compte rendu intégral
Présidence de Mme Catherine Tasca
vice-présidente
Secrétaires :
M. Alain Dufaut,
M. Daniel Raoul.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Communication de rapports et d’avis de l’Assemblée de la Polynésie française
Mme la présidente. M. le Président a reçu, par lettre en date du 22 octobre 2010, les rapports et les avis de l’Assemblée de la Polynésie française relatifs à deux projets de loi autorisant l’approbation d’accords instituant un partenariat de défense entre la France et respectivement le Gabon et la République centrafricaine, et relatifs au projet de loi autorisant la ratification des statuts de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables.
Acte est donné de cette communication.
Ces documents ont été transmis à la commission compétente.
3
Candidatures à un organisme extraparlementaire
Mme la présidente. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de deux sénateurs appelés à siéger au sein du Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire, créé en application du décret n° 2006-826 du 10 juillet 2006 modifié.
La commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire a fait connaître qu’elle propose la candidature de MM. Jean Boyer et Marc Daunis pour siéger respectivement en qualité de membre titulaire et de membre suppléant au sein de cet organisme extraparlementaire.
Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
4
Demande de retour à la procédure normale pour la discussion de sept conventions internationales
Mme la présidente. Par lettre en date du 4 novembre 2010, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, présidente du groupe Communiste, Républicain et Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, a demandé que les sept conventions fiscales inscrites à l’ordre du jour du lundi 8 novembre 2010 soient examinées selon la procédure normale et non selon la procédure simplifiée.
Acte est donné de cette demande.
La commission des finances a proposé que les sept projets de loi fassent l’objet d’une discussion générale commune.
Il en est ainsi décidé.
Conformément au droit commun défini à l’article 29 ter du règlement, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposeront, dans la discussion générale commune, d’un temps global de deux heures.
5
Conventions Internationales
Adoption définitive de sept projets de loi
(Textes de la commission)
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de sept projets de loi, adoptés par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation des accords sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Saint-Christophe-et-Niévès (projet n° 744 [2009-2010], texte de la commission n° 14, rapport n° 10), le Gouvernement de Saint-Vincent-et-les-Grenadines (projet n° 743 [2009-2010], texte de la commission n° 13, rapport n° 10), le Gouvernement de Sainte-Lucie (projet n° 742 [2009-2010], texte de la commission n° 12, rapport n° 10), le Gouvernement de la Grenade (projet n° 741 [2009-2010], texte de la commission n° 11, rapport n° 10), le Gouvernement d’Antigua-et-Barbuda (projet n° 22, texte de la commission n° 33, rapport n° 32), le Gouvernement de la République du Vanuatu (projet n° 745 [2009-2010], texte de la commission n° 15, rapport n° 10) et le Gouvernement de la République orientale de l’Uruguay (projet n° 746 [2009-2010], texte de la commission n° 16, rapport n° 10), relatifs à l’échange de renseignements en matière fiscale.
À la demande de la commission des finances, ces sept projets de loi font l’objet d’une discussion générale commune.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le ministre.
M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, vous avez souhaité appeler en séance publique le projet de loi autorisant la ratification de l’accord d’échange de renseignements avec Antigua-et-Barbuda, Grenade, Saint-Christophe-et-Niévès, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Sainte-Lucie, Vanuatu et l’Uruguay.
Je ne peux que me féliciter, monsieur le rapporteur, de cette marque renouvelée de l’intérêt que vous portez à l’action du Gouvernement dans sa lutte contre les paradis fiscaux. C’est pour moi l’occasion de vous rappeler succinctement le contexte dans lequel ces sept accords d’échanges de renseignements ont pu être négociés. Je ne peux, à nouveau, que vous remercier d’avoir soutenu, à cette occasion, la politique menée par le Gouvernement en la matière.
D’abord, depuis la fin de l’année 2008, la France a mené la mobilisation de toute la communauté internationale en vue de lutter contre les juridictions non coopératives.
Répondant à un appel franco-allemand du mois d’octobre 2008 et à l’engagement personnel du Président de la République, le G 20 a obtenu, lors du sommet qui s’est tenu le 2 avril 2009 à Londres, la publication par l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, de listes des pays non coopératifs, classées en fonction de leur degré de transparence en matière fiscale.
