Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Bernard-Reymond.
M. Pierre Bernard-Reymond. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les conditions qui ont présidé à la création de l’euro, étape essentielle de la construction européenne, éclairent en partie les problèmes que nous rencontrons aujourd'hui.
Il faut se souvenir de ce que représentait à l’époque, pour nos amis allemands, l’abandon du mark.
À côté de Français qui disposaient d’autres attributs importants de souveraineté et de moyens de rayonnement dans le monde, en particulier un siège au Conseil de sécurité des Nations unies et une force de frappe indépendante, l’Allemagne était sollicitée pour fondre son seul grand moyen de puissance et de reconnaissance internationale – le mark – dans une monnaie communautaire.
On comprend, dans ces conditions, que l’Allemagne ait prioritairement exigé à l’époque que tout ce qui faisait la force du mark puisse se retrouver dans l’euro, en particulier l’indépendance stricte de la Banque centrale et la lutte contre l’inflation qui rappelait les mauvais moments de la République de Weimar.
Le débat s’est donc alors focalisé sur l’aspect purement monétaire du problème. Certes, le volet économique n’a pas été complètement oublié, avec l’instauration du pacte de stabilité, mais la gouvernance économique n’est pas apparue comme une priorité.
C’est le péché originel de l’euro.
Cela ne l’a d’ailleurs pas empêché de devenir la deuxième devise de réserve mondiale, de renforcer l’intégration des économies européennes, de contenir l’inflation et d’obtenir des taux d’intérêt très bas. Je pense toutefois que l’on n’a pas suffisamment perçu, à l’époque, le fait que la monnaie unique allait autoriser ou camoufler provisoirement le laxisme budgétaire, les écarts de compétitivité, autant de dysfonctionnements qui, sans monnaie unique, apparaissent plus clairement et plus rapidement et qu’il est plus facile de redresser par la dévaluation ou l’inflation. Nous en avons eu un exemple dans notre pays au début des années quatre-vingt.
C’est ainsi qu’il a fallu le tsunami de la crise de 2007, venu des États-Unis, pour faire apparaître au grand jour la dissimulation statistique de la Grèce, les bulles, immobilière en Espagne et financière en Irlande.
Il faut avoir l’honnêteté de reconnaître qu’auparavant des libertés avaient été prises par d’autres États, par l’Allemagne et la France en 2003, par exemple, lorsque ces deux pays avaient demandé l’assouplissement du pacte de stabilité.
Ce couple a, depuis, fait acte de contrition puisque c’est lui qui apparaît aujourd’hui le plus dynamique dans la formulation des propositions pour l’avenir.
Tout a été dit sur ce couple indispensable. On est en droit de se demander où en serait l’Europe s’il n’existait pas. En même temps, il doit prendre garde à deux excès : celui de trop réduire le rôle de la Commission et celui d’indisposer les autres partenaires. Il faut trouver les moyens de mieux associer les uns et les autres dès le départ au processus de réflexion franco-allemand.
Le temps où certains ont pu croire que le pouvoir exécutif européen naîtrait de la Commission est révolu. C’est au sein du Conseil européen que se développe le pouvoir exécutif de l’Union. Mais il faut se garder de deux évolutions exagérées : la Commission ne doit pas être réduite au niveau d’un secrétariat permanent et le Conseil européen ne doit pas prendre prétexte de ce qu’il est l’exécutif pour en rester, dans bien des domaines, au niveau de l’intergouvernemental.
Sur ce point, heureusement, la crise est un bon aiguillon et l’on n’aurait jamais osé imaginer, avant qu’elle n’intervienne, que l’on puisse discuter de tout ce qui est sur la table aujourd’hui : l’instauration du semestre européen, qui établira une meilleure transparence entre les États et vis-à-vis des institutions en incitant à un meilleur autocontrôle, la création du Fonds européen de stabilité financière, la conviction qu’il faut en accroître les moyens et le pérenniser au-delà de 2013 à un niveau suffisant.
