Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. S’ils le faisaient, cela se verrait !
M. Guy Fischer. Je crains que tel ne soit pas le cas ! Pour notre part, croyez-moi, mes chers collègues, nous allons nous pencher sur le problème du suicide au travail, car il nous faut affronter cette réalité.
Ces réflexions nous conduisent – c’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons déposé cette motion –, à nous interroger sur la conception que vous vous faites de la médecine du travail.
À l’occasion de la réforme des retraites, nous avons compris que, pour vous, le droit à la reconnaissance de la pénibilité se bornait à un simple constat de la situation d’invalidité du salarié. J’en veux pour preuve le projet de décret communiqué aux partenaires sociaux, qui prévoit que, pour les seuils d’incapacité compris entre 10 % et 20 %, aucun départ anticipé à la retraite ne pourrait être envisagé si le salarié ne fait pas la démonstration – particulièrement difficile ! – d’une exposition de 17 ans à des facteurs de risque. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)
Dans un tel contexte, je comprends que vous n’ayez plus besoin d’une médecine du travail prédictive et préventive, celle-ci n’étant plus dès lors considérée par le patronat que comme un coût supplémentaire venant grever un travail prétendument trop cher. (Une alarme retentit dans l’hémicycle.)
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Fischer. Cette sonnerie indique simplement que votre temps de parole est écoulé.
M. Guy Fischer. Après les afficheurs de chronomètres, un signal sonore ? C’est une première ! Je ne savais même pas qu’un tel dispositif était installé dans l’hémicycle. (Rires.)
Mais je termine, monsieur le président.
En 1946, l’instauration de la médecine du travail était adoptée à l’unanimité. En 2011, la proposition de loi que nous sommes appelés à examiner n’est approuvée que par ceux qui se voient confier tous les pouvoirs, c'est-à-dire le patronat. Elle divise jusqu’à la majorité, nous l’avons vu en commission des affaires sociales.
La santé des salariés de notre pays mérite que s’ouvre un vrai débat public, débouchant sur une loi à la fois de consensus et de progrès. Nous en sommes loin !
Le groupe CRC-SPG estime que l’adoption de cette question préalable constituerait une nouvelle chance de moderniser la médecine du travail. C’est la raison pour laquelle, chers collègues, nous vous invitons à l’adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Anne-Marie Payet, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les dispositions de la proposition de loi reprennent, il est vrai, celles qui ont été censurées par le Conseil constitutionnel, mais pour des raisons de forme, des dispositions que le Sénat avait déjà approuvées le 26 octobre dernier.
Chacun en est bien conscient, la réforme de la médecine du travail est nécessaire et urgente. On « nuirait » donc à la santé de salariés, pour reprendre les termes des auteurs de la motion, si la médecine du travail n’était pas très vite réformée, pour fixer ses missions dans la loi, encadrer la pluridisciplinarité en accordant une place prépondérante au médecin du travail, ou encore prévoir que le conseil d’administration sera composé à parts égales de représentants des salariés et des employeurs.
Enfin, monsieur Fischer, je vous rappelle que la proposition de loi a bien été soumise aux partenaires sociaux. Le seul point de désaccord, quand il y en a un, concerne la gouvernance, c'est-à-dire l’article 3.
Mme Annie David. Mais non !
Mme Anne-Marie Payet, rapporteur. La CGT et la CFDT ont d’ailleurs écrit à Mme la présidente de la commission des affaires sociales. Permettez-moi de citer un passage de cette lettre : « Heureusement, la réaffirmation du principe de pluridisciplinarité, l’inscription des missions des services de santé au travail dans la loi, l’émergence d’un pôle régional de responsabilité, vont dans le bon sens. »
Pour ces raisons, la commission des affaires sociales a émis un avis défavorable sur cette question préalable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Xavier Bertrand, ministre. Monsieur le président, ayant expliqué ma position à l’issue de la discussion générale, je pense que M. Fischer ne sera pas surpris que le Gouvernement émette un avis défavorable sur cette motion.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après réflexion, nous voterons la question préalable déposée par nos collègues du groupe CRC-SPG. Pour autant, nous pensons, dans le droit fil de la position que nous avions adoptée au moment de l’examen de la partie consacrée à la médecine du travail du projet de loi portant réforme des retraites, que ce sujet mérite d’être débattu, sans doute en nous référant à un texte autre que celui qui nous est ici proposé.
Je le répète, madame le rapporteur, nous aurions adopté une attitude différente si l’on nous avait proposé le texte issu du vote du Sénat.