Cette méthode a immédiatement porté ses fruits : les juridictions de la liste noire ont très rapidement pris des engagements, de sorte que la liste noire est désormais vide. Dans le même temps, la plupart des juridictions de la liste grise ont tenu leurs engagements, de sorte qu’aujourd’hui, cette liste ne comporte plus que treize juridictions.
Depuis le début de l’année 2009, plus de 500 accords bilatéraux d’échange d’informations ont ainsi été signés de par le monde. La transparence, la levée du secret bancaire et la coopération entre administrations fiscales pour lutter contre la fraude et l’évasion sont désormais universellement reconnues.
Outre que ces évolutions sont sans précédent, elles revêtent une importance considérable, surtout si on les remet dans une perspective historique : plus d’accords ont été signés en quelques mois qu’au cours de la décennie précédente. Beaucoup de chemin a été fait, et dans la bonne direction.
Ensuite, le Gouvernement a pris soin de traduire concrètement, dans l’ordre national, les engagements pris dans les enceintes multilatérales.
Dès le lendemain du G 20, il a engagé une politique de négociation d’accords bilatéraux tous azimuts avec les États de la liste de l’OCDE.
Au lendemain du 2 avril, nous avons proposé à tous les États ou territoires qui figuraient sur la liste grise et sur la liste noire de signer un accord permettant l’échange de renseignements.
Dans les cas où nous étions déjà liés par une convention fiscale, nous avons choisi de proposer de conclure des avenants.
Vous avez ainsi autorisé l’approbation de six avenants à nos conventions avec la Suisse et le Luxembourg, notamment.
Dans la plupart des autres cas, nous avons proposé de ne signer qu’un accord d’échange de renseignements, sans contrepartie, car il n’y a pas de contrepartie à donner à un État qui ne fait que respecter l’engagement qu’il a pris devant la communauté internationale. Ce fut le cas pour les sept États avec lesquels nous avons négocié les accords aujourd’hui soumis à votre ratification.
Au total, depuis le mois de mars 2009, la France a signé six avenants et vingt et un accords ou conventions permettant l’échange de renseignements comportant un article d’échange de renseignements conforme aux standards internationaux les plus exigeants.
Avec ces accords, nous serons en mesure d’échanger sans restriction des renseignements fiscaux avec les plus importants des centres financiers et paradis fiscaux de par le monde.
Ces résultats placent désormais la France tout à fait à la pointe du combat international en faveur de la transparence.
Nous avons, par ailleurs, relayé cette action internationale par les mesures adoptées en loi de finances rectificative pour 2009.
Elles soumettent les quelques juridictions récalcitrantes à un arsenal de sanctions. Vous les connaissez pour les avoir votées fin 2009, ce dont je vous remercie. Je n’y reviens pas.
Enfin, la ratification des accords n’est qu’une étape : le Gouvernement continuera à se mobiliser pour obtenir une transparence fiscale effective.
Je veux redire ici notre détermination à obtenir un échange d’informations effectif et efficace. Le Gouvernement ne se contentera pas de traités, car ces signatures ne constituent pas une fin en soi. Nous veillerons à ce que l’échange d’informations fonctionne en pratique, et nous avons mis en place, à cette fin, des instruments de suivi.
Sur le plan international, le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales a mis en place un mécanisme d’évaluation par les pairs. La France préside ce groupe d’évaluation, par la voix de François d’Aubert, délégué général à la lutte contre les paradis fiscaux.
Les premières évaluations ont été lancées dès mars 2010 et huit premiers rapports ont déjà été adoptés à Singapour à la fin du mois dernier, mettant en lumière des insuffisances de deux États, le Panama et le Botswana.
Comme vous le savez, nous accordons la plus grande attention à ces travaux, dont un premier bilan global pourra être tiré lors de la présidence française du G 20 en novembre 2011.
Sur le plan national, le mécanisme que vous avez adopté en loi de finances rectificative comporte son propre mécanisme de suivi. À compter du 1er janvier 2011, il permettra de faire vivre la liste arrêtée par la France, en y ajoutant ou en en retranchant certains États.
Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, vous le voyez, les accords d’assistance administrative qui vous ont été soumis poursuivent le combat pour la transparence fiscale et la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.