Parmi les sujets de discussion figurent aussi la réflexion sur un pacte pour la compétitivité et, ajouterai-je volontiers, pour la convergence, ainsi que la perspective d’inscrire dans la Constitution de chacun de nos États le respect de l’équilibre budgétaire, qui n’est, somme toute, qu’un appel à plus de responsabilité et qui devra tout de même ménager la possibilité d’engager des politiques contracycliques.
Ce sont autant de décisions et de réflexions qui vont dans le bon sens. Elles constituent des acquis que l’on n’aurait jamais obtenus sans la crise.
Certes, des questions importantes restent à régler. Quelles sanctions appliquer ? Quel doit être le montant minimal du Fonds européen de stabilité financière ? L’annonce de son probable doublement me paraît une bonne nouvelle. Dans quels domaines doit s’appliquer le pacte de compétitivité : fiscalité, salaires, retraites, finances publiques ? À quel rythme doit-on faire progresser la convergence ? Je pense que cette question du rythme est aussi importante que celle des domaines à privilégier.
On ne peut pas aider l’Irlande et lui demander, le même jour, de renoncer à son dumping fiscal. Mais, à terme, cette situation devra être revue.
De même, doit-on commencer à interdire l’indexation des salaires chez ceux qui y sont encore très attachés, au point d’en faire un dogme ? Elle est notamment en vigueur dans un pays qui n’a pas de gouvernement depuis de nombreux mois…
Ne faut-il pas aussi que nous balayions devant notre porte en termes de convergence ? À l’intérieur du seul couple franco-allemand, la croissance a été en 2010 de 3,6 % en Allemagne, qui a touché ainsi les dividendes d’une politique de rigueur instaurée par le gouvernement socialiste de M. Schroeder, et de 1,5 % en France. Quant au commerce extérieur, il affiche également de fortes disparités auxquelles nous devons remédier.
Enfin, au-delà des sujets sur la table du prochain sommet, n’y a-t-il pas quelques autres questions à se poser, dont certaines ont d’ailleurs été évoquées par notre collègue Richard Yung et moi, dans le rapport que nous avons publié sur ce sujet ?
Ne faut-il pas élargir les objectifs initialement dédiés à la Banque centrale européenne ? La Cour des comptes européenne ne pourrait-elle pas se voir confier un rôle dans la surveillance du respect du pacte de stabilité ? Ne faut-il pas créer un Observatoire de la compétitivité plus indépendant de toutes les institutions ?
Enfin, d’une manière générale, à un horizon plus large et plus lointain, on peut se demander comment faire vivre l’Europe des trois cercles qui existent de fait – le noyau franco-allemand ; l’Europe communautaire de l’euro, qui représente 65 % de la population et 75 % du PIB de l’Union ; l’Europe des Vingt-sept – et, dans le même temps, simplifier l’architecture extrêmement complexe des institutions européennes. Comment assurer à cet ensemble une croissance solide et durable à l’heure de la mondialisation ?
Dans l’état actuel, il n’y a aucune raison pour que la « Stratégie Europe 2020 » n’aboutisse au même échec que la stratégie de Lisbonne.
Si l’on ne choisit pas quelques secteurs privilégiés tels que l’énergie, les transports, les biotechnologies, l’espace, la communication et les technologies de l’information, auxquels on appliquerait une politique plus intégrée que coordonnée dans le domaine de la recherche et du développement, je crains que l’Europe n’ait du mal, dans les décennies à venir, à jouer sa partition dans les affaires du monde. Dans ce cas, c’en serait fini de son modèle social !
Dans ce contexte, pourra-t-on longtemps se contenter d’un budget européen qui représente 1 % du PIB et qui a vu fondre ses ressources propres comme neige au soleil ? Ne doit-on pas s’interroger également sur la capacité d’emprunt de l’Europe ?
