Mme Annie David. Comment sera géré le nouveau système ?
M. Éric Woerth, ministre. Ce ne serait donc pas une absolue nouveauté dans la France d’aujourd'hui, où il existe déjà, à côté du régime général, des systèmes par points, qui sont gérés par les partenaires sociaux.
Mme Annie David. En France ! Pas en Suède.
M. Éric Woerth, ministre. Je voulais tout de même le souligner.
Mon propos est totalement cohérent, tout comme les choix que nous avons faits : les acquis de la réforme de 2010 peuvent être parfaitement basculés dans un régime par points ou en comptes notionnels.
M. Nicolas About. Bien sûr !
M. Éric Woerth, ministre. La notion d’âge vaut également dans un régime universel. Quand il atteint l’âge requis, un salarié peut solder les points qu’il a acquis tout au long de sa carrière.
La notion de pénibilité est évidemment aussi très importante dans ces régimes. Il en va de même pour la notion très importante de carrière longue, qui suppose l’anticipation de la retraite. Et la question de l’emploi des seniors est également majeure.
Tout ce que nous faisons aujourd’hui pour réformer nos retraites pourra constituer une base solide si, éventuellement, la France des années 2020 choisissait de changer son système de retraite.
Nous devions absolument nous poser cette question du basculement vers un autre système de retraite, mais nous devions auparavant assurer l’équilibre financier de ce système de retraite : c’est un impératif moral, c’est la première justice que nous devons aux Français ! Cet équilibre est obtenu, par le projet de réforme du Gouvernement, à partir de 2018. Il est par conséquent logique qu’à partir de cette date il soit possible de réfléchir au régime universel.
Enfin, si vous me permettez de m’avancer sur un terrain plus polémique, mesdames, messieurs les sénateurs de gauche, je dirai que je vous ai trouvés très laborieux dans ce débat. (Protestations sur certaines travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) En effet, le grand écart est toujours un exercice difficile…
M. Jacques Mahéas. C’est vous qui le faites le grand écart !
M. Éric Woerth, ministre. Vous souhaitiez, notamment par votre amendement, et vous nous l’avez répété sans cesse, explorer la piste du régime systémique. Vous pourriez nous dire – qu’importe qui a eu l’idée en premier ! – que vous êtes prêts à nous accompagner au moins sur ce point. Ç’aurait été bien de le faire. Mais la réalité est que vous êtes gênés par cette proposition (Hourvari sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.),…
M. Jacques Blanc. Eh oui !
M. Éric Woerth, ministre. … par le courage que nous déployons à vouloir sauver le système par répartition et par le fait que nous souhaitions prolonger cela par une réflexion approfondie dans le cadre d’un débat national sur la réforme systémique. Bref, rien ne change ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l’Union centriste.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1220 rectifié, 558 rectifié quinquies et 652 rectifié bis.
J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public, émanant du groupe UMP et du groupe Union Centriste.
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable, de même que l’avis du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 79 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 170 |
Pour l’adoption | 198 |
Contre | 140 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 3 octies.
Par ailleurs, l’amendement n° 327 rectifié bis n’a plus d’objet.
Monsieur Arthuis, l’amendement n° 557 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Jean Arthuis. Mes chers collègues, je tiens à vous dire que cet amendement est l’expression d’une conviction.
Monsieur le ministre, vous vous êtes interrogé sur l’opportunité d’un régime universel.
Lorsque, dans quelques semaines, vous nous présenterez le projet de loi de financement de la sécurité sociale, vous allez nous demander d’affecter des impôts au financement des retraites. Nous sommes donc sortis de la stricte répartition. En effet, l’État, mobilisant à cette fin une partie du produit des impôts, participe au financement d’une partie des retraites, comme il participe à celui d’une partie des régimes de santé et de famille. Dès lors qu’il y a financement par le produit de l’impôt, il y a nécessairement universalité et régime unique.
Il est urgent, monsieur le ministre, de mettre un terme à tant d’injustice dans le calcul des pensions comme dans l’âge de départ à la retraite. Dans ces conditions, il nous paraît également urgent d’instituer des comptes individuels de cotisations.
Et il convient, chers collègues de gauche, de ne surtout pas caricaturer cette démarche. En effet, si nous voulons prendre en compte les longues carrières, qui méritent certains égards, il n’y a pas d’autre solution.
Nous connaissons l’espérance de vie et pouvons l’estimer par catégories professionnelles. Il est ainsi possible de permettre à chaque Français sentant venir l’âge « possible » du départ à la retraite, de connaître – compte tenu de ce qui s’est accumulé en points sur son compte individuel de cotisations, et de son espérance de vie à cet instant – le possible montant de sa pension. S’il estime alors qu’elle est trop modeste, il a la liberté de continuer à travailler pendant un, deux, trois ans. C’est un système qui doit être transparent.
Croyez-moi, chers collègues, il n’y a pas matière à hésitation.
