M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est le cas aujourd’hui ! C’est vous qui l’avez voulu…
M. Jean-Pierre Sueur. Certes, monsieur le président de la commission, et cette rédaction est meilleure que celle de l’Assemblée nationale. Il existe des degrés dans le jugement !
Mais qu’est-ce qu’une « question nouvelle » ? Je m’interroge en particulier par rapport aux attributions de la CNDS.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Chaque cas est nouveau !
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le doyen Gélard, votre remarque est importante. Elle figurera au procès-verbal et aidera à interpréter le texte qui résultera de nos travaux. « Chaque cas est nouveau », avez-vous dit. Autrement dit, pour vous, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire, le collège de la CNDS devra être saisi pour consultation de chaque cas.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Absolument !
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur Gélard, je vous remercie de cette avancée. En effet, sans votre intervention en cet instant, lourde de signification, une grande ambiguïté aurait subsisté, car on peut toujours considérer que les cas de déficience en matière de déontologie de la police ou de la gendarmerie ont déjà été traités.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce sont toujours les mêmes !
M. Jean-Pierre Sueur. Mais, vous le savez bien – et nous devons rendre hommage au travail et aux rapports extrêmement éclairants pour nous, parlementaires, de M. Beauvois et de tous les membres de la CNDS –, il est important de regarder à chaque fois les circonstances de l’espèce. Que s’est-il passé à ce moment-là, à cet endroit-là, dans ces circonstances-là ? C’est ce qui amène la CNDS à enquêter, à étudier les témoignages. Autrement dit, il s’agit d’examiner non pas des déficiences ou des manquements en quelque sorte normés, stéréotypés, mais des situations concrètes, toujours nouvelles, comme vient de l’indiquer M. Gélard.
Monsieur le garde des sceaux, nous pensons qu’il aurait été bon qu’il en soit de même pour l’ensemble des collèges.
Qui décidera si la question est « nouvelle » ? Pas le collège, mais le Défenseur des droits, dans sa souveraineté.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Sueur. S’il considère que telle affaire n’est pas nouvelle, aucun recours ne pourra être présenté et aucune discussion ne pourra être engagée. Le collège ne sera pas saisi. Circulez, il n’y a rien à voir ! Telle est l’une des dispositions du texte que vous vous apprêtez à voter, mes chers collègues de la majorité.
Nous pensons, quant à nous, que cette « question nouvelle » sera lourde d’ambiguïtés. Le verbe « consulte » avait à notre avis le mérite de la clarté, de la force et de la sincérité.
Quatrièmement, le Défenseur des droits, s’il ne suit pas l’avis d’un des quatre collèges, n’est pas tenu de motiver sa décision. J’avais cru comprendre le contraire mais, malheureusement, la réalité est ce qu’elle est. Vous qui êtes un grand juriste, monsieur le garde des sceaux, trouvez-vous une telle disposition fondée ? Dans le cas où un collège constitué de spécialistes éminents désignés par les présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale donne, après examen, un avis que le Défenseur des droits ne suit pas, celui-ci devrait pour le moins expliquer, motiver sa décision. Vous, en votre qualité de garde des sceaux, vous voilà contraint de soutenir que l’absence de motivation est une chose magnifique !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, je vous répondrai parce que je préfère vous faire part de mon point de vue plutôt que de vous laisser extrapoler !
M. Jean-Pierre Sueur. Fort bien, monsieur le garde des sceaux, mais vous me permettrez de dire ce que j’en pense…
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Cela fait déjà douze minutes quarante-cinq que vous nous le dites…
M. Jean-Pierre Sueur. Mais mon groupe disposait d’un temps de parole de trente-cinq minutes, que je n’utiliserai pas.
M. Jean-Pierre Sueur. Par conséquent, je vous invite à réfléchir à ce à quoi vous avez échappé. (Rires.)
M. Jean-Pierre Sueur. Si vous cessez les obstructions, monsieur le garde des sceaux (Sourires.), je conclurai en formulant, après avoir exposé ces différents points, une petite remarque, qui ne plaira peut-être pas à tout le monde.