Voilà, me semble-t-il, quelques questions auxquelles l’Europe ne pourra échapper dans les prochaines années et dont les réponses vont être déterminantes pour notre avenir.
Je remercie ceux de nos collègues qui ont pris l’initiative de cette proposition de résolution, laquelle nous a permis ce débat. Ils comprendront toutefois que nous n’approuvions pas leur analyse et leurs conclusions.
Mme Nicole Bricq. Après ce que vous avez dit, vous auriez pu le faire !
M. Jean-Pierre Bel. Vous en étiez très proche !
M. Pierre Bernard-Reymond. En effet, nous croyons, pour notre part, que, sur le plan de la construction de l’Europe, cette crise est un puissant accélérateur, pose les bonnes questions et nous oblige à de vraies réponses.
Elle relativise les solutions ultralibérales, qui, selon moi, ont trop dominé la dernière décennie. Et je suis sûr que plusieurs gouvernements socialistes en Europe adhéreront à la démarche en cours. Au-delà des analyses politiciennes, tous ceux qui croient à la nécessité de l’Europe auront à cœur de transformer cette crise en opportunité pour une nouvelle étape de la construction européenne. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à mon tour je remercierai le président Collin d’avoir pris cette initiative. Dans la proposition de résolution qu’il a fort brillamment défendue, il appelle, en effet, à une construction européenne « au service de la croissance et de la prospérité sociale ».
Il considère que, loin d’aller dans ce sens, les projets actuellement en débat sur la gouvernance accroissent, au contraire, l’incohérence de la coopération économique.
Sur ce deuxième point, je crains – nous craignons – qu’il n’ait raison au vu de la situation critique vécue dans la zone euro et les pays qui, en son sein, sont les plus en difficulté. On ne peut que s’inquiéter plus encore si on prend en considération le surplomb donné à la coordination budgétaire.
À cet égard, monsieur le secrétaire d'État, nous vous envoyons un message que nous vous demandons de bien vouloir transmettre au ministre du budget : dans le cadre du semestre européen, nous souhaitons que le programme de stabilité, qui a été envoyé à Bruxelles et dont le principe a été ratifié dans la loi de programmation des finances publiques – que la gauche n’a pas votée, je le rappelle – nous soit soumis avant la reprise des négociations – il faudra mettre au point un calendrier de telle sorte que cela intervienne avant le 30 avril – et nous soit soumis de nouveau à l’issue des négociations, accompagné de l’avis de la Commission. J’espère que vous avez entendu le message. En effet, pour que le semestre européen ait un sens démocratique, les échéances doivent être respectées à l’égard du Parlement national.
Si on analyse de près ce que recouvre la convergence franco-allemande mise en avant par le Président de la République, en plus du pacte de compétitivité qu’il a proposé de concert avec la Chancelière allemande, nous avons des raisons d’être inquiets.
La réunion des ministres des finances du début de la semaine n’a pas marqué une avancée significative dans la réponse globale de l’Union européenne à la crise. Certes, le futur mécanisme européen de stabilité disposera d’une capacité effective de 500 milliards d’euros, mais les sujets clés comme la participation du secteur privé restent en débat. Une série impressionnante de réunions sont prévues jusqu’au sommet des chefs d’État qui se tiendra les 24 et 25 mars prochain. Nous craignons que, comme souvent, le résultat ne soit pas à la hauteur des questions posées.
Je voudrais surtout insister sur le fait que, pendant ce temps, la crise continue. La reprise dans la zone euro marque le pas, sans accélération notable.
Le Portugal a vu son PIB diminuer au dernier semestre de 0,3 %, alors que le plan d’austérité pèse sur la consommation. Les chiffres de la croissance grecque font ressortir une aggravation de la récession en 2010. À nouveau, les marchés se tendent. L’Institut Bruegel, think thank européen, vient de jeter un pavé dans la mare en déclarant que la Grèce est devenue insolvable et qu’elle ne pourra pas revenir dans l’épure que lui ont fixée les pays de la zone euro.
