Mme la présidente. La parole est à M. Rachel Mazuir.
M. Rachel Mazuir. Monsieur le ministre, je tiens tout d’abord, joignant ma voix à celle des précédents intervenants, à vous féliciter pour votre nomination. (M. le ministre adresse un signe de remerciement à l’orateur.)
Nous nous réjouissons de l’inscription de ce texte à l’ordre du jour du Sénat, tout en espérant qu’il restera d’application hypothétique, c’est-à-dire que nous n’aurons jamais à connaître de faits criminels gravissimes, commandités ou encouragés par des groupuscules, impliquant l’usage d’armes de destruction massive.
Je me félicite que ce texte ait été adopté à l’unanimité par les députés, puis par la commission des affaires étrangères du Sénat, qui n’y a apporté aucune modification.
L’issue de son examen dans notre assemblée devrait être tout aussi favorable et je souhaite vivement que cette initiative soit suivie par tous les autres pays signataires de la résolution 1540 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui est à l’origine de cette réglementation.
Certes, je ne saurais mettre en cause le bien-fondé de cette démarche internationale, mais je doute de son efficacité. Vous me permettrez donc de vous exprimer mes doutes et de vous soumettre mes observations.
Je commencerai par rappeler que ce projet de loi vise à transposer en droit national les décisions contenues dans la résolution 1540 du Conseil de sécurité de l’ONU, adoptée à l’unanimité le 28 avril 2004, lesquelles ont pour objet d’interdire aux États d’aider les acteurs non étatiques à se procurer les moyens et les techniques permettant de se doter d’armes nucléaires, biologiques et chimiques. Juridiquement contraignante, cette résolution impose aux États membres qui souhaitent s’y conformer d’adapter leur législation interne. C’est ce à quoi, monsieur le ministre, vous nous invitez aujourd'hui.
Je souhaite toutefois élargir cette rétrospective en exposant d’autres facteurs qui ont encouragé les États à légiférer contre ce fléau.
Il faut remonter au 10 décembre 2002, qui vit l’arraisonnement par la marine espagnole, sur ordre des forces américaines, du navire nord-coréen So San qui se trouvait dans les eaux internationales en route pour le Yémen. L’absence de textes juridiques appropriés n’avait pas permis la saisie de pièces de missiles balistiques dont la provenance, quasi certaine, de Corée du Nord n’avait pu être prouvée.
À la suite de cette constatation de l’impuissance des grandes forces de ce monde à lutter contre la prolifération de telles armes, c’est le président américain George W. Bush qui, le 31 mai 2003, a lancé un grand programme de coopération internationale, l’Initiative de sécurité contre la prolifération, ou PSI, dans le but d’enrayer le trafic d’armes de destruction massive.
Dès septembre 2003, onze pays, dont la France, ont adopté et publié cette déclaration. Toutefois, la PSI n’est ni une institution ni une organisation : la participation et la coopération se font sur la base du volontariat. Je rappelle au passage que la Russie et la Chine n’étaient pas signataires.
Parallèlement, la France et d’autres États de l’Union s’étaient déjà réunis pour examiner ce thème lors du Conseil européen de Thessalonique de juin 2003. À cette occasion, ils avaient adopté une déclaration sur la non-prolifération dans laquelle ils s’étaient engagés à poursuivre l’élaboration d’une stratégie communautaire cohérente, visant à faire face à la menace des armes de destruction massive. Cette stratégie européenne a été récemment complétée, en décembre 2008, lors de la présidence française, par un plan d’action contre la prolifération des armes nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques, dites NRBC, qui couvre ainsi tous les volets de la lutte contre la prolifération.
Monsieur le ministre, il serait intéressant que nous soit présenté un bilan de ce plan d’action européen.
C’est pour compléter ce dispositif que la résolution 1540 a été prise, également sur l’initiative du président américain, lors d’une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU, le 28 avril 2004, soit quelques mois après la mise en place de la PSI.
Quelles sont les limites de cette résolution ? Tout d’abord, certains se sont interrogés sur l’utilité de son adoption, alors même que la PSI venait d’être engagée par la plupart des grands pays de ce monde ; d’autant qu’aujourd’hui les résultats obtenus peuvent paraître modestes.
