M. Guy Fischer. L’arrogance de ceux qui nous gouvernent n’a pas de limites.
Non, non et encore non, cette réforme n’est pas humaine, ni juste. Elle est profondément injuste, et, en plus, elle sera largement inefficace.
Pour notre part, nous avons fait des propositions très sérieuses – qui méritent d’être explicitées. S’il en fallait une preuve, nous les avons présentées sous la forme d’une proposition de loi, élaborée par les parlementaires communistes et travaillée plus particulièrement avec mon collègue Roland Muzeau ; nous les avons déclinées en douze articles, tous très précis. (L’orateur brandit le document.)
En son article 1er, nous proposons d’assujettir les revenus financiers des sociétés financières et des sociétés non financières à une contribution d’assurance vieillesse à un taux égal à la somme des taux de cotisation d’assurance vieillesse à la charge des employeurs du secteur privé, c'est-à-dire à un taux de 9,9 %. Cela apporterait un surcroît de recettes de l’ordre de 30 milliards d'euros.
M. Christian Cambon. Cela ne se fait pas comme ça !
M. Guy Fischer. Ensuite, comme nous ne voulons pas asphyxier tout le monde,…
M. Christian Cambon. Merci beaucoup !
M. Guy Fischer. … nous prévoyons à l'article 2 une modulation des cotisations patronales d’assurance vieillesse en fonction des choix des entreprises en matière de répartition des richesses, c'est-à-dire en en tenant compte des politiques salariales et des politiques d’emploi. Cette précision est également nécessaire.
Par ailleurs, nous entendons majorer de 10 % les cotisations sociales patronales des entreprises, afin de décourager le recours au temps partiel et aux horaires atypiques. Dans les grandes surfaces de distribution, notamment, on voit se développer cette forme d’esclavage du XXIe siècle, où la plupart du personnel touche un salaire de misère et subit des horaires de travail hachés.
Telles sont donc quelques-unes de nos propositions financières.
Quant à l’objectif du Gouvernement, au travers de son projet de loi, on l’a constaté tout au long des débats, c’est de préserver les revenus du capital, et surtout d’affaiblir les salariés avant tout, en leur faisant porter 85 % du financement de cette réforme.
Nous refusons de cautionner ce recul social sans précédent. Bien sûr, nous voterons contre cet article 5, marqué du sceau de la politique de M. Sarkozy. Il s’agit de la plus grande régression sociale depuis des décennies. Le droit fondamental à la retraite à 60 ans sera aboli. Nous en rediscuterons, car nous entendons le défendre. En tout état de cause, les Français sauront s’en souvenir ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade, pour explication de vote.
Mme Odette Terrade. Mes collègues l’ont déjà largement rappelé, quelle étrange manière de procéder que de discuter les articles de ce texte dans le désordre !
Le texte est déjà obscur en lui-même, mais vous vous plaisez à le compliquer à loisir, certainement pour mieux tromper nos concitoyens sur vos réelles intentions.
Monsieur le ministre, ce n’est pourtant pas rendre justice à votre réforme, que vous défendez ardemment malgré les protestations venues de toutes parts, de la rue comme des institutions, à l’exemple de la HALDE.
Cet article 5 est, certes, emblématique de votre réforme, au point que, depuis le début de la semaine, vous faites tout pour qu’il paraisse déjà adopté avant la journée d’action de mardi prochain.
Reporter l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans est profondément injuste, de même que reporter à 67 ans le seuil permettant de bénéficier d’une retraite à taux plein.
Ceux qui ont travaillé tout au long de leur vie vont devoir travailler encore plus. Par cet article, vous prolongez votre logique du « travailler plus pour gagner plus », mais, en l’occurrence, c’est surtout « travailler encore plus pour gagner toujours moins » !
Ce message, vous l’envoyez à tous ceux qui ont eu une carrière chaotique, passant de petits boulots en missions d’intérim, et à qui vous proposez, de fait, de poursuivre leur activité jusqu’à 67 ans, parce qu’ils n’auront pas d’autres choix.
De qui vous moquez-vous et qui croyez-vous tromper ? N’entendez-vous pas le désarroi de ces femmes et de ces hommes qui sont déjà des travailleurs pauvres et que vous allez condamner à devenir des retraités pauvres !
