M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Panis.
Mme Jacqueline Panis. Monsieur le président, madame le secrétaire d'État, mes chers collègues, aussi loin que remontent mes souvenirs de l’histoire de France, les lois, telles que les lois capétiennes instaurant la primogéniture masculine ou le droit canon, par exemple, ont édicté la suprématie de l’homme sur la femme.
Puis, au xxe siècle, c’est-à-dire hier à l’échelle de l’histoire, les femmes acquièrent petit à petit des droits, surtout celui d’apprendre. Au même titre que les jeunes gens, les filles commencent à se lancer dans des études longues et difficiles, à fréquenter les universités, les grandes écoles, où elles brillent autant que les garçons. Cette évolution, très courte au regard des dix-neuf siècles écoulés de domination masculine légale, n’est pas sans engendrer des conséquences que chacun appréhende à sa façon…
Les femmes souhaitent logiquement rattraper le temps perdu et accéder à l’égalité pure et simple ; pour les hommes, il est logiquement plus difficile d’accepter le partage d’un pouvoir vieux de presque 2 000 ans.
Je souhaite donc que ce débat ne soit pas le théâtre d’affrontements entre deux clans aux intérêts divergents et qu’il n’amène pas à jeter l’opprobre sur ceux qui, nostalgiques du passé, ont du mal à reconnaître en leurs anciennes camarades de cours des partenaires professionnelles et rejettent de facto l’idée de partager avec elles la maîtrise décisionnelle.
En un sens, je déplore autant que je loue le dépôt de cette proposition de loi. En effet, un tel débat a quelque chose de désobligeant tant pour les femmes que pour les hommes. Il est désobligeant pour les femmes, car imposer légalement, autoritairement leur présence à la tête des entreprises, c’est faire fi de l’apport qualitatif qu’elles représentent : leurs capacités propres, leurs compétences, leur savoir devraient seuls motiver leur désignation au sein des instances dirigeantes des entreprises. Il est également désobligeant pour les hommes, car il met l’accent sur leur volonté d’appropriation de la gouvernance et sur leur absence d’objectivité intellectuelle.
Chacun s’accorde à reconnaître le bien-fondé de la mixité sociale. La complémentarité intellectuelle hommes-femmes dans les instances décisionnelles est, elle aussi, un atout, dont les entreprises se sont privées jusqu’à présent. Il importe pour tous que la promotion des principes sous-tendant ce texte soit perçue non pas comme une obligation légale, mais comme un gage de progrès.
Nonobstant ces remarques, je loue cette proposition de loi, qui, en imposant cette diversité, créera une nouvelle et souhaitable synergie au sein de l’entreprise, permettra un apport de sang nouveau et l’émergence d’approches différentes.
Le changement ne s’imposera pas uniquement aux collègues masculins ; les femmes, elles aussi, devront prendre conscience qu’elles peuvent et doivent s’impliquer dans la stratégie de l’entreprise. La féminisation de l’encadrement n’a cessé de progresser depuis vingt ans sans que les femmes accèdent pour autant aux postes d’administrateur. Devant ce manque de perspectives, un grand nombre de femmes cadres préfèrent se lancer dans l’entrepreneuriat, privant ainsi l’entreprise d’origine de leur expérience. Ce texte, même si son champ est limité à certaines entreprises, leur ouvrira d’autres perspectives et engendrera, immanquablement, une nouvelle dynamique.
L’exemple de la Norvège, pays novateur en la matière, évoqué précédemment par Mme André, a largement démontré que la coexistence de profils différents dans les équipes dirigeantes est un facteur d’enrichissement mutuel, d’équilibre et d’efficacité.
Mme Dominique Reiniche, directrice d’une grosse entreprise internationale, disait avoir d’abord été hostile au partage égalitaire du pouvoir, « mais je constate, ajoutait-elle, que sans contrainte rien ne bouge. […] Notre objectif est en particulier de nommer plus de femmes dans les comités exécutifs et dans les conseils d’administration. Nous nous sentons personnellement responsables des résultats que nous obtiendrons. »
Le texte dont nous débattons aujourd'hui constituera moins une contrainte qu’un projet d’avenir. Toutefois, au risque de choquer certains, je conclurai mon propos en émettant le vœu qu’il tombe rapidement en désuétude et que la composition des conseils d’administration se fonde dans un avenir proche sur un critère de compétence, et non sur la nature d’un chromosome !
Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi n° 291. Quand le monde sera parfait…
Mme Jacqueline Panis. À la suite de plusieurs intervenantes, je citerai à mon tour Mme Lagarde : « Je pense que pour une période de temps, nous avons besoin de quotas. Pas pour toujours, mais la marche est trop grande, il faut prendre des mesures pour s’assurer que le niveau de parité soit atteint. » La situation des femmes évolue, mais le chemin est encore long. À nous donc, aujourd'hui, d’avancer et de faire en sorte que l’avenir nous donne raison ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je me réjouis que nous abordions aujourd'hui le problème de l’inégale représentation des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance. En effet, c’est en agissant sur chaque aspect de la vie professionnelle que progressera réellement une cause que les récents débats sur les retraites ont également mise en lumière.
Le texte que nous examinons cet après-midi est la convergence de deux propositions de loi. C’est le fruit d’un consensus. Adopté par l’Assemblée nationale, le texte de Marie-Jo Zimmermann et de Jean-François Copé rejoint celui de Nicole Bricq et de Michèle André.
En outre, les analyses des rapporteurs de la commission des lois et de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, dont je salue ici l’excellent travail, se rejoignent sur une majorité de dispositions, même s’il y a, bien sûr, quelques divergences, que nous évoquerons au cours de l’examen des amendements.
Enfin, si l’initiative est parlementaire, elle rejoint la volonté gouvernementale : en mai dernier, c’est le Premier ministre lui-même qui affirmait que l’adoption de ce texte était une priorité ; ce mois-ci, c’est Christine Lagarde qui a pris le parti des femmes, se prononçant sans ambages pour une discrimination positive.
Un tel consensus est nécessaire, car il y a urgence à agir. Michèle André a rappelé le déplorable classement de la France dans le rapport publié le 12 octobre dernier par le Forum économique mondial sur l’état d’avancement de l’égalité des genres en Europe. Est-il acceptable que, en matière d’inégalités salariales, la France soit reléguée au 127e rang mondial ? Comme le souligne Saadia Zahidi, ce résultat est « d’autant plus étonnant lorsqu’on regarde le niveau de qualification des femmes en France, qui est l’un des plus élevés au monde. Elles devraient donc être plus nombreuses aux postes à responsabilités. » Les filles représentent en effet 56,4 % des effectifs universitaires, 39,5 % des étudiants des IUT, 42 % des élèves des classes préparatoires aux grandes écoles et 25 % des effectifs des écoles d’ingénieurs. Tout cela constitue un vivier suffisant pour atteindre l’objectif de 40 % de femmes au moins dans les conseils d’administration et de surveillance.
Dans le haut du classement du Forum économique mondial, on retrouve l’Islande, la Norvège et la Finlande, soit des pays qui ont fait, depuis longtemps, le choix de politiques extrêmement volontaristes en faveur des femmes. La Norvège a ainsi adopté une loi, assortie de fortes sanctions en cas de non-application, imposant la même proportion minimale de 40 % de femmes dans les conseils des principales sociétés.
En 2006, en France, les conseils d’administration des sociétés du CAC 40 ne comptaient que 8 % de femmes. Cette proportion n’était encore que de 10,5 % en 2009, et s’élevait à 15,3 % en septembre dernier, ce qui est toujours très faible.
Ces chiffres doivent tous nous convaincre que ce n’est qu’en menant des politiques volontaristes, en adoptant des procédures plus ouvertes et plus transparentes de nomination, afin d’encourager les femmes à être candidates, que nous progresserons.
Cela soit dit sans nier les qualités de nos homologues masculins, les femmes sont un réel atout pour les structures au sein desquelles elles travaillent. Plusieurs études ont déjà démontré l’existence d’un lien entre la performance économique des entreprises et la présence significative de femmes à des postes de responsabilité. Sur ce sujet, Michel Ferrary notait, dans son étude intitulée Les femmes influencent-elles la performance des entreprises ?, que « la diversité permet notamment d’améliorer la prise de décision, d’explorer de nouvelles opportunités du fait de systèmes de représentation différents, de s’adapter à la diversité des clients, de favoriser la créativité et d’améliorer la dynamique de groupe ».
