compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Alain Dufaut,
M. Philippe Nachbar.
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Procès-verbal
M. le président. Le procès-verbal de la séance du jeudi 10 mars 2010 a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Décision du Conseil constitutionnel
M. le président. J’ai reçu de M. le président du Conseil constitutionnel, par lettre en date du jeudi 10 mars 2011, le texte d’une décision du Conseil constitutionnel qui concerne la conformité à la Constitution de la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure.
Acte est donné de cette communication.
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Décisions du Conseil constitutionnel sur des questions prioritaires de constitutionnalité
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du jeudi 17 mars 2011, quatre décisions du Conseil sur des questions prioritaires de constitutionnalité (nos 103 QPC, 104 QPC, 105 QPC, 106 QPC et 107 QPC).
Acte est donné de cette communication.
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Communications du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 11 mars 2011 et le 16 mars 2011, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel deux décisions de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2011-127 QPC et 2011-128 QPC).
M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 21 mars 2011, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel deux décisions de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2011-129 QPC et 2011-130 QPC).
Les textes de ces décisions de renvoi sont disponibles au bureau de la distribution.
Acte est donné de ces communications.
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Engagement de la procédure accélérée sur une proposition de loi
M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen de la proposition de loi relative à l’organisation du championnat d’Europe de football de l’UEFA en 2016, déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale.
6
Témoignage de solidarité envers le peuple japonais
M. le président. Monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, mes chers collègues, à l’heure où le peuple japonais subit les conséquences dramatiques d’un séisme d’une rare amplitude, je salue la présence dans la tribune officielle de M. l’ambassadeur du Japon en France, qu’accompagne le président du groupe sénatorial d’amitié France-Japon, M. David Assouline. (M. le Premier ministre, M. le ministre d’État, MM. les ministres, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent longuement.)
À la suite du redoutable enchaînement de catastrophes qui a frappé le Japon, je voudrais exprimer, en notre nom à tous, la solidarité du Sénat avec le peuple japonais.
Nous admirons la dignité, le courage et la détermination avec lesquels les Japonais font face à ces terribles épreuves : des milliers de morts et de disparus, des villes et des villages anéantis, un territoire ravagé, des familles dans l’affliction et l’angoisse, une angoisse qu’accroît encore la situation de la centrale de Fukushima, aujourd'hui théâtre d’actes de dévouement qui forcent le respect.
Nos pensées et notre compassion vont aux familles des victimes, à tous les sinistrés qui sont dans le dénuement et doivent à présent tout reconstruire.
Monsieur l’ambassadeur, la semaine dernière, nous vous avons transmis, en liaison avec le président du groupe d’amitié France-Japon du Sénat, un message de solidarité adressé au Premier ministre et au Président de la Chambre des conseillers du Japon.
Nous formons le vœu que votre grand pays surmonte au plus vite, avec l’aide des pays amis, le drame national auquel il est confronté.
Mes chers collègues, je vous propose, en signe de solidarité et pour montrer combien ce drame nous rapproche aujourd'hui du peuple japonais, d’observer un moment de recueillement. (M. le Premier ministre, M. le ministre d’État, MM. les ministres, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et observent une minute de silence.)
7
Situation en Libye
Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat
M. le président. L’ordre du jour appelle, en application de l’article 35, alinéa 2, de la Constitution, une déclaration du Gouvernement suivie d’un débat sur les conditions de mise en application de la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies sur la situation en Libye.
Cette déclaration et le débat qui suivra constituent d’ailleurs, depuis l’entrée en vigueur de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, la première application du deuxième alinéa de l’article 35 de notre Constitution.
La mise en œuvre de cette procédure a été décidée à l’issue d’une réunion exceptionnelle sur la situation en Libye qui s’est tenue le vendredi 18 mars, sur votre initiative, monsieur le Premier ministre, et à laquelle j’ai participé, avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, ainsi que les présidents des groupes politiques du Sénat ou leurs représentants.
Par une lettre que vous m’avez adressée le samedi 19 mars en fin d’après-midi, vous avez tenu à m’informer que le Gouvernement avait décidé de faire intervenir nos forces armées en Libye pour la mise en œuvre de la résolution de l’Organisation des Nations unies et que vous feriez aujourd’hui une déclaration devant notre assemblée.
Monsieur le Premier ministre, je vous remercie d’avoir répondu à notre demande d’information et de débat.