M. Jean-Pierre Sueur. Comme nous, monsieur le garde des sceaux, je pense que vous avez lu la presse, y compris ce matin.
M. Jean-Pierre Sueur. Nous avons pu prendre connaissance d’un certain nombre d’hypothèses. Si le Défenseur des droits était une personne choisie, certes pour ses grandes qualités – je n’en discute pas –, mais aussi pour régler le problème particulier posé dans une assez grande ville de France par le redécoupage des circonscriptions qui aurait pour effet de supprimer une circonscription ou de faire figurer dans la même circonscription deux personnes du même parti, ce serait assez pitoyable.
M. Jean-Pierre Michel. Minable !
M. Jean-Pierre Sueur. Ce serait en tout cas – je laisse à M. Michel le choix du qualificatif qui lui convient le mieux – tout à fait incompréhensible !
Nous sommes en désaccord – c’est clair ! – avec votre conception du Défenseur des droits. Mais si, en plus, cette nouvelle institution était utilisée non pour mettre en place une personnalité qui aurait toute l’autorité, la compétence et l’indépendance nécessaires, mais pour régler un problème lié au redécoupage des circonscriptions, cela susciterait de vives critiques dans notre pays.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et sûrement au-delà !
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le garde des sceaux, vous l’aurez compris, les membres du groupe socialiste voteront contre le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, avant de choisir l’oiseau rare, qui aura certainement un certain nombre d’heures de vol (Sourires.), tout en évitant, je n’en doute pas, les rapaces et les autruches (Nouveaux sourires.), et avant de lui faire prendre son envol, il fallait évidemment construire son nid, et ce tout simplement pour appliquer la Constitution, que l’on ait adopté ou non la modification de cette dernière.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !
M. Jacques Mézard. Regrouper les autorités administratives indépendantes, faire cesser leur multiplication, voilà qui nous paraît positif, car, de leur nombre trop important résulte leur dilution. Nous sommes favorables à ce que ces autorités aient plus de pouvoirs, plus d’indépendance pour faire respecter les droits, un point c’est tout.
La nouvelle autorité publique indépendante dont nous parlons ce matin ne doit se substituer ni à la justice ni au pouvoir exécutif.
Sa création aurait pu constituer une avancée.
Pour le comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, dit « comité Balladur », le Défenseur des droits avait vocation à être « substitué à l’ensemble des autorités administratives indépendantes qui œuvrent dans le champ de la protection des libertés et recevant autorité sur ceux de leurs services qui seraient appelés à substituer. »
Mais les débats sur l’application du nouvel article 71-1 de la Constitution auguraient assez mal de la naissance de cette autorité, puisque le garde des sceaux de l’époque, Mme Dati, avait soigneusement entretenu le flou sur les contours exacts des missions du Défenseur des droits.
Je tiens cependant à le réaffirmer, le Sénat, en particulier son rapporteur le doyen Gélard, a beaucoup et bien travaillé.
C’est justement l’imprécision susvisée que nous avions dénoncée tout au long de la navette ; le périmètre du Défenseur des droits n’a en effet cessé d’enfler, de rétrécir au gré des lectures. Ce manque de clarté a surtout mis en lumière le fait que le Gouvernement, qui souhaitait, si j’ai bien compris, faire du Défenseur un médiateur de la République aux pouvoirs élargis, avait décidément bien du mal à définir ce qu’il en attendait.
Pour autant, le paysage institutionnel de notre pays est aujourd’hui marqué par la multiplication des autorités administratives dites « indépendantes », dont le champ d’action est souvent démultiplié de manière illisible pour nombre de nos concitoyens perdus dans les subtilités des arcanes de l’administration.
En application de l’article 71-1 de la Constitution, le Défenseur des droits est chargé d’exercer une compétence générale en matière de protection des droits et libertés. Cet objectif sera-t-il atteint avec ces textes ? Je n’en suis pas convaincu.
Pour notre part, nous nous sommes prononcés dès la première lecture de ces textes – je réaffirme cette position aujourd'hui – en faveur du regroupement de certaines de ces autorités administratives, lorsque leur domaine de compétence présente une cohérence en matière de protection des droits fondamentaux.
C’est dans cet esprit que nous avions accepté, dès la première lecture, que les compétences de la HALDE et du Défenseur des enfants soient fondues dans celles du Défenseur des droits, au nom d’une nécessaire rationalisation des périmètres d’intervention. D’autres autorités auraient sans doute pu être intégrées elles aussi, selon nous, mais ce dispositif, en l’état, nous paraissait justifié.