Ce n’est qu’une étape, mais c’est une étape importante, car il faudra bien que les textes entrent en vigueur pour en mesurer l’efficacité. Je me félicite à nouveau du soutien que vous avez constamment apporté à la politique du Gouvernement en la matière et ne peux que vous appeler à rester mobilisés, comme l’est, sachez-le, le Gouvernement.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Adrien Gouteyron, rapporteur de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis le début de l’année, la commission des finances a examiné vingt-six projets de loi visant à ratifier des conventions relatives à l’échange de renseignements en matière fiscale, dont les sept accords, objet de ce débat, conclus avec le Vanuatu, l’Uruguay, Antigua-et-Barbuda, la Grenade, Sainte-Lucie, Saint-Christophe-et-Niévès et Saint-Vincent-et-les Grenadines.
Il s’agit de territoires ou États à la fiscalité très allégée, qui ont conclu avec la France un accord d’échange de renseignements, afin de répondre à la condition fixée par l’OCDE, consistant à avoir signé douze accords pour ne plus apparaître sur la liste grise des États non coopératifs.
Ces conventions tendent toutes à autoriser la France à demander tous les renseignements pertinents pour la bonne application de notre droit fiscal par nos administrations ou nos tribunaux. Il convient de préciser, et M. le ministre l’a souligné, que notre pays n’a accordé aucune contrepartie.
La ratification de ces accords est nécessaire pour lutter contre la fraude fiscale, qui permettrait à des opérateurs de profiter de la faiblesse actuelle du dispositif d’échange de renseignements.
Je le rappelle, l’obligation de transmettre les informations pertinentes ne se déclenche que sur demande écrite, la « pêche aux renseignements » étant interdite.
L’objet de la demande doit être relatif à la résolution d’un problème fiscal, qu’il concerne l’établissement, le contrôle des impôts ou le recouvrement de créances.
Je tiens à souligner que les droits des contribuables sont protégés, car un tel échange doit respecter la confidentialité des données ainsi transmises.
Les sept accords sont conformes au modèle de l’OCDE établi en 2002. Sur certains points, ils sont même plus exigeants, et ce à la demande de la France, qui a notamment imposé une définition plus exhaustive des impôts visés.
Vous l’avez toutefois compris, si je me félicite que, dans le contexte de crise financière, le Gouvernement français ait entrepris de lutter contre les « paradis fiscaux », je me garde évidemment de tout « angélisme » face à ce nouveau réseau conventionnel.
Il conviendra de demeurer vigilant quant au caractère effectif de la mise en œuvre de ces accords par nos partenaires, à l’instar du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales, qui a instauré un mécanisme d’évaluation. M le ministre y a d’ailleurs fait référence tout à l’heure, et M. François d’Aubert, qui préside le groupe d’évaluation des juridictions non coopératives de l’OCDE, a présenté les travaux du Forum devant la commission des finances jeudi dernier.
Un contrôle par les pairs relatif à l’appréciation de la pleine effectivité des 600 conventions de double imposition et accords d’échanges de renseignements signés ces dernières années a été lancé par le Forum mondial en 2009.
Il est apparu indispensable que le principe de transparence fiscale posé par l’OCDE ne soit pas détourné de sa finalité par les États figurant sur la liste grise, grâce à la simple signature formelle de douze accords, notamment entre « paradis fiscaux », une technique que nous connaissons bien…
C’est pourquoi le Forum a entrepris d’évaluer la réalité de la coopération fiscale en deux phases, d’abord, en examinant la pertinence du réseau conventionnel, la sincérité des accords, ainsi que l’adaptation du cadre législatif aux échanges d’information, puis, en dressant un bilan qualitatif et quantitatif des échanges effectués.
Permettez-moi de m’attarder un peu sur le travail effectué en commission avec M. François d’Aubert. Depuis le mois de mars 2010, dix-huit États font l’objet d’une telle évaluation.
Les premiers résultats de la phase I ont été publiés le 30 septembre dernier. Il s’agissait des Bermudes, du Qatar, des Îles Caïman, de l’Inde, de la Jamaïque, de Monaco, du Panama et du Botswana.
