M. René-Pierre Signé. Il ne s’agit pas d’euthanasie !
M. Roland Courteau. Changez de vocabulaire !
M. Xavier Bertrand, ministre. D’après les sondages, 94 % des Français approuvent une législation qui permettrait l’euthanasie,…
Mme Raymonde Le Texier. C’est le ministre qui parle d’euthanasie !
M. Xavier Bertrand, ministre. … mais 36 % d’entre eux, seulement, pensent que la mesure ne devrait s’appliquer qu’en cas de souffrance insupportable et insurmontable !
Si l’on examine les sondages dans le détail et que l’on précise le sens des mots, 60 % des Français préfèrent le développement des soins palliatifs à la légalisation de l’euthanasie. (M. Alain Gournac opine.) Cette proportion s’élève à 75 % chez les plus de soixante ans. (M. Alain Gournac opine de nouveau.) Par ailleurs, 68 % des Français, soit plus des deux tiers d’entre eux, ne savent pas aujourd'hui qu’il existe une loi interdisant l’acharnement thérapeutique.
M. Guy Fischer. À qui la faute ?
M. Xavier Bertrand, ministre. Telle est la réalité !
Ces chiffres nous permettent de mesurer les avancées à réaliser, mais aussi les difficultés rencontrées pour faire connaître la loi Leonetti du 22 avril 2005. Quoi qu’il en soit, je préfère mesurer le chemin qu’il reste à parcourir plutôt que de me tromper de chemin. Voilà aussi le choix que le Gouvernement souhaite proposer ! (Applaudissements sur la plupart des travées de l’UMP. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)
Les Français veulent que l’on accompagne la fin de vie en soulageant le plus possible la souffrance, ils ne souhaitent pas que l’on donne la mort, et ce n’est pas du tout la même chose !
M. Jacques Blanc. Tout à fait !
M. Xavier Bertrand, ministre. Ce qui est en jeu, c’est, pour chacun d’entre nous, l’angoisse de souffrir. L’euthanasie est synonyme d’apaisement des souffrances. (Mme Raymonde Le Texier s’exclame.)
M. Roland Courteau. Euthanasie n’est pas le mot !
M. Xavier Bertrand, ministre. Or les soins palliatifs permettent d’apaiser ces souffrances. Concrètement, il y a trois aspects cruciaux sur lesquels les soins palliatifs permettent d’agir efficacement : soulager la douleur physique, accompagner la peur de la solitude et prendre en compte le sentiment d’indignité, c’est-à-dire le sentiment terrible de ne plus servir à rien, de peser sur son entourage, d’être une charge pour la société. Là, l’accompagnement psychologique, mais aussi, bien sûr, l’accompagnement de la famille et des proches jouent un rôle essentiel. Les soins palliatifs savent faire cela.
M. Jacques Blanc. Tout à fait !
M. René-Pierre Signé. Non !
M. Jacques Blanc. Si !
M. René-Pierre Signé. Les soins palliatifs, ce n’est pas ça !
M. Xavier Bertrand, ministre. Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, ce n’est pas d’une loi qui autorise à donner la mort, c’est d’une application de la loi actuelle, celle du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie. (Applaudissements sur de nombreuses travées de l’UMP. – M. Guy Fischer s’exclame.) Monsieur Fischer, j’apporterai des éléments de réponse sur ce point.
M. Bernard Piras. Nous aussi, nous en apporterons !
M. Xavier Bertrand, ministre. Je l’ai dit : plus des deux tiers des Français ignorent que cette loi existe.
Un sénateur du groupe socialiste. C’est la faute de l’opposition ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Xavier Bertrand, ministre. Elle apporte pourtant des réponses adaptées aux situations de fin de vie. Elle proscrit l’obstination déraisonnable de soins, elle autorise la limitation ou l’arrêt de traitements, ainsi que l’usage des antalgiques. Cette loi reconnaît également le droit du malade à demander une limitation ou un arrêt du traitement. Les choses sont prévues dans la loi.
