Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est ce que vous appelez du lobbying !
M. Jean-Pierre Sueur. Il a le droit d’aller voir les parlementaires, cela fait partie des libertés fondamentales !
M. Patrice Gélard, rapporteur. … afin de rester extérieure au Défenseur des droits.
Je tiens à préciser que, aux termes de l’article 71-1 de la Constitution, il existe un seul défenseur des droits, et non pas trois, quatre ou cinq ! Les droits des mineurs, des adolescents, sont des droits comme les autres.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est vous qui le dites !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Par conséquent, on ne peut pas les saucissonner.
D’ailleurs, quel poids aurait demain un défenseur des enfants séparé du Défenseur des droits, en d’autres termes une petite organisation face à une organisation constitutionnelle ? Comment le Défenseur des enfants pourrait-il agir alors que le Défenseur des droits aurait la même compétence et pourrait à tout moment se substituer à lui ? Il est donc irréaliste de vouloir maintenir, en dehors du Défenseur des droits, le Défenseur des enfants.
M. Guy Fischer. Et la Convention internationale des droits de l’enfant ?
M. Patrice Gélard, rapporteur. À terme, je pense que le modèle que nous sommes en train de mettre en place, c'est-à-dire l’instauration d’un défenseur des droits muni de très vastes pouvoirs, qui contrôle la totalité des droits et des libertés, sera suivi par d’autres pays. Nous n’avons donc pas à nous référer à des modèles existants qui sont, à mon avis, condamnés à disparaître.
Quant aux différents points soulignés par M. le garde des sceaux, nous sommes partiellement en accord avec le Gouvernement sur certains d’entre eux et en désaccord sur d’autres, et ce pour la simple raison que nous étions parvenus à une entente, en première lecture, avec le précédent garde des sceaux. Nous en sommes par conséquent revenus à ce qui était admis par ce dernier, notamment en ce qui concerne le rôle des collèges et des adjoints, et le droit de « navette », en quelque sorte, entre le Défenseur des droits et les collèges.
En réalité, nous voulons que le Défenseur des droits soit non un « dictateur » des droits, mais véritablement celui qui assure leur défense, et il ne peut le faire qu’en s’entourant de conseils. Il ne peut s’agir d’un homme seul, qui détiendrait la vérité en matière de droits et de libertés, d’où la nécessité du dispositif que nous avons mis sur pied et que nous avons développé.
Enfin, je dirai quelques mots sur le projet de loi ordinaire relatif au Défenseur des droits, sur lequel nous sommes, pour l’essentiel, en parfait accord avec l’Assemblée nationale. Il n’y a donc pas lieu d’y revenir, à l’exception d’un certain nombre de mesures adoptées par l’Assemblée nationale par le biais d’amendements qui ont un rapport extrêmement ténu avec le Défenseur des droits.
Ces dispositions, que le garde des sceaux a évoquées tout à l’heure, concernent la nécessité de mettre rapidement en conformité la pratique avec le droit, sous peine de voir les décisions de la CNIL devenir inopérantes. Si nous ne faisions pas cette réforme, cette dernière autorité disparaîtrait et ses décisions ne pourraient plus être appliquées, ce qui ouvrirait la porte à toute une série de dérives, dont on mesure mal les conséquences aujourd'hui.
La commission s’est par conséquent ralliée aux mesures votées par l’Assemblée nationale, sauf à celle qui vise la composition du collège et la désignation du président de la CNIL.
En effet, elle estime inopportun de régler ce point à l’occasion de l’examen des textes qui nous sont aujourd'hui soumis. D’importants problèmes se posent en effet, notamment la coexistence au sein du collège de deux catégories de membres, seuls les membres de l’une d’entre elles pouvant devenir président, les représentants du Parlement ne disposant pas de cette faculté. Nous ne saurions donc accepter cette situation de gaieté de cœur.
Par conséquent, la commission demande que la question de la composition du collège de la CNIL et de la désignation de son président soit traitée séparément et examinée ultérieurement.
Compte tenu de cette remarque, nous voterons le projet de loi ordinaire, à l’exception de l’article 1er quater, que je viens d’évoquer.