M. Yvon Collin. On s’en doutait !
Mme Nicole Bricq. Croire que l’on pourra se sortir d’une telle crise en resserrant une discipline budgétaire privilégiée sur tout le reste et en revenant à l’équilibre à marche forcée ne fera que réduire la croissance déjà très molle. Surtout, ce n’est pas avec une telle stratégie qu’on préviendra la prochaine crise !
Certes, la Grèce doit réduire son déficit, mais il lui faut du temps. Et ce temps, les marchés le lui refusent.
Au Portugal, le rendement de la dette a atteint des niveaux inégalés et la prime réclamée par les investisseurs pour détenir le papier portugais ne cesse d’augmenter par rapport au Bund allemand.
Pourquoi refuse-t-on de discuter au fond de la proposition Juncker de mutualisation de la dette au niveau européen ? Cet attentisme, qui est mortifère, donne au marché une avance préjudiciable.
Pourquoi ne pose-t-on pas comme objectif de faire de l’Union une zone de croissance durable alors qu’on remet au goût du jour la notion de gouvernement économique ? L’appellation est, au demeurant, bien trompeuse quand on sait qu’il s’agit, d’abord, de coordination budgétaire, de retour en un temps record au pacte de stabilité et, ensuite, d’avancer vers un « pacte de compétitivité » qui propose, par exemple, d’harmoniser l’âge de départ à la retraite, ce qui ne répond absolument pas au problème posé, quand on veut, de surcroît, imposer une règle d’or d’interdiction des déficits publics. Toute règle, fût-elle inscrite dans le marbre constitutionnel, ne tient pas face à des situations exceptionnelles, comme nous l’avons vu, y compris en Allemagne !
Le « paquet gouvernance » qui est avancé présente le risque réel d’occulter les vrais sujets – l’harmonisation fiscale, la croissance, l’innovation, la recherche, l’emploi.
S’agissant de la convergence tant recherchée avec l’Allemagne, il faudrait avant tout se poser la question de savoir s’il existe un « modèle » allemand durable, quand l’économie de ce pays tire essentiellement sa force du marché intérieur. La meilleure phrase que j’ai trouvée est celle de l’économiste allemand Peter Bofinger, très écouté en Allemagne. Il disait tout dernièrement que « le modèle allemand de l’économie compétitive tournée vers l’exportation n’a fonctionné que parce que les autres nations ne l’ont pas adopté ».
Si gouvernement économique il doit y avoir, c’est celui qui présidera à un choix de relance économique européenne.
Le désendettement des États et la réduction des déficits sont, certes, une ardente obligation. Mais que pèseraient-ils sans un dispositif de convergence des politiques économiques ?
Mme Merkel a raison de déclarer que l’euro relève d’un projet politique. Encore faut-il définir lequel ! Cette question doit faire l’objet d’un débat dans notre pays et ne pas être mise sous le tapis, comme c’est le cas depuis 2005. Il s’agit en effet d’un enjeu démocratique, en France et en Europe.
Nous aurons certainement l’occasion de revenir sur ce point tout au long des mois qui nous séparent de l’échéance majeure de l’élection présidentielle. Je souhaite que ce débat ait lieu, pour la démocratie et pour l’Europe. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Humbert.
M. Jean-François Humbert. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’exposé des motifs de la proposition de résolution qui nous est soumise aujourd’hui me laisse songeur, surtout lorsque je lis que les « projets de “refondation économique” en cours amplifient globalement les incohérences de la coopération économique entre États ».