Je regrette que vous n’ayez pas retenu ce texte. Ayant participé à la commission mixte paritaire, je peux vous dire que c’est essentiellement sous la pression de nos collègues de l’Assemblée nationale que le texte a été modifié.
Il eût été préférable que le Sénat s’en tienne à ce qui avait fait l’objet de très longs débats. Si l’examen des treize articles a duré une nuit à l’Assemblée nationale, au Sénat, il s’est déroulé sur plusieurs jours. Nous étions parvenus à intégrer – bien souvent avec l’accord d’Éric Woerth, alors ministre du travail – un certain nombre de modifications positives.
Je regrette donc vraiment que le texte qui nous est proposé ne soit pas celui du Sénat. Cela m’incitera à voter la motion de nos collègues.
J’en viens à la gouvernance et à vos propos sur les organisations syndicales. Pour les avoir auditionnées de nouveau depuis quelques jours, j’ai pu le constater, leurs appréciations sont divergentes et la gouvernance n’est pas le seul sujet à poser problème.
Les médecins du travail expriment, sur la gouvernance, une appréciation parfois un peu divergente de celle des organisations syndicales mais, surtout, ils restent très inquiets pour leur indépendance. Il nous revient de les rassurer.
Quant à l’adage auquel vous avez eu recours, madame le rapporteur, le « qui paie commande », sachez qu’il me révulse.
Dans la médecine du travail, si les employeurs paient, c’est parce qu’ils sont contraints par la loi à verser une contribution pour assurer la santé et la sécurité de leurs salariés. Cela ne leur donne aucun droit de propriété ! C’est une contribution à la santé de 16 millions de salariés et non un droit de propriété sur la santé des travailleurs !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les salariés aussi paient !
M. Jean-Pierre Godefroy. C’est une cotisation que les employeurs mettent à la disposition de la société tout entière. Il s’agit d’une contribution d’ordre public qui n’est en rien la marque d’une appropriation privée de la médecine du travail.
J’ajouterai deux précisions sur le « qui paie commande ».
Je connais bien le problème de l’amiante et j’ai travaillé dans une entreprise de construction navale où la médecine du travail était intégrée. Le principe « qui paie commande » y était appliqué. Or la construction navale concentre précisément les entreprises où les victimes de l’amiante sont les plus nombreuses…
Au surplus, appliqué en matière de santé publique, le principe est extrêmement dangereux ! Je l’affirme en tant que rapporteur adjoint de la mission commune d’information sur le bilan et les conséquences de la contamination par l’amiante, dont le président, M. Jean-Marie Vanlerenberghe, approuvera mes propos. (M. Jean-Marie Vanlerenberghe le confirme.)
En tant que président de la mission d’information sur le mal-être au travail, j’ajouterai que, appliquer ledit principe aux troubles psychosociaux chez France Télécom, au technopôle de Renault ou à La Poste, et sachant le nombre des suicides qui sont à déplorer aujourd’hui, c’est donner presque un aval aux propos tout à fait désastreux de l’ancien président de La Poste qui, au sujet des suicides, parlait d’un « effet de mode » !
M. Alain Gournac. Je suis d’accord avec vous !
M. Guy Fischer. Oui !
M. Jean-Pierre Godefroy. Qui paie ne commande pas en matière de santé ! Qui paie ne commande pas en matière de sécurité des salariés !
Il est dommage qu’un tel propos puisse être retenu comme argument dans un débat qui concerne la médecine du travail.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je voterai, bien sûr, cette motion.
J’ajouterai néanmoins quelques remarques sur le principe selon lequel qui paie décide.
En matière de santé et d’accidents du travail, très souvent, le patronat refuse de payer. Il freine des quatre fers chaque fois que les salariés invoquent la responsabilité de l’employeur, que ce soit à titre individuel, en cas d’accident ou de maladie, ou à titre collectif, dans le cas de l’amiante, par exemple.
Le patronat a toujours essayé de limiter sa responsabilité et d’aucuns n’hésitent pas à imputer les accidents du travail aux salariés eux-mêmes. On entend ce type de propos, même dans la bouche de certains parlementaires.
On le sait très bien, le patronat ne reconnaît sa responsabilité que contraint. Or, si le patronat ne paie pas, qui paie pour les conséquences de la mauvaise santé, le décès voire les suicides de salariés, puisque, aujourd’hui, telle est la forme que prend leur désespoir ? Ce sont les salariés, nos concitoyens, c’est-à-dire les contribuables !
On ne peut pas considérer que, parce que le patronat paie une contribution pour la santé au travail, il a le droit de décider. C’est totalement incongru !