Avant de conclure, je formulerai une dernière remarque. L’Assemblée nationale a cru bon de reconnaître au Défenseur des droits la possibilité d’organiser des actions collectives, auprès du Conseil d’État notamment. Nous estimons que l’action collective doit relever de la compétence des syndicats et des associations représentatives, et non du Défenseur des droits.
M. Robert Badinter. Absolument !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Une telle mesure reviendrait en effet à transférer au Défenseur des droits les quelque 500, 600 ou 700 recours qui sont actuellement soumis au Conseil d’État.
L’action collective est justifiée et mérite un débat au Parlement, mais pas dans le cadre de l’examen des présents textes.
La mise en place du Défenseur des droits constitue une avancée considérable dans la protection des droits et des libertés de nos concitoyens. Cette nouvelle institution à caractère constitutionnel devrait, selon moi, servir de modèle à l’avenir. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le garde des sceaux, avez-vous donc tellement peur,…
M. Jean-Pierre Sueur. … et le Gouvernement avec vous, de l’indépendance d’instances indépendantes ? (M. le garde des sceaux fait un signe de dénégation.) C’est tout le sujet ! C’est tout le débat !
Certes, d’aucuns nous diront que la Constitution a été modifiée. Pour notre part, nous n’avons pas voté en ce sens. Mais pour quel résultat aujourd'hui ? Vous nous proposez un Défenseur des droits nommé par le Président de la République. Et ce Défenseur proposera des adjoints au Premier ministre, qui les nommera. En d’autres termes, le Président de la République nomme le Défenseur des droits, et le Premier ministre nomme les adjoints. Le pouvoir exécutif plus le pouvoir exécutif plus le pouvoir exécutif égalent le pouvoir exécutif !
M. Roland Courteau. Très bien vu !
M. Jean-Pierre Sueur. Mes chers collègues, les institutions qui ont été mises en place ont eu une grande force : elles ont été présidées par des personnalités désignées…
M. Jean-Pierre Sueur. … dans les conditions que nous connaissons – je le dis moi-même ; ainsi, il sera inutile que vous le redisiez, monsieur le garde des sceaux ! (Sourires.) –, et ces personnalités ont réussi à faire vivre l’indépendance des différentes instances. Il était possible de conforter une telle indépendance et même d’aller plus loin !
Mais tout le monde voit qu’il s’agit aujourd'hui d’une régression.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Jean-Pierre Sueur. En effet, le Défenseur des enfants, le président de la Commission nationale de déontologie de la sécurité ou celui de la HALDE n’auront plus du tout la même autorité. Ce seront des adjoints, des « collaborateurs » – pour reprendre une expression chère au Président de la République – du Défenseur des droits. Tout cela parce que vous voulez tout encadrer !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Mais non !
M. Jean-Pierre Sueur. Il faut dire la vérité : dans certains cénacles, on n’a pas beaucoup apprécié que Mme la Défenseure des enfants s’intéresse au sort des enfants dans certains centres de rétention (M. Jean-Pierre Michel applaudit) ou que la HALDE évoque les tests ADN !
M. Roland Courteau. Il fallait le dire !
M. Jean-Pierre Sueur. De même, et je vous renvoie aux écrits de M. Beauvois, magistrat à la Cour de cassation,…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ancien magistrat !
M. Jean-Pierre Sueur. … on n’a pas beaucoup aimé que la CNDS enquête en toute indépendance, fasse des investigations et émette des avis sur certains agissements de représentants de la police ou de la gendarmerie.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais le Défenseur des droits pourra le faire !
M. Jean-Pierre Sueur. Au demeurant, de tels agissements n’étaient pas – nous le savons – représentatifs du travail effectué par la grande majorité des policiers et des gendarmes, qui accomplissent leurs missions dans de bonnes conditions.
L’indépendance des instances concernées est apparue à la fois dans les rapports publiés et dans le travail effectué. Je pense notamment à l’action menée par Mme la Défenseure des enfants à l’échelon international.
Comme vous le savez, dans la plupart des pays européens, il existe des instances indépendantes pour traiter la question des enfants. Tout le monde comprend que les enfants sont vulnérables et ont besoin d’être protégés. Et nous voyons bien qu’un adjoint ou un collaborateur sous l’autorité directe du Défenseur des droits n’auront pas la même autorité !
