M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Très bien !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. C’est pourquoi notre commission l’a adoptée à l’unanimité. (Applaudissements sur toutes les travées.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Ollier, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à excuser l’absence de mon collègue Michel Mercier, garde des sceaux, qui aurait dû être à ma place aujourd’hui, mais qui, comme vous avez pu le lire dans la presse, reçoit actuellement les syndicats de magistrats et de personnels d’insertion et de probation pour évoquer avec eux les conclusions des rapports d’inspection de l’administration pénitentiaire et des services judiciaires, qui défraient la chronique depuis quelques jours.
S’agissant de cette proposition de loi, je m’en tiendrai à l’argumentation que le garde des sceaux aurait développée s’il avait été là.
La France est l’un des pays qui consomment le plus de sondages politiques. Parmi ceux-ci, les sondages électoraux revêtent une importance particulière du fait de leur visibilité et, surtout, de leur influence possible sur le vote des Français, que ce soit en termes de démobilisation de l’électorat ou, au contraire, par effet d’entraînement.
Or la sincérité du scrutin, principe à valeur constitutionnelle, est une condition de l’exercice de sa souveraineté par le peuple. Il est donc nécessaire que les sondages électoraux présentent des garanties quant à leur caractère sérieux et à l’absence de toute manipulation, et il est vrai que vous avez cherché, monsieur Portelli, monsieur Sueur, à trouver des solutions à ce problème.
Dans le rapport d’information de la commission des lois intitulé « Sondages et démocratie, pour une législation plus respectueuse de la sincérité du débat politique », dont vous étiez les co-rapporteurs, vous avez en effet exploré l’ensemble de ces difficultés et je dois dire que votre rapport est pétri de bonnes intentions.
Mme Jacqueline Gourault. C’est mal parti !
M. Patrick Ollier, ministre. Sur le terrain des intentions, le Gouvernement ne peut que vous suivre et vous remercier du travail que vous avez réalisé.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Ça commence mal !
M. Patrick Ollier, ministre. On peut en effet considérer que le travail accompli en commission était un très bon travail, et je profite de l’occasion qui m’est donnée pour remercier le président de la commission des lois, Jean-Jacques Hyest.
Messieurs Portelli et Sueur, vous rappelez à juste titre le rôle déterminant joué par le Sénat dans l’élaboration de la législation relative aux sondages : c’est effectivement votre assemblée qui a, chaque fois, amorcé la réflexion par le dépôt de propositions de lois. Je vous en donne acte.
La loi fondatrice du 19 juillet 1977, révisée en 2002, a été très difficilement élaborée à l’époque. Toutefois, plus de trente ans après l’adoption de ce premier texte, il est effectivement important de conduire une réflexion sur cette législation, eu égard à l’émergence de nouveaux médias, notamment avec l’essor d’internet, ou tout simplement à la multiplication des sondages.
C’est pourquoi le Gouvernement salue la volonté de votre commission de participer à cette réflexion et de faire progresser le droit.
Si le Gouvernement partage l’objectif visé par la proposition de loi, il ne peut pas en revanche partager certaines des solutions retenues par ce texte.
En effet, plusieurs articles, parmi les plus importants, posent de grandes difficultés, autres que celles que vous avez évoquées, monsieur le rapporteur, pour trois raisons essentielles, tenant à leur constitutionnalité, à leur applicabilité et à leur opportunité.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement ne peut qu’être favorable à l’objectif que vous vous fixez d’améliorer la loi du 19 juillet 1977 au regard de l’influence potentielle des sondages électoraux sur le choix des électeurs. Nous aussi, nous disons oui à la transparence et à une meilleure définition de ce qu’est un sondage.
Si vos intentions sont bonnes, en revanche, le dispositif prévu n’est malheureusement pas opérationnel. Et il ne s’agit pas seulement d’un problème de définition.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Pourquoi ?
M. Patrick Ollier, ministre. Monsieur le rapporteur, en 1978, j’étais conseiller d’Alain Peyrefitte, alors garde des sceaux ; c’est d’ailleurs à cette époque que nous nous sommes connus ! J’ai moi-même participé, modestement, à la mise en œuvre de la loi de 1977 à l’occasion des élections de 1978. J’ai souvenance de l’irritation du garde des sceaux et de toute la classe politique : alors que le législateur avait cru voter un texte imparable en ce qui concerne le contrôle des effets pervers des sondages, on s’est rendu compte que le public français avait tout de même pu être informé du résultat des sondages, certaines radios périphériques, en Suisse, les ayant communiquées par avance, ce qui était interdit par la loi.