Je citerai également l’introduction de l’accord national interprofessionnel relatif à la mixité et à l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, signé le 1er mars 2004 en France, qui stipule : « L’emploi des femmes est un facteur de dynamisme social et de croissance économique. Les femmes constituent un vivier de compétences dont une société moderne a besoin. »
Nous le voyons, la représentation équilibrée progresse essentiellement quand la loi l’impose et la présente proposition de loi nous permet de faire un pas de plus dans ce sens. C’est pourquoi, en tant que membre de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de notre Haute Assemblée, et parce que je partage l’analyse de mon collègue François Zocchetto, je soutiendrai ce texte qui comporte de notables avancées.
Je conclurai par une belle phrase de Stendhal : « L’admission des femmes à l’égalité parfaite serait la marque la plus sûre de la civilisation, et elle doublerait les forces intellectuelles du genre humain. » (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.
Mme Nicole Bonnefoy. Monsieur le président, madame le secrétaire d’État, madame le rapporteur, mes chers collègues, je me félicite tout d’abord que le Parlement se penche sur la question de la parité et de la sous-représentation des femmes dans les postes hiérarchiquement les plus élevés en France.
Le fait que les deux propositions de loi que nous examinons aujourd’hui aient été présentées dans les deux assemblées, et par des groupes politiques différents, démontre bien qu’il existe une volonté commune de progresser dans ce domaine. Je m’en réjouis, en espérant que le vote de la loi sera suivi d’une application effective.
Je regrette cependant que la commission des lois ait décidé de renvoyer à plus tard l’examen de la question du cumul des mandats sociaux, car la discussion de cette proposition de loi nous offrait l’occasion d’avancer dans ce domaine : il n’est pas de bonne méthode de repousser à demain ce que nous pourrions faire aujourd’hui !
En effet, il semble indispensable de renforcer l’implication et l’indépendance des mandataires sociaux dans les conseils d’administration et les conseils de surveillance, en mettant un terme à la forte endogamie qui caractérise la composition des instances dirigeantes des grandes sociétés françaises, et qui permet à une centaine de personnes, parce qu’elles siègent dans plusieurs conseils, de jouer un rôle clé dans le capitalisme français. Il n’est plus concevable, par exemple, que 20 % des administrateurs de sociétés du CAC 40 puissent concentrer 43 % des mandats.
Pour cette raison, nous proposons de réduire le nombre de mandats pouvant être détenus par une personne physique dans une société anonyme et de rendre incompatible l’exercice d’un mandat exécutif dans une société publique avec la détention d’un mandat dans une société privée.
Un administrateur doit pouvoir consacrer le temps et l’attention nécessaire à sa société. Une journée ne compte que vingt-quatre heures, que l’on soit ouvrier ou président d’une entreprise du CAC 40 ! Il est donc impensable que certains administrateurs puissent cumuler plus d’une dizaine de mandats sans jamais être inquiétés…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ils ne le peuvent plus !
Mme Nicole Bonnefoy. Il y va d’une meilleure gouvernance de nos entreprises. Cet aspect ayant été parfaitement développé par ma collègue Nicole Bricq, je ne m’y attarderai pas.
J’insisterai davantage sur l’objectif commun de ces propositions de loi, à savoir assurer une meilleure représentation des femmes au sein des instances dirigeantes des entreprises en décidant que la proportion d’administrateurs de chaque sexe ne puisse être inférieure à 40 %.
En 2003, les femmes représentaient seulement 5 % des membres des conseils d’administration ou de surveillance des plus grandes sociétés cotées françaises. Aujourd’hui, cette proportion atteint péniblement 10 %. Les récentes études confirment cette tendance et démontrent l’absence de réels progrès dans ce domaine. La France occupe la dixième position européenne en matière de mixité des conseils d’administration. Quant aux postes de présidents, ils sont encore moins féminisés : 4 % des présidents de conseil administration, 12 % des présidents de conseil de surveillance et seulement 2 % des directeurs généraux sont des femmes.
Les femmes sont donc gravement sous-représentées dans nos instances décisionnelles économiques et nous savons tous que ce n’est pas une question de capacité ou de formation. Face à ce constat, et pour respecter l’article 1er de la Constitution qui dispose que « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles et sociales », il est devenu indispensable de légiférer.
La représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les instances de décision, quelles qu’elles soient, est un préalable pour toute société démocratique qui se veut en phase avec son temps.
Il faut donc apporter des solutions législatives et juridiques pour remédier à des mœurs qui laissent encore, bien souvent, la femme au second plan, car la situation ne changera pas d’elle-même. La charte de bonne conduite du Mouvement des entreprises de France, le MEDEF, sur la gouvernance d’entreprise le prouve : elle n’a pas été suivie d’effets significatifs. Ce n’est que par la loi, et par des politiques ambitieuses, que nous pourrons engager un mouvement de fond débouchant sur une évolution, voire une révolution.
Mettre fin à la forte endogamie des conseils d’administration français passe par la féminisation des instances dirigeantes. C’est seulement en élargissant socialement leur composition que nous mettrons à mal les « petits arrangements entre amis ou proches », qui sont fréquents entre des administrateurs se côtoyant dans plusieurs sociétés ! Cette « oligarchie de fait » est le fruit d’une longue tradition dont les femmes ont toujours été exclues. C’est donc presque mécaniquement que les mœurs sexistes d’antan se reproduisent aujourd’hui par le biais d’une consanguinité des détenteurs du pouvoir.
Voilà pourquoi nous proposons d’ouvrir les conseils d’administration aux femmes, à une hauteur minimale de 40 %, dans un délai de six ans. Cette mesure aura deux effets : d’une part, elle remédiera à une situation incompréhensible pour toutes ces femmes écartées des postes hiérarchiquement les plus élevés et, d’autre part, elle permettra une réorganisation profonde du système actuel, en mettant fin à son opacité et en favorisant une plus grande diversité de la composition des conseils d’administration, qui seront ainsi plus en phase avec la société actuelle.
La proposition de loi de mes collègues Nicole Bricq et Richard Yung est plus ambitieuse que celle de Mme Zimmerman puisqu’elle limite le cumul des mandats sociaux, étend le périmètre d’application de la loi aux entreprises qui emploient plus de 250 salariés et qui réalisent un chiffre d’affaires annuel supérieur à 50 millions d’euros, renforce les sanctions pouvant être appliquées en cas de non-respect des règles édictées.
Nous ne pouvons pas attendre que la société mute d’elle-même, surtout lorsque les milieux économiques ou financiers sont concernés. J’appelle donc l’ensemble des membres de notre Haute Assemblée à ne pas remettre à demain ce que nous pouvons faire aujourd’hui, c’est-à-dire à voter un texte ambitieux, mettant en place un cadre réellement contraignant pour lutter tout à la fois contre le cumul des mandats sociaux et pour une meilleure représentation des femmes au sein des instances dirigeantes des entreprises. Sinon, la situation ne changera jamais ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Gautier.
Mme Gisèle Gautier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes appelés à nous prononcer aujourd’hui sur la proposition de loi relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle.
Je rappelle l’intitulé de cette proposition de loi, parce que certains – ou certaines – d’entre vous, qui me connaissent quelque peu, savent que je ne suis pas une partisante inconditionnelle de l’imposition de quotas par la voie législative. J’y suis même opposée, raisonnant sans doute comme beaucoup de femmes qui ont toujours voulu que la position des femmes progresse sur la base de leur crédibilité.
La question des quotas a toujours été plus ou moins un sujet de controverse. Je l’avais d’ailleurs déclaré après le vote de la loi de 2000 sur la parité en politique. Néanmoins, avec le recul, force est de constater que cette mesure a permis d’obtenir des résultats significatifs, même s’il reste beaucoup à faire pour changer les mentalités et les comportements.
L’égalité entre les femmes et les hommes n’est pas encore devenue une réalité au quotidien. L’émergence d’une volonté politique doit coïncider avec une véritable prise de conscience de l’ensemble de notre société de la nécessité de rééquilibrer les rôles.
Le présent texte pourrait devenir un des leviers de la reconnaissance et de la dynamisation de l’accès des femmes aux instances de décision des entreprises privées et publiques, mais il est pour moi essentiel qu’il soit, une fois voté, complété par des mesures d’accompagnement.