M. René-Pierre Signé. Il faut l’appliquer !
M. Xavier Bertrand, ministre. Lorsque le malade est inconscient, la loi dispose que sa volonté doit être respectée telle qu’elle a été exprimée préalablement ou au travers du témoignage de sa famille et de ses proches.
La volonté du Gouvernement est donc claire : développer les soins palliatifs et refuser l’acharnement thérapeutique. (Mme Raymonde Le Texier s’exclame.)
M. René-Pierre Signé. Ce n’est pas la même chose !
M. Xavier Bertrand, ministre. Nous allons donc poursuivre le programme de développement des soins palliatifs et la prise en charge des personnes en fin de vie.
M. Bernard Piras. Bla-bla-bla !
M. Xavier Bertrand, ministre. Le Président de la République a fait du pilotage du programme de développement des soins palliatifs une priorité absolue en juin 2008. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Bernard Piras. Ah ! voilà !
Un sénateur du groupe socialiste. Avec tant d’autres !
M. Bernard Piras. Il ne faut pas mentir, alors !
M. René-Pierre Signé. Ce n’est pas le sujet du débat !
M. Xavier Bertrand, ministre. … a été confié au docteur Régis Aubry, spécialiste reconnu dans la prise en charge palliative. Il prévoit, en particulier, d’augmenter en quatre ans, de 2008 à 2012, significativement le nombre de patients en fin de vie pris en charge et de créer 1 200 lits de soins palliatifs dans les hôpitaux. Nous sommes en train d’atteindre ce dernier objectif (M. René-Pierre Signé s’exclame.), notamment en fléchant des crédits pour la mise en place des soins palliatifs dans les établissements de santé. L’idée est d’éviter d’attribuer des crédits qui, au dernier moment, pour des questions de priorités locales, seraient alloués à d’autres missions. (Exclamations sur plusieurs travées du groupe socialiste.) C’est l’engagement que je prends en tant que ministre de la santé.
Monsieur le rapporteur, un des enjeux est de permettre aux soins palliatifs – dont vous parlez – d’être une réalité dans les établissements. (Mme Raymonde Le Texier s’exclame.) J’ai bien conscience, au moment où nous avons ce débat, que nous devons prendre des engagements renforcés sur ce point. Il ne s’agit pas pour moi d’annoncer l’ouverture de 1 200 lits, il s’agit de faire en sorte que les patients et les familles concernés puissent en bénéficier. (M. René-Pierre Signé s’exclame.)
Le Gouvernement s’est également engagé à appliquer les recommandations issues du rapport de Jean Leonetti de décembre 2008 sur la fin de vie. Ainsi, la loi du 2 mars 2010 a institué une allocation d’accompagnement d’une personne en fin de vie. C’est important pour certains aidants.
Nous devons aussi approfondir le débat sur la prise en charge de la fin de vie. Je compte sur l’Observatoire national de la fin de vie, créé en février 2010, pour promouvoir les travaux de recherche sur l’euthanasie et le suicide assisté. Vous le savez, certaines études sont d’ailleurs déjà en cours, dont nous connaîtrons les résultats dès le mois de septembre prochain, soit très rapidement. Nous devons notamment analyser attentivement les expériences étrangères : en Belgique, par exemple, cette pratique est légale, mais seulement 53 % des cas d’euthanasie sont rapportés au comité de contrôle. Cela signifie donc que 47 % des euthanasies sont pratiquées en dehors du cadre légal. Chacun doit par conséquent bien mesurer les risques encourus si nous adoptions un dispositif moins précis que celui qui est aujourd’hui en vigueur en Belgique.
