l’existence d’un certain nombre d’effets qui, s’ils se traduisent souvent par une amélioration qualitative du niveau de service public, se soldent financièrement par une progression des dépenses, du moins au cours des premières années. D’ailleurs, l’étude d’impact réalisée par le Gouvernement ne l’exclut pas puisqu’elle indique que des « conséquences financières préalables sont à prévoir ».
Madame la ministre, vous mettez constamment en avant le droit commun de l’article 73 de la Constitution. Vous avez tout à fait raison, car les Guyanais ont largement choisi de demeurer dans ce cadre. Toutefois, ce rappel constant au droit commun doit l’être également quand nous réclamons une juste évaluation des recettes de nos collectivités locales, minorées de manière dérogatoire et par la loi pour la seule Guyane.
Au risque de me répéter inlassablement dans cet hémicycle, je citerai de nouveau le foncier domanial non exploité, non constaté qui n’est pas évalué et qui permet à l’État, dans le seul département de la Guyane, d’échapper à la taxe sur le foncier non bâti sur l’ensemble de son domaine privé.
Je reviendrai également sur la dotation globale de fonctionnement plafonnée dans sa part superficiaire pour le seul département de la Guyane, alors que des communes de montagne de France métropolitaine bénéficient au contraire d’une majoration de quelque cinq euros par hectare. De même, elle est minorée pour les communes aurifères, la dangerosité de ces territoires empêchant de procéder à des décomptes de population exhaustifs.
Ainsi, sur 9 000 habitants, ma propre commune en a « perdu » entre 1 500 et 2 000 au dernier recensement, les agents de l’INSEE n’ayant pu accéder à une grande partie du territoire à cause des garimpeiros. Il s’agit donc d’une zone de non-droit à forte densité, dont les habitants n’ont pu être dénombrés, ce qui entraîne un grave préjudice financier.
Je pense encore au prélèvement de 27 millions d’euros sur l’octroi de mer des communes qui est effectué de manière unilatérale, sans compensation et, là aussi, uniquement pour la Guyane, par le représentant de l’État depuis 1974 et introduit dans la loi en 2004. Madame la ministre, songez que, si cette somme était rétrocédée aux communes, Saint-Laurent-du-Maroni et Roura, qui sont financièrement en péril, pourraient obtenir un prêt de restructuration et voir ainsi leur situation s’assainir.
Ces régimes dérogatoires, qui frappent uniquement la Guyane, ne favorisent aucunement l’égalité entre les collectivités territoriales et amplifient même les inégalités. La mise en place de la collectivité unique de Guyane, dans le cadre de l’article 73 de la Constitution, paraissait une opportunité permettant de ne pas laisser perdurer des dispositifs injustes et contraires à l’article 72–2 de la Constitution. Il serait d’ailleurs intéressant de connaître l’avis du Conseil constitutionnel sur ces différents points, voire de déposer une question prioritaire de constitutionnalité sur le sujet.
M. Jean-Paul Virapoullé. Bien sûr ! Il faut le faire !
M. Georges Patient. Pour réparer ces injustices et comme j’ai foi en l’action parlementaire, j’ai déposé un certain nombre d’amendements qui, je l’espère, recueilleront l’assentiment de mes collègues. En effet, beaucoup d’entre eux se sont récemment rendus en Guyane et ont pu, sur le terrain, se rendre compte de l’acuité des problèmes qui se posent dans ce département ainsi que de la nécessité d’un réajustement financier au profit des collectivités locales, en première ligne dans l’aménagement du territoire.
Madame la ministre, il est urgent d’intervenir sur cette question, véritable pierre angulaire du développement de la Guyane dont la population atteindra 574 000 habitants en 2040, dépassant ainsi celle de la Martinique et de la Guadeloupe. Le chef de l’État, qui a reçu à l’Élysée au mois de novembre 2010 les élus de Guyane sur la mise en place de cette future collectivité unique, vous avait demandé, à vous et à votre ministre de tutelle de l’époque, M. Brice Hortefeux, d’élaborer un rapport sur les finances locales de Guyane. Quid de ce rapport ? À ce jour, aucune nouvelle.
Aussi comprendrez-vous aisément, madame la ministre, que ma position définitive sur ces projets de loi dépendra du sort que vous réserverez aux amendements que je présenterai. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Jean-Paul Virapoullé applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Soibahadine Ibrahim Ramadani.
