Mme Françoise Laborde. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. François Baroin, ministre. Dans ce débat de qualité, les engagements sont, je le sais, sincères et dénués d’arrière-pensées politiques.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux que vous compreniez que le Gouvernement n’a pas d’hostilité de principe à une évolution de la réflexion.
Il souhaite en effet donner à l’exception culturelle à la française, qui a été un combat de tous les gouvernements, de gauche comme de droite, celui auquel vous avez appartenu, monsieur Ralite, comme les autres, une densité qui s’adapte à l’évolution des nouvelles technologies en matière de diffusion culturelle et de protection des droits.
Néanmoins, des obstacles sérieux existent. Pour les lever, il faut coordonner notre action avec celle des pays européens et, suivant cette même logique de collaboration au niveau communautaire, dénoncer des pratiques effectivement inacceptables. M. le président de la commission des finances a justement évoqué celles du Luxembourg.
Le Gouvernement a récemment adressé au commissaire européen chargé de ces questions, M. Semeta, un courrier cosigné par Christine Lagarde et moi-même. Il y indique que, selon un écho nous parvenant de manière récurrente, dans au moins un État membre de l’Union – le Grand-Duché de Luxembourg, nous le citons explicitement –, il est implicitement admis que les redevables de la TVA appliquent à des prestations de téléchargement relevant notoirement du taux normal de la TVA un taux pondéré inférieur, au motif que la prestation serait qualifiée pour une part de concession de droits d’auteur éligibles au taux réduit.
Je vous fais grâce de la lecture exhaustive du courrier, mais vous comprenez l’esprit dans lequel il a été rédigé. Celui-ci reflète rigoureusement la philosophie qui vous inspire et qui nourrit la réflexion et les démarches du Gouvernement auprès de la Commission.
Compte tenu de ces obstacles, le Gouvernement ne peut pas s’en remettre à la sagesse du Sénat sur ces amendements, car ce serait une position euro-incompatible.
Néanmoins, le débat est ouvert. À l’extérieur, nous sommes observés ; nos propos, qui seront rendus publics, feront comprendre que la France a la volonté d’avancer sur ce sujet.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Nous sommes au carrefour de différentes considérations qui peuvent apparaître contradictoires.
Essayons de raisonner simplement. Si nous nous en tenons au statu quo, les prestations de téléchargement de livres numériques restent soumises au taux normal français de 19,6 %. Il est tout à fait clair que c’est une incitation à aller télécharger ailleurs et qu’il n’y aura pas de sites significatifs en France. Nous sommes donc, de ce point de vue, tentés de suivre les initiateurs des amendements.
La première question qui se pose est de savoir si le taux de 5,5 % constitue le bon niveau, et nous allons y revenir dans la suite de la discussion, car il mérite une réflexion dont nous ne pouvons pas nous dispenser. Cette dernière ne peut pas être isolée en fonction d’un produit, d’un service, d’un métier ; elle doit être globale, stratégique en quelque sorte.
Seconde question : la mesure est-elle conforme au droit communautaire ? Au-delà du fait que ce point est source de débats et de contestations, je dirais que, lorsque le droit devient absurde, il faut en sortir et trouver un chemin pour ce faire.
Compte tenu de toutes les évolutions qui ont lieu sous nos yeux, la question du taux de taxation des plates-formes internet est peut-être désagréable, voire irritante, mais elle existe et elle est inévitablement appelée à s’amplifier.
Nous aurions tout intérêt, monsieur le ministre, à prendre des positions anticipant les réflexions stratégiques et les actions dans lesquelles nous devrons nous engager.
Nous ne pouvons pas faire comme si nous ne voyions pas l’évidence.
Et l’évidence, c’est la localisation de grandes plates-formes, issues d’importantes sociétés américaines ou globales, sur les territoires européens à basse fiscalité.
Je serai conduit cet après-midi à interroger Mme Lagarde sur l’aide apportée par l’Union européenne à l’Irlande. Cela fait partie du sujet. Y a-t-il des conditions ? Si oui, quelles sont-elles ? Il importe d’en informer le Parlement.