De plus, cette mesure, je ne cesserai de le marteler, va concerner principalement les femmes, alors que 60 % d’entre elles partent déjà à la retraite à 65 ans pour gagner quelques trimestres supplémentaires et tenter d’accéder au taux plein.
Le taux d’emploi des femmes de plus de 60 ans est pourtant très faible, et elles sont nombreuses à connaître une situation de chômage ou de précarité.
En reculant l’âge d’obtention d’une pension à taux plein de 65 à 67 ans, vous prolongez cette situation précaire que vivent les femmes ayant multiplié les activités tout au long de leur vie, et qui ont élevé leurs enfants tout en exerçant une activité professionnelle. Pour ces femmes, c’est une injustice supplémentaire que nous ne tolérons pas !
Notre opposition à cet article et à l’ensemble de votre texte est d’autant plus vive qu’il s’agit pour vous, monsieur le ministre, d’une première étape... La majorité, sous l’égide des députés Yves Bur et Denis Jacquat, n’a-t-elle pas déposé l’année dernière, à l’occasion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, un amendement prévoyant l’âge de 70 ans ?
Les dispositions contenues dans cet article vont contraindre les salariés à travailler – ou plutôt à essayer de travailler ! – plus longtemps, et donc à vivre moins bien, malgré toutes vos promesses.
Avez-vous conscience que le droit à retraite auquel pouvaient prétendre les actifs sera, pour la première fois depuis l’instauration de la sécurité sociale, moins accessible et moins favorable que celui dont ont bénéficié leurs aînés et les générations antérieures ?
Plutôt qu’une réforme, c’est une régression que vous nous proposez, avec ce simulacre de retraite choisie qui n’est rien d’autre que le renoncement complet, pour l’ensemble de la société, à la retraite à 60 ans !
Cet article consolide les inégalités sociales que vous ne cessez d’accroître, avec votre politique en faveur des revenus du capital ! Il est le ciment de la construction d’inégalités entre ceux qui ont tout et ceux qui n’ont rien, ceux qui pourront s’offrir le luxe d’une décote et ceux qui ne le pourront pas. Par cet article, vous faites le choix de la mesure la plus injuste socialement.
Contrairement à ce que vous affirmez, cette mesure démographique de relèvement de l’âge légal de départ à la retraite et de l’âge permettant de bénéficier d’une retraite à taux plein augmentera la précarité, d’ores et déjà accablante, des travailleurs âgés, des femmes et des travailleurs au parcours professionnel chaotique. Vous serez les seuls responsables de cette paupérisation de cette frange de la société, dont les préoccupations, de toute façon, ne vous soucient guère !
D’autres solutions peuvent être envisagées, comme l’a rappelé mon collègue Guy Fischer ; nous avons d’ailleurs déposé une proposition de loi en ce sens. Ces solutions sont plus justes, plus respectueuses et plus équitables que la mesure consistant à reporter l’âge de départ à la retraite à 62 ans. Nous savons d’ailleurs que ce report n’est qu’une première étape...
En proposant une telle disposition, avec autant de mauvaise foi, vous allez à l’encontre de vos objectifs comptables, puisque vous ne faites qu’affaiblir notre pays en construisant l’injustice et la régression sociale !
Avec cet article 5, vous mettez à bas ce qui était et demeure aujourd’hui une grande aspiration sociale : le droit à la retraite à 60 ans. Pour ma part, je refuse ce recul de civilisation et je voterai contre cette régression ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG. – Mme Gisèle Printz applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, pour explication de vote.
M. Didier Guillaume. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, comme l’ont dit avant moi plusieurs de mes collègues socialistes et communistes, l’article 5 est au cœur de cette réforme, qui, je le rappelle, n’est rien de moins que globale.
Cet article est évidemment symbolique. Lors de l’intervention de Pierre Mauroy, j’avais les larmes aux yeux – peut-être suis-je un peu trop sensible ? – en pensant aux conquêtes sociales qui ont marqué l’époque où il dirigeait le gouvernement, sous la présidence de François Mitterrand. Je me souvenais de Robert Badinter, défendant à cette tribune l’abolition de la peine de mort. C’était alors un progrès pour la justice. Et je me souvenais de Pierre Mauroy défendant la retraite à 60 ans. Il s’adressait alors au peuple. « Nous vous entendons ! », disait-il aux Français.