Le deuxième rapport du « comité 1540 » souligne en effet que tous les pays ne traitent pas cette question de la même manière, alors qu’était préconisée une réaction unanime et similaire de l’ensemble des États adhérents. J’espère d’ailleurs que le mandat du « comité 1540 », placé auprès du Conseil de sécurité et chargé de suivre la mise en œuvre de la résolution, sera encore renouvelé à son expiration, en avril 2011. Il est en effet indispensable de maintenir ce dispositif et de veiller à la bonne application des dispositions prévues par les États membres.
En comparaison, ce sont plus de quatre-vingt-dix pays qui, à ce jour, ont souscrit aux principes de la PSI. Doit-on justifier cet engouement par le caractère non contraignant de cette initiative, qui peut apparaître comme le signe d’un engagement politique quelque peu informel ?
Ainsi, contrairement à la résolution 1172 dans laquelle il était demandé au Pakistan et à l’Inde d’adhérer au traité de non-prolifération nucléaire, dans la résolution 1540, on s’est abstenu d’exiger une telle adhésion.
Par ailleurs, cette résolution ne vise la prolifération nucléaire que par la mention des acteurs non étatiques, lesquels ne sont en outre qu’imparfaitement définis : « personnes ou entités qui, n’agissant pas sous l’autorité légale d’un État, mènent des activités tombant sous le coup de la présente résolution ». J’espère que cette définition, bien qu’assez vague, sera malgré tout utile.
Les États ne sont donc pas concernés même si leur responsabilité, ou à tout le moins leur négligence, est susceptible d’être invoquée. Je pense, comme nombre d’entre vous sans doute, à la Corée du Nord ou à l’Iran.
M. Roland Courteau. En effet !
M. Rachel Mazuir. Cette résolution vise donc principalement les groupes terroristes, une notion qui n’est pourtant pas définie par le droit international… et pour cause.
De plus, elle ne résout en rien la question de l’inspection des navires en haute mer, alors même que l’affaire du So San pointait ce manquement juridique. Le droit de la mer interdit à tout État de contrôler, sans traité bilatéral, les navires battant pavillon d’un autre État en haute mer. Aussi aurait-il fallu insérer une clause spéciale autorisant ces interventions.
Au travers des dispositions de ce projet de loi, la France a choisi de renforcer sa législation en adoptant une procédure pénale proche de celle qui est prévue en matière de terrorisme, en prévoyant de lourdes peines et en renforçant les moyens d’investigation des forces de l’ordre et des magistrats. Comme il est impossible de se protéger efficacement contre toutes ces armes si elles sont utilisées, il est primordial d’agir en amont et de veiller à leur non-prolifération.
Toutefois, je m’interroge sur les raisons du dépôt tardif de ce texte : sept ans après l’adoption de la résolution 1540, Jean-Pierre Chevènement l’a rappelé.
Je n’ose penser que l’urgence à vouloir transposer soudainement cette réglementation dans notre droit interne s’explique par la menace sous-jacente d’organisations illicites trafiquantes.
M. Roland Courteau. Espérons-le !
M. Rachel Mazuir. J’espère en effet que vous nous rassurerez sur ce sujet, monsieur le ministre.
Certains jugeront mon analyse pessimiste, mais il m’est apparu utile de soulever ces questions, légitimes au regard de l’importance du thème aujourd’hui traité. Ce projet de loi est encourageant et a le mérite de dresser une ligne directrice qui peut être suivie et reprise par des pays tiers. Il renforce nos propres moyens d’action par le développement de mesures pénales appropriées.
Serons-nous pour autant entendus ? Quelle serait notre légitimité si, comme la plupart des grandes puissances nucléaires, nous proclamions « rechercher la paix et la sécurité dans un monde sans armes nucléaires », mais que nous soutenions parallèlement la position qu’a défendue le président américain dans un discours prononcé à Prague en avril 2009 « Ne vous méprenez pas : tant que ces armes existeront, nous conserverons un arsenal sûr et efficace pour dissuader tout adversaire » ?
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
M. Rachel Mazuir. Tous les pays pourraient tenir le même raisonnement. Nous entrerions alors dans un cercle vicieux, où la loi du plus fort s’applique et où la force dissuasive reste une arme de guerre menaçante redoutable.
M. Jean-Louis Carrère. Eh oui !
M. Rachel Mazuir. Mes chers collègues, le chemin à parcourir est encore long, mais en votant ce texte, nous faisons aujourd’hui un pas important. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Pintat.