À cet égard, Mme Versini a écrit ces derniers jours les textes que vous connaissez, M. Molinié a publié un article allant exactement dans le même sens et M. Beauvois dit la même chose.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non ! C’est faux !
M. Jean-Pierre Sueur. Il peut y avoir quelques différences entre eux, mais si tous ont ressenti la nécessité de nous écrire, ce n’est tout de même pas pour rien !
Certes, il y aura, nous dit-on, des collèges. Mais, monsieur le garde des sceaux, vous nous expliquez que ces collèges ne doivent pas avoir trop de pouvoirs. Et nous ne savons pas très bien ce que seront leurs prérogatives exactes, ni qui les nommera. Ce que nous savons, c’est qu’ils ne devront pas être trop indépendants…
Et lorsque le Défenseur des droits ne suivra ni les recommandations de son adjoint ni celles du collège, il ne sera pas tenu de motiver sa décision. C’est ce qui ressort de votre texte, monsieur le garde des sceaux. Telle est la vérité !
Il n’y aura pas d’indépendance ! Le Défenseur des droits pourra prendre des décisions contraires à l’avis des adjoints, privés de tout pouvoir, et à celui des membres du collège, eux aussi privés de tout pouvoir, et il n’aura même pas à justifier ses choix !
M. Roland Courteau. C’est bien une régression !
M. Jean-Pierre Sueur. Franchement, mes chers collègues, tout le monde sait que ce que je dis est vrai.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais non !
M. Jean-Pierre Sueur. À partir du moment où tout le monde sait que ce que je dis est vrai, comment le Sénat pourrait-il valider une telle régression ? Ce que vous habillez par la création du Défenseur des droits est en réalité une centralisation de l’institution !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Mais non !
M. Jean-Pierre Sueur. Vous refusez l’indépendance des instances en cause, qui ont fait preuve de leur efficacité, car vous ne supportez tout simplement pas qu’elles puissent émettre leur avis dans les conditions que nous connaissons !
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean-Pierre Sueur. La France, paraît-il, est le pays de la séparation des pouvoirs. Nous sommes, m’avait-on dit, les enfants et les petits-enfants de Montesquieu.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vous n’êtes pas un héritier de Montesquieu, vous !
M. Jean-Pierre Sueur. En quoi serait-il préjudiciable à la République d’avoir une pluralité d’instances chargées de veiller scrupuleusement à l’État de droit et de défendre les concitoyens ?
M. Patrice Gélard, rapporteur. C’est la Constitution !
M. Jean-Pierre Sueur. Les enfants, la déontologie de la sécurité sont des sujets tellement sensibles et importants.
À propos des discriminations, monsieur le garde des sceaux, nous avons même entendu votre collègue du Gouvernement, qui fut présidente de la HALDE, nous expliquer devant la commission des lois du Sénat qu’elle défendrait bec et ongles l’indépendance de l’institution !
M. Jean-Pierre Michel. Plaisanterie ! Rigolade !
M. Jean-Pierre Sueur. Je crains que ses paroles ne fussent, en l’espèce, quelque peu éphémères.
Et j’entends dire, ici ou là, que la nomination du futur Défenseur des droits pourrait obéir à quelques considérations de confort… (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) On a évoqué telle ou telle circonstance liée à tel ou tel redécoupage des circonscriptions…
M. Roland Courteau. Oh ! Serait-ce possible ? (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Jean-Pierre Sueur. Je sais bien que vous vous placez tout à fait au-dessus de telles considérations, monsieur le garde des sceaux ! (Mêmes mouvements.) Mais vous voyez bien les procès qui existeront de toute manière.
Lors de la révision constitutionnelle, nous avions proposé, et nous vous soumettrons de nouveau cette très belle idée aujourd'hui, que le Défenseur des droits et même ses adjoints fussent désignés par la majorité positive des trois cinquièmes des représentants des commissions parlementaires compétentes.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais arrêtez ! Ce sont des bêtises !