Votre présence au Sénat, avec M. Alain Juppé, ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes, M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants, M. Patrick Ollier, ministre chargé des relations avec le Parlement, témoignent de la considération que vous portez à l’institution sénatoriale : croyez que nous y sommes particulièrement sensibles.
Au nom du Sénat tout entier, je voudrais également assurer de notre confiance l’ensemble des militaires qui participent à cet engagement international d’opérations aériennes, et aussi navales, destiné à protéger la population libyenne dans le cadre du mandat de l’Organisation des Nations unies.
Je vais d’abord donner la parole à M. le Premier ministre, puis nous entendrons M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Chaque groupe politique pourra ensuite exprimer son point de vue.
M. Alain Juppé, ministre d’État, et M. Gérard Longuet, ministre de la défense, répondront aux orateurs.
La parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. François Fillon, Premier ministre. Monsieur le président, je tiens tout d’abord à m’associer au message de compassion que vous avez adressé à M. l’ambassadeur du Japon et, à travers lui, au peuple japonais.
Le Japon vit une catastrophe majeure, qui nous bouleverse tous. Nous lui avons bien sûr offert notre aide. Plusieurs opérations ont d’ores et déjà été conduites. Mais nous voudrions faire tellement plus !
J’aurai l’occasion, demain soir, à l’ambassade du Japon, devant la communauté japonaise en France, de témoigner à nouveau de l’attention, de l’affection et de la solidarité de notre pays.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, samedi 19 mars, en début d’après midi, les forces aériennes françaises sont entrées en action au-dessus de la Libye.
Conformément à l’article 35, alinéa 2, de la Constitution, tel qu’il résulte de la révision de 2008, j’ai l’honneur d’informer le Sénat des raisons et des conditions de cet engagement.
Depuis le début de cette année 2011, le vent de la démocratie et de la liberté souffle sur le monde arabe.
Le peuple tunisien, puis le peuple égyptien ont renvoyé leurs dirigeants et aboli les régimes autoritaires qui étaient en place depuis la décolonisation.
La Libye est entrée dans le même processus et nous avons tous espéré que l’issue en serait rapide et heureuse.
Malheureusement, le régime de Kadhafi a décidé de noyer dans le sang la révolte qui le menaçait. En deux semaines, les espoirs du peuple libyen se sont transformés en cauchemar.
Jeudi dernier, à Benghazi, ultime refuge de la liberté en Libye, les insurgés paraissaient condamnés à tomber entre les mains des troupes fidèles à Kadhafi et la révolution semblait vivre ses dernières heures.
La France a refusé cette fatalité. Le Président de la République a choisi d’agir. Il a su, avec Alain Juppé, dont je tiens à saluer la détermination, convaincre le Conseil de sécurité des Nations unies de refuser l’inacceptable.
Samedi, sur l’initiative de la France, un sommet de soutien au peuple libyen s’est tenu à Paris pour assurer la mise en œuvre sans délai de la résolution 1973.
L’usage de la force armée dans un conflit interne à un pays arabe dont les structures tribales sont encore prégnantes est une décision lourde. Certains, naturellement, s’interrogent sur ses chances de succès. Le risque existe toujours. Mais les hésitations et les doutes ne seraient-ils pas plus profonds et plus dévastateurs sur le plan moral et politique si nous n’avions rien fait ? Ne seraient-ils pas empreints d’une immense culpabilité si, par prudence et par faiblesse, nous avions assisté les bras croisés à la répression d’une population désarmée ?
Le Président de la République, fidèle aux valeurs qui fondent notre nation, s’est refusé à une telle indignité. Avec le soutien déterminant du Royaume-Uni, il a su faire appel au courage de la communauté internationale et imposer à Kadhafi une épreuve de force.
Pourquoi la France s’est-elle ainsi mobilisée ? Parce que la répression du peuple libyen se nouait sous nos yeux. Parce que cette répression ne doit pas sonner la fin d’une espérance qui transcende les frontières. Toute la région est en effet parcourue par une puissante onde de choc démocratique dont la portée peut se révéler historique.
Même s’ils ont chacun leurs spécificités, ces mouvements révèlent la force des idéaux universels, ces idéaux humanistes trop souvent moqués, trop souvent accusés d’être le privilège de nos vieilles démocraties. Eh bien non ! Ces idéaux sont présents dans les cœurs de tous les peuples. Partout, ils peuvent se dresser et changer l’Histoire.