M. Xavier Pintat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai cet après-midi un double motif de satisfaction.
En premier lieu, je me réjouis, monsieur le ministre, de votre nomination à la tête de ce grand ministère qu’est le ministère de la défense. Je connais votre respect pour les hommes et les femmes qui en relèvent, ainsi que votre profond attachement aux valeurs qu’incarne cette grande institution de la République. Je vous adresse donc tous mes vœux amicaux de réussite. (M. le ministre fait un signe de remerciement.)
En second lieu, je me félicite de l’inscription rapide de ce projet de loi à l’ordre du jour du Sénat, à peine plus de trois mois après son adoption par l’Assemblée nationale, le 25 novembre dernier. Je tiens, en cet instant, à rendre hommage à notre rapporteur, André Dulait, qui, de la lutte contre la piraterie à la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, n’a de cesse d’œuvrer pour la sécurité mondiale.
Déjà, en 2004, la commission des affaires étrangères du Sénat s’était saisie d’une partie de ce sujet, et je parle sous le contrôle de son président, M. Josselin de Rohan. Un rapport d’information sur la prolifération nucléaire et les réponses aux crises en la matière avait été publié. Cela témoigne de la persévérance de notre commission dans ce domaine et de la qualité de son travail.
Le projet de loi relatif à la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive répond à des impératifs internationaux et nationaux.
Voilà peu encore, l’interdiction des armes de destruction massive était appréhendée de façon « catégorielle ». Le droit international a successivement érigé des conventions à vocation différente.
Il y a d’abord les conventions d’interdiction, applicables pour les armes biologiques et chimiques. Telle est la nature de la convention d’avril 1972, sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes bactériologiques ou à toxines et sur leur destruction, ou encore de celle de 1993, sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’emploi des armes chimiques et sur leur destruction.
Il y a aussi des conventions de contrôle, pour les interdictions ou protections dans les domaines du nucléaire et des matériels à double usage. Je citerai à cet égard la convention de l’AIEA de 1979 sur la protection physique des matières nucléaires.
Avant l’effondrement du bloc soviétique, la menace que représentaient les armes de destruction massive était étatique et, par conséquent, clairement identifiable. De nombreuses doctrines qui ont vu le jour à cette époque occupent aujourd’hui encore beaucoup de chercheurs en géopolitique.
Après 1991, à la menace des armes de destruction massives s’est ajoutée celle de leur prolifération sauvage, en dehors de tout cadre juridique international.
Au cours des trente dernières années, en particulier des dix qui viennent de s’écouler, ont émergé non seulement de nouveaux États, mais surtout des réseaux privés clandestins internationaux, à un moment où le terrorisme a valeur de doctrine stratégique pour des organisations non étatiques.
En 2004, tant pour le groupe des cinq pays détenteurs de l’arme nucléaire que pour tous les États ayant ratifié les conventions évoquées tout à l’heure ou étant parties au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, le TNP, le choc est venu du Pakistan. Les confessions du père de la bombe nucléaire pakistanaise, ainsi que les révélations de la Libye sur ce réseau organisé, ont démontré l’ampleur des ramifications et de la complexité du phénomène.
Ces nouveaux canaux de prolifération demeurent l’une des plus grandes menaces pour la sécurité internationale.
Face à leur étendue et à leur très difficile identification, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté la résolution 1540 et mis en place un comité accompagné d’un groupe d’experts chargé de veiller à son application.
Je voudrais d’ailleurs attirer votre attention sur la prorogation du mandat de ce comité au-delà du 25 avril 2011. Au vu de la multiplication des menaces pour la sécurité internationale, il est plus que souhaitable que notre diplomatie s’emploie avec ses partenaires du Conseil de sécurité à définir les contours d’une nouvelle résolution qui prorogera le mandat du « comité 1540 ».
Par ailleurs, il me semble important de rappeler que la résolution 1540 est garante d’une approche globale de la lutte contre la prolifération d’armes de destruction massive.
En premier lieu, cette résolution vise à renforcer les contrôles étatiques sur la fabrication, les transferts de biens et de technologies considérés comme sensibles du point de vue de la prolifération.
En second lieu, elle enjoint aux États d’adapter leurs dispositifs législatifs et juridiques nationaux et de mettre en place des systèmes de contrôle.
C’est dans cette logique que s’inscrit le texte que nous examinons cet après-midi. En adoptant celui-ci, la France, membre permanent du Conseil de sécurité et État nucléaire, y souscrit « activement ».