Les études indépendantes dont nous disposons, réalisées dans d’autres pays, permettent de porter un regard objectif sur ce qui s’est passé dans les pays d’Europe qui ont changé non pas le système de prise en charge de la fin de vie, mais le système de fin de vie.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous en avons bien conscience : derrière les textes, il est avant tout question de situations de souffrance, insupportables pour les malades et pour leurs proches. Nous avons tous reçu de nombreux témoignages – vous êtes élus, je le suis également. Bien souvent, ce sont des témoignages que l’on porte dans sa chair ou dont on se dit que l’on devra un jour les rapporter, pour soi-même ou pour ses proches.
Il est important aussi, ce soir, de faire preuve d’une réelle pédagogie sur ce sujet. Marie de Hennezel disait en effet que « les propositions de loi sur l’euthanasie fleurissent sur le terreau de la méconnaissance ». En tant que parlementaires, vous connaissez le dossier ; vous-même, monsieur le rapporteur, vous le suivez depuis longtemps. Voilà pourquoi je respecte la position que vous défendez, même si je ne la partage pas. Quelles que soient nos convictions, nous devons, bien entendu, écouter avec respect les arguments de chacun et ne pas nous en tenir à des idées toutes faites, dans ce débat qui, à mon sens, n’a rien de partisan. Je me souviens d’ailleurs qu’avant l’adoption de la loi Leonetti un travail avait été réalisé en commun par deux parlementaires, Nadine Morano et Gaëtan Gorce, ce qui montre bien que ce sujet dépasse et transcende les clivages politiques. Quelles que soient nos opinions, nous devons choisir de privilégier la réflexion et la conviction, plutôt que l’émotion et la précipitation.
En effet, notre responsabilité consiste à mieux répondre aux souffrances, à protéger les personnes vulnérables, et non à donner volontairement la mort à autrui. C’est ainsi que nous répondrons de la façon la plus juste et la plus digne au difficile débat sur la fin de vie. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Mme Anne-Marie Payet ainsi que MM. Gilbert Barbier et Jean-Marie Bockel applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard. (Mmes Fabienne Keller et Christiane Kammermann ainsi que M. Pierre Hérisson applaudissent.)
Mme Valérie Létard. Monsieur le président, messieurs les ministres, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, avant d’entrer dans le vif du débat, permettez-moi de vous dire à quel point j’apprécie d’avoir rejoint les rangs de la commission des affaires sociales.
Sur les trois propositions de loi qui ont été soumises à discussion commune, notre débat en commission a été, je tiens à le dire, respectueux des personnes et des convictions. Je tiens à remercier notre présidente, Mme Dini, qui a su maintenir cet esprit de sérieuse réflexion. Les législateurs que nous sommes ont pleinement conscience que ce sujet est grave et qu’il mêle intimement l’éthique, le juridique et le sociétal.
Permettez-moi également de saluer, avec beaucoup d’émotion, le travail tout à fait remarquable effectué par le président Nicolas About,…
M. Daniel Raoul. Il est où ? (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. René-Pierre Signé. Il est à bout ! (Même mouvement.)
Mme Valérie Létard. … dont le jugement perspicace, la capacité d’écoute et le souci d’apporter des solutions mesurées vont, à n’en pas douter, nous manquer. Mais la réflexion engagée par le groupe de travail sur la fin de vie constitué sur son initiative demeure. Ce groupe de travail a apporté une contribution très riche à ce débat et je tenais à le remercier de la justesse des pistes qu’il a tracées.
Enfin, permettez-moi aussi de saluer la qualité du travail de notre rapporteur, Jean-Pierre Godefroy. Quelle que soit l’issue finale de nos débats, sa contribution pour faire avancer la prise en compte de la fin de vie dans un sens toujours plus respectueux des volontés exprimées par les patients ajoute une pierre utile à notre réflexion commune.
Revenons à la question de l’aide médicalisée à mourir. Ce débat est, je le crois, nécessaire, et c’est tout à l’honneur de notre Haute Assemblée d’avoir eu le courage de l’ouvrir.