M. Jean Desessard. Et dire que l’Irlande nous était présentée comme un modèle à suivre…
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Sans vouloir anticiper sur la suite du débat, je souligne que la question posée en ce qui concerne le livre numérique est au cœur de cette problématique. Et après tout, donner un petit signal, cela peut se défendre…
Pour en revenir à l’avis de la commission sur ces amendements, Mme Laborde a résumé la situation : nous avons besoin de trouver la sagesse !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Monsieur le ministre, le commerce électronique est un puissant accélérateur de la vente à distance. Ce qui était déjà vrai pour la vente par correspondance le sera infiniment plus avec les ventes par internet. Je n’hésite pas à le souligner, la situation nouvelle liée au développement de l’immatériel va mettre en péril la capacité des États à recouvrer l’impôt.
Dans ce qui relève du discours convenu, dès lors qu’un opérateur dans un État donné établit une facture d’au moins 100 000 euros destinée à des consommateurs domiciliés dans un autre État, il doit appliquer le taux de TVA en vigueur dans ce dernier, auquel il doit restituer le produit ainsi perçu. Ce sont des déclarations très commodes, oserai-je dire, dans le cadre des réponses ministérielles.
Mais telles qu’elles sont énoncées, de telles dispositions sont totalement inopérantes, faute de contrôle, et le contrôle est pratiquement impossible.
M. François Marc. D’autant qu’il n’y a plus de fonctionnaires !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Ces questions ne peuvent pas être escamotées.
Le cas particulier du livre numérique est, vous l’avez compris, l’occasion pour nous de souligner ce défi et ces enjeux.
La commission des finances se préoccupe du problème depuis plus d’un an. Elle a même fait appel à un cabinet extérieur pour tenter de mieux appréhender les pratiques en vigueur dans les pays au sein et hors de l’Union européenne.
Dans le cadre de son enquête, elle a constaté d’étranges pratiques au Luxembourg, mêlant dans un dosage subtil, d’une part, l’application d’une TVA à 15 % sur la prestation numérique, et, d’autre part, la référence aux droits d’auteur allant bien au-delà de la part qui revient à ces derniers.
Si le Sénat se prononce ce matin en faveur d’un taux spécifique pour le livre numérique, nous nous efforcerons naturellement de le mettre en œuvre, même si je ne suis pas sûr qu’un tel taux puisse imprégner durablement la législation.
Mme Nicole Bricq. Eh non !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Mais c’est plus qu’une question de principe : on ne peut pas continuer ainsi ! On risque de mettre en péril l’Europe en tolérant des pratiques qui sont manifestement des manquements à l’éthique élémentaire entre les États.
M. Juncker, qui préside l’Eurogroupe et qui nous rappelle constamment à nos obligations et à la nécessité d’équilibrer nos comptes publics, comme le rappelait le rapporteur général, ne cesse, par ces pratiques étranges, de nous faire les poches.
Cela ne peut donc perdurer, et le vote auquel nous appelons le Sénat est en quelque sorte un vote de protestation, un cri d’alarme du Parlement !
Tout à l’heure, plusieurs de nos collègues proposeront au Sénat des taux intermédiaires de TVA, parce que l’on ne peut pas en rester à 19,6 % et 5,5 % ; il y a forcément de la place pour des taux intermédiaires. Si l’un ou l’autre des taux proposés recevait le soutien d’une majorité de sénateurs, peut-être pourrions-nous considérer que le livre numérique pourrait entrer dans la catégorie retenue.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Virapoullé, pour explication de vote.
M. Jean-Paul Virapoullé. Nous sommes au cœur d’un débat essentiel : le livre est à la naissance même de la culture et de sa diffusion.
Je joins ma voix à la protestation élevée par le président et le rapporteur général de la commission des finances, parce que, en l’occurrence, je fais partie des sénateurs qui sont irrités.
L’Europe à vingt-sept est malade. La Commission, chargée de la gestion de ses affaires, n’a pas une vision claire de l’avenir du continent.
Au moment où nous sommes assaillis par des pays non pas émergents, mais « submergeants », créer de façon indirecte, connue et tolérée des législations discordantes au sein de l’Europe, entre le Luxembourg et nous, c’est fausser la concurrence à l’intérieur du grand marché.