M. Soibahadine Ibrahim Ramadani. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le projet de loi organique portant diverses mesures de nature organique relatives aux collectivités régies par l’article 73 de la Constitution et le projet de loi relatif aux collectivités de Guyane et de Martinique. Ces deux textes marquent la traduction législative de la volonté des électeurs de Martinique et de Guyane qui, lors des consultations du mois de janvier 2010, ont émis le souhait d’une réforme tendant à la mise en place d’une collectivité unique régie par l’article 73 de la Constitution et exerçant les compétences d’un département et d’une région.
Si cette réforme est adoptée par le Parlement, la Martinique et la Guyane rejoindront Mayotte, qui, depuis le 31 mars dernier, est devenue la première collectivité unique de la République.
M. Charles Revet. Très bien !
M. Soibahadine Ibrahim Ramadani. L’excellent rapporteur de la commission des lois, notre collègue Christian Cointat, l’a écrit dans son rapport : « La collectivité unique ne remet nullement en cause le sens et l’esprit de la départementalisation. » Il note cependant que, au sein des départements d'outre-mer, il existe pour l’instant non seulement des « trajectoires institutionnelles différenciées », faisant allusion à l’opposition actuelle de la Réunion à tout changement, synonyme d’éloignement au droit commun, mais aussi une poursuite de la réflexion en Guadeloupe, afin notamment de faire mûrir le « projet guadeloupéen de société ».
Ainsi, au plus tard au mois de mars 2014, à l’issue des premières élections, l’Assemblée de Guyane et l’Assemblée de Martinique disposeront chacune d’une organisation institutionnelle propre, permettant de mieux répondre aux attentes de chaque collectivité.
De son côté, la Guyane disposera d’un organe délibérant dont le président sera assisté d’une commission permanente ; la Martinique, quant à elle, aura un système particulier, plus proche de celui de la Corse de 1991, avec un conseil exécutif distinct de l’assemblée délibérante.
De plus, les deux assemblées disposeront d’un organe consultatif dénommé « Conseil économique, social et environnemental », fusion des deux conseils consultatifs existants. Rappelons que, pour Mayotte, à l’occasion du débat législatif que nous avons eu ici même au mois d’octobre dernier, il a été proposé le maintien des deux organes consultatifs du département jusqu’en 2014, en attendant, d’une part, les conclusions de la réforme territoriale et, d’autre part, les propositions pour les collectivités uniques de Martinique et de Guyane. Ainsi, pour une meilleure cohérence, il serait judicieux de prévoir la même disposition pour Mayotte, à savoir la création d’un conseil consultatif unique identique à ceux de Guyane et de Martinique, avec deux sections.
J’en viens au mode de scrutin. Celui qui a été retenu pour les deux collectivités territoriales de Guyane et de Martinique est celui des régions, avec une circonscription unique composée de plusieurs sections, permettant notamment l’attribution d’une prime majoritaire.
Enfin, le nombre d’élus membres des deux assemblées a été fixé à 51. Du fait de l’évolution démographique importante, notamment en Guyane, il est prévu d’augmenter celui-ci en fonction de la population, selon l’hypothèse suivante : 55 élus pour une population totale comprise entre 250 000 habitants et 300 000 habitants, 61 élus au-delà.
Le contexte démographique en Guyane est identique à celui de Mayotte qui comptera 23 élus en 2014 pour une population dépassant les 200 000 habitants. Or, si l’on prend en compte les prévisions de l’INSEE pour 2017, la population atteindra 260 000 habitants. Dans cette hypothèse, qui est la plus basse, rappelons-le, le département de Mayotte devrait disposer d’un nombre d’élus comparable à ceux des collectivités uniques de Guyane et de Martinique.
Les deux collectivités de Guyane et de Martinique disposeront des compétences d’un département et d’une région. Aucun élargissement de nouvelles compétences n’est prévu, comme certains élus le souhaitaient.
De ce fait, l’article 73 de la Constitution reconnaît aux collectivités uniques la faculté d’adaptation des lois et règlements en vigueur en fonction des spécificités particulières de chacune d’entre elles, dans les matières où s’exercent les compétences qui leur sont dévolues. Elles peuvent ainsi définir elles-mêmes des règles normatives dans les domaines relevant de la loi, à l’exception de celles qui ont trait à l’exercice d’une liberté publique ou d’un droit constitutionnel garanti, qui requièrent des habilitations préalables.
De même, dans la mesure où les compétences régionales et départementales sont regroupées en une assemblée unique, il a été convenu avec le Gouvernement et les élus locaux le maintien des ressources budgétaires actuelles cumulées.