François d’Aubert a confirmé l’intention du comité de traiter quarante pays par an, afin d’avoir achevé cette première phase en 2012. Il a également, et en toute clarté et honnêteté, fait part des obstacles qui obèrent le contrôle ainsi mis en œuvre.
Les obstacles en question tiennent, tout d’abord, aux différents systèmes juridiques. C’est, me semble-t-il, un point important et peut-être assez mal connu ; c'est la raison pour laquelle je me permets de le souligner. Comme l’a rappelé François d’Aubert, le droit anglo-saxon, le common law, ne donne pas la même définition de la notion d’abus de droit que les pays issus d’une tradition de droit romain.
Mme Nicole Bricq. Eh oui ! Et c’est une difficulté réelle !
M. Adrien Gouteyron, rapporteur. Il existe également des structures, comme les trusts – dont M. d’Aubert nous a longuement parlé –, que notre système juridique ignore.
En outre, l’ingéniosité en matière d’optimisation fiscale, comme dans d’autres domaines sans doute, ne connaît aucune limite.
Mme Nicole Bricq. Ça, c’est sûr !
M. Adrien Gouteyron, rapporteur. M. d’Aubert nous a ainsi expliqué que le Ghana avait acquis un système de dérégulation vendu « clés en main » par une grande banque !
Si les quatre-vingt-quinze pays membres du Forum mondial sont entrés dans le système de discipline collective, cette évaluation repose sur le consensus. En effet, il n’existe pas d’ordre fiscal international. C’est pourquoi le réseau d’accords bilatéraux que la France tisse elle-même est tellement important.
J’en viens plus précisément aux pays qui nous intéressent aujourd’hui.
L’examen de la première phase relative à l’évaluation du cadre légal est programmé au premier semestre de l’année 2011 pour Antigua-et-Barbuda, Saint-Christophe-et-Niévès, l’Uruguay et Vanuatu et au deuxième semestre de la même année pour Grenade, Sainte-Lucie et Saint-Vincent. La seconde phase, qui concerne l’évaluation de la mise en œuvre effective des accords signés, devrait avoir lieu au premier semestre de l’année 2013 pour le Vanuatu, au second semestre de 2013 pour les cinq États Caraïbes et, enfin, en 2014 pour l’Uruguay.
L’adoption des projets de loi de ratification est donc une toute première étape, mais qui est absolument indispensable. Elle devra être suivie d’un examen attentif du processus mis en place par le Forum mondial.
Je vous le dis, mes chers collègues, la commission des finances a bien l’intention de continuer à s’intéresser de près à un sujet aussi essentiel.
Mme Nicole Bricq. J’espère bien !
M. Adrien Gouteyron, rapporteur. En conclusion, je vous propose donc d’adopter sans réserve les présents projets visant à approuver les accords conclus avec la République du Vanuatu, la République orientale de l’Uruguay, le Gouvernement d’Antigua-et-Barbuda, le Gouvernement de la Grenade, le Gouvernement de Sainte-Lucie, le Gouvernement de Saint-Christophe-et-Niévès et le Gouvernement de Saint-Vincent-et-les-Grenadines.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je souhaite remercier nos collègues du groupe CRC-SPG d’avoir demandé que les présentes conventions soient examinées selon la procédure normale. Cela nous donne, en effet, l’occasion de faire un point sur nos travaux en la matière.
J’ai bien noté le consensus sur la nécessité de s’intéresser de près à ce qu’il est convenu d’appeler les « paradis fiscaux » et les « territoires et États non coopératifs ».
La dernière fois que nous avons abordé ce thème, c’était le 30 septembre. Après quoi, nous avons examiné le projet de loi de régulation bancaire et financière. Il faut donc nous féliciter d’une telle transparence.
Les conventions de mise en conformité avec les standards OCDE permettent aux pays à fiscalité privilégiée de sortir des listes noires et grises. L’enjeu est donc très lourd – il faut tirer les enseignements de la crise dans la pratique –, et il est autant financier que diplomatique.
Le débat du 30 septembre nous a permis de rappeler l’état d’application de la directive « Épargne » dans les pays européens, dont deux de la zone euro, en l’occurrence le Luxembourg et la Belgique. Si ce texte est né d’un consensus, on est loin de l’unanimité en termes d’application !
