M. Yannick Bodin. Vous êtes là pour représenter un lobby ou pour défendre l’intérêt général ?
M. Dominique de Legge. Enfin, d’une façon plus générale, je voudrais souligner que notre pays est l’un de ceux qui affectent le plus de moyens humains et financiers à l’enseignement secondaire, sans pour autant que nos résultats reflètent cet effort.
On doit s’interroger sur la cause de cette situation. Je pense au nombre d’options dans le second degré, si consommatrices d’heures d’enseignement. Je pense aussi au cloisonnement des matières et des spécialités. Des options très peu enseignées conduisent à ne pas pouvoir offrir des postes à temps plein. Pour éviter de sous-utiliser les compétences, pourquoi ne pas chercher à les mutualiser ? On pourrait aussi imaginer des passerelles entre des matières « voisines », comme le français et l’histoire, et introduire ainsi davantage de souplesse dans la gestion des ressources humaines.
Monsieur le ministre, je souhaite que vous puissiez nous éclairer sur de possibles évolutions dans ces domaines, en dépassant la seule considération des effectifs comptables, au profit d’une réflexion sur la rationalisation du contenu des enseignements.
En conclusion, je dirai que je souscris aux efforts nécessaires d’assainissement des finances publiques, qui passent notamment par la réduction des emplois publics. Mais je suis convaincu qu’il faut accomplir cette démarche avec pragmatisme et l’accompagner de la recherche de solutions visant à améliorer les contenus et l’organisation des enseignements. Élèves, enseignants et finances publiques ont tout à y gagner. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet.
M. Jean-Luc Fichet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2010, l’enseignement agricole comptait 173 000 élèves, 838 établissements et 90,2 % de taux d’insertion professionnelle : autant dire du jamais vu !
Pourtant, enseignement et formation professionnelle aux métiers de l’agriculture, de la forêt, de la nature et des territoires souffrent d’un désintérêt alarmant de la part du Gouvernement.
La rapporteur elle-même s’en est inquiétée en commission de la culture, dénonçant la logique de rationnement et le pilotage des effectifs par l’offre de formation, c’est-à-dire par l’enveloppe budgétaire définie a priori Il faut pourtant permettre à tous ceux qui le souhaitent de suivre cet enseignement d’excellence.
Toutefois, nous pouvons saluer la décision du Premier ministre de maintenir le programme Enseignement technique agricole dans la mission « Enseignement scolaire ». En effet, l’agriculture ne représentant que 20 % de l’enseignement et de la formation professionnelle aux métiers de l’agriculture, de la forêt, de la nature et des territoires, une autre décision aurait été perçue comme un signal particulièrement négatif face à la richesse des formations.
Le budget paraît en hausse, mais veillons à ne pas nous laisser tromper par ce leurre grossier. Les crédits affichent certes une hausse de 2,5 %, mais l’enseignement agricole est familier des ajustements budgétaires de dernière minute. Cela explique que, de 2006 à 2010, le programme 143 ait bénéficié d’abondements de 29,39 millions de l’éducation nationale. Le transfert total au budget de l’agriculture aurait donc encore fragilisé le budget de l’enseignement agricole.
Si, de 1995 à 2005, les effectifs ont augmenté de 10 % dans l’enseignement agricole, il n’empêche que celui-ci souffre d’un cruel manque de professeurs. De nombreuses classes à faible effectif ont dû être fermées. Les effets sont particulièrement graves en milieu rural.
La diminution du plafond du programme est l’enjeu majeur. Il diminue de 214 équivalents temps plein pour 2011 par rapport à 2010, et le plafond d’emplois est fixé à 14 876 équivalents temps plein. Cela laisse entrevoir la véritable volonté politique du Gouvernement, qui, sous couvert d’augmentation des crédits, supprime des postes. Des effectifs d’enseignants, des emplois sont toujours aujourd’hui menacés, des titulaires ne sont pas remplacés, des postes sont précarisés. Cela représente 300 personnes pour cette rentrée 2010.
L’enseignement agricole participe à l’effort de réduction des dépenses publiques et à l’objectif de non-remplacement d’un fonctionnaire en départ à la retraite sur deux dans la fonction publique, avec 120 départs à la retraite non renouvelés en 2011.