Pour notre pays, ce texte doit être envisagé comme une occasion, d’une part, d’adresser un message fort quant au respect et à l’application de ses engagements internationaux et, d’autre part, d’ouvrir la voie vers l’établissement de standards législatifs en matière de lutte contre la prolifération des armes de destruction massive.
En cela, fût-ce de façon indirecte, la France répond aux obligations de la résolution 1540 relatives à l’aide et l’assistance aux autres pays n’ayant pas les capacités d’adaptation de leurs dispositifs législatifs nationaux.
Mes chers collègues, en plus de nous permettre d’honorer nos obligations internationales, ce projet de loi est un formidable moyen de combler pallié les lacunes de notre législation relative à la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive.
En effet, l’arsenal législatif et juridique actuel est trop morcelé ; notre approche législative et répressive du sujet est « trop catégorielle » : elle répond au classement d’armes et des traités internationaux les régissant. Le droit actuel résulte de l’empilement et de ratifications successives par notre pays de différentes conventions.
D’ailleurs, cette faille n’a pas manqué d’être évoquée lors de l’élaboration du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, en 2008.
L’heure est donc venue de procéder à une harmonisation de la lutte contre la prolifération d’armes de destruction massive et de leurs vecteurs, et ce dans les trois domaines.
Ce projet de loi contient une disposition primordiale : il introduit pour la première fois dans notre législation la notion de vecteurs, alors qu’auparavant ils n’étaient pas distincts des autres matériels de guerre ; cela m’apparaît comme une nécessité absolue.
Je ne reviendrai pas sur le détail des dispositions liées aux règles de procédure pénale spécifiques que le texte instaure. Toutefois, on ne peut que se féliciter que le projet aggrave les sanctions prévues en cas d’exportation sans déclaration de biens à double usage. Ainsi, il permettra de qualifier les infractions les plus graves liées à la prolifération d’actes terroristes.
À mon sens, ce sont là des avancées majeures, qui prennent en compte les réalités stratégiques auxquelles doit faire face la France. Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera ce texte.
Pour conclure, je tiens à rappeler que ce projet de loi permet également à notre pays de jouer un rôle de leader au sein de l’Union européenne, qui, dans ce domaine, ne mène pas de politique « concertée ». L’harmonisation des instruments juridiques français doit inciter à la mise en place de meilleurs standards pratiques européens en matière de contrôle et de lutte contre la prolifération d’armes de destruction massive. Cela est capital, car le sol européen concentre les technologies les plus avancées et les équipements les plus sensibles, qui peuvent donner lieu à prolifération.
Aussi, je formulerai le vœu que l’Union européenne adopte rapidement une politique plus coordonnée contre la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Jean-Jacques Pignard applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Berthou.
M. Jacques Berthou. Monsieur le ministre, je m’associe à toutes les félicitations qui vous ont été adressées.
Comme dit le proverbe, « mieux vaut tard que jamais » : il n’aura échappé à aucun observateur que plusieurs années se sont écoulées depuis l’adoption de la résolution 1540 du Conseil de sécurité des Nations unies en 2004.
MM. Roland Courteau et André Trillard. Très bien !
M. Jacques Berthou. Le texte que nous examinons aujourd’hui transpose dans notre droit interne les décisions contenues dans cette résolution. Il a été déposé en 2009, soit cinq ans après la rédaction de cette résolution, alors même que la France fut, avec d’autres pays, à l’origine de l’adoption de cette dernière. Ce projet de loi a été adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 25 novembre 2010.
Dès son préambule, cette résolution rappelait certains principes intangibles : la prolifération des armes nucléaires, biologiques ou chimiques, les fameuses NBC, et de leurs vecteurs constitue une menace pour la paix et la sécurité internationale. Les États se sont engagés à lutter contre cette prolifération.
L’une des principales préoccupations est alors d’empêcher, ou pour le moins de rendre très difficile pour des acteurs non étatiques, donc des groupes terroristes, de se procurer des armes nucléaires, biologiques et chimiques. Il s’agit évidemment de stigmatiser la menace terroriste et d’essayer de la contenir en adoptant des législations de principe dans chaque État. La résolution invite ainsi l’ensemble des États à mettre en œuvre des législations appropriées interdisant à tout acteur non étatique de fabriquer ou de se procurer des armes nucléaires, biologiques ou chimiques.