M. Jean-Pierre Sueur. Cela obligerait…
M. Patrice Gélard, rapporteur. À nommer les plus bêtes !
M. Jean-Pierre Sueur. … à trouver des consensus sur des personnalités présentant une haute valeur éthique dans leur domaine de compétences.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Jean-Pierre Sueur. Vous n’en voulez pas, alors que cela existe dans nombre de pays étrangers. Vous avez tort.
Pour notre part, nous défendrons la République de Montesquieu… (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP.)
M. Patrice Gélard, rapporteur. Montesquieu n’a jamais été républicain !
M. Jean-Pierre Sueur. … et la nécessité d’instances indépendantes pour protéger les droits les plus essentiels, auxquels nous sommes tous profondément attachés ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard. (M. Yvon Collin applaudit.)
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, il s’agit aujourd'hui d’appliquer la Constitution, que l’on ait approuvé la révision de 2008 ou non.
M. Jacques Mézard. Et le projet de loi qui nous est soumis évolue constamment, s’agissant en particulier du périmètre de compétences du nouveau Défenseur des droits.
C’est rare, mais je ne partage pas l’opinion de notre excellent collègue Jean-Pierre Sueur. En effet, comme il vient lui-même de nous le démontrer, des présidents d’autorité administrative qui avaient été désignés dans des conditions similaires ont pu agir en toute indépendance.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Eh oui !
M. Jean-Pierre Sueur. Je l’ai dit !
M. Jacques Mézard. Aujourd'hui, la commission des lois du Sénat et son rapporteur proposent des modifications sensibles au texte issu des travaux de l’Assemblée nationale. Si nous approuvons fortement les changements visant le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, d’autres nous paraissent moins positifs.
En application de l’article 71-1 de la Constitution, le Défenseur des droits est chargé d’exercer une compétence générale en matière de protection des droits et libertés.
Alors que nous avons l’habitude d’être constamment interpellés par les citoyens sur le thème « J’ai le droit de… », tout en étant perdu dans les arcanes permettant de faire reconnaître de tels droits ou leur inexistence, et que la solitude du citoyen paraît souvent inversement proportionnelle à la multiplication des moyens de communication et des structures d’assistance, le Défenseur des droits peut être un moyen de rassurer le citoyen face à ce qu’il considère comme une complexification constante de la société, avec l’arbitraire qui semble l’accompagner.
Selon nous, cette nouvelle institution n’a de sens que si elle est accessible à chacun, efficace sur le terrain, et si elle dispose des moyens indispensables à une telle mission. Elle n’a de sens que si elle est véritablement indépendante, gage d’une impartialité indiscutable.
Tout comme notre collègue Jean-Pierre Sueur, nous avons déploré que l’application de l’article 13 de la Constitution prévoie la nomination du Défenseur des droits par décret en conseil des ministres, le seul barrage étant la majorité négative des trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions permanentes compétentes de chaque assemblée.
S’il est un domaine dans lequel la désignation doit être la plus exemplaire, la plus signifiante du point de vue de l’éthique, c’est bien celui du Défenseur des droits.
Nous ne sommes pas favorables à la multiplication des autorités administratives plus ou moins indépendantes, dont l’inflation non seulement est coûteuse, mais les rend illisibles pour le citoyen et souvent inaudibles par l’État et l’opinion. Selon le Conseil d’État, en 2001, il existait trente-quatre autorités administratives indépendantes, dont la plupart d’entre nous aurions le plus grand mal à citer une petite minorité.
Il nous paraît donc souhaitable de procéder au regroupement de plusieurs de ces autorités administratives indépendantes dans le cadre du présent projet de loi, à la condition qu’il y ait une cohérence dans les champs d’action qui leur sont dévolus. S’il résulte des travaux de la commission que le Défenseur des droits se voie confier deux fonctions relevant de deux logiques différentes – c’est là le problème –, le contrôle et la médiation, il existe néanmoins un risque que l’une de ces deux missions ne soit privilégiée lorsqu’elles sont regroupées et exercées par une autorité unique. La cohabitation de ces deux responsabilités peut devenir délicate.
Par rapport à cette logique, il nous semble parfaitement justifié que la HALDE et le Défenseur des enfants soient regroupés au sein de la nouvelle entité. L’Histoire le démontre : mon groupe – je ne siégeais pas au Sénat à l’époque – avait unanimement voté la création de la HALDE, alors que d’autres s’y étaient opposés.