Ce nombre est jugé « raisonnable » par le ministre de l’agriculture. Il faut cependant savoir que l’enseignement agricole présente des caractéristiques d’organisation bien différentes de l’enseignement général et que les professeurs y sont moins nombreux. La rapporteur du Sénat, joignant sa voix à celle du député Yves Censi, rapporteur à l’Assemblée nationale, s’est émue de cette diminution du nombre d’enseignants.
Le moratoire dont l’enseignement public a bénéficié de la part du Gouvernement pour 2010 n’était qu’un leurre. C’était reculer pour mieux sauter puisque les suppressions de postes vont bien avoir lieu en 2011. Les reports de charge d’année en année sont aussi un des problèmes prégnants dans l’enseignement agricole. Ce n’est qu’un artifice visant à masquer la diminution des financements. La clarté est la forme la plus difficile du courage. Or, à ce titre, la sincérité du budget peut être remise en cause.
Que penser des fermetures de classes en milieu rural, du refus d’accepter des élèves alors que la demande grandit ? C’est un raisonnement à la logique absconse, qui ne se justifie que sur un plan cyniquement financier. Les postes supprimés, c’est une offre moindre à terme, donc plus d’élèves refusés et mis au ban de la scolarité.
Le bilan net de l’ouverture de classes fait apparaître un solde de 25,5 classes en moins pour 2008-2009, de 65 classes en moins pour 2009-2010. Il faut mettre un terme à cet appauvrissement des moyens, qui est parfaitement délibéré. Vous annoncez, monsieur le ministre, que vous allez étudier la pertinence d’un maintien de classes de petits effectifs Mais ne s’agit-il pas, une fois de plus, que d’un vœu pieux ?
On assiste désormais essentiellement à des fermetures et à des regroupements qui ne prennent pas en compte la réalité des attentes des territoires. Les parents qui n’ont pas d’offre locale ne pourront pas faire bénéficier leurs enfants de cet enseignement d’excellence. On diminue les effectifs pour montrer que les effectifs diminuent au lieu d’attribuer les effectifs en fonction de la demande.
De plus, les réformes promises, comme la réforme du lycée et du baccalauréat professionnel, n’ont pas été mises en place. Il y a également des craintes que certaines structures du type maison familiale ne puissent pas aller jusqu’au baccalauréat professionnel, ce qui les condamne à court terme.
L’enseignement agricole ne doit pas être sacrifié sur l’autel du déficit public. Le choix du Gouvernement est celui du désengagement de l’État sans cap pour l’avenir. Dans ces conditions budgétaires, l’autonomie prévue dans la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche est difficilement applicable.
Comment agir ? Il faut faire en sorte d’assurer une juste stabilisation des effectifs, voire une augmentation pour permettre à l’enseignement agricole d’avoir la place qu’il mérite. Les effectifs des professeurs doivent répondre à la demande, c'est-à-dire correspondre au nombre d’élèves, et non l’inverse.
La spécificité de cet enseignement doit être respectée et encouragée. À l’heure où l’on prône l’innovation, voilà un modèle ! Mais je crains qu’il ne faille plutôt dire que c’était un modèle. En effet, les réductions d’effectifs entraînent la destruction d’un secteur d’innovation reconnu.
Que dire du peu d’égard manifesté par le Gouvernement quant à la qualité de l’enseignement agricole ? Investir pour l’emploi permet à tous les jeunes de s’insérer dans le monde du travail, même à ceux qui sont le plus en difficulté. J’en déduis que ce n’est pas la priorité du Gouvernement.
Monsieur le ministre, nous ne comprenons pas vos arbitrages et encore moins ce qui les motive, sinon des questions d’argent. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. René-Pierre Signé.
M. René-Pierre Signé. Monsieur le ministre, l’école est toujours proclamée fabrique de la nation, creuset de la République, mais son désarroi inquiète les Français, sans que cette inquiétude ait vraiment gagné les classes dirigeantes.
À peine préconise-t-on des journées de réflexion sur l’éducation, à l’heure où l’ascenseur social enregistre de multiples pannes et où l’illettrisme explose, ce qui devrait tout de même démontrer l’importance de la question scolaire.
Un jeune sur deux se dit angoissé quant à son avenir, sans que l’école lui apparaisse comme une planche de salut. La baisse du niveau scolaire et la violence que connaissent trop d’établissements ont nourri une crise de confiance.
L’école n’est pas coupable de la fracture sociale. Elle la subit, et peut-être l’amplifie en croyant la réduire. Notre école est élitiste. Les acquis initiaux marquent, pour les élèves, une avance indéniable, et l’inégalité est déjà en place. Dualité sociale, dualité culturelle.