Ne pas intervenir en Libye, c’était donner un blanc-seing à Kadhafi et à ses séides. C’était signifier à tous ceux qui ont soif de démocratie et de respect des droits de l’homme que les changements en Tunisie et en Égypte n’étaient qu’un feu de paille. C’était constater que le mur de l’oppression reste finalement plus fort que le souffle de la liberté.
Nous ne pouvions accepter ce scénario.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’usage de la force ne s’est pas imposé du jour au lendemain. Il est le résultat d’une longue série d’actions diplomatiques destinées à enrayer la violence.
Dès le début de la crise en Libye, la France a pris plusieurs initiatives : celle d’exiger des sanctions contre le régime libyen aux Nations unies comme au sein de l’Union européenne ; celle d’impliquer la Cour pénale internationale, qui, pour la première fois, a été saisie au tout début d’une crise, à l’unanimité du Conseil de sécurité, pour des actes pouvant relever de crimes contre l’humanité ; celle d’acheminer une aide humanitaire massive à l’hôpital de Benghazi et à la frontière tuniso-libyenne ; celle d’aider au retour des milliers de réfugiés fuyant les combats avec la mise en place d’un pont aérien entre la Tunisie et leur patrie d’origine.
La France s’est battue sans relâche pour convaincre, dans toutes les enceintes internationales comme avec tous ses partenaires occidentaux, arabes et africains : au Conseil de sécurité des Nations unies, qui a adopté une première résolution – la résolution 1970 – dès le 26 février ; lors du Conseil européen du 11 mars, sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy et de David Cameron ; lors de la réunion des ministres des affaires étrangères du G8 à Paris, les 14 et 15 mars.
Parallèlement, d’autres organisations régionales se sont aussi mobilisées.
L’Union africaine a souligné la légitimité des aspirations du peuple libyen à la démocratie et à la justice.
Le 12 mars, et ce fut l’un des tournants de la gestion de cette crise, le conseil des ministres de la Ligue des États arabes lançait un appel au Conseil de sécurité demandant à ce dernier d’imposer immédiatement une zone d’exclusion aérienne et d’assurer la protection des populations civiles.
Le secrétaire général de l’Organisation de la conférence islamique a lui-même condamné les violations graves des droits de l’homme et du droit international en Libye.
Tous ces appels pressants de la communauté internationale, tous ces avertissements, toutes ces sanctions, n’ont malheureusement pas fait fléchir la froide détermination du régime libyen. Dès lors, l’emploi de la force devenait la seule solution.
Vis-à-vis des États qui, il y a quelques jours encore, avaient des hésitations sur la nécessité d’une intervention en Libye, nous avons toujours été clairs : en rappelant que le temps et l’inaction jouaient en faveur du régime libyen ; en précisant que toute intervention en Libye devait avoir pour objectif de protéger les populations civiles ; enfin, en conditionnant toute intervention à quatre préalables:
Le premier préalable est un besoin avéré sur le terrain. Qui ne le constate ?
La deuxième est un appui des pays de la région. L’appel de la Ligue arabe nous l’apporte.
La troisième est une base juridique solide. Nous l’avons avec l’adoption de la résolution 1973 du Conseil de sécurité, en faveur de laquelle le Président de la République avait lancé un appel solennel la veille du vote. Et M. Alain Juppé a joué un rôle clé en se rendant à New York pour la défendre.
Le dernier préalable est la nécessité d’une action collective. Celle-ci s’est concrétisée samedi après-midi, à Paris, avec la présence de vingt-deux dirigeants de pays européens, nord-américains, arabes et d’organisations internationales et régionales, qui ont réaffirmé leur détermination à agir sur la base de la résolution 1973.
Cette résolution donne aux États souhaitant intervenir dans la crise libyenne une autorisation de recours à la force.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne conduisons pas une guerre contre la Libye : nous menons une opération de protection des populations civiles, une opération de recours légitime à la force, dans le respect de ce qui est prévu au chapitre VII de la Charte des Nations unies.
Nos objectifs sont précis et strictement conformes notamment aux paragraphes 4 et 6 de la résolution 1973.
Il s’agit de protéger la population libyenne tout en excluant explicitement l’envoi d’une force d’occupation au sol.
Il s’agit de mettre en place une zone d’interdiction aérienne.
Il s’agit de mettre en œuvre l’embargo sur les armes.
Enfin, il s’agit de compléter le régime de sanctions déjà prévu par la résolution 1970.