Cette question n’a pas surgi par hasard : elle s’est développée avec les progrès indéniables de la médecine. Une vision parfois très technicienne de celle-ci s’est avérée de plus en plus inadaptée au moment de la fin de vie, où la possibilité de soigner pour guérir n’existe plus. La médecine a dû s’adapter : la mort survient désormais, le plus souvent, au terme d’un long processus de souffrance et de déchéance physique, parfois dans une détresse psychique et morale qui atteint le malade comme ses proches. Qui ne connaît l’état d’épuisement des accompagnants, au point que nous avons choisi, à juste de titre, d’instaurer un congé spécifique et, depuis la loi du 2 mars 2010, de le rémunérer, grâce une allocation d’accompagnement de la personne en fin de vie ?
Faisant suite à plusieurs textes, dont la proposition de loi adoptée sur l’initiative de notre ancien collègue Lucien Neuwirth, qui avait été un précurseur, la loi du 22 avril 2005, dite « loi Leonetti », s’est attachée à stopper l’acharnement thérapeutique, à mieux informer le patient, à mieux prendre en compte aussi sa volonté et à promouvoir un accès généralisé aux soins palliatifs. Cette loi constitue une avancée majeure. Puis-je rappeler que l’ensemble du groupe de l’Union centriste avait, en 2005, apporté son soutien à ce texte ?
Que constatons-nous, six ans après l’adoption de cette loi ? Malgré le volontarisme du Gouvernement et les plans successifs pour augmenter le nombre de places dans les services de soins palliatifs, beaucoup de malades et de leurs proches ne trouvent ni l’information dont ils ont besoin ni une prise en charge adaptée.
M. Guy Fischer. Effectivement !
Mme Valérie Létard. Trop peu sont entourés de personnels formés et capables de leur apporter le réconfort psychique comme physique dont ils ont cruellement besoin.
Un sénateur du groupe socialiste. Tout est dit !
Mme Valérie Létard. Nous constatons également un trop grand décalage entre l’affichage de créations de places nouvelles et, dans les faits, des moyens trop insuffisants fléchés spécifiquement sur les soins palliatifs. (M. Bernard Piras s’exclame.) Vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, et je vous donne acte de votre engagement, le Gouvernement fait effectivement un effort de fléchage des crédits sur les soins palliatifs, mais nous devons rester extrêmement vigilants, à l’avenir, afin que ces crédits ne se perdent pas dans les dotations globales versées aux hôpitaux,…
M. Jean-Jacques Mirassou. Eh oui !
Mme Valérie Létard. … qui pourraient être parfois tentés de les utiliser à d’autres fins, parce qu’ils font face à des urgences de toute nature. Il faut donc réaffirmer la nécessité d’être présent à ce rendez-vous, cet aspect me paraît très important.
Nous constatons enfin que trop peu de professionnels se sont approprié cette loi dans toutes ses dimensions.
Si ce débat sur ce que beaucoup ont choisi de renommer « légalisation de l’euthanasie » perdure, c’est bien le signe que les progrès accomplis n’ont pas encore permis de prendre en compte toutes les détresses de la fin de vie. Pour ma part, je ne crois pas que la commission des affaires sociales, en examinant ces propositions de loi, ait choisi d’ouvrir un débat sur l’euthanasie en général. (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe socialiste. – M. Guy Fischer applaudit également.) Notre commission s’est juste rendue à l’évidence que certaines situations n’étaient pas réglées par les dispositions de la loi Leonetti.
M. Jean Desessard. Voilà !
M. Jean-Jacques Mirassou. Très bien !
Mme Valérie Létard. En instaurant la généralisation des soins palliatifs, nous avons, en même temps, reconnu que le patient en fin de vie avait droit à la parole et qu’il était acteur de sa vie jusqu’au bout.
M. Jean Desessard. Voilà !
Mme Valérie Létard. Cela suppose que, dans ces situations, la décision ne soit plus seulement entre les mains des soignants : cette décision se partage. À n’en pas douter, une véritable évolution culturelle doit faire son chemin : un patient qui accepte d’être davantage maître de son destin, un soignant attentif à la volonté exprimée par le soigné.