Chaque année, 120 000 élèves sortent sans maîtriser le « lire, écrire et compter ». Pour eux, c’est d’abord le redoublement, pourtant fort critiqué, puis la mise à l’écart de la voie générale et l’orientation vers la voie professionnelle, ce qui passe bien à tort pour une déchéance.
Faut-il supprimer les notes pour éviter tout découragement ? Je crois que vous y êtes opposé, monsieur le ministre. La note doit-elle être considérée comme un échec ou une évaluation ? C’est là une vraie question. Certes, la note est susceptible d’enfermer l’élève dans une bulle négative, voire une détestation de l’école, peu propice à la progression recherchée.
Quoi qu’il en soit, avec ou sans notes, l’orientation donnée engage notre responsabilité. La machine à exclure est en route.
Et pourtant, comment oublier que la lutte contre l’illettrisme est une grande cause ? Il est en effet affligeant de laisser sortir du primaire un élève qui ne sait pas lire.
L’allongement de la durée de la scolarité obligatoire aurait été une bonne idée si l’on avait, plus que modestement, élargi cette scolarité à l’apprentissage de nouveaux domaines, en particulier des nouvelles technologies, qui conditionnent l’entrée dans la société moderne.
La personnalisation des parcours, notion que vous appréciez particulièrement, monsieur le ministre, devait se traduire par toute une série d’actions de soutien, de la maternelle à l’université : aide personnalisée de deux heures hebdomadaires, stages de remise à niveau en français et en maths pendant les vacances scolaires, généralisation progressive de l’accompagnement éducatif entre seize heures et dix-huit heures, pour n’évoquer que l’école primaire. L’idée serait intéressante si elle n’était gâchée par la mesure de non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux, qui entraîne une chute impressionnante du nombre d’enseignants : près de 65 400 postes supprimés depuis 2005, malgré la poussée démographique scolaire. Vous dites une chose et faites son contraire !
M. Jean Desessard. Eh oui !
M. René-Pierre Signé. Les conséquences sont lourdes : efficacité contestable des aides aux élèves en difficulté, redoublement toujours trop utilisé, fermetures d’écoles ou surcharge des classes, remplacements non assurés, multiplication des heures supplémentaires, offre éducative en baisse, non-scolarisation des enfants de deux ans, sans parler d’une journée scolaire trop longue dans une semaine trop courte.
Croyez-vous sérieusement, monsieur le ministre, que la réduction du nombre d’enseignants et la suppression d’heures de cours à l’école primaire, destinée à économiser des postes, permettront d’enrayer le déclin ?
M. Roland Courteau. Certainement pas !
M. René-Pierre Signé. La politique de restriction budgétaire, reconduite et accentuée chaque année, selon une logique toute comptable, affiche sans complexe votre volonté de faire de l’école une machine à sélectionner, par une stratégie éducative de tri social.
S’il est vrai, comme vous l’affirmez – permettez-moi cependant d’en douter – que les moyens sont suffisants, les résultats, eux, ne le sont pas !
Au moment où l’école doit donner un sens à l’identité nationale, surtout dans les zones où la nationalité est découplée, où doit être affirmée la volonté du vivre ensemble, que Renan appelait joliment le « plébiscite permanent », on peut craindre que l’éducation nationale ne porte les prémices d’une école à deux vitesses, véritable machine à sélectionner : réussite pour les uns, avenir incertain pour les autres.
Monsieur le ministre, le groupe socialiste ne votera pas ce projet de budget, qui, loin de rechercher la réussite pour tous, continue à creuser les injustices. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Jean Desessard. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel.
M. Claude Domeizel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il n’est vraiment pas facile d’être le dernier à prendre la parole à cette heure tardive !
Je ne reprendrai pas ce qui a déjà été dit, qu’il s’agisse de la suppression nette de 16 000 emplois en 2011, et de près de 66 000 en cinq ans, des conditions de travail des enseignants et de leur formation, ou encore des auxiliaires de vie scolaire, évoqués par plusieurs intervenants. J’ai reçu, pas plus tard qu’hier, de nombreux courriers relatifs à ce dernier sujet, et il est vrai que la situation à cet égard est tout à fait anormale.
Pour ma part, j’aborderai deux thèmes qui, bien qu’importants, sont à mon avis trop souvent passés sous silence : d’une part, l’aménagement du rythme scolaire pour permettre aux élèves de faire du sport l’après-midi ; d’autre part, la protection de la vie privée des jeunes sur Internet.