Par ailleurs, je note que l’évolution institutionnelle de la Guyane et de la Martinique n’a aucune incidence sur leur positionnement dans l’espace européen, puisqu’elle est interne à la République. Ces deux collectivités demeurent toujours des régions ultrapériphériques de l’Union européenne au titre des articles 349 et 355 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
Madame la ministre, au terme du calendrier que vous nous avez précisé ici même au mois de janvier dernier, Mayotte rejoindrait, le 1er janvier 2014, la Martinique, la Guyane, la Guadeloupe, la Réunion, Saint-Martin et Saint-Barthélemy comme région ultrapériphérique de l’Union européenne. Pouvez-vous confirmer aux Mahorais qu’une demande française sera bien déposée en ce sens auprès des autorités de l’Union européenne d’ici à la fin de ce mois et nous indiquer les échéances prévues entre 2011 et 2013 ?
Enfin, la disparition de la commission de révision de l’état civil, prévue pour le mois dernier, s’est révélée irréaliste au regard de nombreux dossiers en attente de décisions et des extraits de naissance à délivrer. De ce fait, l’État a été conduit à maintenir cette instance jusqu’au 31 décembre 2011. Par conséquent, il conviendrait aussi de proroger la dotation exceptionnelle liée à la prise en charge des frais de l’état civil, qui arrive à échéance au mois de septembre 2011.
Madame la ministre, sous le bénéfice de ces quelques observations, je soutiendrai ces deux projets de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Charles Revet. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Lucette Michaux-Chevry.
Mme Lucette Michaux-Chevry. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, enfin une évolution institutionnelle en outre-mer. Ouf ! Je veux tout de même le rappeler, les Antilles sont françaises depuis 1635…
M. Charles Revet. Eh oui !
Mme Lucette Michaux-Chevry. … et tiennent viscéralement à le rester. Les derniers résultats des élections en Guyane et en Martinique viennent de le prouver. En raison du passé esclavagiste qui a marqué ces territoires, nous sommes très attachés aux valeurs de liberté, de démocratie : toute notre histoire est fondée sur ces principes. Malheureusement, souvent, on nous ridiculise, parlant à notre égard de « confettis de la République » ou insistant sur les allocations que nous percevons.
Je tiens à rappeler ici la résistance de ces îles. Ainsi la Guadeloupe s’est-elle opposée à l’Angleterre qui avait imposé un blocus pour l’obliger à passer sous pavillon britannique. Sans succès.
Je veux rappeler également la période de la dissidence. Nous étions très bien sous nos cocotiers. Pourtant, nos anciens sont partis de Martinique et de Guadeloupe en Guyane pour répondre à l’appel du général de Gaulle.
M. Charles Revet. Très bien ! Il faut le rappeler !
Mme Lucette Michaux-Chevry. Nous avons été très sensibles – j’ai vu des gens en larmes – à l’hommage rendu par le Président de la République, lors de sa visite en Martinique, à ces dissidents que tout le monde avait oubliés, alors qu’ils avaient contribué à défendre l’honneur de la France. (M. Charles Revet opine.)
La France, de la période coloniale à la grande réforme de la décentralisation entreprise en 1982, en passant par la départementalisation de 1946, a mené une politique généreuse de rattrapage en outre-mer, même si l’on peut la considérer insuffisante. Malgré son souci de préserver l’unité nationale et l’égalité de tous les Français, elle a confondu unité et uniformité.
La métropole, ce n’est pas la « France du large », qui se compose de territoires qui sont notre cadre de vie. Pourtant, le général de Gaulle avait fait reconnaître, dans la Constitution de la Ve République, la nécessité de prendre en compte les particularismes de l’outre-mer. Si la départementalisation a amené l’égalité sociale, la décentralisation a permis un pas en avant pour reconnaître nos spécificités. Néanmoins, l’esprit de ces réformes a toujours été de calquer systématiquement des décisions métropolitaines, pensées sur des espaces donnés, pour les appliquer dans le monde entier, de l’océan atlantique à l’océan pacifique, sur des territoires exigus qui se trouvent sous des latitudes différentes.
Ce ne sont pas les incidents de 2009 qui ont créé ce besoin de changement. Celui-ci remonte à l’époque où l’Angleterre a permis aux îles de la Caraïbe d’accéder à l’indépendance. Des intellectuels de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane ont alors considéré que, peut-être, était venu le temps de s’exprimer, de parler au nom de leur pays. Cela a déclenché un climat de violence, qui culmina notamment avec un décret d’avril 1960 imposant aux Domiens des contrôles systématiques pour les empêcher de rentrer sur le territoire en raison de leurs opinions politiques.