Je suis chargé, au sein de la commission des affaires européennes, de suivre les problématiques liées à la crise de la dette souveraine. Je me suis ainsi rendu, ces dernières semaines, à Dublin et à Lisbonne. J’irai, dans les prochains mois, à Madrid et à Athènes. Si les raisons de la crise divergent d’un pays à l’autre, j’ai partout observé une réelle attente des gouvernements, mais aussi des opinions publiques, à l’égard de l’Union européenne afin que, justement, elle mette en œuvre les projets que la proposition de résolution paraît dénoncer.
N’en doutons pas, mes chers collègues, les dispositifs d’aide et de surveillance dont les gouvernements veulent doter la zone euro sont de nature à aider les États concernés à répondre aux difficultés qu’ils peuvent rencontrer, notamment sur les marchés financiers. Ils viennent pallier l’absence existant jusqu’alors de réelle coopération entre les États membres de la zone euro. L’aide accordée par le Fonds européen de stabilité financière à la Grèce et à l’Irlande leur a ainsi permis de consolider leurs budgets sans avoir à lever des fonds à des taux exorbitants. Le filet de sécurité que représente ce fonds permet aujourd’hui au Portugal et à l’Espagne de bénéficier d’une relative détente des taux sur le marché obligataire.
Je vous invite, à cet égard, à observer l’effet sur les marchés des récentes annonces concernant une redéfinition du périmètre de ce fonds. Lisbonne a pu emprunter, le 12 janvier, à un taux inférieur aux prévisions, les places financières étant pour partie rassurées par la consolidation annoncée du mécanisme de soutien européen qui pourrait, le cas échéant, aider le Portugal.
Ce fonds n’a-t-il pas, dès lors, rempli sa mission ? La révision prévue de son mode de fonctionnement en vue de renforcer sa capacité d’intervention, comme sa pérennisation à l’horizon 2013 me semblent aller dans le bon sens. Je ne comprends donc pas les réserves exprimées à ce sujet par les auteurs de la présente proposition de résolution.
Les mécanismes critiqués dans la proposition de résolution n’apparaissent pas « insusceptibles d’efficacité », pour reprendre la formule tout aussi technocratique que celle des fameux « conclaves fermés » cités dans l’exposé des motifs. Au contraire, ces dispositifs participent plutôt d’une réflexion jusqu’alors inédite sur une véritable gouvernance politique de la zone euro.
Jusqu’à présent, l’Union économique et monétaire ne marchait que sur une jambe, pour reprendre la formule de Jacques Delors. Cette situation instable a permis la poursuite, par certains pays, de stratégies en solitaire, à rebours des impératifs de solidarité qu’impose une zone monétaire unique.
La réponse de l’Union européenne à la crise de la dette souveraine constitue, de fait, une opportunité indéniable pour permettre à la zone euro de fonctionner convenablement, en corrigeant notamment ce que je serais tenté d’appeler « les excès de souverainisme économique ». Celui-ci a revêtu plusieurs formes, de part et d’autre de l’Union européenne, qu’il s’agisse de la dérégulation et de la défiscalisation en Irlande, du mensonge budgétaire grec, de l’absence assumée de réforme de son économie par le Portugal ou de l’investissement, qualifié d’ « insensé » par certains, de l’Espagne dans l’immobilier. Ces aventures économiques ont abouti à des impasses, dont souffrent en premier lieu les peuples concernés, soumis à des politiques d’ajustement drastiques.
Soyons précis, mes chers collègues : ce n’est pas l’Union européenne qui impose l’austérité, mais bien les situations économiques nationales. Dans le cas irlandais, on observera que l’appel à l’aide européenne n’est intervenu qu’après la présentation d’un plan d’austérité. En ce qui concerne le Portugal, comme l’Espagne d’ailleurs, les mesures de rigueur sont accompagnées d’une communication gouvernementale axée sur le refus de l’intervention conjointe de l’Union européenne et du Fonds monétaire international.
Comme l’a dit Pierre Bernard-Reymond, notre groupe ne peut, en conséquence, voter en faveur de cette proposition de résolution, qui semble condamner la plupart des solutions innovantes aujourd’hui sur la table, notamment celles soutenues par le couple franco-allemand.