L’expérimentation « Cours le matin, sport l’après-midi » trouve son origine dans une circulaire diffusée l’année dernière. Celle-ci part du principe qu’un tel aménagement du rythme scolaire « peut permettre aux élèves de mieux vivre leur scolarité, d’accroître leur motivation et leur épanouissement et contribuer ainsi à leur réussite scolaire » et qu’il permet en outre « d’améliorer le climat des établissements et d’endiguer les phénomènes de violence à l’école ». Voilà en effet une bonne chose !
Cette expérimentation va se dérouler sur trois ans et vous avez promis, monsieur le ministre, d’accorder à ce titre une dotation de 5 000 euros par établissement. Toutefois, je n’ai pas réussi à repérer cette somme dans le budget, ni pour 2010 ni pour 2011 ! Mais peut-être cette ligne budgétaire m’a-t-elle échappé.
J’aimerais savoir, monsieur le ministre, quels sont, à terme, les objectifs de cette expérimentation. S’agit-il de la généraliser ? Est-elle destinée à organiser différemment la scolarité des jeunes en difficulté ?
Je souligne l’implication des collectivités locales dans cet aménagement du rythme scolaire puisqu’elles participent au budget de fonctionnement des collèges concernés et mettent à disposition les différents équipements nécessaires tels que terrains de sport ou gymnases. Or les représentants des collectivités locales semblent absents des comités de pilotage mis en place.
J’en viens à la protection de la vie privée des jeunes sur Internet, sujet rarement évoqué.
Il faut savoir que 70 % des moins de 11 ans utilisent Internet, que 19 % des 9-10 ans et 50 % des 11-12 ans possèdent un téléphone portable. Bon nombre de jeunes sont utilisateurs des réseaux sociaux. Chacun sait aussi qu’il est possible de photographier ou filmer des scènes avec des portables, et les jeunes maîtrisent ces fonctions avec une dextérité proprement époustouflante.
Les dangers sont connus : si l’on ne prend pas de précautions, les informations mises sur les réseaux sociaux, ineffaçables, deviennent accessibles par des milliers d’amis ou prétendus amis. Or, bien souvent, les jeunes n’ont pas suffisamment conscience – pas plus d’ailleurs que bon nombre d’entre nous – que la vie privée est un capital qu’il faut préserver.
L’éducation nationale a un rôle à jouer à cet égard, non pas pour affoler les enfants en mettant seulement l’accent sur les dangers, mais pour les responsabiliser et leur faire adopter les bons réflexes sur Internet.
Je voudrais saluer ici l’initiative de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, qui vient d’envoyer aux 40 000 classes de cours moyen deuxième année un document de huit pages sur le thème « Protège ta vie privée sur Internet ». Y sont notamment développés les sujets suivants : « les technologies actuelles permettent de suivre les individus à la trace », « Internet est un vaste espace de liberté … mais on a aussi le devoir de respecter les autres ».
Pareil travail de sensibilisation, monsieur le ministre, ne devrait-il pas être réalisé par le ministère de l’éducation nationale ? Sincèrement, je pense que la réponse est oui.
Sans doute nous objecterez-vous qu’une telle opération pourrait entrer dans le cadre de l’opération « école numérique », que vous avez lancée l’an dernier à grands coups de trompette. Le problème, c’est que la dotation instaurée à cet effet l’année dernière a disparu du projet de budget que nous examinons aujourd’hui !
Monsieur le ministre, mes chers collègues, face à l’envahissement de l’informatique dans notre vie quotidienne, l’éducation nationale a le devoir de former des citoyens responsables, capables de remettre en cause l’information qu’ils reçoivent, c'est-à-dire des citoyens libres. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Jean Desessard. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, dix-huit mois après ma nomination au ministère de l’éducation nationale, et quelques jours après l’élargissement de mes responsabilités à la jeunesse et à la vie associative, je suis très heureux de présenter devant votre assemblée mon deuxième projet de budget pour l’éducation nationale.
J’ai en effet le plaisir de vous redire que le Gouvernement est pleinement mobilisé pour relever un défi absolument majeur et passer, vous l’avez rappelé, mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité, de « l’école pour tous », véritable leitmotiv durant de très nombreuses années, à « la réussite de chacun ».