L’Assemblée nationale a suivi le vote du Sénat sur un certain nombre de points, comme le champ de la compétence de règlement des différends pouvant surgir entre personnes morales, ou encore la suppression de la possibilité qui était offerte au Défenseur d’introduire une procédure d’action collective devant la juridiction administrative. Sur ce dernier point, il nous paraissait plus sage et plus raisonnable de poursuivre encore longuement la réflexion. (M. le président de la commission des lois acquiesce.)
Nous nous réjouissons en particulier que l’Assemblée nationale ait finalement entendu la voix du Sénat, en renonçant à supprimer le Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Nous avions défendu l’idée de la nature tout à fait spécifique de la mission du Contrôleur, lequel est amené à intervenir directement, de son propre fait et de façon inopinée, pour contrôler le respect de droits fondamentaux en tous lieux de privation de liberté. Cette mission est essentielle pour les libertés dans notre pays. Il est donc heureux que le Contrôleur puisse continuer à travailler indépendamment, avec les remarquables compétences que tout le monde lui reconnaît aujourd'hui.
Bien moins heureux, selon nous, est le vote conforme de l’Assemblée nationale et du Sénat relatif à la suppression de la CNDS intégrée au Défenseur des droits. Nos collègues députés ont considéré, de façon très contestable nous semble-t-il, que les compétences de la CNDS pouvaient être intégrées à celles du Défenseur des droits, en procédant avec la même logique que pour le Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Nous ne comprenons toujours pas pour quelles raisons on a refusé la disparition du Contrôleur pour accepter celle de la CNDS, alors même que ces autorités exercent des missions assez proches tant dans leurs modalités que dans leurs finalités. On peut donc s’inquiéter de l’effectivité du contrôle des forces de l’ordre – ce contrôle est en effet justifié dans certains cas –, surtout compte tenu du climat politique particulier que nous connaissons actuellement.
De façon générale, la commission mixte paritaire n’a pas levé certains des doutes que nous avions déjà exprimés sur l’ensemble de ces deux textes. Le Défenseur des droits constitue peut-être une ambition pour la République. Nous verrons ce qu’il en sera en fonction des choix qui seront opérés et du fonctionnement de cette institution, mais nous ne pouvons que déplorer de voir cette ambition altérée par de nombreuses zones d’ombre, dont certaines demeurent.
En effet, le Défenseur des droits concentrera bel et bien des missions qui relèvent de deux logiques différentes, à savoir le contrôle et la médiation, au détriment sans doute de l’impératif d’effectivité des droits, comme le relevait la Commission nationale consultative des droits de l’homme.
L’étude d’impact le reconnaissait d’ailleurs : le regroupement de l’ensemble des autorités chargées de la protection des droits et libertés « conduirait à conjuguer les missions actuelles de médiation avec des missions de contrôle, de décision ou de sanction, qui sont différentes, [...] et pourrait s’avérer contre-productif ». Sur ce point, nous ne sommes toujours pas convaincus, car l’une des missions sera vraisemblablement privilégiée.
Toutefois, l’interrogation la plus fondamentale, inhérente à l’essence du Défenseur des droits, concerne naturellement le mode de désignation tant de celui-ci que de ses adjoints. Pour nous, l’indépendance constitue un élément fondamental de l’efficacité et de la crédibilité de l’action du Défenseur des droits. Le choix qui sera fait de cet oiseau rare sera donc essentiel à la fois pour mettre en place cette institution et pour installer son image dans l’opinion.
Il est vrai que le mode de nomination du Médiateur de la République n’a jamais empêché les différents titulaires de la fonction d’exercer leurs attributions en toute indépendance,…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !
M. Jacques Mézard. … il faut le reconnaître.
Pour autant, il eût été à l’honneur du Parlement de renforcer encore les garanties d’indépendance. Nous avons ainsi déploré que le projet de loi organique appliquant l’article 13 de la Constitution prévoie la nomination du Défenseur des droits par décret en conseil des ministres, sous réserve de la majorité négative des trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des commissions permanentes compétentes de chaque assemblée. Il en va de même pour la nomination des adjoints, qui seront désignés par le Premier ministre sans que le Parlement ait la possibilité de donner son avis.