En effet, comme nous le savons, il existe, au sein de l’Union européenne, des moyens de contournement de cette directive : le paiement d’intérêts transitant par des structures intermédiaires non imposées, la non-prise en compte des produits d’assurance-vie, le sursis d’obligation d’information obtenu par la Belgique, le Luxembourg et l’Autriche, qui s’acquittent d’une retenue à la source ou encore le blocage de la révision de cette directive sur le bureau du Conseil de l’Europe, alors qu’elle a été entérinée par la Commission européenne et le Parlement européen au mois d’avril 2009. Ce sont autant d’éléments essentiels au débat avant la présidence française du G20 à Séoul.
Les parlementaires souhaitent donner un mandat clair au Gouvernement et au Président de la République en matière de lutte contre la fraude fiscale via les paradis fiscaux et rappeler que la clarification des positions européennes en est une condition essentielle.
Il est possible – le groupe socialiste l’a rappelé le 30 septembre – d’agir sur le plan national en légiférant sur la base de deux principes, c'est-à-dire le contrôle administratif et parlementaire et la transparence exigée des établissements bancaires et financiers.
À cette occasion, je voudrais rappeler les trois amendements que nous avions défendus le 30 septembre.
Le premier amendement visait à publier, chaque année, en annexe de la loi de finances, le nombre de contrôles effectués sur la base de l’article 209 B du code général des impôts.
Le 4 novembre dernier, lors de l’audition de François d’Aubert, le délégué général à la lutte contre les paradis fiscaux, M. le président de la commission des finances a annoncé que la prochaine audition serait consacrée à la direction de la législation fiscale. Ainsi, le président et la majorité des membres de cette commission préfèrent s’en remettre à la discussion en commission plutôt qu’à la loi. C’est un choix que nous n’approuvons pas ! Toutefois, si nous continuons le travail, comme M. le rapporteur vient de l’indiquer, ce sera déjà un point positif.
Le deuxième amendement concernait l’obligation de transparence des établissements contractant avec l’État et l’instauration d’une comptabilité pays par pays des établissements contractant avec l’État. François d’Aubert nous a confirmé le 4 novembre qu’un reporting pays par pays, régulièrement tenu à jour, serait une avancée.
Le troisième amendement tendait à instaurer un échange d’informations entre l’administration fiscale et les acteurs financiers étrangers privés souhaitant investir sur le territoire national, sur le modèle de la loi américaine foreign account tax compliance act, ou FATCA, votée par le Congrès des États-Unis au mois de mars 2010. M. d’Aubert nous a bien précisé l’intérêt d’une telle législation lors de son audition. Selon lui, il s’agirait pour les États-Unis de « capturer » 5 millions de contribuables et de leur prélever à la source 30 % sur les revenus de leurs clients américains. Et ce qui se fait aux États-Unis peut également se faire en France !
En outre, et ce point est également important, nous avons aujourd'hui le résultat des premiers rapports du Forum mondial de l’OCDE. À la date du 19 octobre, dix rapports ont été remis.
Le principal enseignement à en tirer est que l’on peut être un bon élève, figurer sur la liste blanche et passer le test tout en faisant perdurer des pratiques douteuses. Cela est dû, et M. le rapporteur y a fait allusion, aux trusts, qui sont tout, sauf clairs !
De ce point de vue, permettez-moi de mentionner le cas, tout à fait emblématique, de Monaco. La principauté a signé des accords selon la convention OCDE avec douze pays, ce qui lui permet de figurer sur la liste blanche, sans avoir signé le moindre accord avec son principal partenaire, l’Italie. Il paraît que ce sera bientôt le cas, mais la situation est tout de même un peu ennuyeuse. D’autant que Monaco n’a pas signé non plus d’accord avec son deuxième partenaire en matière financière, le Royaume-Uni !
Il faut donc en tirer des conclusions sur le fait d’appartenir à la liste blanche. D’abord, faisons attention à la crédibilité du Forum, surtout que l’adhésion des pays repose sur une démarche volontaire. Ensuite, et je suis totalement d'accord avec M. le rapporteur sur ce point, il est très important d’opérer une surveillance des accords bilatéraux. D’ailleurs, c’est plus ou moins ce que nous faisons aujourd'hui.