Je veux tout de suite rassurer les membres du groupe socialiste, en particulier M. Bodin : ce budget reste bien le premier budget de l’État, avec 60,505 milliards d’euros alloués à l’éducation nationale, soit une progression de 1,6 % par rapport à l’année dernière.
Ainsi, dans une situation économique mondiale passablement perturbée et dans un contexte budgétaire difficile pour la plupart des pays développés, notamment pour certains États européens, la France fait le choix d’augmenter encore le budget qu’elle consacre à l’éducation. Elle continue en outre de faire de l’éducation nationale le premier employeur de notre pays, avec près d’un million de fonctionnaires.
Passer de « l’école pour tous » à « la réussite de chacun » est un objectif ambitieux. Nous avons, depuis une trentaine d’années, réussi à relever un défi majeur, celui de la massification du système éducatif. Quand j’ai formulé cette remarque en commission, des sénateurs du groupe socialiste m’ont aimablement fait remarquer que j’avais déjà dit la même chose l’année dernière… Mais cela me paraît plutôt rassurant ! Cela signifie en effet que la politique que nous menons en matière éducative maintient son cap.
M. Yannick Bodin. Il y a le mur au bout !
M. Luc Chatel, ministre. Quoi qu'il en soit, aujourd’hui, le collège accueille 100 % des jeunes d’une même génération ; le lycée, 66 %, alors que, au début des années quatre-vingt, cette proportion n’était que de 22 %. Nous avons donc multiplié par trois le nombre de jeunes qui se présentent aujourd’hui au baccalauréat.
Toutefois, et vous avez été un certain nombre à le souligner, si nous avons relevé le défi de la quantité, nous n’avons pas encore – toutes les enquêtes internationales le démontrent – relevé celui de la qualité. Relever le défi de la qualité revient à faire en sorte qu’il y ait bien pour chacun une solution telle qu’il puisse trouver sa place à la sortie du système éducatif.
Dans quelques jours, les résultats pour l’année 2010 de l’enquête PISA seront dévoilés, et nous aurons à nous interroger sur notre système. L’un de nos sociologues de l’éducation, Christian Baudelot, dit souvent que la France est « le pays du grand écart », avec, d’un côté, une élite plutôt rétrécie, représentant environ 10 % de la population scolaire, mais qui possède de grandes qualités si on la compare à celle des grands pays développés, et, de l’autre, une part importante d’élèves en grande difficulté, qui représente environ 20 % de la population scolaire.
Nous avons donc devant nous une double gageure : augmenter la proportion de notre élite – dans certains pays développés, elle représente 17 % à 18 % de la population – et, en même temps, réduire celle des élèves en grande difficulté.
Cela suppose que nous agissions ensemble dans trois directions, ainsi que plusieurs d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité, l’ont rappelé.
D’abord, nous devons être capables de nous adapter à la diversité des élèves en personnalisant notre enseignement. Quand vous dialoguez avec des enseignants, ce que vous faites très régulièrement en tant qu’élu local, ils vous disent tous que leur plus grande difficulté est liée à l’hétérogénéité des classes. Face à vingt-cinq ou trente élèves, il faut être capable à la fois de détecter celui qui a le plus gros potentiel, pour le porter vers l’excellence, et de tenir compte de ceux qui ont de grandes difficultés, qui risquent de décrocher et de quitter le système éducatif sans qualification et sans diplôme. Eh bien, résoudre ce problème implique personnaliser notre enseignement.
Comment procéder ?
Il convient de mettre en place, tout au long de la scolarité, dès le plus jeune âge, c'est-à-dire à partir de la maternelle, une aide personnalisée. Par exemple, dans le cadre du plan de lutte contre l’illettrisme, que j’ai tenu à lancer au Salon du livre au mois de mars dernier, nous mettons en place deux heures d’aide personnalisée, qui permettront de prendre à part les élèves rencontrant des difficultés dans l’apprentissage des savoirs fondamentaux. On les aide ainsi à lire et à calculer, de manière qu’ils ne quittent pas le système éducatif du premier degré sans maîtriser les bases.
Cette personnalisation des parcours, nous la développons tout au long de la scolarité, en organisant par exemple des stages de remise à niveau en français et en mathématiques pendant les vacances – plus de 200 000 élèves en ont bénéficié en 2009. Nous proposons également, au collège mais aussi dans les réseaux de l’éducation prioritaire et les écoles d’outre-mer, l’accompagnement éducatif, cette fameuse réponse à la problématique des « orphelins de 16 heures ». Plus d’un million d’élèves qui étaient jusqu’alors laissés à eux-mêmes sont désormais pris en charge, tous les soirs, pour des activités de soutien scolaire, des activités culturelles et sportives.