Sur la question des trois collèges chargés d’assister le Défenseur, nous sommes satisfaits que la commission mixte paritaire ait finalement retenu les articles 11, 12 et 12 bis dans la rédaction votée par le Sénat. En effet, il nous paraît plus conforme à l’esprit non partisan de cette institution que les membres du collège comprennent, outre des personnalités qualifiées nommées par le président de chaque assemblée, des membres issus de la Cour de cassation et du Conseil d’État.
Dans la même logique, nous nous réjouissons également que la consultation de chacun de ces collèges ait été rendue obligatoire, comme le souhaitait le Sénat. En effet, si cette dernière n’avait été que facultative, on aurait pu s’interroger sur l’utilité même de ces collèges.
S’agissant des autres points de désaccord entre nos deux assemblées, les divergences étaient finalement assez mineures au regard de l’accord trouvé sur le périmètre du Défenseur, sous réserve des critiques que nous avons formulées et que j’ai rappelées. Nous voulons pour notre part qu’il soit fait obligation au Défenseur des droits de motiver ses décisions de ne pas donner suite à une saisine.
C’est également à ce titre que nous pouvons souscrire à l’obligation qui est instaurée d’établir un rapport spécial, qui sera publié, en cas d’injonction non suivie d’effet.
Même si nous partageons les objectifs de la CNIL, nous remarquons tout de même que les articles 1er bis à 1er octies du projet de loi ordinaire présentent un lien plus que ténu avec le reste du texte, malgré les explications de M. le garde des sceaux. Il est des cavaliers, voire des escadrons, qui ont le droit de se lancer dans le champ de courses législatif, et d’autres non. (Sourires.) Je fais là un simple constat.
Les dispositions relatives à l’entrée en vigueur des deux textes ont également donné lieu à des divergences entre nos deux chambres. Toutefois, il faut remarquer que nous nous serions facilement passés de ce débat si le Gouvernement n’avait pas accumulé les retards dans le dépôt et la discussion de ces deux projets de loi.
M. Jacques Mézard. Il est vrai aussi que notre ordre du jour est monopolisé par des textes considérés comme plus importants que la préservation des droits fondamentaux de nos concitoyens. Là encore, c’est une simple constatation.
Le Défenseur des droits verra donc le jour plus de deux ans et demi après la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Pour le Gouvernement, apparemment, il y a des textes très urgents et d’autres qui peuvent attendre ; nous en comprenons les raisons, même si nous les contestons fortement.
Au final, et malgré le travail de la CMP, nous continuons à considérer que ces deux textes pèchent par un problème de principe, qui découle de l’application de l’article 13 de la Constitution. Nous regrettons, je le répète, que la CNDS n’ait pu être sauvée, même si nous saluons le maintien du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Au terme de ce bilan, et parce que ces textes ne contiennent pas que des avancées, notre groupe, très majoritairement, s’abstiendra.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le garde des sceaux, puisque vous m’avez interpellée, permettez-moi de vous indiquer que je n’ai aucunement honte de ne pas partager l’autosatisfaction dont vous faites preuve s'agissant des droits et libertés, et cela pour deux raisons très simples au moins.
Premièrement, les textes que vous avez cités – la loi pénitentiaire ou le projet de loi relatif à la garde à vue – ont été décidés par le Gouvernement sous la contrainte,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. … parce que la France avait été condamnée à de multiples reprises à l'échelon européen, précisément pour des manquements en matière de détention, qu’il s'agisse de la prison ou de la garde à vue.
Contraint et forcé, vous avez donc mené des réformes a minima.
Par ailleurs, la question prioritaire de constitutionnalité est à double tranchant – je l’ai déjà souligné, mais le contexte actuel me permet de le répéter. En effet, compte tenu de la composition du Conseil constitutionnel, nous sommes totalement opposés à ce que celui-ci devienne une cour suprême.
Deuxièmement, le gouvernement actuel, comme les gouvernements qui l’ont précédé, a mené des politiques qui ont eu pour conséquence une réduction considérable des droits et libertés. De manière incessante, nous sommes amenés à examiner – et vous, chers collègues de la majorité, à voter – des textes qui constituent de véritables régressions pour les droits fondamentaux. C’est le cas, pour ne citer que les plus récents, de la LOPPSI 2 et de la loi dite « Besson » – je n’évoquerai même pas le sort réservé aux droits économiques et sociaux qui, comme vous le savez, monsieur le garde des sceaux, font pourtant partie intégrante des droits fondamentaux depuis que la constitution de 1946 les a proclamés dans son préambule !