Le message de la communauté internationale est sans ambiguïté : c’est l’arrêt immédiat des violences ; c’est le retrait des armées libyennes de toutes les zones où elles sont entrées par la force ; c’est le retour de celles-ci dans leurs casernes ; c’est le plein accès de l’assistance humanitaire.
En privant le régime de Kadhafi de sa supériorité militaire, nous voulons offrir au peuple libyen la possibilité de reprendre courage, de définir une stratégie politique et de décider de son avenir.
En effet, il ne nous appartient en aucun cas de nous substituer à lui ! Même si nous appelons au départ de Kadhafi, c’est au peuple libyen et à lui seul qu’il revient de décider de son destin et de ses futurs dirigeants.
C’est dans ce contexte que la France tient à rendre hommage à l’action du Conseil national de transition libyen, que nous avons reconnu comme notre interlocuteur politique et avec lequel nous sommes en relation constante.
C’est dans ce contexte que les forces militaires françaises sont engagées.
Dès le 4 mars, l’armée de l’air française avait entrepris des missions de reconnaissance pour évaluer les capacités de défenses aériennes libyennes et surveiller la progression des forces de Kadhafi. Parallèlement, nos armées se sont préparées à intervenir.
Samedi 19 mars, à l’issue du sommet de Paris, le Président de la République a décidé de lancer les premières missions. Une vingtaine d’avions de combat de l’armée de l’air, accompagnés d’avions ravitailleurs et d’avions de surveillance radar et de guerre électronique, ont alors mené une opération au-dessus de la région de Benghazi avec deux objectifs : stopper l’avance des forces de Kadhafi et commencer à mettre en place la zone d’exclusion aérienne. À dix-sept heures quarante-cinq, nos avions ont détruit plusieurs véhicules blindés et brisé net la progression d’une colonne vers Benghazi.
Depuis, nous n’avons constaté aucun mouvement des forces blindées libyennes vers Benghazi, ce qui montre que cette opération a atteint son premier objectif, à savoir mettre hors de danger cette région menacée.
Quelques heures plus tard, dans la nuit du 19 au 20 mars, les forces américaines et britanniques sont entrées en action avec des missiles de croisière et des bombardiers : ils ont visé des moyens de défense aérienne, des radars, des missiles antiaériens, des avions, dont la destruction est nécessaire à la mise en place de la zone d’exclusion aérienne.
Les opérations aériennes françaises se sont ensuite poursuivies en coordination avec celles des autres pays de la coalition.
Américains, Belges, Britanniques, Canadiens, Danois et Italiens se sont déjà engagés. Dans les prochaines heures, des pays comme le Qatar et les Pays-Bas vont, eux aussi, contribuer aux opérations.
La France engage quotidiennement plus d’une vingtaine d’avions de combat, dont les missions sont planifiées en concertation avec nos alliés.
Depuis ce matin, le groupe aéronaval est opérationnel au large des côtes libyennes.
Les Rafale, Super Étendard et avions radars de la marine seront désormais engagés au plus près, depuis le porte-avions Charles-de-Gaulle.
La zone d’exclusion aérienne est aujourd’hui en place.
Comme le prévoit la résolution 1973, l’action de nos forces aériennes a bien pour objectif la cessation totale des violences et de toutes attaques et exactions contre la population civile libyenne. J’en veux pour preuve le fait que, dimanche, nos avions de combat, n’ayant détecté aucun moyen libyen s’attaquant aux populations civiles, n’ont pas fait usage de leur armement.
Nous appliquons toute la résolution 1973 et rien que la résolution 1973 !
Je rappelle que les actions visant à la mettre en œuvre sont notifiées au préalable aux secrétaires généraux des Nations unies et de la Ligue des États arabes.
C’est le respect plein et entier de cette résolution par le régime de Kadhafi qui conditionnera la suspension des opérations militaires qui ont été engagées. Tel est le message qui a été adressé par le sommet de Paris au colonel Kadhafi.
En cet instant, au nom du Gouvernement, je veux saluer avec vous le dévouement, le professionnalisme et le courage de nos soldats qui participent aux opérations. Leur mandat est légitime et leur mission est noble.
Mesdames, messieurs les sénateurs, de Tunis au Caire, du Caire à Tripoli, nous pressentons qu’une part de l’avenir du monde méditerranéen est en train de se jouer.
La France aspire à un espace méditerranéen pacifique, solidaire, tourné vers le progrès.