Le Gouvernement a alors présenté en 1982 une loi qui fusionnait département et région. Le Conseil constitutionnel ayant annulé ce texte, une loi de 1983 créa les régions monodépartementales outre-mer et nous fûmes les premiers à expérimenter le fait régional. Le droit commun a alors été écarté. Il s’agissait d’un véritable choix politique, qui consistait à accorder les compétences des départements à la région. Les pressions n’ont pas cessé pour autant.
De nombreux élus de Guadeloupe, de Martinique, de Guyane ont voulu alors instaurer un vrai dialogue entre ces trois territoires. Il était inadmissible, mes chers collègues, de ne pas entretenir de contacts directs entre nous. Il était totalement anormal qu’un billet d’avion entre Cayenne et Pointe-à-Pitre soit plus cher qu’un billet entre Pointe-à-Pitre et Paris. Mais la volonté de la métropole a toujours été d’accrocher systématiquement l’outre-mer à la nation française.
Trois forces politiques d’origine différente, il est important de le souligner, ont décidé de réformer cela : l’exécutif de Guyane, affilié au parti socialiste, le nationalisme martiniquais et la droite guadeloupéenne. Il faut du courage en politique ! Nous n’avons pas fait un texte sur le développement économique – ce n’est pas ce qui manque –, mais nous avons élaboré ensemble un texte de responsabilité dans la gestion de nos territoires, affirmant que nous voulions penser et agir par nous-mêmes, dans la cadre de la République française.
Il n’était pas facile, pour des gens partisans de l’indépendance de la Guadeloupe, de se trouver autour d’une table pour rappeler le respect de la nation française. Nous sommes allés très loin, sous l’impulsion d’Alain Juppé, alors ministre des affaires étrangères, à qui je tiens à rendre hommage, puisque nous avons créé l’Association des États de la Caraïbe, validée par le Parlement.
La France ignorait alors tout du fonctionnement du Caricom. Savez-vous que la France a donné à l’Europe le soin de parler au nom de l’outre-mer, dans des structures intergouvernementales de la Caraïbe qui prennent des décisions ayant des conséquences pour nous.
M. Charles Revet. Eh oui !
Mme Lucette Michaux-Chevry. C’est la raison pour laquelle nous avons revendiqué de pouvoir parler nous-mêmes, parce que nous connaissons mieux les problèmes qui se posent à nous.
À cet égard, le problème de la banane est un exemple flagrant. Je ne nommerai pas le ministre qui en est responsable. L’Europe a favorisé la banane zone dollar, mais la zone dollar n’est pas européenne. La France n’a jamais su faire reconnaître, au sein de l’Union européenne, ses productions tropicales qui sont pourtant européennes, car nous sommes représentés par des personnes, certes compétentes, mais ayant une méconnaissance totale de l’outre-mer. (M. Charles Revet acquiesce.)
Il en va de même pour l’octroi de mer. Personne, en dehors des territoires concernés, ne savait véritablement ce que c’était. Cela a provoqué d’intenses discussions. Si nous avons pu obtenir de Bruxelles le statut des régions ultrapériphériques, nous ne le devons qu’à nous-mêmes, et non au Gouvernement ou aux parlementaires métropolitains. Mes collègues de l’outre-mer qui sont présents le confirmeront, notre action concertée et notre montée en force pour faire prendre conscience aux différents acteurs, et notamment Alain Juppé, que l’Europe était non seulement continentale mais aussi maritime,…
M. Charles Revet. Très bien !
Mme Lucette Michaux-Chevry. … que la France était présente sur les cinq continents, a été essentielle.
Il s’agit d’une revendication non pas pour le développement économique, mais pour notre dignité et notre responsabilité. Nous souhaitons penser, proposer et agir.
Évidemment, cela ne s’est pas très bien passé. En 2003, personne n’a compris la question posée depuis Paris aux populations de Guyane, Martinique et Guadeloupe. Il y avait trois questions en une. C’était incompréhensible ! Comme si, de manière systématique, on ne voulait à aucun prix que les choses se passent bien. C’est pourquoi je me réjouis de constater aujourd’hui que le problème est à nouveau abordé.
C’est très facile de faire capoter les choses en outre-mer. Il suffit d’apeurer les habitants ! (M. Claude Lise opine.) Si on leur annonce – je ne veux pas ici polémiquer – qu’ils ne bénéficieront plus des allocations familiales ou d’un passeport français, par exemple, ils se rendront compte de l’instabilité qui règne dans les autres îles des Caraïbes qui nous entourent, de ce qui se passe à Haïti, où le nouveau président vient de s’attaquer à la liberté de la presse, ce qui annonce la dictature, et ils manifesteront le désir de rester dans un pays qui leur a apporté, certains l’ont dit avant moi, plus de liberté et de respect.