En revanche, je crois pour ma part participer à la défense de la liberté de nombreuses personnes, et je continuerai à œuvrer en ce sens.
En matière d’affichage, évidemment, le pouvoir n’est pas avare. En 2008, était annoncée la création d’un « grand Défenseur », doté d’une forte autorité morale et haut placé dans la hiérarchie des normes.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L’annonce était fantastique ! Inscrire l’existence de cette institution dans la Constitution était sans doute une condition nécessaire, mais, à l’évidence, celle-ci était loin d’être suffisante.
Dès le début, nous avons souligné un certain nombre de problèmes, liés notamment à la nomination, au périmètre des fonctions et aux modes d’intervention, qui restent flous, du futur Défenseur. Il a fallu d'ailleurs un certain temps pour en décider.
Ensuite, comme le soulignait à l’instant M. Mézard, dont je partage ici le point de vue, il régnait une confusion entre le contrôle et la médiation, et, à l’évidence, c’est surtout de cette dernière qu’il était question.
La nomination du Défenseur par le Président de la République, je le répète, sonnait comme une reprise en mains des autorités administratives indépendantes qui, de fait, devaient être supprimées, même si vos prédécesseurs ont pendant un certain temps laissé planer des doutes à ce sujet.
Depuis lors, nos inquiétudes et notre opposition n’ont pas diminué. Au contraire, elles n’ont fait que croître.
À l’évidence, l’ensemble du processus législatif avait un seul fil conducteur : faire du Défenseur des droits une autorité unique, dotée de pouvoirs discrétionnaires et habilitée directement par le Président de la République.
Chers collègues de la majorité, vous avez décidé la suppression du Défenseur des enfants. C’est une première en Europe, où, à l’inverse, des défenseurs des enfants sont de plus en plus souvent établis – j’insiste sur ce terme, car les modes de nomination sont divers – alors même qu’il existe déjà d’autres institutions protégeant les droits. En effet, la spécificité des enfants est de plus en plus reconnue.
De même, vous avez décidé la suppression de la CNDS, ce que son président, M. Beauvois, qui n’est pourtant pas suspect d’extrémisme, a dénoncé comme une « régression ». Il a raison bien sûr, puisque l’on va s’efforcer de mettre des freins à l’action de la CNDS.
Or vous n’avez pas même requis l’avis des responsables de ces autorités, ni celui de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, qui était pourtant directement concernée. A fortiori, vous ne les avez pas entendus. Et comme si cela ne suffisait pas, sans prendre le temps du débat, notre rapporteur a fait voter la disparition de la HALDE, avec l’approbation du Gouvernement.
Cette décision a suscité l’opposition de collectifs antiracistes, de syndicats, d’associations de handicapés. Monsieur le garde des sceaux, vous venez comme moi de recevoir un courrier de la présidente du comité consultatif de la HALDE, Mme Marie-Thérèse Lanquetin. Elle souligne, et je partage ce point de vue, que le projet de loi, en l’état, « ne peut que jeter la suspicion sur ce qui est présenté comme une avancée dans la lutte contre les discriminations ».
Voilà deux jours, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes du 8 mars, la HALDE, qui, jusqu’à présent, existe encore, formulait des recommandations pour lutter contre les discriminations envers les femmes. Avec sa suppression, ces préconisations auront-elles un avenir ? On peut en douter ! En effet, ceux qui se préoccupent des libertés se battent depuis longtemps contre les discriminations à l’égard des femmes, et, à l’évidence, ce phénomène semble difficile à endiguer.
En revanche, la suppression de la HALDE a trouvé un « supporter » en la personne de M. Éric Zemmour, condamné pour provocation à la haine raciale et pourtant reçu avec bienveillance à l’Assemblée nationale par les députés de l’UMP. Il vous a même donné un conseil : « Vous avez supprimé la HALDE. Continuez, et supprimez l’action pénale pour les associations antiracistes, et même leurs subventions ! »
M. Jean-Pierre Michel. Scandaleux !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous avez donc des soutiens, mais vous allez les chercher dans des cercles quelque peu suspects ! Jusqu’où irez-vous dans cette voie, sachant qu’une députée de la majorité, rapporteure générale de l’Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes, Mme Chantal Brunel, reprend la proposition de Mme Le Pen de renvoyer sur leurs bateaux les immigrés venant de la rive sud de la Méditerranée ! (M. Jean-Pierre Michel s’exclame.)