Avec l’Union européenne, nous avons proposé un partenariat pour la démocratie et une prospérité partagée. Ce partenariat marque notre soutien à tous les pays engagés dans les processus de réformes, et il sera accompagné de moyens financiers substantiels, grâce à l’augmentation des capacités d’intervention de la Banque européenne d’investissement.
C’est dans cet esprit que nous appuyons les processus de transition engagés en Égypte et en Tunisie, avec l’objectif d’octroyer à ce pays dès cette année un « statut avancé » dans ses relations avec l’Union européenne.
C’est aussi dans cet esprit que nous avons salué le discours réformateur du roi du Maroc et que nous disons à tous les dirigeants de la région d’écouter les aspirations à la démocratie et à la justice exprimées par leur peuple, d’y répondre de façon pacifique et par le dialogue.
La France souhaite que s’ouvre demain en Méditerranée une nouvelle ère, débarrassée des vieilles scories coloniales et des postures dépassées, une nouvelle ère fondée sur les notions de respect et de dignité, qui verrait la peur et le rejet de l’autre laisser place au partage de valeurs communes.
Cette aspiration concerne aussi le conflit israélo-palestinien, qui ne doit pas être le grand oublié de la transition politique arabe en cours.
En Palestine, en Israël, la colonisation et la violence aveugle continuent d’engendrer des souffrances. Le processus de paix doit être relancé sans tarder.
La France a proposé d’accueillir en juin prochain une nouvelle conférence des donateurs en faveur de la Palestine. Dans le contexte actuel, cette conférence n’a de sens que si elle a une forte dimension politique.
Au moment où le monde arabe s’éveille à la démocratie, 2011 doit être aussi l’année de la création d’un État palestinien vivant en paix et en sécurité à côté d’Israël, dans des frontières sûres et internationalement reconnues.
À l’heure où la France s’engage militairement, à l’heure où nos militaires assument avec courage leur mission, je sais, mesdames, messieurs les sénateurs, que je peux compter sur votre sens de l’unité nationale.
À Benghazi, le drapeau tricolore a été levé, et ce geste nous place devant nos devoirs.
Je sais que les représentants de la nation sont soucieux de défendre une certaine idée de la France et de la liberté.
Aujourd’hui, il n’y a ni droite ni gauche, mais seulement la République ! La République qui s’engage avec cœur, avec courage, mais aussi avec lucidité et gravité. (Vifs applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Bariza Khiari applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, mes chers collègues, le vent de liberté qui souffle sur le monde arabe a balayé deux dictatures méditerranéennes et ébranlé la troisième.
Pourtant, le despote qui, depuis quarante ans, maintient la Libye sous son joug n’a pas hésité à tirer sur son propre peuple, sous les yeux de la communauté internationale.
Nous ne pouvions rester insensibles aux images et aux témoignages qui font état de la sanglante répression dont se sont rendus coupables Kadhafi et sa clique. Pas davantage nous ne pouvions ignorer l’appel à l’aide que nous adressaient les insurgés qui luttaient contre cette répression avec des armes inégales.
Savoir et ne pas agir eût été, pour les démocraties, se rendre coupable de « non-assistance à nation en danger ». Nous avons trop longtemps fermé les yeux sur les incartades, les foucades et même les crimes du guide libyen, pour continuer à accepter qu’il viole ouvertement les droits de l’homme et s’en fasse gloire.
M. Roland Courteau. Ça, on le savait déjà en 2007 !
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Nous nous félicitons que le Président de la République ait, le premier, pris l’initiative d’une action concertée pour mettre un terme à la tragédie libyenne.
Les efforts qu’il a déployés, ainsi que ceux de la diplomatie française, sous votre impulsion, monsieur le ministre d’État, tant auprès de l’Union européenne que de la Ligue arabe et des Nations unies, ont permis de constituer la coalition dont le but immédiat est d’obtenir un cessez-le-feu durable, la fin des exactions perpétuées par Kadhafi et ses partisans et l’établissement en Libye d’une démocratie.
Les premiers coups qui ont été infligés à ses partisans doivent leur faire ressentir qu’ils doivent renoncer à la violence s’ils ne veulent pas subir de très lourdes pertes. Mais, quoi qu’il arrive, Kadhafi et ses complices devront répondre de leurs actes devant leur peuple comme devant la juridiction pénale internationale.