Aujourd'hui, les nouvelles technologies de l’information et de la communication ne font qu’aggraver le problème, qui n’est donc pas si simple à résoudre, même si, je le répète, le dispositif que vous proposez est plein de bonnes intentions.
Par conséquent, au-delà de l'intérêt des précisions apportées par cette proposition de loi, le Gouvernement ne peut, en l’état, y être favorable, car il soulève un certain nombre de difficultés.
Tout d’abord, le Gouvernement émet des doutes sérieux quant à la constitutionnalité de la proposition de loi au regard de la liberté de la presse.
Monsieur Portelli, le fait d’encadrer le régime juridique de publication des sondages revient nécessairement à encadrer la liberté de la presse, et donc à y porter atteinte. L’article XI de la Déclaration de 1789 dispose ainsi : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Absolument !
M. Patrick Ollier, ministre. Dans sa décision du 11 octobre 1984, le Conseil constitutionnel a précisé que, s’agissant de la libre communication des pensées et des opinions, « la loi ne peut en réglementer l’exercice qu’en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec celui d’autres règles ou principes de valeur constitutionnelle ».
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Certes, mais nous ne restreignons en rien la liberté d’expression !
M. Patrick Ollier, ministre. C’est la difficulté de l’exercice, dans la mesure où les seules limites susceptibles d’être apportées à la liberté de la presse doivent découler d’autres principes à valeur constitutionnelle, au nombre desquels figure la sincérité du scrutin.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Absolument !
M. Patrick Ollier, ministre. Or, en étendant le champ de la loi de 1977 aux sondages liés au débat politique, la proposition de loi est censée couvrir la plupart des sondages liés aux débats de société ou même à l’actualité. Ainsi, la limitation apportée à l’exercice de la liberté d’expression ne peut plus être justifiée par le seul principe de sincérité du scrutin.
L’argument du Gouvernement, me direz-vous, en vaut un autre. Mais nous préférons être prudents et éviter d’éventuelles difficultés si le texte devait être adopté.
L’extension du champ de la loi de 1977 pose aussi une sérieuse difficulté quant aux engagements internationaux de la France. Ainsi, les jurisprudences Meyet du Conseil d’État de 1999 et de 2000 ont souligné que, si la loi de 1977 est compatible avec l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, c’est uniquement parce que la restriction qu’elle porte à la liberté d’expression reste limitée tant dans son champ d’application que – précision importante – dans le temps. L’extension de son champ par la proposition de loi remet ainsi en cause cet équilibre.
Par ailleurs, le présent texte apporte des restrictions excessives à la liberté d’expression.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Lesquelles ?
M. Patrick Ollier, ministre. Tout d’abord, l’article 3 instaure, de fait, un délai de vingt-quatre heures entre la réalisation et la publication d’un sondage, en prévoyant le dépôt par l’institut de sondage d’une notice auprès de la commission des sondages.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. C’est le cas aujourd'hui !
M. Patrick Ollier, ministre. Je vous en donne acte, monsieur le rapporteur.
Cette notice doit regrouper un certain nombre d’informations sur le sondage réalisé, et ce vingt-quatre heures avant sa diffusion. Ainsi les sondages dits « à chaud » ou spontanés ne seraient-ils plus autorisés. C’est une vraie question, et il est normal que le Gouvernement la soulève, d’autant que cette nouveauté aurait des répercussions économiques importantes pour tous les médias français, de tels sondages pouvant être diffusés librement à l’étranger.
En outre, l’article 5 prévoit une interdiction de publier des sondages de second tour qui ne testent pas une hypothèse tenant compte des résultats d’un sondage de premier tour. Cela interdit, de fait, l’hypothèse du « troisième homme » et comporte un risque important d’orientation du vote.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Mais non !