Bien évidemment, la personnalisation des parcours est au cœur de deux sujets que plusieurs orateurs – Mme Colette Mélot et Mme Catherine Morin-Desailly, notamment – ont évoqués : la réforme du lycée d’enseignement général et technologique, que nous avons mise en œuvre à la rentrée de 2010, et la rénovation de la voie professionnelle, qui monte en puissance après son entrée en vigueur en 2009.
S’agissant de la réforme du lycée, vous m’avez interrogé, madame Morin-Desailly, sur le processus d’orientation. Effectivement, nous avons voulu le faire évoluer pour passer d’un système couperet dans lequel, à quatorze ans, il faut décider de ce qu’on doit faire dans la vie, et pour toute sa vie, à un système progressif et réversible, qui autorise le changement de trajectoire et reconnaît le droit à l’erreur. On a le droit de se tromper ! On a le droit, à quatorze ans, de ne pas savoir ce qu’on va faire de sa vie ! On a le droit de cheminer et d’être accompagné dans ce cheminement !
L’éducation nationale doit donc être capable de construire des parcours progressifs, en proposant des changements de parcours et des passerelles. Toute la réforme du lycée est conçue autour de cette idée.
S’agissant de la voie professionnelle – je réponds ici à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, que je sais très engagée sur cette question –, nous obtenons des résultats encourageants quinze mois après la mise en œuvre de la réforme dont elle a fait l’objet.
À la rentrée de 2010, la réforme a été appliquée aux classes de première. Nous avons constaté une augmentation très significative des poursuites d’études, au niveau des élèves de BEP, celles-ci concernant 66 % d’une classe d’âge en 2010, contre 50 % en 2009. C’était l’objectif ! Nous voulons pousser davantage d’élèves vers le niveau du « bac pro », c’est-à-dire vers la qualification et l’obtention d’un diplôme. Le nombre d’inscrits en première professionnelle augmente de 40 % entre la rentrée de 2010 et celle de 2009, ce qui correspond à un effectif d’environ 47 000 élèves.
Comme vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, ces résultats sont encourageants.
Outre la personnalisation des parcours, le deuxième axe qui doit nous permettre de relever les défis actuels est celui de l’autonomie.
Faisons confiance aux acteurs locaux ! L’éducation nationale ne peut plus être totalement pilotée depuis le 110, rue de Grenelle. Nous devons donner davantage de marges de manœuvre à ceux qui connaissent le mieux nos élèves : les chefs d’établissement, les professeurs, les acteurs locaux. Il faut faire confiance, responsabiliser, rompre avec les rigidités du système éducatif et les décisions venues d’en haut. Il faut cesser de brider les initiatives prises sur le terrain.
Accorder plus d’autonomie aux établissements, c’est ce que nous avons fait avec la réforme du lycée. Les questions du dédoublement de classe et de la dotation horaire ont été évoquées : les décisions en ces matières relèvent dorénavant, après avis du conseil pédagogique, du chef d’établissement. C’est un vrai progrès en termes d’adaptation aux situations rencontrées localement dans les établissements scolaires.
Le renforcement de l’autonomie passe également par l’expérimentation : nous devons aussi faire confiance aux acteurs locaux s’agissant de leur capacité à mettre en œuvre des réponses adaptées à la situation.
M. Gérard Longuet a rappelé l’importance du dispositif, clair, sur lequel nous misons. Aujourd’hui, nous avons donné à 105 collèges et lycées une autonomie en matière de recrutement, de projet pédagogique et de vie scolaire. Nous verrons, en fonction de l’évaluation des pratiques constatées dans ces 105 établissements, s’il y a matière à étendre le dispositif.
Quoi qu’il en soit, faire confiance aux acteurs locaux pour recruter certains professeurs, parce que ceux-ci ont choisi de travailler dans un établissement difficile, parce qu’ils ont été préparés à cela, parce qu’ils ont adhéré à un projet pédagogique, parce qu’ils se sentent à l’aise dans une équipe pédagogique, me semble être la meilleure réponse que nous puissions apporter aux difficultés rencontrées dans certains collèges ou lycées.
M. Claude Domeizel vient d’évoquer une autre expérimentation, concernant la place du sport à l’école.