À cet égard, monsieur le ministre, il faudra suivre avec beaucoup d’attention l’accord que l’Allemagne et la Suisse sont en train de conclure : la Suisse pourrait conserver son secret bancaire et un prélèvement à la source sur les gains réalisés en Suisse par les résidents allemands serait reversé au budget de l’État allemand.
Soyons donc très attentifs. Si de tels accords bilatéraux sans contrepartie aboutissent, c’est la crédibilité de la démarche OCDE qui est compromise. Le partenaire garde son secret bancaire, qui est – nous le savons bien, nous sommes même payés pour le savoir ! – très important s’agissant de la Suisse.
La tâche est rude et longue, car les obstacles objectifs auxquels M. le rapporteur a fait allusion sont identifiés : je veux parler de la souveraineté fiscale, élément fort de la souveraineté nationale, des écarts entre les doctrines fiscales, de l’absence d’ordre international fiscal et financier, de la différence de qualification juridique d’un pays à l’autre – ce qui, en France, par exemple, est qualifié de « fraude » est appelé « soustraction » en Suisse –,et, enfin, de l’opacité des flux financiers. Autant de raisons, mes chers collègues, pour que le Parlement et ses commissions des finances ne lâchent pas prise ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC-SPG et de l’Union centriste. – M. le rapporteur applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons fait connaître à la présidence du Sénat, selon les formes et les usages en vigueur, notre souhait de voir s’ouvrir une discussion portant, d’une part, sur la situation des cinq États caribéens et du Vanuatu, d’autre part, sur celle de la République orientale de l’Uruguay, que l’on appelle plus habituellement l’Uruguay.
Le fait que, finalement, la discussion s’ouvre conjointement sur l’ensemble de ces conventions est à la fois regrettable – des différences sensibles de situation pouvaient motiver la demande que nous avions formulée de revenir à la procédure normale – et nécessaire puisque l’occasion nous est ainsi offerte de faire un point plus précis sur la problématique de l’évasion et de la fraude fiscale telle qu’elle peut trouver à s’appliquer dans un contexte international de concurrence fiscale exacerbée.
Ainsi, avec cette nouvelle liste de pays, nous devrions apprécier une déclinaison supplémentaire des efforts accomplis par la France et, singulièrement, par le Président de la République pour « moraliser » le capitalisme.
Avant même que notre pays n’exerce la présidence du G20 comme du G8, nous aurions pu être suffisamment actifs, persuasifs et déterminés pour ramener dans le droit chemin la quasi-totalité des pays qui se sont jusqu’ici fait la spécialité de tirer parti de la concurrence fiscale, proposant aux amateurs– particuliers comme entreprises – tout service permettant de dissimuler à la fois quelque montage financier audacieux et le produit plus ou moins avouable de ce montage.
À tel point que les deux dernières années ont été marquées par une fièvre singulière, celle de la signature de conventions fiscales internationales, en général limitées à l’exercice d’échanges de renseignements et, bien plus rarement, à la prévention des doubles impositions, entre tout ou partie de l’ensemble des États et territoires considérés comme non coopératifs et les États dotés d’une législation fiscale plus complète et plus complexe.
Pour aller dans ce sens, l’OCDE a même mis à la disposition des contractants éventuels des modèles de convention, avec des engagements précis à tenir, mais, au final, assez peu contraignants – ne rêvons pas ! –, tandis que chaque État ou territoire dit « non coopératif » se devait de passer un certain nombre d’accords.
Le nombre des accords passés était susceptible de permettre à un pays de quitter la liste noire des paradis fiscaux – chacun appréciera le paradoxe entre « paradis » et « liste noire » ! – pour entrer dans le purgatoire de la liste grise et revenir sur terre en intégrant la liste blanche des États et territoires à législation fiscale « normalisée ».
Nous avons eu l’occasion, par deux vagues précédentes – ma collègue l’a également rappelé, je serai donc bref –, de vérifier tout l’intérêt de cette opération.
L’examen des situations appelle néanmoins quelques remarques.
Avec les cinq États et territoires caribéens, nous sommes en présence de pays dont la superficie est réduite, et la population tout autant. Sainte-Lucie ne compte pas plus de 200 000 habitants, soit moins que la population moyenne d’un département français et à peine celle de la Guyane, le moins peuplé de nos départements d’Amérique. L’on atteint même, avec Saint-Christophe, des données microscopiques.