Les députés de la majorité ont voulu ajouter aux missions du Défenseur des droits celles du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Leur tentative a fort heureusement avorté, avec l’aide, que nous saluons, de M. le rapporteur.
La mission du Contrôleur général des lieux de privation de liberté demeurera de la plus grande importance au vu de la proposition phare émise par le député Éric Ciotti, secrétaire national de l’UMP chargé de la sécurité, lors d’une convention qui se tenait ce mardi 8 mars, et visant la construction de 20 000 places supplémentaires de prison à l’horizon 2017, au lieu des 14 000 prévues ! Continuons à ouvrir des prisons ! Cela donnera du travail au Contrôleur général des lieux de privation de liberté, d’autant que la loi pénitentiaire est loin d’être appliquée !
Les autorités administratives indépendantes qui vont disparaître ont su faire preuve d’efficacité, mais aussi, comme l’a montré leur action sur le terrain, d’indépendance, bien qu’elles aient été nommées par l’exécutif, ce que nous avions critiqué à l’époque de leur création. Il n’en ira pas de même avec le Défenseur des droits !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ah bon ? Pourquoi ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Apparemment, certaines prises de position de ces autorités dérangent. Ainsi, la Défenseure des enfants a émis des critiques sur les conséquences de vos politiques sociale et d’immigration sur les enfants, la Commission nationale de déontologie de la sécurité a souvent mis au jour le comportement de certains policiers,…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Par définition ! C’était son rôle !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. … la HALDE a dénoncé l’existence de discriminations dans de grandes entreprises : discriminations à l’embauche chez Airbus en raison de l’origine, discrimination salariale à la BNP Paribas, liée au genre, à l’état de grossesse ou à la situation familiale. Voilà qui ne plaît pas aux amis du Président !
Vous avez décidé la fusion de ces autorités sans égard, ou presque, pour les spécificités de chacune d’entre elles, qu’il s’agisse de leur mode de saisine ou d’intervention ou de leur composition. Nous avons pu croire un instant que la Défenseure des enfants était sauvée ; c’était sans compter avec les fréquentes volte-face de la majorité devant les exigences du Gouvernement.
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, vous n’avez eu de cesse d’invoquer l’article 71-1 de la Constitution pour faire pièce aux amendements de l’opposition. Vous nous avez dit, en quelque sorte, que la loi organique ne pouvait pas grand-chose, puisque la Constitution elle-même n’offrait guère de marge de manœuvre. C’est pourtant bien la Constitution qui renvoie à la loi organique la définition des modalités de mise en œuvre du Défenseur des droits !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. La loi organique est faite pour cela ! Il s’agit de définir les modalités !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il existait donc bien une marge de manœuvre, et vous le savez parfaitement. Disons-le clairement : l’article 71-1 de la Constitution avait vocation à concentrer pouvoirs et missions sur le seul Défenseur des droits, nommé par le seul Président de la République. Et vous entendiez bien en rester là !
Lors de la révision constitutionnelle, ce qui nous a été dit, et surtout ce qui n’a pas été dit, nous faisait craindre un recul en matière de protection des droits et des libertés. Ce recul se profile désormais de manière évidente.
Dans la nomination du Défenseur des droits, le Parlement n’aura que le rôle que lui confère l’article 13 de la Constitution : celui de « figurant », si vous me permettez ce mot. Avant même d’avoir été désigné, le Défenseur des droits a déjà perdu une partie de sa légitimité, de cette « autorité morale » que vantait en 2008 Mme Dati, alors garde des sceaux. Sa nomination suscite en effet de nombreux doutes et oppositions.
Vous avez rappelé à plusieurs reprises, monsieur le rapporteur, que toutes les autorités auxquelles va se substituer « cette grosse machine » – j’emploie ces termes à dessein, ce sont les vôtres – étaient déjà nommées par l’exécutif seul.
Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, nous sommes, pour notre part, favorables à leur nomination par le Parlement. Je le réaffirme au nom d’un groupe opposé depuis fort longtemps au présidentialisme,…