Tant que le dictateur demeurera au pouvoir, le peuple libyen ne jouira d’aucune liberté, d’aucune paix et d’aucune perspective démocratique. La seule issue possible et acceptable est son départ et la fin de son régime. Il s’agit là d’un préalable, car son maintien au pouvoir consacrerait la fin des aspirations des Libyens comme l’impuissance des Nations unies devant la force brutale et l’arbitraire.
Loin d’être, comme il le prétend, un rempart contre l’islamisme, Kadhafi l’exacerbe en faisant des islamistes des martyrs qui s’identifient à la lutte contre l’oppression. Il est en outre paradoxal que celui qui fut en son temps le chef d’un État terroriste se pose en meilleur acteur de la lutte anti-terroriste.
Notre intervention était à tous égards nécessaire, justifiée et légale, mais il est indispensable d’en fixer les limites et d’en évaluer les conséquences.
Nécessaire, l’intervention de la coalition l’était parce que, sans elle, le régime de Tripoli, avec son aviation et ses armes lourdes, aurait rapidement mis fin à la résistance des combattants cyrénaïques. Il avait, au surplus, annoncé une répression sanglante de l’insurrection. C’est le seul domaine dans lequel on pouvait le croire sur parole !
Juste, le soutien que nous apportons au peuple libyen est conforme à nos valeurs comme à nos traditions. Il est fidèle aux dispositions de la Charte des Nations unies, qui proclame les droits des peuples à la liberté, la justice et la tolérance.
Légal enfin, notre concours se fonde sur la résolution 1973 de l’ONU, qui est l’aboutissement des prises de position et de décisions convergentes, que ce soit celles de la Ligue arabe, de l’Union africaine, du secrétariat général de l’Organisation islamique, de l’Union européenne, du G8 et de la résolution 1970 excluant la Libye du Conseil des droits de l’homme.
Le Conseil de la Ligue des États arabes a demandé, le 12 mars dernier, l’imposition d’une zone d’exclusion aérienne et la création de zones protégées pour assurer la protection des populations libyennes. Cette responsabilité de protection consacrée par la résolution explique et légitime l’action de la coalition. Elle est dans la droite ligne du chapitre VII de la Charte des Nations unies, notamment son article 42, qui prévoit le recours à la force pour le rétablissement de la paix.
D’ores et déjà, nous devons constater, pour nous en féliciter, que l’utilisation des frappes aériennes et navales autorisées par la résolution 1973 a prévenu un massacre annoncé, et brisé l’offensive de Kadhafi sur la Cyrénaïque.
Ces résultats satisfaisants ne doivent pas pour autant occulter les limites de l’action entreprise.
La résolution 1973, dans son paragraphe 4, exclut tout « déploiement d’une force d’occupation étrangère sous quelque forme que ce soit et sur n’importe quelle partie du territoire libyen ». Il en découle que la seule disposition protectrice légale est la mise en place de la zone d’exclusion aérienne, ainsi que, le cas échéant, des frappes ciblées.
L’exemple irakien montre que le maintien de la zone de protection aérienne peut être long et coûteux, car il nécessite des moyens aériens importants. Si les États-Unis décident de limiter leur intervention dans le temps, la responsabilité du respect de cette zone incombera alors aux autres membres de la coalition et son efficacité dépendra de leur cohésion.
La navrante faiblesse de l’Union européenne et l’absence de structures militaires solides en son sein expliquent que, tout naturellement, nombre de nos partenaires se tournent vers l’OTAN quand il s’agit de s’engager dans l’opérationnel.
Nous avons récusé le patronage de l’OTAN avec raison, car il aurait été difficilement accepté par les nations arabes, mais nous sommes conscients des difficultés de la mise en œuvre d’un commandement international, particulièrement dans le cas d’un retrait américain, sans un concours logistique de l’OTAN.
Nous nous employons avec ardeur à ne nous dissocier à aucun moment des États de la Ligue arabe et à maintenir un lien permanent avec eux dans la conduite de nos interventions. Pas plus que les États membres de l’Union européenne, les États arabes ne sont unanimes sur la politique à mener vis-à-vis de la Libye. L’Algérie s’est notamment abstenue lors du vote de la résolution aux Nations unies. Pour des raisons compréhensibles, les États africains voisins de la Libye font preuve d’une grande prudence et l’engagement actif des États arabes provient plutôt des États du golfe Persique.