En 2004, cette résolution des Nations unies trouvait son origine dans un contexte mondial particulièrement brûlant, trois ans après les attentats du 11 septembre et treize mois après l’invasion de l’Irak par la coalition menée par les États-Unis. Nous sommes désormais en 2011, et les temps ont changé.
Cependant, il est de notre devoir d’adopter ce projet de loi, d’autant que le comité chargé de suivre la mise en œuvre de la résolution 1540 devra rendre, au plus tard le 24 avril prochain, un rapport indiquant si la résolution a été appliquée et ses prescriptions satisfaites. Il faut bien avouer qu’un dysfonctionnement de transposition en droit français « ferait désordre »...
Ce projet de loi est complexe sur le fond, mais il peut finalement être résumé en quelques mots : il s’agit simplement d’interdire et de réprimer en droit interne tout ce qui concourt, de près ou de loin, à la prolifération d’armes nucléaires, biologiques et chimiques, au profit d’acteurs non étatiques. Est également incluse dans ce champ toute activité visant à permettre à un groupe terroriste de se doter de vecteurs, c’est-à-dire de missiles.
Par ailleurs, ce projet de loi définit de manière très large les infractions relatives à la prolifération des armes NBC et prévoit des peines très lourdes. La procédure pénale est la même que celle qui est applicable en matière de terrorisme.
En adoptant ce projet de loi, nous répondons bien sûr à une exigence des Nations unies, mais nous envoyons également un signal dissuasif à tous ceux qui tenteraient de s’impliquer dans des activités de prolifération sur le sol national.
Monsieur le ministre, je vous rassure, personne au sein du groupe socialiste et apparentés ne saurait s’opposer à l’adoption de ce projet de loi. D’ailleurs, dans notre pays, à l’exception des terroristes eux-mêmes, quel citoyen pourrait rationnellement être en faveur de la prolifération des armes nucléaire biologiques et chimiques au profit de groupes terroristes ?
La France se doit d’adopter ces mesures afin, dirai-je, de montrer sa détermination en la matière. Ce texte est principalement préventif ; il n’a pas vocation, souhaitons-le, à s’appliquer au quotidien. En réprimant des infractions commises en matière de prolifération d’armes NBC sur le territoire national, ce texte ne saurait s’appliquer, a priori, qu’à des tentatives isolées, peu organisées, à un terrorisme que l’on pourrait qualifier d’amateur. Ce texte n’empêchera pas les autres, les groupes organisés, de passer les frontières et de sévir depuis l’étranger.
Il est en effet nécessaire d’avoir, en la matière, une approche tous azimuts et transfrontalière. L’Union européenne a adopté en 2008 un plan d’action contre la prolifération des armes dites NBC, que le Parlement européen, dans un rapport de novembre 2010, a considéré comme manquant de rigueur et de cohérence sur différents points. On peut notamment regretter que la clause de solidarité présente dans le traité de Lisbonne ne soit pas citée dans ce plan d’action.
La lutte contre la prolifération des armes de destruction massive a longtemps été un tabou. Les politiques menées jusqu’à présent semblent s’essouffler par manque de volontarisme. Il est donc primordial que la France réaffirme sa volonté d’action en matière de lutte contre cette prolifération.
Si chacun est d’accord sur l’adoption de ce texte, force est de constater que les problèmes de fond subsistent. Nous légiférons aujourd’hui contre une prolifération parfaitement hypothétique. Par l’adoption de ce projet de loi, nous nous protégeons d’un danger qui reste, jusqu’ici, abstrait.
La menace du terrorisme nucléaire est en effet hypothétique. Le risque d’utilisation d’armes biologiques ou chimiques par des groupes terroristes est en revanche réel, mais de telles armes ne sont pas faciles à manipuler. Le constat est partagé : rares sont les acteurs non étatiques, les groupes terroristes, essayant de développer des armes de destruction massives. Reconnaissons que le procédé est complexe, long à mettre en œuvre. En bref, il ne correspond aucunement aux objectifs généralement visés par les groupes terroristes. Ces derniers préfèrent agir vite en employant des méthodes simples, ingénieuses, nécessitant une logistique qui ne s’appuie pas sur les armes NBC ; les attentats du 11 septembre 2001 en sont le meilleur exemple.
MM. Roland Courteau et Bernard Piras. Oui !