La fédération de Saint Kitts and Nevis représente 261 kilomètres carrés, soit la superficie d’une ville comme Marseille, et 40 000 habitants, soit la population de nombreuses villes moyennes de notre pays.
Ces cinq États sont donc des territoires de taille réduite – Sainte-Lucie, l’État le plus étendu, étant environ deux fois moins grand que la Martinique – et de population faible, comprise entre 40 000 et 160 000 habitants. Ils ont tous un point commun, que l’on oublie un peu vite : ils ont le même chef d’État. Car Kittitais, Saint-Luciens ou Grenadais ont la particularité d’être aujourd’hui encore considérés comme des sujets de Sa Très Gracieuse Majesté, Elizabeth ii d’Angleterre, qui, bien que l’indépendance des cinq territoires ait été prononcée il y a souvent plusieurs décennies, reste le chef d’État de tous ces petits pays !
Cependant, cela ne doit pas nous faire dévier de l’essentiel : les paradis fiscaux dont nous parlons ont des liens anciens, particulièrement forts et toujours très présents, avec un ou des États de la communauté internationale, notamment du G8 et du G20, ce qui signifie pour le moins que, derrière les apparences du clinquant et de la netteté de façade, les arrière-cours sont parfois occupées par des activités qui ne sont pas toujours très avouables !
J’observe, d’ailleurs, à ce titre, que voter en faveur des cinq conventions caribéennes qui nous sont aujourd’hui proposées reviendrait à réduire de dix-huit à treize la liste des territoires et États non coopératifs au titre de la législation française.
Dans le cadre de l’article 22 de la loi de finances rectificative pour 2009 du 30 décembre dernier, le droit fiscal français a procédé à la définition du « paradis fiscal ».
Les cinq États caribéens dont nous parlons font partie de la liste des dix-huit territoires que nous avons arrêtée en février dernier. Nous connaissons les autres États concernés, je n’y reviendrai pas.
Bien entendu, avec l’émergence de l’économie de l’immatériel et des services à distance, ces pays sont devenus des terrains de jeu idéaux pour les services financiers, pour la domiciliation d’entreprises sans activité réelle, pour le business financier à l’état pur. Nous avions déjà pointé du doigt ce qu’il en était pour les Bahamas, les Îles Caïmans ou les Îles Vierges, britanniques comme américaines. Mais la pratique de l’International Business Company existe aussi à Antigua-et-Barbuda, comme dans les autres territoires où l’on peut, moyennant un faible droit fixe, déclarer une entreprise « boîte aux lettres » dont l’activité sera d’optimiser la comptabilité du groupe transnational auquel elle appartient.
Antigua ajoute, d’ailleurs, à ces activités purement financières un statut de base arrière pour services de jeux en ligne, sans contraintes excessives, qui ajoute l’enfer du jeu au paradis fiscal !
Pour faire bonne mesure, comme le montre l’intéressant rapport de notre collègue Adrien Gouteyron, la fiscalité de ces cinq États caribéens est ainsi faite que toute entreprise étrangère venant s’implanter pour des considérations exclusivement comptables sur le territoire de l’un d’entre eux bénéficie, en général, d’une large exemption fiscale sur l’ensemble des impôts et taxes que paient, de manière souvent marginale, les entreprises du cru !
Mes chers collègues, si vous votez ces conventions fiscales, nous passerons des accords avec des pays où l’on taxe plus le réparateur d’électroménager que la filiale de location et de revente de matériels de travaux publics de n’importe quel mastodonte du BTP d’Europe ou d’Amérique du Nord !
Peu de Français résident dans l’un des cinq États de la zone caribéenne dont nous parlons – un grand nombre d’entre eux, d’ailleurs, sont binationaux – puisque l’ambassade de France à Sainte-Lucie en immatricule moins d’un millier. Cela revient à dire que, au-delà de quelques cas particuliers, dont le nombre est sans doute inversement proportionnel à la gravité de la fraude, c’est bel et bien pour étendre une couche de vernis de légalité qu’on nous demande aujourd’hui de voter ces textes !