M. Patrick Ollier, ministre. Il est un autre point du dispositif proposé qui recèle un certain paradoxe.
La proposition de loi vise en effet l’objectif, tout à fait louable, là encore, d’améliorer le contrôle de la sincérité des sondages en soumettant à la commission des sondages tous les « sujets liés au débat politique ou électoral », ce qui reviendrait à la rendre compétente dans l'ensemble des domaines, économiques, sociaux, sociétaux, culturels, etc. Mais quel sondage devra-t-il lui être soumis et quel autre n’aura-t-il pas vocation à l’être ? Comment le saurons-nous ? Il y a en effet un décalage frappant entre la précision de l’encadrement organisé par la proposition de loi et l’absence totale de définition d’un élément pourtant central dans le dispositif : le périmètre du débat politique.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. C’est indéfinissable !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Je vais vous répondre.
M. Patrick Ollier, ministre. Encore une fois, malgré de louables intentions, les auteurs du texte ne proposent pas de solution adaptée. Nous restons donc dans l’interrogation.
Le champ de compétences actuel de la commission des sondages, limité aux sondages électoraux, est d’ores et déjà suffisant pour garantir la sincérité des scrutins. Dans la pratique, la commission elle-même en fait une interprétation souple, qui lui permet, à l’approche des élections, d’étendre son contrôle aux sondages portant sur des sujets liés au débat électoral. Nous préférons cette application à géométrie variable, en fonction du caractère plus ou moins proche des scrutins, à une conception extensive, qui risque d’avoir pour conséquence une dégradation de la qualité du contrôle.
J’en viens à la partie du texte modifiant des dispositions du code électoral.
Se pose un problème d’application outre-mer, particulièrement en Polynésie française, pour les élections législatives, dont le premier tour se déroule quinze jours avant celui qui est organisé en métropole. Un problème similaire touche l’élection des députés des Français établis hors de France, qui connaît un décalage temporel d’une semaine. Là encore, aucune solution n’est prévue.
Enfin, la proposition de loi comporte un autre écueil, et non des moindres : le risque de contournement de la loi via les instituts de sondages et les médias étrangers, tout particulièrement sur internet, au détriment des instituts de sondage et des médias français. C’est un problème récurrent,…
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Oui !
M. Patrick Ollier, ministre. … auquel personne n’a jamais su trouver véritablement de réponse. J’ai rappelé tout à l’heure mon expérience auprès d’Alain Peyrefitte. M. Fourcade s’en souvient sans doute lui aussi, qui appartenait alors au même gouvernement.
Au vu de la manière dont évoluent les nouvelles technologies de l’information et de la communication, au vu de l’ingéniosité dont font preuve les acteurs de l’internet, l’approche du problème ne peut que devenir de plus en plus complexe.
Or, là encore, la proposition de loi n’apporte pas de solution. Comment pourrait-il en être autrement alors que cela fait trente ans que l’on en cherche ? Je ne reviens pas sur les énormes problèmes soulevés en 1978 lorsque la télévision suisse officialisa le résultat de sondages qui n’aurait pu être publié en France.
Dans un monde ouvert aux nouvelles technologies, l’adoption d’une telle proposition de loi ne résoudrait pas les difficultés de contournement existantes et ne ferait que les aggraver.
Mme Jacqueline Gourault. Pour quelles raisons ?
M. Patrick Ollier, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je me fais aujourd'hui l’interprète du garde des sceaux, car ce texte ne relève pas de ma responsabilité directe. Je ne prétends pas, au travers des arguments que je vous ai opposés, détenir la vérité révélée.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. J’espère bien !
M. Patrick Ollier, ministre. Monsieur le rapporteur, je vous félicite pour la qualité de votre travail, mais je ne sais si vous avez bien mesuré l'ensemble des conséquences du dispositif proposé. Car tout n’est pas si simple !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Je n’ai jamais dit que c’était simple : nous avons passé un an à travailler sur le sujet !
M. Patrick Ollier, ministre. J’aurais préféré que la Haute Assemblée et le Gouvernement puissent engager des discussions en vue de travailler ensemble. Plutôt qu’une proposition de loi déposée uniquement sur le bureau du Sénat, le sujet aurait mérité une réflexion commune. (Marques de surprise sur diverses travées.)
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Et l’initiative parlementaire ?
M. Patrick Ollier, ministre. Monsieur le rapporteur, je vous en prie, ne parlez pas en même temps que moi, sinon comment voulez-vous que l’on se comprenne !
Mme Nicole Bonnefoy. Une discussion, cela se fait à deux !