Mais, parce que la Libye est un État arabe, les nations arabes ne sauraient être indifférentes à son avenir et laisser aux seuls États d’Europe ou d’Amérique du Nord le soin de neutraliser le dictateur libyen ou de l’éliminer. Le devoir de protection à l’égard du peuple libyen est aussi le leur.
Enfin, il sera très difficile aux partisans du Conseil national de transition de mettre fin au régime de Kadhafi et ses soutiens sans l’aide de la communauté internationale ou des États voisins, faute de disposer des moyens militaires suffisants.
Le risque est de voir se mettre en place une partition de fait, chaque camp demeurant retranché dans la zone où il est le mieux implanté. Sans même parler des suites d’un chaos en Libye pour la sécurité de nos approvisionnements énergétiques ou de l’accentuation des flux migratoires vers l’Europe, l’affaiblissement durable de l’État libyen serait une menace grave pour la paix dans cette partie de l’Afrique en raison de sa situation stratégique.
Ce pays ne saurait devenir un nouveau havre pour les islamistes – et donner l’occasion à Al-Qaïda au Maghreb islamique d’étendre son empire – ou un nouvel espace pour tous les trafics, celui de la drogue en particulier.
La France, la première, a reconnu le Conseil national de transition.
Comme vous l’avez dit, monsieur le Premier ministre, il appartient au seul peuple libyen de fixer son destin et de se doter des institutions de son choix.
Même si la résolution des Nations unies ne demande pas le départ de Kadhafi, le maintien de son pouvoir oppresseur est incompatible avec les profonds changements qui s’annoncent dans le monde arabe.
Le soutien au Conseil national de transition implique probablement un blocus total, empêchant Kadhafi d’obtenir des ressources extérieures. Mais l’embargo sur les armes et le gel des avoirs du dictateur et de ses affidés sont-ils suffisants ? Ne faudra-t-il pas recourir à des mesures plus contraignantes pour l’empêcher de trouver de nouvelles ressources ?
Quelle coopération peut-on attendre des pays voisins et de la communauté internationale dans ce domaine ? La Russie et la Chine, qui se sont abstenues lors du vote aux Nations unies, sont-elles prêtes à s’associer à un blocus ?
L’Union européenne et l’ONU ont un rôle majeur à jouer pour aider à la reconstruction des institutions et mener des actions de soutien au peuple libyen, et nous nous réjouissons que vous nous ayez annoncé un soutien important de l’Union européenne et de la France dans ce domaine.
La Libye dispose d’atouts importants : 50 % de sa population est âgée de moins de vingt ans, elle est alphabétisée à 90 % et urbanisée à 85 %. Elle peut compter sur une diaspora susceptible de jouer un rôle important dans la modernisation du pays. C’est également un pays riche de ses immenses ressources énergétiques et qui dispose de 120 milliards de dollars de réserves. Tous ces moyens peuvent être mis au service du développement de l’économie et de la démocratie.
La Libye démocratique doit donc pouvoir compter sur notre soutien.
La France, grâce à l’action du Président de la République et du Gouvernement, grâce à votre force de conviction et à votre expérience, monsieur le ministre d’État, mais aussi à notre diplomatie, grâce à l’engagement courageux de nos forces aériennes et navales, aura œuvré avec promptitude, ardeur et efficacité pour venir en aide à un peuple victime de ses dirigeants.
Comment ne pas éprouver un sentiment de fierté quand ceux à qui nous portons secours nous clament leur reconnaissance et rendent un hommage vibrant à notre action ?
Comment rester insensibles à l’espoir que les peuples arabes mettent dans un avenir plus libre et plus démocratique ? Par quelle fatalité seraient-ils condamnés pour la suite des temps à la dictature et à l’oppression ?
Pourquoi ne rêverions-nous pas d’une Méditerranée qui, loin d’être l’enjeu de conflits sanglants entre les États qui la bordent, serait un océan de paix et un espace de liberté rapprochant l’Europe, l’Asie et l’Afrique ?
Vous l’avez dit, monsieur le Premier ministre, en nous engageant comme nous l’avons fait, nous avons pris un risque, celui d’un échec, qui laisserait la Libye demeurer une terre de malheur. Mais il y a quelque chose de pire que de prendre un risque : celui de s’exposer, par manque de courage, par indifférence ou par égoïsme, à laisser massacrer un peuple à nos portes, sans lui venir en aide.
C’est l’honneur de la France d’avoir refusé ce parti ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)