M. Yvon Collin. Exactement !
M. Jacques Mézard. À mon sens, d’autres autorités administratives indépendantes auraient d’ailleurs pu être concernées par un tel regroupement.
Nous avons pu avoir le sentiment que la résistance des responsables chargés des deux autorités précitées et les campagnes médiatiques coûteuses utilisées à cette fin relevaient plus de la défense des fonctions de responsabilité susdites que de celle des discriminés et des enfants.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Bravo !
M. Jacques Mézard. En première lecture, j’avais souligné le caractère corporatiste de certaines réactions et l’inopportunité de l’utilisation de fonds publics pour mener des campagnes promotionnelles.
J’en viens au Contrôleur général des lieux de privation de liberté et à la CNDS.
Nous souscrivons pleinement à la position de la commission refusant l’intégration en l’état du Contrôleur général au sein du Défenseur des droits.
Selon le rapport de la commission, le Contrôleur général « exerce avant tout, par un droit de visite des lieux de privation de liberté, une mission de contrôle, afin de s’assurer du respect des droits intangibles inhérents à la dignité humaine. » Il intervient sans saisine, sachant que l’homme privé de liberté est souvent trop fragilisé pour saisir directement l’autorité administrative indépendante.
Vous rappelez également dans ce document, monsieur le rapporteur, que l’Assemblée nationale, considérant que les missions de la CNDS sont très proches de celles du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, leur avait appliqué la même solution : le report de leur fusion au sein de celles du Défenseur des droits au 1er juillet 2014. Pour nous – et nous sommes en désaccord sur ce point avec vous –, il est illogique que vous ne nous proposiez pas d’appliquer le même traitement à ces deux autorités, en rejetant, en l’état, cette fusion. La CNDS a considéré, très justement, que la nouvelle organisation, notamment le mode de désignation des membres des collèges, n’offrait aucune garantie d’impartialité objective.
De plus, le projet de loi organique permet aux autorités mises en cause de s’opposer à une vérification sur place « pour des motifs graves et impérieux liés à la défense nationale ou à la sécurité publique » ; pour passer outre ce refus, le Défenseur des droits doit saisir le juge des référés, sans que les conditions de forme et de procédure soient davantage précisées, monsieur le rapporteur. En outre, le projet de loi organique initial accordait au Défenseur des droits le pouvoir arbitraire de rejeter, en cette matière, toute requête sans motivation. C’est donc à juste titre que la CNDS a pu déclarer que, sur ce point, le texte marquait un recul des garanties démocratiques. Pour nous, cette observation est importante.
Dans un autre registre, nous souscrivons à l’analyse du rapporteur, lorsqu’il considère que la procédure d’action collective en droit administratif doit encore « faire l’objet de réflexions complémentaires »…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est le moins que l’on puisse dire !
M. Jacques Mézard. C’est un euphémisme !
En résumé, ce texte, depuis l’origine, nous pose un problème de principe, du fait de l’application de l’article 13 de la Constitution, mais à l’exception du problème posé par la disparition de la CNDS, sur lequel nous ne pouvons souscrire aux conclusions de la commission, il réalise certaines avancées que nous reconnaissons. En conséquence, la majorité des membres du groupe du RDSE s’abstiendront. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, dès la révision constitutionnelle de juillet 2008, les membres du groupe CRC-SPG avaient exprimé leur scepticisme quant à la création du Défenseur des droits.
Soyons clairs : mon groupe est favorable, comme nous l’avions déjà dit à l’époque, à la consécration de la défense des droits dans la Constitution ; nous souhaiterions même y inscrire les principes de l’effectivité et de l’opposabilité des droits fondamentaux, mais la majorité l’a refusé ! Nous avions également indiqué notre accord à l’exercice, avec des pouvoirs accrus, par le futur Défenseur des droits des missions actuelles du Médiateur de la République et à sa saisine directe par les citoyens.