M. Patrick Ollier, ministre. Pas de cette façon !
Je tiens, une fois de plus, à rendre hommage au travail sérieux réalisé par la commission des lois, notamment par M. Portelli et M. le rapporteur, sous la haute autorité du président Hyest. Si votre sincérité et vos bonnes intentions sont indiscutables, je me dois de faire part des objections du Gouvernement, qui, elles aussi, sont argumentées.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ne serait-il pas plus opportun de travailler ensemble pour contourner les obstacles indiscutables que nous avons relevés ? Tel est le souhait que je formule. Voilà qui serait préférable à un débat qui ne trouvera pas d’issue favorable, le Gouvernement ne pouvant accepter cette proposition de loi en l’état. Par conséquent, il s’opposera, et j’en suis sincèrement désolé, au dispositif que vous proposez. Mais je renouvelle la proposition de travailler ensemble pour trouver des solutions communes à ces difficultés que nous rencontrons tous concernant les sondages. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP. – Mme Anne-Marie Payet applaudit également.)
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Nous n’en sommes qu’à la première lecture !
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le ministre, j’admets que, sur un texte, on puisse formuler des objections. Je me dois néanmoins de faire observer que, en l’espèce, la loi de 1977 a tout de même beaucoup vieilli ; depuis qu’elle a été mise en œuvre, en matière de sondages, d’énormes dérapages ont été constatés.
Nos collègues ont travaillé pendant un an, consultant les meilleurs spécialistes. Vous nous avez présenté les raisons pour lesquelles vous invitiez le Sénat à rejeter la proposition de loi tout en nous offrant de travailler ensemble.
Il n’y a qu’un seul ennui, mais il est de taille : la Constitution a été révisée pour faire droit à l’initiative parlementaire. Il appartient bien entendu au Gouvernement de nous dire, sur tel ou tel point, ce qu’il conviendrait d’améliorer. Nous attendions d’ailleurs des amendements de sa part. Autrement, le dialogue devient un peu compliqué !
Je vais vous livrer mon sentiment : il arrive parfois que la réflexion du Parlement soit plus aboutie que celle du Gouvernement ; c’est rare, parce que, c’est bien connu, le Gouvernement, par définition, sait tout ! (Sourires.)
M. François Fortassin. Tout gouvernement est excellent, mais il y a des degrés dans l’excellence ! (Nouveaux sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Dans ce cas précis, j’ai bien entendu les objections que vous avez présentées : certaines m’ont paru intéressantes, d’autres moins convaincantes…
Puisque vous nous invitez à travailler ensemble, profitons donc du débat pour le faire, car il faut bien voter sur quelque chose !
Le rapport d’information sénatorial publié sur le sujet était très approfondi, et je ne doute pas qu’il ait été lu avec beaucoup d’attention par les services de la Chancellerie concernés. Puis une proposition de loi a été déposée. Personne n’a dit, pas plus Hugues Portelli que le rapporteur, que tout était parfait et qu’il n’y avait pas des points à creuser.
Monsieur le ministre, vous devriez vous réjouir que, pour une fois, il y ait une initiative parlementaire dans ce domaine !
Vous remarquerez d’ailleurs que le Sénat évite de se saisir de sujets strictement liés à l’actualité immédiate.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il s’efforce de faire des études de fond.
Je rappelle que c’est grâce au Sénat que l’on a modernisé la législation funéraire, avec l’aide de la Chancellerie, certes, mais à l’issue d’un travail de réflexion qui a duré quinze ans. De même, c’est à la Haute Assemblée que l’on doit la réforme des prescriptions en matière civile, même si les services de la Chancellerie s’étaient montrés plutôt coopératifs et avaient donné leur accord. Évidemment, ce ne sont pas des sujets pour le journal de vingt heures ! Mais c’est aussi le rôle du Sénat que de réfléchir à de telles questions.
Monsieur le ministre, acceptez que, de temps en temps, nous prenions ici des initiatives ! (Applaudissements sur toutes les travées.)
Mme la présidente. La parole est à M. Christophe-André Frassa.
M. Christophe-André Frassa. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, dans les démocraties actuelles, le sondage s’impose comme un outil essentiel de connaissance et d’évaluation.
Nul ne peut prévoir qui gagnera les prochaines élections cantonales, sénatoriales, ni même la prochaine élection présidentielle. Un seul pronostic paraît sûr : les vrais vaincus de ces soirées électorales seront les sondeurs, contre lesquels tout le monde se réconciliera !