M. le président. Mes chers collègues, le terme exact est sans doute « l’entreprise », plutôt que « l’employeur », comme l’a fait observer tout à l’heure M. Jean-Marie Vanlerenberghe.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 53, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du texte élaboré par la commission.
(La motion n'est pas adoptée.)
M. le président. En conséquence, nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission.
Article 1er
I. – Le code du travail est ainsi modifié :
1° Les articles L. 4622-2 et L. 4622-4 sont ainsi rédigés :
« Art. L. 4622-2. – Les services de santé au travail ont pour mission exclusive d’éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail. À cette fin, ils :
« 1° Conduisent les actions de santé au travail, dans le but de préserver la santé physique et mentale des travailleurs tout au long de leur parcours professionnel ;
« 2° Conseillent les employeurs, les travailleurs et leurs représentants sur les dispositions et mesures nécessaires afin d’éviter ou de diminuer les risques professionnels, d’améliorer les conditions de travail, de prévenir la consommation d’alcool et de drogues sur le lieu de travail, de prévenir ou de réduire la pénibilité au travail et de contribuer au maintien dans l’emploi des travailleurs ;
« 3° Assurent la surveillance de l’état de santé des travailleurs en fonction des risques concernant leur sécurité et leur santé au travail, de la pénibilité au travail et de leur âge ;
« 4° Participent au suivi et contribuent à la traçabilité des expositions professionnelles et à la veille sanitaire. » ;
« Art. L. 4622-4. – Dans les services de santé au travail autres que ceux mentionnés à l’article L. 4622-7, les missions définies à l’article L. 4622-2 sont exercées par les médecins du travail. Ils agissent en toute indépendance et en coordination avec les employeurs, les membres du comité d’hygiène et de sécurité et des conditions de travail ou les délégués du personnel, les intervenants en prévention des risques professionnels et les personnes ou organismes mentionnés à l’article L. 4644-1. » ;
2° La section 2 du chapitre II du titre II du livre VI de la quatrième partie est complétée par trois articles L. 4622-8, L. 4622-9 et L. 4622-10 ainsi rédigés :
« Art. L. 4622-8. – Les missions des services de santé au travail sont assurées par les médecins du travail et une équipe pluridisciplinaire comprenant des intervenants en prévention des risques professionnels et des infirmiers. Ces équipes peuvent être complétées d’assistants des services de santé au travail et de professionnels recrutés après avis des médecins du travail. Les médecins du travail coordonnent l’équipe pluridisciplinaire et prescrivent ses interventions.
« Art. L. 4622-9. – Les services de santé au travail comprennent un service social du travail ou coordonnent leurs actions avec celles des services sociaux du travail externes.
« Art. L. 4622-10. – Les priorités des services de santé au travail sont précisées, dans le respect des missions générales prévues à l’article L. 4622-2 et en fonction des réalités locales, dans le cadre d’un contrat d’objectifs et de moyens conclu entre le service, d’une part, l’autorité administrative et les organismes de sécurité sociale compétents, d’autre part, après avis des organisations d’employeurs, des organisations syndicales de salariés représentatives au niveau national et des agences régionales de santé.
« Les conventions prévues à l’article L. 422-6 du code de la sécurité sociale sont annexées à ce contrat.
« La durée, les conditions de mise en œuvre et les modalités de révision du contrat d’objectifs et de moyens sont déterminées par décret. » ;
3° L’article L. 4622-8 devient l’article L. 4622-15 ;
4° L’intitulé du chapitre IV du même titre II est ainsi rédigé : « Actions et moyens des membres des équipes de santé au travail » ;
5° Le même chapitre IV est complété par un article L. 4624-4 ainsi rédigé :
« Art. L. 4624-4. – Des décrets en Conseil d’État précisent les modalités d’action des personnels concourant aux services de santé au travail ainsi que les conditions d’application du présent chapitre. » ;
6° Le titre IV du livre VI de la quatrième partie est complété par un chapitre IV ainsi rédigé :
« Chapitre IV
« Aide à l’employeur pour la gestion de la santéet de la sécurité au travail
« Art. L. 4644-1. – I. – L’employeur désigne un ou plusieurs salariés compétents pour s’occuper des activités de protection et de prévention des risques professionnels de l’entreprise.
« À défaut, si les compétences dans l’entreprise ne permettent pas d’organiser ces activités, l’employeur peut faire appel, après avis du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou, en son absence, des délégués du personnel, aux intervenants en prévention des risques professionnels appartenant au service de santé au travail interentreprises auquel il adhère ou dûment enregistrés auprès de l’autorité administrative, disposant de compétences dans le domaine de la prévention des risques professionnels et de l’amélioration des conditions de travail.