M. Jacques Berthou. Il suffit de regarder la liste des attentats commis dans les quinze dernières années pour s’en convaincre : les terroristes préfèrent employer des méthodes traditionnelles. À côté de cela, se souvient-on des attentats au gaz sarin dans le métro de Tokyo, en mars 1995, qui ont fait douze morts et des milliers de blessés ? Ou encore, plus récemment, de l’envoi de bactéries de la maladie du charbon, par courrier, qui auraient coûté la vie à cinq personnes aux États-Unis en 2001 ?
Enfin, il me paraît impensable de ne pas dire un mot sur la prolifération d’État à État, qui reste, à ce jour, la principale menace en matière de prolifération nucléaire. À ce titre, je me souviens du débat que nous avions eu ici-même, le 23 mars dernier, sur le désarmement, la non-prolifération nucléaire et la sécurité de la France. L’excellent travail du rapporteur, M. Jean-Pierre Chevènement, démontrait que le maintien de notre posture et, par conséquent, de notre effort de défense en matière de dissuasion constituait la meilleure garantie de la paix. La dissuasion est bel et bien la seule garantie qui nous est offerte contre la prolifération d’État à État : aucune législation nationale ne pourrait éliminer un risque quelconque. Cette prolifération-là reste la principale menace.
Le terrorisme a ses armes traditionnelles. Bien sûr, il ne faut pas sous-estimer la menace visée par ce projet de loi, de même qu’il ne faut pas la surévaluer. Il faut donc adopter ce projet de loi pour deux bonnes raisons : ce texte est nécessaire et il est conforme à la résolution internationale que nous avions adoptée en 2004. Espérons que les juges n’auront jamais à appliquer ces dispositions sur notre territoire. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Voynet.
Mme Dominique Voynet. Monsieur le ministre, vous avez été chaudement félicité sur toutes les travées de cet hémicycle, à droite et pratiquement autant à gauche. C’est une tradition républicaine bienvenue !
Vous me permettrez néanmoins de souligner l’étrangeté qui consiste, pour un pays comme le nôtre, qui entend peser sur la marche du monde et qui est doté de robustes moyens de défense, à changer de ministre de la défense à tout bout de champ ! (Mme Bernadette Dupont proteste.)
Ainsi, ce ne sont pas moins de trois ministres de la défense qui auront eu à se pencher sur ce petit texte qui vise à adapter notre législation nationale aux exigences de la résolution 1810, adoptée en 2008, un texte qui renforce donc notre arsenal juridique de lutte contre la prolifération des armements de destruction massive et de leurs vecteurs.
Dans son préambule, la résolution des Nations unies précise qu’il s’agit d’interdire aux États d’aider des acteurs non étatiques à se procurer les moyens et techniques permettant de se doter d’armes nucléaires, biologiques et chimiques.
La résolution réaffirme des points sur lesquels nous sommes tous d’accord : la prolifération des armes nucléaires, chimiques et biologiques et de leurs vecteurs constitue une menace pour la paix et la sécurité internationales. Les États se sont engagés à lutter contre la prolifération. La menace terroriste est très préoccupante et, parmi les préoccupations principales, figure le risque de voir des acteurs non étatiques se procurer des armes de destruction massive des catégories citées.
Le projet de loi qui nous est soumis vise donc à inscrire dans le droit national que tout ce qui concourt d’une façon ou d’une autre, de près ou de loin, à la prolifération d’armes nucléaires, biologiques ou à base de toxines au profit d’acteurs non gouvernementaux, de groupes terroristes est interdit et réprimé par la loi.
Il aggrave les peines encourues par les criminels et va jusqu’à prévoir – anecdote ou « cerise sur le gâteau » – la confiscation des matériels ou des missiles illégalement détenus.
Je ne doute pas que ce projet de loi sera adopté à l’unanimité ; en tout cas il sera aussi voté par les sénateurs Verts. Mais je veux, à cet instant, formuler certaines interrogations : à quoi sert réellement ce texte ? Serons-nous désormais mieux protégés ? Les mesures annoncées sont-elles de nature à dissuader les criminels ? En vérité, je n’en suis pas certaine, même si vous nous dites qu’il se crée, sur fond de mondialisation, une économie de la prolifération illégale, utilisant les nouvelles technologies de la communication et profitant de l’ouverture des marchés financiers.
Je n’en suis pas certaine, même si vous nous dites que des acteurs non étatiques cherchent très concrètement à acquérir des armes de destruction massive ou des composants permettant d’en fabriquer.