Le sondage d’opinion fait désormais partie de notre démocratie ; il en est même le produit. On en publie énormément, on les commente à l’envi. Qu’on les aime ou qu’on les dénigre, ils sont au cœur des débats politiques.
Ils ont toujours été interdits dans les régimes totalitaires. Sans dresser une liste exhaustive, je pense plus particulièrement à la défunte URSS, au Chili de Pinochet, à l’Argentine de Videla, à l’actuel Vietnam, aux régimes despotiques de Franco, de Salazar et, plus près de nous, à ceux de Ben Ali et de Moubarak. Aucun de ces régimes n’a jamais toléré les sondages d’opinion.
Ne nous y trompons pas : les sondages permettent de lutter contre l’obscurantisme. Ils s’affirment comme un instrument essentiel de connaissance et, parfois, de liberté. Cependant, leur publication doit être encadrée par des règles éthiques claires, de façon que leur interprétation n’induise personne en erreur.
Car c’est bien cette notion d’erreur qui produit la plupart des fantasmes autour du sondage.
Quelle est la définition du sondage ? Tel est le fondement de l’étude que vous avez excellemment menée, chers collègues Hugues Portelli et Jean-Pierre Sueur. En effet, sans définition précise, pas de sondage sincère et transparent.
C’est pourquoi nous soutenons la proposition que vous nous avez faite en commission, monsieur le rapporteur, de préciser les éléments de définition que vous aviez initialement proposés avec Hugues Portelli.
Il est ensuite utile de s’interroger sur les conditions dans lesquelles le sondage peut être utile aux chercheurs et aux sciences sociales, mais surtout aux citoyens et à la démocratie. Tel est l’intéressant objectif de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui. En effet, si le sondage est le fruit de la démocratie, il la sert en retour.
Il est en effet important que nos concitoyens soient avisés, alertés, informés en temps utile du contenu des sondages publiés massivement avant une élection.
Je ne reviendrai pas sur le détail des mesures proposées en vue d’une plus grande sincérité du débat politique, mesures auxquelles nous souscrivons.
Le débat politique s’exerce aussi au travers des sondages, dès lors que ceux-ci sont utilisés par les leaders d’opinion et les commentateurs de la vie politique.
C’est donc bien en pensant à nos concitoyens que nous devons légiférer, afin qu’ils soient éclairés dans leurs opinions et dans leurs choix.
Le groupe UMP suivra les propositions formulées par nos collègues Hugues Portelli et Jean-Pierre Sueur et votera ce texte. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’Union centriste et du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous en rendons compte chaque jour en lisant notre journal, en regardant la télévision ou en écoutant la radio, les sondages prennent de plus en plus de place dans le débat public.
En cinquante ans, notre pays est même devenu l’un des plus gros producteurs et, donc, l’un des plus gros consommateurs de sondages au monde, en particulier de sondages politiques. Les grands rendez-vous électoraux sont, de ce point de vue, tout à fait symptomatiques.
En 2007, la commission des sondages avait dénombré près de trois cents enquêtes pour les élections présidentielles, soit deux fois plus qu’en 1995. À ce rythme, on peut craindre que le scrutin de l’année prochaine et les suivants ne soient pollués par les sondages.
Depuis plusieurs mois, alors que nous sommes encore à plus d’un an de la nouvelle échéance présidentielle, les pronostics vont déjà bon train dans les médias. Les candidats ne sont pas encore tous déclarés, les programmes sont loin d’être finalisés, et pourtant nous sommes déjà abreuvés de sondages d’opinion, plus ou moins réalistes au demeurant, sur les différents cas de figure possibles.
Le sondage n’a jamais pour ambition – on l’oublie trop souvent ! – de prévoir l’avenir et, en l’espèce, le résultat d’une élection. Il se veut une photographie, plus ou moins exacte, de l’opinion à un moment précis, moment qui précède parfois très largement la date de l’échéance électorale.
Loin de nous l’idée de brider la liberté d’expression, encore moins la liberté de la presse ! À cet égard, monsieur le ministre, j’ai trouvé votre argument assez spécieux, voire un peu tiré par les cheveux ! Mais peut-être suis-je un citoyen atypique… Quoi qu’il en soit, vous ne m’avez pas convaincu !