Plusieurs pays européens se sont penchés sur cette problématique. Ils y ont apporté des réponses différentes et ont obtenu des résultats divers. La Norvège, nombre d’intervenants l’ont souligné, est un exemple de la réussite de la politique des quotas. La Finlande, pour sa part, a opté pour un processus volontaire qui lui permet de figurer en tête des pays ayant la plus forte proportion de femmes siégeant au sein de conseils d’administration. Cela peut sembler paradoxal, mais c’est ainsi !
À ce jour, seuls 26 % des sociétés finlandaises ne comptent pas de femmes dans leur conseil d’administration, selon Mme Leena Linnainmaa, directrice de la chambre de commerce centrale de Finlande, que j’ai d’ailleurs eu l’occasion de rencontrer dans le cadre des réunions du Conseil de l’Europe. Dans ce pays, la prise en compte des qualités de l’entreprenariat féminin a permis l’amélioration rapide de la représentation des femmes dans les conseils d’administration. C’est avant tout le code de gouvernance des entreprises qui a imposé que les deux genres y soient représentés. L’Italie et les Pays-Bas, pour leur part, préparent une loi visant à imposer un quota de l’ordre de 30 % de femmes dans les conseils d’administration.
De grâce, mes chers collègues, ne nous inspirons pas des mesures prises par la Norvège, qui a choisi de sanctionner le non-respect de la loi par la dissolution des entreprises – décision très grave –, plutôt que de pénaliser les administrateurs.
Le présent texte prévoit, en cas de non-respect des prescriptions de la loi dans les délais impartis, de rendre nulles les nominations et de supprimer les jetons de présence. Ces dispositions me conviennent parfaitement !
L’article 7 de la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale prévoit la transmission au Parlement d’un rapport annuel sur la situation comparée des hommes et les femmes, dont la rédaction serait confiée à la direction départementale du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle, la DDTEFP.
Mes chers collègues, nous devrons veiller avec une extrême attention au respect du nouveau dispositif que nous allons créer. Trop souvent, ces mesures dites de « bonne intention » restent sans suite : il est donc absolument nécessaire d’établir des statistiques officielles et annuelles. J’insiste sur ce point, car nous avons parfois adopté des mesures qui n’ont pas produit les effets que nous en escomptions. J’en ai quelques exemples très frais en mémoire.
Et que l’on ne vienne pas me dire, comme on le fait parfois, que les femmes ne sont pas préparées ou formées pour assumer des postes de haute responsabilité ! Un véritable vivier existe déjà, dans lequel les entreprises peuvent puiser.
Un constat s’impose – souvenez-vous du rapport sur l’égalité professionnelle établi par la délégation aux droits des femmes lorsque j’en étais présidente : les jeunes femmes font aujourd’hui des études supérieures plus longues et obtiennent des résultats plus brillants que les garçons, et ce dans pratiquement toutes les filières de formation et d’enseignement. Nous disposons donc désormais d’une diversité de profils intéressante qui peut nous permettre de jeter un autre regard sur l’avenir.
Quelles stratégies, quelles attitudes positives faut-il adopter pour accompagner cette future loi ? Car ne l’oublions pas, mes chers collègues, la loi est nécessaire, mais elle doit s’accompagner de mesures incitatives.
Les pays anglo-saxons ont pris l’habitude de travailler en réseau, c’est ce que l’on appelle familièrement le « réseautage ». On entend beaucoup parler de cette méthode, qui fonctionne bien et donne des résultats très positifs : il n’y a pas de raison qu’il en aille autrement chez nous ! D’ailleurs, cette formule commence à apparaître en France, je pense au women’s club de Deauville, mais aussi à bien d’autres organisations. Nous devons la renforcer par tous les moyens possibles : clubs, échanges nationaux et internationaux, rencontres des savoirs… Elle se met en place doucement, de façon assez modeste. Il convient donc d’encourager son développement.
Il existe d’autres facteurs incitatifs, notamment la mise en pratique du principe de solidarité, c’est-à-dire l’apport d’un soutien par des personnes expérimentées. Nous ne parvenons pas, en France, à organiser la solidarité entre les hommes et les femmes,… et c’est bien dommage !
Un autre facteur incitatif réside dans la féminisation des intitulés des métiers. Cela peut sembler mineur, mais je suis convaincue que cette féminisation participe de la promotion de la place des femmes dans les différentes filières économiques réputées comme des bastions masculins.
Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi n° 291. C’est exact !
Mme Gisèle Gautier. Il faut apprendre aux femmes à prendre conscience de leur potentialité, de leurs capacités à accéder aux plus hauts niveaux de responsabilité. Bref, il faut les aider à faire disparaître ce que l’on désigne par le néologisme de « plafond émotionnel », comme on parlait des « plafonds de verre ».
Lorsque je participe à des colloques, je suis amenée à m’exprimer sur mon parcours politique, quelque peu atypique, d’ailleurs, puisque je n’ai reçu que peu d’investitures. Je conclus souvent mes interventions en déclarant : « Mesdames, osez ! » En effet, les femmes n’osent pas démarrer, alors qu’elles peuvent faire aussi bien que les hommes.
Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi n° 291. Et même mieux !
Mme Gisèle Gautier. Un autre facteur incitatif consisterait à équilibrer ce que Mme Anne-Marie Idrac appelle la « parentalité bancale ». Voilà une belle expression ! Il s’agit d’apprendre aux jeunes hommes à partager – partager, j’insiste sur ce terme, et non participer – les tâches quotidiennes, domestiques ou familiales.
Rappelons-nous que, jusqu’à présent, les rythmes de travail ont été conçus par les hommes, et un peu aussi pour les hommes.
Enfin, l’exemplarité revêt une importance non négligeable. Il convient donc de distinguer les entreprises innovantes en décernant un label à celles qui mettent en place ce que l’on appelle un « tutorat inversé ». La formule fonctionne bien, dès lors, pourquoi ne pas en étendre l’application ?
En conclusion, je suis persuadée que le rééquilibrage, par la voie législative et par les mesures spécifiques que je viens d’évoquer, de l’accès des femmes au sein des conseils d’administration est de nature à permettre une meilleure gouvernance des entreprises. Il améliorera leur compétitivité. En gommant les discriminations, il ouvrira aux hommes la perspective d’avoir à leurs côtés des femmes autonomes, des femmes de valeur, aussi bien dans leur parcours professionnel et public que dans leur vie privée. Je ne doute pas qu’ils s’en trouveront valorisés. Je suis d’ailleurs persuadée que tous les sénateurs qui participent à ce débat, ce dont je les remercie, partagent cette appréciation.
Cette proposition de loi doit constituer un mouvement de fond favorable aux femmes en tant qu’individus, mais surtout une source profonde de modification, dans la société du xxie siècle, de la place de femmes aux côtés des hommes. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Nicole Bricq et M. Jean-Pierre Sueur applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, chères sénatrices, chers sénateurs, je me félicite que, grâce à deux initiatives parlementaires, émanant l’une de députés, l’autre de sénateurs, nous soyons réunis aujourd’hui afin de discuter des moyens d’assurer une représentation mieux équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration.
En dépit des progrès qui ont été réalisés dans ce domaine, l’on s’accorde aujourd’hui à reconnaître, à gauche comme à droite, qu’il est devenu nécessaire de légiférer. La stratégie qui consiste à laisser du temps au temps est révolue. Après de longs et difficiles débats, nous avons accepté l’idée d’instituer des quotas ; il nous faut maintenant légiférer !
La synthèse que nous a présentée Mme la « rapportrice »…
Mme Catherine Morin-Desailly et M. Alain Gournac. Mme la rapporteure !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. Madame le rapporteur ! La féminisation des mots, c’est autre chose !
M. Richard Yung. Il faut aller jusqu’au bout de sa logique ! Un précédent intervenant a déclaré qu’il était essentiel de féminiser l’intitulé des fonctions. Les mots ont un sens.
M. Jean-Pierre Sueur. Vous avez raison, monsieur Yung, les mots ont un sens. On ne peut pas défendre les droits des femmes si l’on ne féminise pas les dénominations. Ou alors, on est en pleine contradiction.
M. Richard Yung. Madame le rapporteur, puisque vous semblez souhaiter cette dénomination, votre synthèse est décevante. De notre point de vue, vous n’êtes pas allée jusqu’au bout de ce qui était possible.
Cette synthèse souffre de trois lacunes : l’absence de vraies sanctions, un champ d’application trop restreint, la restriction du cumul des mandats, qui constitue pourtant, à nos yeux, un levier d’action indispensable.