Tels sont, pour moi, les termes du débat. Ils méritent d’être abordés en évitant, de part et d’autre, les crispations, les anathèmes et les caricatures. Oui donc au débat, parce que nous nous rassemblons tous sur un point : nous voulons collectivement que notre société permette aux personnes de « bien » mourir et que la mort cesse d’être escamotée, mais puisse au contraire être partagée, accompagnée, réintégrée dans le processus de la vie dont elle ne constitue que l’ultime étape. Telles sont les raisons qui m’ont incitée, tout comme Nicolas About dont je partageais l’avis, à voter l’article 1er de la présente proposition de loi en commission.
En votant cet article, j’ai aussi souhaité que l’on reconnaisse les « zones grises » que notre législation a laissé perdurer. Notre collègue Sylvie Desmarescaux nous a proposé, hier soir, de visionner un témoignage sur le fonctionnement de la maison médicale Jeanne Garnier. Ce film, Les yeux ouverts, comprend une séquence où une équipe médicale choisit, à la demande d’un malade, d’interrompre un traitement, entraînant trois jours plus tard le décès de la personne. N’est-ce pas, si l’on veut bien y réfléchir, une certaine forme d’assistance à mourir ? Celle-ci est légale, d’autres ne le seraient pas. Pour moi, la limite entre les deux doit cependant susciter notre interrogation, car elle appelle la réflexion et le débat. Mais pour qu’il y ait débat, encore faut-il savoir quelle est exactement la situation aujourd’hui en France.
M. le président. Il faut songer à conclure, ma chère collègue.
Mme Valérie Létard. Nous avons besoin d’un état des lieux qui permette de connaître quelles sont les pratiques, quelles sont les dérives, quelles conséquences nous serions en droit d’attendre d’un changement de la législation. À ce niveau-là, il faut reconnaître que nous ne disposons pas d’une photographie précise de ce qui se passe. (Marques d’impatience sur les travées de l’UMP.)
Mme Isabelle Debré. C’est fini !
Mme Valérie Létard. L’Observatoire de la fin de vie, créé en 2010 seulement, ne dispose pas encore des données suffisantes pour nous renseigner.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue !
Mme Valérie Létard. Nous avons donc besoin d’études complémentaires afin de nous permettre de nous positionner avant l’adoption d’un texte comme celui que nous examinons ce soir. Aujourd’hui, rien n’est réglé. Il nous faut maintenant, parce que de nombreuses situations demandent effectivement… (Nouvelles marques d’impatience sur les mêmes travées.)
M. le président. Ma chère collègue, il faut conclure !
Mme Valérie Létard. Si vous le permettez, monsieur le président, puisque, sur un sujet aussi difficile, je ne peux pas aller au bout de mon propos (Protestations sur les travées de l’UMP.) ni le démontrer, je conclurai par deux phrases.
Il y a encore place pour la réflexion, afin que les prescriptions d’une telle loi apportent toutes les garanties face à des situations d’infinie fragilité où doivent se combiner protection et respect des volontés de la personne. Les débats autour de la loi Leonetti montrent bien qu’il reste des situations auxquelles la législation actuelle ne répond pas complètement. Tôt ou tard, cette loi devra être complétée.
Le mérite du Sénat est d’ouvrir le débat. Nous devons continuer à le faire vivre jusqu’à ce que se dégage un consensus suffisamment fort. C’est la raison pour laquelle, bien que favorable au principe contenu dans l’article 1er de cette proposition de loi, je m’abstiendrai lors du vote final (Ah ! sur les travées de l’UMP.), tout simplement parce que je pense que la loi Leonetti doit être complétée et mieux appliquée. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’Union centriste et du groupe socialiste. – Mme la présidente de la commission des affaires sociales et M. Jacques Blanc applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Desmarescaux. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
Mme Sylvie Desmarescaux. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le débat qui nous réunit aujourd’hui n’est pas, loin s’en faut, le premier sur la fin de vie, mais, parce qu’il nous renvoie à nos convictions profondes, à notre approche personnelle – je dirais même viscérale – de la vie et de la mort, il reste toujours aussi vif et lourd de sens pour chacun d’entre nous.