Certes, la réforme que nous avons votée ici au fil des jours, depuis deux semaines, contribue au colmatage financier, avec l’espérance d’un équilibre entre les recettes et les dépenses en 2018. Le problème de la justice demeure toutefois entier. Celui de la transparence, aussi.
C’est la répartition que nous voulons préserver ! J’ai entendu dire que ceci constituerait un glissement vers un régime par capitalisation. Absolument pas !
Ce que nous proposons est la réponse aux deux maux majeurs dont souffre notre système de retraite. Le mal financier sera réglé par la réforme que nous soumet le Gouvernement. Il nous reste à régler le problème de la justice, et il n’y sera pas répondu sans que soit institué un régime de compte individuel de cotisations.
Pour ces raisons, je maintiens notre amendement, qui est, je le répète, monsieur le président, l’expression d’une conviction profonde.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Si vous me le permettez, monsieur Arthuis, j’opposerai ma propre conviction à la vôtre.
Lorsque nous avons présenté notre amendement, nous n’avons jamais parlé de transposer chez nous un système qui n’est pas le nôtre.
Si nous demandons un large débat national, ce n’est pas pour arrêter d’ores et déjà une grille de réflexion. Nous voulons simplement davantage de transparence, une autre gouvernance. Ce ne devrait pas être trop difficile puisque, pour l’heure, nous sommes les champions de la complexité : trente-huit régimes, des centaines de mutuelles…
Nous avons surtout dit que nous voulions plus d’équité, au travers d’un système par points. Mais, dans un tel système, il est possible de garder le système par annuités : ce n’est pas incompatible. Il est possible de faire un basculement en une année aussi bien qu’en dix années.
Nous n’avons pas eu la prétention de dire s’il fallait un régime unique ou non. Nous avons eu la sagesse de laisser au débat et à la réflexion la possibilité de formuler une proposition à ce sujet.
Je pense qu’il est aujourd’hui prématuré d’affirmer qu’il est possible de transposer en France un modèle étranger pour régler tous nos problèmes. Il faut laisser une ouverture. Si cela prend quelques années, nous aurons tout le temps d’accommoder la « copie » à notre réalité et à ce que nous espérons, c’est-à-dire une équité accrue.
Je n’ai pas voulu trop insister sur ce point, mais nous avons un système de retraite très injuste en France. Il n’y a rien d’aussi injuste que les retraites ! C’est d’ailleurs pourquoi nos concitoyens envient nos retraites de parlementaires. Je le dis toujours, il n’est pas possible de promettre une retraite de parlementaire ou de conservateur des hypothèques à chacun des Français, mais il est grand temps de faire quelque chose pour avancer dans le sens de l’équité.
Dans la réforme de 2003, il y a quelque chose qui est passé inaperçu, et sans doute êtes-vous comme moi concerné, cher Jean Arthuis, puisqu’il s’agit des professions libérales : pour dix caisses, nous sommes arrivés à garantir qu’à revenu égal correspondaient cotisations égales et prestations égales. Pourquoi serait-il impossible d’y arriver à une plus grande échelle, selon le principe de la solidarité ?
Toutefois, certains de nos collègues sont gênés par l’idée – une idée qui correspond chez nous à une conviction – selon laquelle, dans un système par répartition comme le nôtre, on peut parler d’un plancher qui serait peut-être plus proche de la réalité des besoins des Français, mais aussi de son corollaire, à savoir un plafond ! Voilà ce qui déplaît !
Pourquoi avons-nous été combattus si fortement à propos du complément de retraite s’appuyant sur de l’épargne retraite ? Là encore, tout le monde se cache derrière son petit doigt ! Car tous ceux qui le peuvent profitent de la Préfon, c’est-à-dire d’un système par capitalisation, à l’instar des régimes additionnels.
Aujourd’hui, donnons-nous les moyens d’instaurer un système solidaire et plus juste pour tous les Français. Voilà quel était le sens de notre amendement. Reconnaissons la vérité, ouvrons les yeux ! Moi, j’ai toujours dit : les tours de passe-passe, on ne connaît pas et l’hypocrisie, on essaie de ne pas trop en faire preuve ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote sur l'amendement n° 557 rectifié bis.
Mme Annie David. Monsieur Arthuis, je respecte vos convictions profondes. Je souhaite seulement que les nôtres bénéficient du même respect.
Vous prétendez que votre amendement a pour objet de pallier le déficit du régime de retraite par répartition grâce à l’intervention de l’État. Mais force est de rappeler que, s’il manque plus de 30 milliards d'euros dans les caisses de notre protection sociale, c’est du fait de la politique d’exonérations des cotisations patronales que mène le Gouvernement. (D’un geste ample du bras, M. Jean-Marie Vanlerenberghe semble signifier qu’il faut bien l’admettre.) Dans la mesure où c’est lui, avec la politique qu’il a mise en place, qui est responsable de cette situation, il est normal que ce soit lui qui compense !
Notre conviction à nous, c’est que, pour sauver notre système de retraite par répartition, il faut une autre politique de l’emploi et une autre politique de prélèvements en direction des entreprises, afin de revoir tous les avantages dont elles bénéficient en la matière.