Le risque existe sans doute, il est essentiellement potentiel. Mais la question reste entière : le projet de loi peut-il dissuader les terroristes, les trafiquants ?
Les faits incriminés n’existent pratiquement pas en France, puisque le député Michel Voisin, à l’Assemblée nationale, a identifié un seul événement en mars 2003, événement ayant conduit à une condamnation par le tribunal correctionnel de Paris. Nous aurons donc mis à jour le code de la défense, nous nous serons dotés d’un arsenal juridique nous permettant de traiter des problèmes théoriques, mais nous n’aurons pas fait reculer la prolifération, dont nous savons bien qu’elle est pour l’essentiel le fait d’États au fonctionnement opaque et peu démocratique comme la Corée du Nord ou le Pakistan, ou d’États qui assument tranquillement devant leur population – c’est le cas du nôtre – le fait de s’être dotés de l’arme nucléaire.
Nous y reviendrons sans doute, mais c’est un point dont nous avons déjà débattu à plusieurs reprises. Je pense en particulier au débat qui a suivi la présentation du rapport d’information de Jean-Pierre Chevènement, l’an dernier, ici même. Jean-Pierre Chevènement admettait que, si le TNP constituait effectivement la clé de voûte de l’ordre nucléaire mondial, il n’avait finalement pas permis d’empêcher la prolifération nucléaire, ce qui constituait pourtant son principal objectif théorique.
En vérité, le problème est double : d’une part, de nouveaux observateurs ont pointé le fait que des liens très étroits existaient entre le nucléaire civil, que le TNP prétend encourager, et le nucléaire militaire, dont il prétend contenir la diffusion ; d’autre part, on ne peut que constater la faiblesse de l’argumentation selon laquelle certains États seraient fondés à se doter de ce type d’armes quand d’autres seraient décidément jugés trop instables ou trop dangereux pour y avoir accès eux-mêmes.
La liste est longue des décisions hasardeuses qui ont été prises par notre pays en la matière, voire des fautes qu’il a commises. Nous nous souvenons de la position du Président de la République, qui avait proposé à la Libye non seulement des Rafales, mais aussi des centrales nucléaires à vocation civile. Je me rappelle les commentaires de certains diplomates et de certains hauts gradés de l’armée : ils en frémissaient d’avance. Heureusement, cette proposition ne s’est pas concrétisée…
On doit aussi noter l’annonce d’une volonté de coopération avec la Chine dans le cadre d’un partenariat global pour la mise au point d’un réacteur nucléaire de moyenne puissance de troisième génération ou encore l’accord de coopération signé le 22 février dernier avec l’Arabie saoudite dans le domaine du nucléaire civil.
On peut également mentionner l’inauguration en octobre dernier du laser mégajoule, déjà évoqué par Michelle Demessine, et le développement – qui lui est lié – d’armes nucléaires miniaturisées, sans oublier le ralliement de la France aux principes d’une défense anti-missiles dans le cadre de l’OTAN.
Le contexte national est, lui aussi, source d’interrogations.
Deux députés, Christian Bataille et Claude Birraux, viennent de faire part de leurs conclusions sur l’évaluation du plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs. Dans leur rapport, ils pointent du doigt le paradoxe de la tranquillité dans le domaine nucléaire. L’anomalie détectée par EDF le 1er février, aux conséquences potentielles sur la sûreté des installations de trente-quatre réacteurs nucléaires en France, soulève aussi des interrogations.
Enfin, comme j’ai eu l’occasion de le dire lors de plusieurs débats ici même à ce sujet, la seule façon de limiter la prolifération est, me semble-t-il, de limiter les arsenaux et de cesser de vendre des équipements nucléaires civils urbi et orbi.
Nous avons proposé à maintes reprises de commencer par établir une zone exempte d’armes nucléaires au Moyen-Orient.
Nous avons un devoir d’exemplarité ? Chiche ! Soyons exemplaires, cessons d’alimenter la machine infernale !
Bien que ce projet de loi me paraisse assez éloigné de la réalité concrète du champ nucléaire, bien qu’il ne traite pas, contrairement à son titre, de toutes les dimensions de la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, de leurs vecteurs et des matériels connexes, il est néanmoins intéressant, me semble-t-il, en tant que signal et c’est pourquoi nous le voterons. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)