Valider ces conventions, c’est donner à nos grandes banques, à nos compagnies d’assurance et à nos groupes du tourisme la garantie de la légalité et du droit pour réaliser des affaires sous des cieux fiscaux cléments, où l’administration est peu regardante et souvent sous-équipée.
Avec la convention nous liant à Sainte-Lucie, Accor pourra ainsi prolonger son désengagement des Antilles françaises et continuer de prendre pied sur un territoire socialement plus calme que la Guadeloupe !
Certains pourront continuer de tirer parti des conditions très particulières de taxation des expatriés retenues dans ces territoires pour « optimiser » leur déclaration d’impôt sur le revenu. En effet, au regard du taux de pauvreté des populations locales – jusqu’à 38 % à Saint-Vincent et près de 30 % en moyenne dans la Caraïbe de l’Est –, on comprend bien que de telles conventions ne visent pas le développement économique réel de ces territoires !
Nous pourrions, évidemment, parler quelques instants de la République du Vanuatu, gérée à la fois par le Royaume-Uni et la France jusqu’à l’indépendance de 1980. Mais ce pays, qui ne pratique d’autre fiscalité que la fiscalité indirecte, ne figure même plus sur la liste grise de l’OCDE.
Non, nous préférons, pour conclure cette intervention, dire pourquoi nous voterons, contrairement à ce que nous ferons pour quelques autres textes, en faveur de l’adoption de la convention France-Uruguay.
Cette fameuse République orientale de l’Uruguay, ainsi appelée du fait de sa position sur la rive Est du rio de la Plata, a une devise qui sonne particulièrement : la liberté ou la mort !
Ce pays a connu, au cours des années soixante-dix, l’expérience de la dictature militaire la plus féroce. Il y a ajouté celle du libéralisme économique le plus intégral, dont les effets ne se sont pas fait attendre. La majorité de la population s’est retrouvée plongée dans la plus grande pauvreté tandis que croissaient l’inflation et la dette extérieure.
L’Uruguay a, ensuite, connu, dans les années quatre-vingt, une transition démocratique qui a ramené au pouvoir les partis traditionnels et s’est matérialisée par une poursuite du processus de libéralisation forcenée de l’économie.
Dans ce contexte, l’Uruguay est devenu, comme il l’avait déjà été dans le passé, un paradis fiscal, notamment grâce à la pratique d’un secret bancaire très proche de celui qui est mis en œuvre en Suisse, et qui lui a permis d’attirer les dépôts des non-résidents, singulièrement ceux des Argentins et des Brésiliens à la recherche d’une domiciliation bancaire plus tranquille. Ce paradis fiscal allait, hélas !, de pair avec de profondes inégalités qui affectaient tant la trame sociale que le développement régional.
La situation politique uruguayenne a évolué, notamment après la crise argentine de 2002. C’est une large coalition de gauche, le Frente Amplio, regroupant des forces allant du PC uruguayen jusqu’aux démocrates chrétiens en passant par des nationalistes de gauche, qui a remporté les dernières consultations électorales.
À la suite de cette élection, le ministre des finances de la République orientale de l’Uruguay, Fernando Lorenzo, a défendu une loi permettant la levée du secret bancaire. Ce texte, qui visait l’hypothèse de présomption de fraude fiscale portant sur des revenus d’activité et le cas de présomption de dissimulation d’éléments de patrimoine, visait aussi à faciliter l’échange d’informations – c’est l’objet de la convention – et à vérifier les doubles impositions éventuelles.
La volonté avérée du gouvernement uruguayen est donc de normaliser la pratique des établissements financiers implantés sur son territoire – le cas n’est pas fréquent – et de trouver les moyens du développement du pays, qu’une situation sociale désormais plus calme que celle de ses voisins immédiats peut permettre de déterminer.
C’est dire que nous sommes, avec l’Uruguay, en présence d’un pays où la convention dont nous discutons accompagne une démarche locale, déterminée, de moralisation des activités financières.
Nous pouvons donc donner quitus au Gouvernement de la République orientale de l’Uruguay de cet effort et voter cette convention.
Tel n’est pas le cas des autres conventions dont nous avons parlé précédemment. Nous ne pouvons, par conséquent, les accepter en l’état, sauf à imposer des conditions d’évaluation qui font aujourd'hui défaut. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)