Certes, les auteurs de ce texte appellent de leurs vœux une meilleure coordination des politiques économiques au sein de l’Union, mais ils se gardent bien d’en préciser les contours ! Cette déclaration de bonnes intentions ne peut masquer des réflexes, pour ne pas dire des crispations, souverainistes, qui empêchent ces mêmes auteurs de déterminer les responsabilités de certains États dans la crise actuelle et les poussent à dénoncer, de façon quasi-pavlovienne, toute initiative de l’Union européenne, fût-elle intergouvernementale.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, chargé du commerce extérieur. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, Christine Lagarde étant retenue à Bercy en raison de la réunion des ministres des finances du G20, le Premier ministre m’a fait l’honneur de me désigner pour présenter devant vous la position du Gouvernement sur la proposition de résolution relative à la coordination des politiques économiques au sein de l’Union européenne.
Même si les arguments développés par le président Collin nous paraissent contestables, et parfois un peu surprenants, pour reprendre la formule de M. Humbert, le sujet soulevé est à l’honneur du Sénat, car il pose des questions essentielles : l’avenir de la zone euro, la nécessité de politiques économiques au service de la croissance, l’impératif du contrôle démocratique...
Permettez-moi de faire, tout d’abord, une remarque d’ordre général.
Bien que l’observation de l’évolution des finances publiques des pays de la zone euro fasse apparaître une situation plutôt moins dégradée en Europe que dans d’autres grandes économies avancées, comme celles des États-Unis et du Japon, l’Europe a dû faire face, depuis janvier 2010, à une crise de défiance à répétition de la part des marchés financiers, qui vise, tour à tour, l’un ou l’autre des États membres, et nous a contraints à réagir vigoureusement.
Bien entendu, nous devons rester vigilants. Les tensions persistent sur les marchés financiers, alors que la zone euro, et notamment la France, présente des fondamentaux solides et s’est placée sur une trajectoire de consolidation de ses finances publiques. Par ailleurs, la stabilité financière de la zone euro continue à être remise en cause, en raison de la crise de liquidités que traversent plusieurs États vulnérables.
Mme Nicole Bricq. Les marchés n’y croient pas !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d’État. Face à cette divergence entre la réalité économique et la perception des marchés, nous avons tous un devoir de fermeté absolue pour réaffirmer notre détermination à défendre la stabilité de la zone euro, notre solidarité avec les États membres les plus vulnérables et notre engagement intangible vers la consolidation budgétaire. En effet, le défaut n’est pas une option, tout simplement parce qu’il n’est pas une solution.
Le Président de la République a déclaré à Davos, il y a quelques semaines : « Je peux vous assurer que, aussi bien Mme Merkel que moi-même, jamais, vous m’entendez jamais, nous ne laisserons tomber l’euro. Jamais ».
Je vais maintenant répondre point par point aux questions que vous avez soulevées.
Premièrement, vous indiquez que « la situation économique et sociale de l’Europe ainsi que les mesures prises ou envisagées contreviennent manifestement » aux « engagements des États européens dans les traités convenus entre eux et les actes pris pour leur application dans les domaines économique, social, financier et monétaire ».
Je ne comprends pas très bien cette affirmation. La crise de 2007-2008, importée des États-Unis, s’impose à nous : c’est une réalité ! Je ne vois pas en quoi elle serait contraire aux traités, avec lesquels elle n’a pas grand rapport ; elle a à voir avec la réalité économique du monde.
Nous devons plutôt nous demander, monsieur Collin, si l’Europe s’en est plutôt mieux sortie grâce à la construction européenne, ou non. Le précédent de la crise de 1929, caractérisé par l’éparpillement des ripostes nationales à la crise, montre bien que l’Europe a agi comme un écran de protection pour l’ensemble de nos sociétés.