Nous sommes nous-mêmes confrontés à une réalité quotidienne. Nos travailleurs, nos producteurs, nos agents de développement de la culture nous interrogent en ces termes : « Que faites-vous donc au Parlement ? Des pans entiers de notre industrie culturelle quittent le pays ! »
À cette allure, le pays se trouvera anémié économiquement et la Commission sera victime d’une politique que je ne peux pas partager.
Je joins donc ma voix à l’ensemble de ceux qui vont voter ces amendements pour protester contre le désordre existant à l’échelon de l’Europe. Sur le plan financier, elle vole aujourd’hui au secours de l’Irlande ; demain, ce sera le tour du Portugal et, ensuite, de l’Espagne. C’est une chienlit généralisée.
Oui, je voterai ces amendements, comme je voterai tous ceux qui auront pour objet d’alerter la Commission et les dirigeants de l’Europe : si nous ne formons pas une puissance économique limitée à quelques pays adhérant aux droits et aux devoirs qui s’y rattachent, nous nous dirigeons inéluctablement vers un chaos général !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. François Baroin, ministre. En écoutant les propos de son président et de son rapporteur général, j’ai bien compris, dirais-je, l’accompagnement bienveillant que la commission des finances entend prôner devant la Haute Assemblée en la matière. Ce débat sur la TVA en appelle d’ailleurs un autre, plus large, que nous aurons dans un instant. Pour autant, cela ne minore pas l’intérêt de l’application du taux réduit de TVA pour la diffusion du livre numérique.
Il est tout de même paradoxal de constater que, pour accompagner un secteur qui a besoin d’être soutenu et d’inscrire dans la durée, grâce aux nouvelles technologies, ses « fondamentaux » en termes de développement et de diversification d’outils, on s’apprête à lui offrir un cadeau empoisonné ! En effet, si ce dispositif était adopté, la Commission européenne ne manquerait pas de le considérer comme euro-incompatible et de sanctionner non seulement l’État français, mais aussi nos entreprises.
J’ai en mémoire, cher Jean Arthuis, le dispositif dérogatoire du droit commun en matière d’exonérations de charges fiscales qui avait été adopté pour le secteur du textile avec le plan Borotra. La France s’était alors fortement engagée pour accompagner une industrie de main-d’œuvre en grande difficulté, touchée de façon importante par les délocalisations. In fine, ce sont ces entreprises qui ont été condamnées à rembourser : en prenant une initiative que nous jugions généreuse et cohérente, nous les avons mises en difficulté.
Mesdames, messieurs les sénateurs, avant qu’intervienne le vote sur ces amendements, je souhaitais vous avertir de l’effet rebond que provoquerait l’adoption d’une telle mesure.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos I-286 rectifié, I-430 rectifié et I-433 rectifié.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi de finances, après l’article 10, et l’amendement n° I-301 rectifié n’a plus d’objet.
Je suis saisi de neuf amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° I-80, présenté par M. Arthuis, est ainsi libellé :
Après l’article 10, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code général des impôts est ainsi modifié :
1° Le m de l’article 279 est abrogé ;
2° L’article 279-0 bis est abrogé ;
3° Après l’article 279 bis, il est inséré un article 279 ter ainsi rédigé :
« Art. 279 ter. - La taxe sur la valeur ajoutée est perçue au taux de 10 % sur :
« a) les livres numériques achetés en ligne ;
« b) les ventes à consommer sur place et les ventes à emporter, à l’exclusion de celles relatives aux boissons alcooliques ;
« c) les travaux d’amélioration, de transformation, d’aménagement et d’entretien portant sur des locaux à usage d’habitation, achevés depuis plus de deux ans, à l’exception de la part correspondant à la fourniture d’équipements ménagers ou mobiliers ou à l’acquisition de gros équipements fournis dans le cadre de travaux d’installation ou de remplacement du système de chauffage, des ascenseurs , de l’installation sanitaire ou de système de climatisation dont la liste est fixée par arrêté du ministre chargé du budget.