« L’employeur peut aussi faire appel aux services de prévention des caisses de sécurité sociale avec l’appui de l’Institut national de recherche et de sécurité dans le cadre des programmes de prévention mentionnés à l’article L. 422-5 du code de la sécurité sociale, à l’organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics et à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail et son réseau.
« Cet appel aux compétences est réalisé dans des conditions garantissant les règles d’indépendance des professions médicales et l’indépendance des personnes et organismes mentionnés ci-dessus. Ces conditions sont déterminées par un décret en Conseil d’État.
« II. – Les modalités d’application du présent article sont déterminées par décret. »
I bis (nouveau). – Le 6° du I entre en vigueur à la date de publication des décrets prévus au II de l’article L. 4644-1.
II. – L’habilitation d’intervenant en prévention des risques professionnels délivrée avant la date d’entrée en vigueur de la présente loi vaut enregistrement, au sens de l’article L. 4644-1 du code du travail, pendant une durée de trois ans à compter de la date de publication de la présente loi.
III. – À l’issue d’un délai de dix-huit mois à compter de la publication de la présente loi, les clauses des accords collectifs comportant des obligations en matière d’examens médicaux réalisés par le médecin du travail différentes de celles prévues par le code du travail ou le code rural et de la pêche maritime sont réputées caduques.
M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade, sur l'article.
Mme Odette Terrade. L’article 1er de la proposition de loi relative à la médecine du travail, s’il ne reprend pas exclusivement le texte élaboré par le MEDEF, s’en inspire largement et constitue donc une manifestation de mépris à l’égard des organisations syndicales et des salariés, à qui vous imposez des mesures qui n’ont pas fait l’objet d’accord entre partenaires sociaux.
Et, si accord il n’y a pas eu, c’est qu’il demeure d’importantes divergences portant sur des sujets aussi sensibles et aussi importants que la périodicité des visites médicales, la procédure d’inaptitude, le financement ou encore la gouvernance des services de santé au travail.
Il ne s’agit pas là d’une mince affaire et nous sommes convaincus que, sur un sujet comme celui-ci, il est de notre responsabilité de tout faire pour trouver des points d’accord entre les partenaires sociaux.
Voilà pour la forme. Or le fond nous mécontente également. En effet, avec l’article 1er, vous affirmez vouloir définir les missions des services de santé au travail et réformer leur organisation afin – je cite le rapport de notre collègue Anne-Marie Payet – de « définir un cadre d’intervention commun à l’ensemble des acteurs, sans modifier les missions historiquement attribuées aux médecins du travail ».
Compte tenu de l’état actuel de la médecine du travail et de sa nécessaire adaptation aux pathologies nouvelles, dont le nombre augmente de façon exponentielle – je vise, chacun l’aura compris, les troubles psychiques liés au travail, dont nous venons de parler –, personne ne saurait évidemment s’opposer à un tel projet.
Il faut, d’ailleurs, reconnaître qu’une réforme de la médecine du travail est incontournable, ne serait-ce qu’en raison d’une part, des problèmes de démographie médicale, déjà longuement évoqués par mes collègues, et, d’autre part, de la situation de la France en matière de santé au travail, car, rappelons-le, notre pays n’est pas le mieux positionné au plan européen.
La réalité est toute différente.
Monsieur le ministre, votre gouvernement fait le choix de placer la médecine du travail non sous l’impulsion du médecin du travail, mais sous la responsabilité des directeurs de services de santé au travail qui sont, chacun le sait, placés en situation de dépendance financière vis-à-vis des employeurs.
L’exercice de la médecine du travail exige une liberté totale. Les médecins du travail, tout comme l’ensemble des membres de l’équipe pluridisciplinaire, doivent pouvoir agir en toute autonomie, librement, sur le fondement des témoignages qu’ils reçoivent lors de leurs consultations, des constats qu’ils formulent ou des enquêtes de santé publique au travail.
Or la rédaction actuelle pose le principe d’un lien de subordination du médecin à l’employeur, via le directeur du service de santé au travail. Le médecin devient en quelque sorte un exécutant, comme s’il appartenait aux employeurs de missionner les médecins du travail ! Or ces derniers n’ont qu’une mission, éviter l’altération de la santé au travail des salariés. Je doute fort que les employeurs, qui ne disposent d’aucune compétence particulière en la matière, soient les mieux placés pour les aider dans cette mission…
Certains de nos collègues croient d’ailleurs que l’employeur à toute légitimité à agir ainsi, puisque la loi, y compris le code pénal, prévoit une obligation de résultat quant à la préservation de la santé du salarié. Ils se trompent ! Cette obligation vise la réduction des risques, c’est-à-dire que l’employeur ne peut pas exposer ses salariés à des situations pouvant altérer leur santé.