Grâce à l’Europe, depuis le début de la crise économique et financière survenue il y a trois ans, nos États – et notamment la France, qui était chargée de la présidence de l’Union européenne ! – ont pris, ensemble, des mesures qui nous ont permis d’en limiter les effets sur nos économies, et donc sur la vie de nos concitoyens. En outre, la France a œuvré avec force pour que la réponse mondiale soit coordonnée dans le cadre d’une institution nouvelle, le G20, qui regroupe les grandes puissances établies et émergentes. Je trouve donc votre critique excessive.
Deuxièmement, vous insistez, à juste titre, sur la nécessité de respecter les processus démocratiques. Le vieux parlementaire que je suis ne peut que vous approuver. Cette exigence, loin d’être remise en cause, me semble pourtant largement mise en œuvre.
M. Badré, grand partisan de l’Europe, sait bien que le traité de Lisbonne a largement contribué à une prise de décision plus démocratique dans l’Union européenne ; M. Bel, lui-même, a évoqué les pouvoirs des parlementaires européens.
Tout d’abord, le rôle du Parlement européen, institution élue au suffrage universel direct, a été considérablement renforcé – certains d’ailleurs le déplorent, à l’instar de M. Chevènement ! –, notamment par l’extension de la procédure de codécision législative, qui donne au Parlement des pouvoirs législatifs comparables à ceux du Conseil des ministres, à près de cinquante nouveaux domaines. Par ailleurs, la participation directe des citoyens a été rendue possible par l’introduction dans le droit communautaire d’un droit d’initiative citoyenne. Celui-ci permet à un million de citoyens provenant d’un nombre significatif d’États membres de demander à la Commission de proposer un projet de texte législatif.
Les parlements nationaux sont également de plus en plus impliqués : le Parlement est déjà systématiquement saisi des projets de directives et de règlements européens, mais nous sommes allés encore plus loin.
J’attire votre attention sur une réforme fondamentale qui a été évoquée, à plusieurs reprises, par des orateurs de toutes sensibilités : le « semestre européen ». Le principe est d’informer les parlements en amont des envois à Bruxelles des documents relatifs à la gouvernance économique de l’Union européenne et de la zone euro.
Je précise, pour Mme Bricq, que le conseil pour les affaires économiques et financières, dit conseil ECOFIN, procède ensuite à l’examen des textes. L’ensemble de la procédure se déroule entre les mois d’avril et de juin ou juillet. Ces textes reviennent ensuite au niveau des États et font l’objet d’un vote des Parlements nationaux dans le cadre du projet de loi de finances. Ce vote intervient donc après la consultation en amont et l’examen des textes par les instances communautaires et le Conseil.
La loi de programmation pluriannuelle des finances publiques pour la période 2011à 2014 prévoit ainsi que le projet de programme de stabilité sera adressé au Parlement au moins deux semaines avant sa transmission à la Commission européenne, afin que le Sénat et l’Assemblée nationale puissent porter un regard conjoint sur la coordination des politiques européennes. Le principe est également de permettre une meilleure prise en compte des préconisations européennes, dans le strict respect des compétences de nos parlements respectifs, dans les grands choix de politique économique et budgétaire des États membres, et une meilleure articulation de la surveillance budgétaire avec celle des politiques de croissance, dans le cadre de la stratégie Europe 2020.
Je voudrais également souligner le fait que le plan d’assistance à la Grèce – et je m’en souviens très bien, c’était il y a exactement un an –, de même que la création du Fonds européen de stabilité financière ont été discutés et votés ici même comme à l’Assemblée nationale. Permettez-moi de vous rappeler que c’est le 6 mai 2010, alors que nous célébrions en France le 60e anniversaire de la Déclaration de Robert Schuman du 9 mai 1950, qu’a été voté, à la quasi-unanimité des deux chambres, le plan d’assistance à la Grèce.