« Cette disposition n’est pas applicable aux travaux, réalisés sur une période de deux ans au plus :
« - qui concourent à la production d’un immeuble neuf au sens du 2° du 2 du I de l’article 257 ;
« - à l’issue desquels la surface de plancher hors œuvre nette des locaux existants, majorée, le cas échéant, des surfaces des bâtiments d’exploitations agricoles mentionnées au d de l’article R. 112-2 du code de l’urbanisme, est augmentée de plus de 10 %.
« Cette disposition n’est pas applicable aux travaux de nettoyage ainsi qu’aux travaux d’aménagement et d’entretien des espaces verts.
« Le taux de 10 % est applicable aux travaux facturés au propriétaire ou, le cas échéant, au syndicat de copropriétaires, au locataire, à l’occupant des locaux ou à leur représentant à condition que le preneur atteste que ces travaux se rapportent à des locaux d’habitation achevés depuis plus de deux ans et ne répondent pas aux conditions mentionnées au c). Le prestataire est tenu de conserver cette attestation à l’appui de sa comptabilité.
« Le preneur doit conserver copie de cette attestation, ainsi que les factures ou notes émises par les entreprises ayant réalisé des travaux jusqu’au 31 décembre de la cinquième année suivant la réalisation de ces travaux.
« Le preneur est solidairement tenu au paiement du complément de taxe si les mentions portées sur l’attestation s’avèrent inexactes de son fait. »
La parole est à M. Jean Arthuis. (M. Jean Arthuis quitte le banc de la commission et rejoint son siège de sénateur.)
M. Jean Arthuis. C’est à titre personnel que je défends cet amendement.
Nous devons revoir les dispositions relatives au taux de TVA. À cet égard, l’assimilation du taux réduit à une niche fiscale pose un problème de principe.
Je souhaite vous rendre attentifs, mes chers collègues, au fait que l’écart entre le taux normal de TVA – 19,6 % – et le taux réduit – 5,5 % – est tout à fait excessif. Les suppliques sont d’ailleurs nombreuses pour passer du premier au second.
Le taux normal doit s’appliquer aux transactions soumises à la concurrence internationale. Je ne reparlerai pas ici de TVA sociale ou de TVA anti-délocalisation, mais je tiens à vous alerter : préparons-nous, s’agissant de ce type de transactions commerciales soumises aux défis de la mondialisation, à appliquer des taux de TVA sensiblement plus élevés, et ce pour compenser la nécessaire exonération des cotisations sociales qui affectent les salaires, le coût du travail et la compétitivité, en plus d’être des facteurs de délocalisation d’activités et d’emplois.
En ce qui concerne les activités non soumises à la concurrence internationale, et dont la seule délocalisation peut concerner l’économie « grise », parallèle, informelle, il convient d’envisager d’appliquer un taux intermédiaire, qui pourrait être fixé à 10 %.
Il a été dit publiquement que l’application du taux réduit de TVA à 5,5 % dans le secteur de la restauration coûtait 3 milliards d’euros. Or le débat que nous venons d’avoir sur l’immatériel et les faveurs accordées provisoirement au Luxembourg a révélé l’existence d’un coût caché, qui s’ajouterait à ces 3 milliards d’euros.
Cet amendement vise à créer un taux intermédiaire de TVA de 10 % dans le secteur de la restauration, ainsi que pour les travaux de transformation, d’aménagement et d’entretien des locaux à usage d’habitation achevés depuis plus de deux ans. Ce taux intermédiaire s’appliquerait également au livre numérique acheté en ligne.
M. le président. L’amendement n° I-166, présenté par M. Marini, est ainsi libellé :
Après l’article 10, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code général des impôts est ainsi modifié :
1° Le dernier alinéa (m) de l’article 279 est abrogé ;
2° L’article 279-0 bis est abrogé ;
3° Après l’article 279 bis, il est inséré un article 279 ter ainsi rédigé :
« Art. 279 ter. - La taxe sur la valeur ajoutée est perçue au taux de 7 % sur :
« a) les ventes à consommer sur place et les ventes à emporter, à l’exclusion de celles relatives aux boissons alcooliques ;
« b) les travaux d’amélioration, de transformation, d’aménagement et d’entretien portant sur des locaux à usage d’habitation, achevés depuis plus de deux ans, à l’exception de la part correspondant à la fourniture d’équipements ménagers ou mobiliers ou à l’acquisition de gros équipements fournis dans le cadre de travaux d’installation ou de remplacement du système de chauffage, des ascenseurs , de l’installation sanitaire ou de système de climatisation dont la liste est fixée par arrêté du ministre chargé du budget.