Nous abordons aujourd’hui l’examen de ce texte. Je n’ai pas déposé d’amendements. Mes chers collègues de Guyane et de Martinique, vous avez pris vos responsabilités. Il ne faut pas aujourd’hui subordonner cette responsabilité de gouvernance à de justes réclamations de développement économique qui sont légitimes et auxquelles je souscris par ailleurs.
Lorsque je regarde le texte consacré à la Guyane, il me semble que le département disparaît au profit d’une espèce de région qui regroupe toutes les compétences, avec un président de région qui reste président de la commission permanente. Je pose une question très simple : un président d’une assemblée territoriale, qui a une majorité absolue de vingt-neuf ou trente sièges, qui est président de la commission permanente, peut-il être contesté par quiconque lorsqu’il présente et exécute le budget ou le compte administratif ?
Il est frappant de voir que, dans une collectivité unique regroupant les pouvoirs considérables du conseil régional et du conseil général, la plénitude de ces pouvoirs est confiée à un homme, quelle que soit sa bonne volonté. Il est le chef souverain de son territoire.
Le pouvoir grise, il faut avoir le courage de le reconnaître ! C’est pourquoi nous, guadeloupéens, avons davantage penché pour la séparation de l’exécutif par rapport à l’assemblée qui programme. Aussi, je me tourne vers mes collègues martiniquais pour leur dire que, certes, je voterai le texte, mais je n’ai pas compris qu’ils demandent au conseil exécutif de voter le budget. Il devrait proposer le budget, et l’assemblée le voter et le contrôler.
Enfin, je terminerai mon intervention sur les pouvoirs du préfet. Je vous signale, monsieur le rapporteur, que le gouverneur d’avant la départementalisation n’avait pas beaucoup de pouvoirs. Je me permets de vous rappeler, connaissant bien l’histoire de ma région, que c’était l’assemblée coloniale qui votait le budget du gouverneur, lequel devait s’incliner. Si vous voulez des documents, vous verrez que le rôle de l’assemblée coloniale était très précieux.
M. Christian Cointat, rapporteur. Je vous crois !
Mme Lucette Michaux-Chevry. Considérons aujourd’hui la situation de certains dossiers qui n’arrivent pas à retenir l’adhésion des deux assemblées. Vous avez-vous-même écrit qu’il n’y avait pas de lien assez étroit entre le conseil régional et le conseil général. Rien ne se passe alors !
Savez-vous qu’en Guadeloupe le préfet a alerté les collectivités sur le fait que les fonds européens n’allaient pas être entièrement consommés. Ces fonds risquent d’être perdus, parce que l’on n’arrive pas à réaliser l’unité sur des projets. La politique l’emporte sur tout ! Lorsque le président du conseil général propose quelque chose, le conseil régional est contre, et réciproquement. Le climat conflictuel de la politique ne se dépassionne pas dans nos régions !
Lorsque le préfet adresse une mise en demeure d’agir, qui reste sans suite, celui-ci devant exercer son pouvoir de substitution, où est l’intérêt général des populations, qui est plus important que la susceptibilité des élus ?
Pour conclure, je dirai que la violence a été trop forte chez nous pour ne pas, aujourd’hui, reconnaître que le Gouvernement fait un pas en avant. Je me tourne vers mes collègues de la Guadeloupe pour leur dire que je suis tout de même triste de voir que, bien que nous ayons essayé de travailler au-delà de tous les clivages et en dépit de mouvements qui nous ont parfois fait tant de mal, nous soyons restés dans nos petites querelles.
Lorsqu’on a vu un membre de sa famille transformé en torche vivante, on ne peut oublier que, parfois, pour défendre un idéal, même si on sait que l’on met en danger sa famille, on continue à le faire parce que l’on considère que c’est son devoir.
J’ose espérer, monsieur le sénateur et président du conseil général de la Guadeloupe, que vous allez évoluer pour vous rapprocher de la Guyane et de la Martinique, pour qu’au-delà de ce qui nous divise nous nous rassemblions pour l’intérêt supérieur de la Guadeloupe.
Ce texte, que je voterai, représente pour moi un pas en avant vers plus de démocratie, plus de prise en compte de nos responsabilités d’élus. Faisons en sorte de démontrer que nous sommes capables de faire face aux besoins de nos régions. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Lise.