Alors, pourquoi une telle tutelle ? Sans doute pour réduire le champ de compétence et d’intervention de la médecine du travail. L’air de rien, les médecins du travail perdent ce que l’on pourrait appeler une clause de compétence générale, afin de se concentrer – comme le prévoit l’alinéa 12 de cet article – sur des « priorités ».
Ces priorités sont définies par l’employeur, c’est-à-dire celui qui missionne le service de santé au travail et le rémunère, mais aussi celui qui expose les salariés à de potentielles atteintes à la santé.
Il y a là un conflit d’intérêt évident que nous ne pouvons accepter.
Les partenaires sociaux développent, d’ailleurs, des propositions alternatives, comme la création d’un corps de médecins du travail financé et rattaché au ministère de la santé ou à la sécurité sociale, à l’image de ce qui existe pour les médecins experts.
Il aurait fallu prendre le temps d’étudier ces propositions avant de légiférer. C’est pourquoi nous voterons contre cet article, dont, par ailleurs, nous proposons la suppression. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. L'amendement n° 18, présenté par Mme David, M. Fischer, Mme Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Par cet amendement, nous proposons de supprimer l’article 1er, dont nous considérons que la rédaction ne prend pas la pleine mesure de ce que devrait être une réelle et ambitieuse réforme de la médecine du travail.
J’ajouterai quelques arguments complémentaires à ce qui vient d’être dit.
En effet, comment pouvez-vous avoir pour ambition de réformer la médecine du travail quand vous imposez aux représentants des salariés une réforme qu’ils n’ont pas voulue, de surcroît sans vous interroger sur le travail lui-même ?
S’il existe des médecins du travail, ce n’est pas parce que les salariés sont malades sur leur lieu de travail, mais bien parce que leur travail les rend malades, à moins que le travail ne soit malade lui-même…
De plus, vous entérinez le principe d’une médecine du travail aux ordres des employeurs, à qui il reviendrait de définir les missions des services de santé au travail et de prévoir leur financement. Autant dire que tout cela sera inscrit dans d’étroites limites et que les équipes pluridisciplinaires n’auront d’autre possibilité que de s’y conformer.
Et, pour que les choses soient bien claires, cet article prévoit expressément qu’il s’agit avant tout de mettre en œuvre des priorités au sein de ces missions.
Vous ne vous arrêtez pas là et considérez que l’employeur peut nommer un ou plusieurs salariés de l’entreprise pour intervenir dans un domaine qui, cela va de soi, exige un certain nombre de compétences particulières.
En commission – et j’en remercie madame le rapporteur –, vous avez admis ce point et accepté un de nos amendements qui a pour objet de permettre à ces salariés de bénéficier d’une formation en ce domaine. Nous nous en réjouissons.
Là encore, la question de l’indépendance est primordiale. Si le lien de dépendance entre les différents acteurs des services de santé au travail est indirect, il est, en revanche, évident pour ces salariés, placés en situation de subordination.
On voit mal comment, alors qu’ils ne bénéficient pas de protections particulières, ils pourraient oser proposer des interventions non approuvées par l’employeur.
De la même manière, s’il est heureux que le médecin du travail bénéficie d’une protection particulière vis-à-vis de l’employeur pour lequel il intervient, il n’est pas acceptable que les autres membres de l’équipe pluridisciplinaire ne bénéficient pas de cette protection.
Si l’on souhaite que la constitution de telles équipes soit une véritable chance pour les salariés, qui peuvent alors bénéficier d’une prise en charge globale, il faut prendre toutes les mesures qui s’imposent pour que leurs interventions ne puissent jamais être guidées par d’autres intérêts que ceux des salariés.
Le schéma d’organisation que vous prévoyez, chers collègues, opère un basculement encore jamais vu, entre une médecine du travail dédiée aux salariés, telle qu’elle fut imaginée en 1946, M. Guy Fischer l’a rappelé, et une médecine du travail de l’entreprise.
Cette dépossession pourrait se définir comme une précarisation et une reprise en main par le patronat de la médecine du travail, ce qui n’est souhaitable ni pour les salariés de notre pays ni pour nos entreprises.
Ce sont toutes ces raisons qui nous amènent à vous proposer la suppression de cet article.
(M. Roger Romani remplace M. Roland du Luart au fauteuil de la présidence.)