« Cette disposition n’est pas applicable aux travaux, réalisés sur une période de deux ans au plus :
« - qui concourent à la production d’un immeuble neuf au sens du 2° du 2 du I de l’article 257 ;
« - à l’issue desquels la surface de plancher hors œuvre nette des locaux existants, majorée, le cas échéant, des surfaces des bâtiments d’exploitations agricoles mentionnées au d de l’article R. 112-2 du code de l’urbanisme, est augmentée de plus de 10 %.
« Cette disposition n’est pas applicable aux travaux de nettoyage ainsi qu’aux travaux d’aménagement et d’entretien des espaces verts.
« Le taux de 7 % est applicable aux travaux facturés au propriétaire ou, le cas échéant, au syndicat de copropriétaires, au locataire, à l’occupant des locaux ou à leur représentant à condition que le preneur atteste que ces travaux se rapportent à des locaux d’habitation achevés depuis plus de deux ans et ne répondent pas aux conditions mentionnées au c). Le prestataire est tenu de conserver cette attestation à l’appui de sa comptabilité.
« Le preneur doit conserver copie de cette attestation, ainsi que les factures ou notes émises par les entreprises ayant réalisé des travaux jusqu’au 31 décembre de la cinquième année suivant la réalisation de ces travaux.
« Le preneur est solidairement tenu au paiement du complément de taxe si les mentions portées sur l’attestation s’avèrent inexactes de son fait. »
La parole est à M. Philippe Marini. (M. Philippe Marini quitte à son tour le banc de la commission pour rejoindre son siège de sénateur.)
M. Philippe Marini. Je demande à Jean Arthuis de bien vouloir regagner le banc de la commission, afin que celui-ci ne demeure pas déserté ! (Sourires.) Nous nous livrons à ce numéro de duettistes, mes chers collègues, car nous défendons nos amendements à titre personnel, et non pas au nom de la commission.
Ces deux amendements vont dans le même sens, mais se distinguent, d’une part, sur le fond, du moins en partie, et, d’autre part, par leur amplitude.
Je considère, pour ma part, que les taux fixés dans la loi du 22 juillet 2009 de développement et de modernisation des services touristiques, bénéficiant aux secteurs de l’hôtellerie et de la restauration – surtout à ce dernier secteur ! –, de même que les taux antérieurement établis pour le secteur du bâtiment, représentent des niches fiscales tout à fait considérables. Il suffit d’évaluer la différence entre ce que l’on encaisse avec le taux réduit de 5,5 % et ce que l’on encaisserait si l’on avait conservé le taux normal de 19,6 % !
En l’état actuel, compte tenu des enjeux généraux de nos finances publiques et des incertitudes pesant sur notre économie, que les marchés sont susceptibles de nous rappeler d’un instant à l’autre, il est indispensable d’étendre le plus largement possible la politique d’économie de la dépense fiscale. Nous avons énoncé ce principe dans la loi de programmation des finances publiques pour années 2011 à 2014 en décidant le blocage en valeur de la dépense fiscale.
Comment faire respecter ce principe, mes chers collègues, si on ne l’applique pas au principal impôt, c’est-à-dire à la TVA ? À quoi bon tailler finement dans tel ou tel régime spécifique de l’impôt sur le revenu, de l’impôt sur les sociétés ou de l’impôt sur le patrimoine, si l’on n’entreprend pas la même démarche d’économie de la dépense fiscale pour les principales bases d’imposition ?
Je ne préconise pas, au travers de cet amendement, de prendre une décision sur le fond. En effet, tout en partageant la logique intellectuelle de Jean Arthuis, je n’irai pas aussi loin que lui ; en quelque sorte, ma démarche est plus centriste que la sienne ! (Sourires.)
M. François Marc. De plus en plus à gauche !
M. Philippe Marini. Je me contente d’un coup de rabot de 10 % en faisant passer les taux de TVA applicables dans les secteurs de l’hôtellerie et de la restauration, toutes formes de services confondues, et du bâtiment, fourniture de matériaux comprise, de 5,5 % à 7 %.