Pour préserver la qualité de notre débat démocratique, il est notamment indispensable de renforcer l’encadrement et le contrôle des sondages et de mieux informer la population sur les conditions de production de ces sondages, voire sur leurs commanditaires. Pour cela, nous devons mettre à jour notre législation en la matière.
La transparence et la sincérité sont les qualités indispensables des sondages politiques. Ainsi, l’excellent rapport d’information présenté par nos collègues Sueur et Portelli confirme de façon très étayée que la loi de 1977 sur les sondages d’opinion n’est plus satisfaisante et qu’elle est manifestement obsolète.
Cette loi était néanmoins la première à traiter de la question des sondages et de leur encadrement juridique. N’oublions donc pas qu’elle était novatrice en son temps et que, déjà, elle avait pris naissance au Sénat.
Nous nous réjouissons donc de l’initiative éclairée qu’a prise la commission des lois de la Haute Assemblée en étudiant ce sujet et en nous présentant aujourd’hui un texte précis et équilibré. Une fois de plus, notre assemblée s’illustre par la qualité de son travail et donne tout son sens à la notion d’initiative parlementaire. Quelles que soient nos sensibilités politiques, nous y sommes particulièrement attachés.
Notre satisfaction est augmentée par le fait que ce travail a été accompli d’une manière non partisane puisque majorité et opposition sénatoriale ont œuvré de concert sur le rapport d’information comme sur la proposition de loi qui en découle.
L’objectif est d’améliorer l’encadrement démocratique et la transparence des sondages politiques, en s’efforçant de les préserver de toute manipulation. Cet engagement est bien tenu tout au long de cette proposition de loi, forte de plus de vingt articles. C’est la raison pour laquelle mes collègues du RDSE et moi-même la soutiendrons.
Ce travail accompli, il nous reste à nous interroger sur le rôle de plus en plus important que les sondages ont dans la vie politique.
Une influence possiblement excessive sur la sélection des candidats et le déroulement même de la campagne peut être néfaste.
Les sondages nuisent et biaisent l’élection en ce qu’ils agissent sur le comportement des acteurs politiques mais aussi des électeurs. Cet effet pervers est particulièrement dangereux pour l’exercice de la démocratie, car on voit bien combien il est possible, en s’appuyant sur des sondages, de manipuler l’opinion publique. Cela rend d’autant plus nécessaire un encadrement. À l’évidence, la proposition de loi qui nous est soumise apporte quelques garanties en la matière.
Un responsable politique digne de ce nom ne doit pas gouverner avec des sondages. Je formule là une réflexion de citoyen : après tout, si nous sommes des parlementaires, nous sommes d’abord des citoyens. À mon sens, tous les hommes politiques de ce pays devraient se garder de gouverner avec les sondages. Je pense que le premier d’entre eux, s’il tenait beaucoup moins compte des sondages, éviterait de proférer un certain nombre de billevesées ! Vous ne manquerez pas de noter, monsieur le ministre, que je suis d’une courtoisie extrême en utilisant le terme de « billevesées » ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
Ces dernières années, on a souvent constaté une évolution de la démocratie parlementaire vers la démocratie d’opinion. Cette tendance n’est pas souhaitable ; elle est même nocive, surtout quand on connaît la volatilité de l’opinion publique. Comment s’étonner, alors, du désintérêt de nos concitoyens et des journalistes pour le débat parlementaire ?
Entre les élus de la République et les représentants du Gouvernement, il doit y avoir un vrai dialogue. Il importe de mettre un terme à ce jeu de rôle opposant ceux qui seraient les garnements de la cour d’école et les maîtres dont la fonction serait de les rappeler à l’ordre ! Ce vrai dialogue, croyez-le bien, monsieur le ministre, nous y sommes particulièrement attachés.
Nous nous devons tous de faire en sorte que la démocratie parlementaire reste irréprochable et qu’elle assume pleinement toutes ses responsabilités, dans le seul souci de l’intérêt général. C’est à nous qu’il revient, dans les enceintes parlementaires, de définir collectivement cet intérêt général. Nous avons été élus pour cela et nous entendons exercer pleinement ce rôle.
J’espère que ce texte, une fois que le Sénat l’aura adopté, sera très prochainement inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Ce sera, en définitive, pour le Parlement, un élément de force supplémentaire. Monsieur le ministre, le Gouvernement ne se déjugera pas s’il accepte de « réviser sa copie ». (Applaudissements.)