Cependant, nous n’avions pas voté la création du Défenseur des droits – ni d’ailleurs la révision constitutionnelle –, car cette création posait d’emblée un certain nombre de problèmes : la nomination de cette autorité par le Président de la République, sur la base de l’article 13 de la Constitution, ne garantissait aucunement son indépendance ; le périmètre de ses compétences et ses moyens d’intervention n’étaient pas précisément définis ; en revanche, l’absorption par le Défenseur d’autorités administratives indépendantes, qui avaient pourtant fait la preuve de leur utilité et de leur pertinence, était annoncée.
Vous avez voulu nous convaincre que le Défenseur des droits français serait en quelque sorte « copié » sur les ombudsmen existant dans d’autres pays, comme en Espagne ou dans les pays nordiques. Je ne crois absolument pas à cette « copie » d’institutions appartenant à des pays aux constitutions très différentes de la nôtre.
En Espagne, par exemple, le Défenseur du peuple a été créé dans une période historique précise, l’après-franquisme, et dans un système monarchique. Ses attributions sont plus ou moins celles de notre Médiateur de la République, mais l’Espagne est un pays fédéral et les régions ont chacune leur propre défenseur des droits, intervenant comme un médiateur. Le Défenseur du peuple est donc loin de connaître du nombre des saisines qui attendra le Défenseur des droits français.
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quant aux pays nordiques, de petite taille, plusieurs d’entre eux sont aussi des monarchies. Il est difficile, là encore, de comparer les interventions de leurs ombudsmen avec celles du Défenseur des droits français. A contrario, dans la plupart de ces pays, les ombudsmen sont désignés par les assemblées parlementaires, ce qui garantit le respect d’un minimum d’impartialité dans leur nomination. Or vous proposez de faire le contraire !
Vous ne manquez pas de souligner, dans le débat, que les quatre autorités fusionnées au sein du Défenseur des droits ont, elles aussi, été nommées par l’exécutif : cette affirmation a été maintes fois répétée devant la commission. Vous nous dites donc – je vous ai entendu, monsieur le rapporteur ! – que l’indépendance n’est pas liée au mode de nomination. De facto, vous reconnaissez l’indépendance des autorités en cause, et vous affirmez que, puisqu’elles sont nommées par l’exécutif, cette indépendance est sans lien avec le mode de nomination. Curieuse façon de « revisiter » le problème !
Tout d’abord, nous défendons, pour ce qui nous concerne, le principe de la nomination par le Parlement, statuant à la majorité des trois cinquièmes de ses membres, de toute autorité qui se veut indépendante ; pour l’instant, cette règle ne s’applique même pas en France…
En revanche, la brève histoire des autorités dites « indépendantes » prouve que la spécificité de ces dernières attachées à des domaines précis et, pour certaines, la pluralité de leur collège leur ont permis d’être au plus près de la réalité du terrain et d’être mieux à même de prendre une certaine distance à l’égard de l’exécutif. Ces autorités sont donc perfectibles, mais la recentralisation sur la seule personne nommée par le Président de la République ne nous paraît pas la bonne voie, au contraire ! D’ailleurs, comme l’a indiqué élégamment notre collègue Jean-Pierre Sueur, les supputations relatives aux personnes qui pourraient être désignées ne nous rassurent absolument pas !
M. Roland Courteau. En effet !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La nomination du Défenseur des droits selon la procédure prévue par l’article 13 de la Constitution ne peut qu’entacher son autorité morale, et donc la crédibilité de ses décisions. Nous examinons aujourd’hui une sixième version des dispositions relatives aux modalités de sa mise en œuvre. Hélas, jusqu’à présent, le débat parlementaire n’a pas apporté de réponse aux préoccupations exprimées par mon groupe – et pas uniquement par lui, vous en conviendrez.
Certes, en première lecture, la commission des lois, sous votre impulsion, monsieur le rapporteur, a tempéré le projet de loi initial sur certains aspects. Elle a bien perçu des contradictions inhérentes à l’institution du Défenseur des droits, au regard de la composition, de la spécificité, des modes d’intervention des autorités administratives indépendantes actuelles. Elle a tenté, par exemple, de redonner une certaine visibilité à leurs missions en créant des adjoints spécialisés du Défenseur des droits.