Sans préjuger le fond, cette mesure rapporterait un milliard d’euros – ce n’est tout de même pas rien ! – et nous permettrait de lancer le débat de stratégie fiscale sur l’architecture des taux de TVA. À cet égard, je ne peux que souscrire totalement aux propos de Jean Arthuis sur la nécessité de trouver le bon taux intermédiaire, qui se situe entre le taux très réduit et le taux normal. Mais sans doute ne sommes-nous pas assez mûrs pour mettre en œuvre cette nouvelle stratégie.
Mes chers collègues, le rabot est un instrument merveilleux, simple et équitable, dont tout le monde peut comprendre le fonctionnement. En l’occurrence, il ferait des copeaux assez significatifs ! C’est pourquoi j’en préconise l’emploi.
M. Jean Desessard. C’est un amendement présenté à titre personnel, mais on aura reconnu le ton du rapporteur général !
M. le président. L’amendement n° I-292, présenté par M. Jégou, est ainsi libellé :
Après l’article 10, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - Le m de l’article 279 du code général des impôts est abrogé.
II. - L’article 279 bis du code général des impôts est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« ...° Les ventes à consommer sur place, à l’exclusion de celles relatives aux boissons alcooliques. »
La parole est à M. Jean-Jacques Jégou.
M. Jean-Jacques Jégou. Monsieur le président, je présenterai en même temps les amendements nos I-292, I-293, I-294 et I-295, car ils visent tous à remettre en cause la baisse du taux de TVA applicable dans le secteur de la restauration, votée, je le rappelle, dans la loi du 22 juillet 2009 de développement et de modernisation des services touristiques.
Permettez-moi de faire un peu d’histoire, monsieur le ministre. Nous avons eu l’occasion de siéger ensemble à l’Assemblée nationale. Je me souviens que la revendication, formulée de façon assez violente, par André Daguin, président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie, était fondée sur une raison et une seule : la distorsion de concurrence existant entre la restauration rapide et la restauration classique.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. C’est vrai !
M. Jean-Jacques Jégou. C’est sur cet argument qu’insistaient les défenseurs de la TVA à 5,5 %. Pendant longtemps, ils se sont cassé les dents.
Je l’ai dit, cette mesure fiscale a finalement été adoptée le 22 juillet 2009, dans le cadre d’un texte relatif au tourisme ; elle coûte 3 milliards d’euros en année pleine, alors même que notre pays connaît un déficit budgétaire record de 152 milliards d’euros et une dette de près de 1 600 milliards d’euros. Compte tenu de l’état de ses finances, la France ne peut pas se permettre une telle dépense.
Le Gouvernement a créé une nouvelle dépense fiscale de 3 milliards d’euros qu’il compense, très partiellement, à hauteur de 550 ou 600 millions d’euros par l’extinction des mesures d’allègement de charges. Ce n’est rien d’autre, en fait, qu’une nouvelle niche fiscale, et vous nous l’avez d’ailleurs confirmé. En outre, cette niche a échappé au coup de rabot appliqué cette année et dont on parle sans cesse.
Les défenseurs de la baisse du taux de TVA dans le secteur de la restauration font valoir que cette mesure permettra de faire prospérer l’emploi en stimulant la consommation, grâce à une baisse des prix. Même si je doute de la réalité des chiffres qui nous sont transmis par la profession et le ministère, on peut calculer le coût de ces emplois pour la collectivité.
La profession fait état de 19 400 créations d’emploi dans le secteur, depuis l’entrée en vigueur de cette mesure. Encore faut-il signaler que ces chiffres reflètent la situation de la profession pendant la période touristique, qui se caractérise par le recours à des emplois saisonniers et à temps partiel. Malgré cela, on constate que le coût par emploi de cette mesure est de 138 000 euros.