La Cour des comptes a rendu public, sur ce point, un chiffre proprement incroyable : la politique d’exonérations du Gouvernement coûte 172 milliards d'euros par an. C’est peut-être en ayant ce chiffre à l’esprit qu’il faut d’urgence engager une réflexion en vue d’élaborer un autre financement de notre système de retraite par répartition.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Conviction pour conviction, je tiens à dire à Jean Arthuis que tout le monde est d’accord sur l’idée qu’il faut un système juste. Mais qu’est-ce que la justice ? (Murmures sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Je ne suis pas sûr, en effet, que ce soit la question à se poser à deux heures trente du matin… (Nouveaux sourires.)
M. Pierre-Yves Collombat. Évidemment, là, ça devient un peu compliqué. Ce qui est juste, est-ce un système qui rend au retraité ce qu’il a cotisé ou bien un système qui va plus loin ? Cette question pourrait à elle seule à nourrir de longs débats !
Je n’ai sans doute pas bien compris la présentation de cet amendement, mais il me semble que le dispositif qu’il tend à mettre en place contient un élément que je trouve assez urticant. Il serait prévu une sorte de calcul rapportant le montant des cotisations de chacun à l’espérance de vie de sa génération. On a l’impression d’être devant un système d’assurance où le risque, c’est le risque de vivre ! En d’autres termes, avec cet amendement, plus vous risquez de vivre – c'est-à-dire de vivre longtemps –, moins vous aurez de retraite. C’est un peu bizarre…
Certes, cette proposition a le mérite de poser le problème et de rappeler la nécessité d’engager une réflexion globale, ce sur quoi nous ne pouvons qu’être tous d’accord. En revanche, je n’ai pas été totalement convaincu par la mesure proposée.
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils, pour explication de vote.
Mme Marie-France Beaufils. Nous avons voulu savoir ce que cette proposition de MM. Vanlerenberghe et Arthuis signifierait concrètement pour un salarié. En effet, dès lors qu’ils maintiennent leur amendement, il est logique d’éclairer la décision que nous avons à prendre à son sujet de quelques éléments d’appréciation.
Nous avons pris le cas d’un individu percevant un salaire brut moyen de 1 500 euros par mois et cotisant pendant 42 ans, puisque c’est ce que prévoit le projet de loi, sur la base de 120 euros par mois. La cotisation globale de ce salarié, au fil de ses années de travail, s’élèvera donc à 60 480 euros. On peut estimer que cette somme sera génératrice d’une rémunération telle qu’il pourra espérer disposer, au moment de la liquidation, d’environ 120 000 euros de pension totale. Bien sûr, ce n’est qu’une hypothèse, car on ne sait rien de la façon dont les sommes correspondant à ses cotisations pourraient être placées et rémunérées.
Si, au moment où il demande la liquidation de ses droits, son espérance de vie, puisque c’est cela qui est pris en compte pour le calcul du montant de sa pension, est de vingt ans, il percevra 6 000 euros par an – c'est-à-dire 120 000 euros divisés par 20 –, soit exactement le tiers de ce que représentait la dernière rémunération annuelle !
Examiner la situation ainsi, avec des cas concrets, permet d’avoir des éléments d’analyse. Comme nous n’étions pas convaincus par le système, nous avons choisi une approche rigoureuse.
M. Jean Arthuis. C’est une caricature !
Mme Marie-France Beaufils. À l’évidence, la solution offerte à travers cet amendement ne peut nous satisfaire : la pension qu’elle permettrait de verser se rapprocherait beaucoup d’un minimum vieillesse et nous ferait basculer dans un régime qui s’apparenterait au système américain.
M. Jean Arthuis. Vous caricaturez, madame !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 557 rectifié bis.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
9
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, jeudi 21 octobre 2010 :
À onze heures quarante-cinq :
1. Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant réforme des retraites (n° 713, 2009-2010)
Rapport de M. Dominique Leclerc, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 733, 2009-2010).
Texte de la commission (n° 734, 2009-2010).
Avis de M. Jean-Jacques Jégou, fait au nom de la commission des finances (n° 727, 2009-2010).
Rapport d’information de Mme Jacqueline Panis, fait au nom de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes (n° 721, 2009-2010).
À quinze heures, le soir et la nuit :
2. Questions d’actualité au Gouvernement.
3. Suite du projet de loi portant réforme des retraites.
En application de l’article 60 bis du règlement du Sénat, la conférence des présidents a décidé que le Sénat se prononcerait sur l’ensemble du projet de loi par un scrutin public à la tribune.
4. Éventuellement, projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la limite d’âge des magistrats de l’ordre judiciaire (n° 714, 2009-2010).
Rapport de M. Yves Détraigne, fait au nom de la commission des lois (n° 728, 2009-2010).
Texte de la commission (n° 729 rectifié, 2009-2010).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le jeudi 21 octobre 2010, à deux heures trente-cinq.)
Le Directeur adjoint
du service du compte rendu intégral,
FRANÇOISE WIART