Dans le même temps, le rapporteur et la majorité ont décidé de faire disparaître la HALDE, qui était encore indépendante, au sein des missions du Défenseur des droits. À l’époque, sa présidente fraîchement nommée – mais devenue aujourd’hui membre du Gouvernement – défendait le principe d’une existence indépendante de la HALDE. Comme quoi la situation est assez bizarre !
Concernant le Défenseur des enfants, nous avons pu nous réjouir qu’une majorité se soit dégagée en séance publique, lors de la première lecture, pour maintenir son existence formelle. Mais c’était sans compter sur l’obstination du Gouvernement à la mettre en cause ni sur le revirement qu’il a alors obtenu de sa majorité. Ce précédent augure bien mal de l’indépendance du futur défenseur !
Depuis, à l’Assemblée nationale, la majorité, ne s’embarrassant pas même d’un « apprêt » démocratique, a supprimé l’intervention parlementaire dans la nomination des adjoints et en a fait de simples « assistants » – des « chefs de service non identifiables » comme le dit avec raison Mme Versini. Ce faisant, les députés de la majorité ont retiré toute visibilité à la spécificité des missions du Défenseur des droits, y compris celles de défenseur des enfants, que le Sénat avait un tant soit peu reconnue, eu égard à la convention internationale relative aux droits de l’enfant et à la particularité de ces missions, qui ne se limitent pas à la défense de dossiers individuels. Ils ont réduit la composition et les pouvoirs des collèges et exclu toute cooptation en leur sein de personnes qualifiées bénéficiant d’une large reconnaissance et – ce n’était pas la moindre des dispositions – ils ont transféré au Défenseur des droits les missions du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Bien entendu, la commission des lois du Sénat est revenue sur cette disposition inacceptable, mais la logique suivie par le Gouvernement apparaît dans toute son évidence : il s’agit de recentraliser toutes les fonctions de contrôle sous la coupe d’un seul personnage, nommé par le Président de la République.
La Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, soulignait, voilà déjà un an, à propos du contour de la nouvelle autorité : « la multiplicité des buts recherchés et les versions successives des projets relatifs au Défenseur des droits expliquent les incertitudes et ambiguïtés de la disposition constitutionnelle finale [...] ». Un an après, cette appréciation demeure d’actualité.
Il peut sembler pour le moins paradoxal que des dispositions devant fonder la protection des droits et des libertés puissent être perçues comme inquiétantes, au point de susciter autant de critiques de la part d’associations, d’organisations non-gouvernementales, de syndicats, de la CNCDH, et même des responsables des autorités visées, bien qu’elles aient été nommées par le Président de la République.
Qu’il s’agisse du Défenseur des enfants, de la HALDE ou de la CNDS, autorités qui ont toutes une courte existence, le bilan de leur activité confirme leur utilité et leur pertinence. Mais nul n’ignore qu’ils gênent le Gouvernement, ou tel ou tel détenteur de pouvoirs.
Dans son dernier rapport, le Comité des droits de l’enfant a pointé du doigt des évolutions qui contredisent l’esprit de la convention internationale relative aux droits de l’enfant, en matière de justice des mineurs, de traitement des mineurs étrangers isolés, ou encore de mal-logement et de pauvreté des enfants. Ce constat rejoint les préoccupations exprimées par le Défenseur des enfants depuis la création de cette autorité. Souvenez-vous : les parlementaires de la majorité avaient très peu apprécié, y compris dans cet hémicycle, que cette dernière dénonce les grandes disparités observées, entre départements, dans le domaine de l’enfance.
Pour ce qui concerne la HALDE, « elle a permis de mettre fin à l’impunité dans un certain nombre de domaines » – pardonnez-moi si j’ai plaisir à reprendre les termes employés par Mme Bougrab lorsqu’elle en était présidente, même si elle a sûrement changé d’avis depuis ! Serait-ce précisément ce comportement que vous reprochez à cette institution ? Ou encore ses prises de position contre les tests ADN pour les candidats au regroupement familial ? Ou ses mises en cause de grosses entreprises comme BNP-Paribas ou Airbus en raison de pratiques discriminatoires ? Pour nous, tant que les discriminations existeront, tant que le combat pour l’égalité sera justifié, la HALDE aura vocation à poursuivre son activité, y compris à un niveau global.