C’est pire que l’affaire de la Chapelle d’Arblay, du temps de M. Fabius ! Le coût de cette opération, que vous et moi avions dénoncée, monsieur le ministre, lorsque nous étions dans l’opposition, était alors moitié moindre. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Je citerai à mon tour le Conseil des prélèvements obligatoires : dans un récent rapport, celui-ci indique que la baisse du taux de TVA à 5,5 % dans la restauration a eu un « impact limité » et très incertain sur l’emploi, pour un « coût élevé » de 3 milliards d’euros. Il juge souhaitable de supprimer cette mesure : non seulement elle lui semble inefficace sur l’emploi, mais il considère qu’une partie très importante « du coût de la mesure sera en effet accaparée par le comportement de marge des entreprises ».
En clair, les restaurateurs ont amélioré leurs marges sur le dos des consommateurs et des contribuables, avec l’aide du Gouvernement ! C’est d’ailleurs logique : les restaurateurs demandaient cette baisse du taux de TVA pour reconstituer leurs marges. Ils n’ont jamais dit qu’elle profiterait au consommateur, alors que c’est lui qui paye la TVA.
Le vrai problème, comme je l’ai dit, était la différence de taux de TVA entre la restauration traditionnelle, à laquelle le taux de 19,6 % s’appliquait à l’époque, et la restauration rapide, qui bénéficiait, pour d’inexplicables raisons, d’un taux de 5,5 %.
Pour supprimer la distorsion de concurrence, il fallait porter le taux applicable aux fast-foods à 19,6 %, mais surtout, ne pas baisser la TVA, car elle est payée par les clients qui viennent se restaurer, contrairement à ce que pensent les restaurateurs. J’y insiste, ce n’est pas l’argent du restaurateur, c’est le client qui paye.
Je soutiens les restaurateurs qui ont des difficultés en raison de charges trop élevées, mais j’affirme que la baisse de la TVA est une décision totalement démagogique.
J’ajoute que la restauration n’est pas une activité délocalisable. Si nous voulons recréer de l’emploi, stimuler la croissance et réindustrialiser notre pays, il faut alléger les coûts de production et non pas baisser les taux de TVA.
Il n’y avait donc aucune raison économique à décider d’une telle baisse, si ce n’est honorer une vieille promesse présidentielle, qui émanait d’ailleurs, non de l’actuel président, mais du précédent. Mieux aurait valu conserver la mesure d’allègement de charges : cela n’aurait coûté « que » 550 millions d’euros.
D’ailleurs, je ne crois pas à la réalisation des engagements – baisse des prix, embauches, augmentation des salaires, modernisation – pris dans le cadre du contrat d’avenir pour la restauration négocié avec le Gouvernement, puisque tout le monde, et l’INSEE le confirme, peut notamment constater que les prix n’ont quasiment pas diminué.
L’objet de ces quatre amendements correspond donc à ce que préconise le Conseil des prélèvements obligatoires : la suppression du taux de TVA à 5,5 % dans la restauration ou, à défaut, le relèvement du taux de TVA à hauteur de 12 %, taux intermédiaire qu’il est possible d’instituer dans le droit communautaire. Pourquoi 12 % ? Afin que la réduction du coût de ces mesures soit significative pour des finances publiques, le Conseil des prélèvements obligatoires estime que le taux intermédiaire ne doit pas être inférieur à 10 % ou 12 %.Vous comprendrez pourquoi je juge insuffisant le taux de 7 % proposé par certains de nos collègues.
Les amendements nos I-292 et I-293 tendent à revenir simplement au taux de TVA à 19,6 % pour les ventes à consommer sur place et pour les ventes à emporter. Les amendements nos I-294 et I-295 visent, eux, à créer un nouveau taux de 12 %, qui s’appliquerait aux deux types de ventes dans la restauration.
Il s’agit d’une proposition que notre collègue Jean Arthuis et moi-même avons déjà formulée l’année dernière. L’idée est d’introduire un taux de TVA de 12 % applicable à l’ensemble de l’économie de proximité : si cette dernière n’est certes pas menacée par la délocalisation hors du territoire national, elle risque de voir ses activités basculer vers l’économie non régulée, l’économie « grise », laquelle s’exonère de toutes les règles, y compris en matière de cotisations sociales et fiscales. Ce taux de 12 % présente, en outre, l’immense avantage d’atténuer le manque à gagner pour les recettes de l’État.