Les heures que nous consacrons à ce thème difficile de la fin de vie sont utiles et ne sont pas sans nous rappeler ce qu’Albert Camus appelait « l’absurdité de la condition humaine ». Finalement, ce qu’il y a de plus révoltant dans la vie, c’est la mort – la nôtre, évidemment, mais aussi, et peut-être surtout, celle de nos proches. En dehors de toute considération religieuse, c’est bien la conscience de cette mort inéluctable qui permet aussi à l’homme de goûter les moments présents.
Les auteurs des propositions de loi, réunies en un seul texte, veulent légaliser une procédure d’euthanasie prônant des principes de respect et de dignité de la personne.
Mme Raymonde Le Texier. Encore l’euthanasie !
Mme Sylvie Desmarescaux. À mon sens, cette approche de la fin de vie n’est ni complète ni sereine. Rendre effectif et équitable l’accès aux moyens antalgiques, accompagner les personnes et leurs proches lorsque la vie arrive à son terme et favoriser le développement des soins palliatifs me semblent, en effet, davantage coïncider avec une approche « globale » de la fin de la vie. Autour de ces défis, mes chers collègues, nous avons un combat profondément « politique » à mener, une vision du « vivre ensemble » à défendre et à faire progresser. Tels me semblent être les engagements à tenir ; nous le devons, en tant que législateurs, à nos concitoyens.
La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie a permis, chacun en convient, de réelles avancées en consacrant, notamment, le principe d’obstination déraisonnable et le droit au refus d’un traitement.
En 2005, l’hypothèse d’une légalisation de l’euthanasie, c’est-à-dire de l’injection de substances létales visant délibérément à faire mourir, avait été écartée. Parce qu’elle est constitutive du socle sur lequel notre société repose, cette différence éthique fondamentale entre le fait de donner la mort et celui de ne pas l’empêcher à tout prix doit être maintenue.
M. Jacques Blanc. Très bien !
Mme Sylvie Desmarescaux. Notre rôle de législateur sera rempli si nous appréhendons le débat sur la fin de vie de façon générale, et non au travers du seul prisme de l’euthanasie. (M. René-Pierre Signé s’exclame.)
Il n’est, à mon sens, ni du rôle de la loi ni de notre devoir de parlementaires de mettre en place, sans connaissance préalable des conséquences qu’ils emportent, des mécanismes permettant de mettre délibérément un terme à la vie. Celle-ci est un bien trop précieux !
Depuis quelques années, on observe les prémices d’une véritable diffusion de la « culture palliative ». Tout doit être mis en œuvre pour continuer à avancer dans cette voie. Les actions en matière de développement de l’offre de soins palliatifs, à l’hôpital, en ville, dans les établissements d’accueil pour personnes âgées ou handicapées, doivent effectivement être poursuivies.
Je tiens d’ailleurs à saluer ici le travail formidable réalisé par ces équipes auprès des patients et de leur famille en termes d’accompagnement et de soutien. Au regard de la qualité des soins dispensés aux patients et de l’accompagnement proposé aux proches, il n’est pas rare de constater qu’une personne qui demande à mourir change d’avis quelques jours plus tard.
Comme beaucoup d’entre vous le savent, mes chers collègues, je l’ai vécu avec ma fille. Mes propos ne sont donc pas des paroles rapportées. Notre fille est morte dans la dignité parce qu’elle a fini sa vie entourée de personnes convaincues de sa dignité, malgré sa maladie et en dépit de ses souffrances.
Pour les raisons que je vous ai exposées, il ne me semble pas que le débat sur la fin de vie doive se résumer à la question de la légalisation, ou non, de l’euthanasie. En revanche, il doit être appréhendé dans son ensemble, avec toute l’humanité que nous devons au sujet.
De plus, nous ne disposons pas en l’état actuel de connaissances suffisantes pour investir de façon optimale ce débat. Des données factuelles précises devraient émerger des travaux de l’Observatoire national de la fin de vie, mis en place en septembre dernier.
Loin de sondages reflétant une réalité aléatoire, il est également essentiel, à mon sens, qu’un débat sociétal puisse avoir lieu et que les avis des acteurs du système de soins, mais également des malades eux-mêmes, soient connus. Il ne s’agit d’ignorer ni la souffrance ni la douleur ; il est question de prendre le recul nécessaire pour poser les bonnes questions et y apporter des réponses, certes concrètes, mais aussi – et surtout – mesurées.
M. Jean Desessard. D’accord ! Mais lesquelles ?
Mme Sylvie Desmarescaux. Aussi, vous l’aurez compris, mes chers collègues, je ne voterai pas ce texte. (Applaudissements sur la plupart des travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, comme cela vient d’être rappelé par M. Xavier Bertrand, 94 % des Français seraient favorables à une légalisation de l’euthanasie, selon un sondage de l’IFOP réalisé en octobre dernier.
Ce chiffre se veut convaincant pour certains,…
M. Guy Fischer. Nous ne l’avons pas utilisé !
M. Gilbert Barbier. … mais chacun ici sait que le résultat est souvent affaire de formulation. Quand on propose la mort sans souffrance, je suis personnellement surpris que 57 personnes sur les 956 interrogées se prononcent contre.
A également été évoqué le sondage d’OpinionWay dans lequel 60 % des Français déclarent préférer le développement des soins palliatifs à la légalisation de l’euthanasie, 52 % estimant même qu’une loi légalisant cette démarche comporterait des risques de dérives.
Mes chers collègues, je ne pense pas qu’on peut sérieusement se fier aux sondages pour répondre à un problème aussi complexe et aussi sensible que celui que rencontre chacun d’entre nous face à la mort. Le sujet dont nous traitons aujourd’hui mérite un peu plus de dignité et de respect !
J’ai par exemple entendu, dans mon département, le président de l’association défendant cette proposition de loi dénoncer régulièrement les « voleurs de liberté » que seraient notamment les médecins parlementaires, « sourds à la souffrance de leurs semblables et partisans de l’acharnement thérapeutique ».
M. Gilbert Barbier. J’étais médecin, je suis parlementaire et je m’oppose à la légalisation de l’euthanasie : je serais donc un « voleur de liberté »… Soit, mais qu’il me soit permis au moins d’en donner les raisons !
En réalité, nombre de nos concitoyens trouvent une justification à l’euthanasie dans une analyse ou une tentative d’analyse de leur propre mort. Les sondages nous disent une seule chose, toute simple : « je ne veux pas souffrir ». Nous sommes à peu près tous dans cette disposition.
Toutefois, la question posée aujourd’hui n’est pas celle de notre propre mort, dont Freud disait qu’il nous est absolument impossible de nous la représenter car « toutes les fois que nous l’essayons, nous nous apercevons que nous y assistons en spectateurs [et], dans son inconscient, chacun est persuadé de sa propre immortalité ».
La question est de savoir si la société doit reconnaître un droit à l’aide active à mourir – soyons clairs, un droit de tuer (Exclamations sur plusieurs travées du groupe socialiste.) Appelons les choses comme elles doivent l’être ! – au nom de la dignité du malade et du respect de sa volonté.
Il s’agit bien de cela dans la proposition de loi qui nous est présentée. Au-delà des intentions sans doute sincères, au-delà des précautions de langage, reste le fait que c’est bien un tiers qui dispose d’une vie qui n’est pas la sienne, fût-ce dans des circonstances limitées et avec l’accord de l’intéressé.