Pierre Mauroy parlait, tout à l’heure, des ouvriers qui ne peuvent plus arquer. C’est vrai, messieurs les ministres, la vie a changé... Pourtant, aujourd’hui encore, il y a des salariés, et notamment des ouvriers, qui ne peuvent plus arquer à 60 ans, car ils sont fatigués et occupent des emplois pénibles. C’est le cas des maçons, qui travaillent sur les chantiers par tous les temps, quelle que soit la saison, des femmes de ménage, des travailleurs précaires, des agriculteurs. C’est cela, la réalité !
Vous nous parlez d’avenir, messieurs les ministres. Mais que proposez-vous aux 60 % des plus de 55 ans qui se retrouvent au chômage parce que les employeurs considèrent qu’ils sont trop vieux ? Ils ne travailleront pas plus longtemps, mais vont galérer deux ans de plus ! Alors qu’ils sont déjà chômeurs, ils devront attendre l’âge de 62 ans pour prendre leur retraite. Comment retrouveront-ils du travail entre 60 ans et 62 ans ? C’est un pur leurre, car c’est impossible.
Notre pays ne sait ni accueillir ses jeunes sur le marché du travail, ni maintenir ses seniors dans l’emploi. En effet, un quart des jeunes de moins de vingt-cinq ans et 60 % des personnes de plus de 55 ans sont au chômage. La réponse qu’ils attendent, c’est l’emploi, et non l’abrogation de la retraite à 60 ans, qui est l’une des plus grandes régressions sociales qui soit.
Messieurs les ministres, vous avez voulu que nous examinions en priorité les articles 5 et 6, en partant du principe qu’une fois ces articles votés la loi serait quasiment adoptée et que les Français le comprendraient.
Le rôle des sénateurs de gauche, de ceux qui veulent sauvegarder les acquis sociaux est de mettre fin à cette supercherie et de dire au Français que tout n’est pas fini. Même si l’article était voté, la loi ne serait pas adoptée pour autant ! La loi instaurant le contrat première embauche, le CPE, avait été votée à l’Assemblée nationale et au Sénat. Or, in fine, grâce à la mobilisation des citoyens et des élus, le CPE n’a pas vu le jour.
M. Didier Guillaume. Je le dis sereinement, mais avec force : tant que la loi ne sera ni votée ni promulguée, il subsiste encore un espoir pour les millions de Français qui refusent cette réforme. Cette pause à l’horizon des 60 ans, ils estiment qu’ils l’ont méritée, car ils travaillent depuis longtemps et exercent un métier pénible. Et l’on voudrait qu’ils travaillent deux ans de plus !
Oui, nous voulons une réforme des retraites, mais pas celle que vous proposez !
Comme l’a très bien dit Bernard Angels, notre réforme est financée, à la fois par une augmentation des cotisations sociales et patronales de 0,1 % de plus par an pendant dix ans, et par la taxation des revenus du capital et des stock-options. Ce que vous proposez, a contrario, c’est de faire payer toujours les mêmes : ceux qui souffrent, les bas revenus, les bas salaires.
Vous voulez montrer du doigt les Français et les culpabiliser, en leur reprochant le problème du financement des retraites.
Or si les retraites ne sont pas financées, ce n’est pas la faute des Français, des salariés, des femmes et des hommes qui travaillent ; c’est à cause du chômage qui explose depuis que vous êtes aux affaires, et parce qu’il existe un vrai problème de manque d’assiette et de cotisations.
Nous n’acceptons pas l’abrogation de la retraite à 60 ans, non seulement parce que c’est l’une des plus belles conquêtes sociales de ce pays, et peut-être la plus belle de la Ve République, comme disait Pierre Mauroy, mais aussi parce qu’une autre réforme est possible, celle que nous proposons ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Marie-Agnès Labarre et M. Guy Fischer applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour explication de vote.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Comme l’indique d’emblée M. le rapporteur, « la mesure emblématique du texte est le relèvement progressif de l’âge d’ouverture des droits à la retraite et de l’âge d’obtention d’une pension à taux plein ». Les articles 5 et 6 sont symboliques, en effet, d’un coup de force contre les salariés, contre ceux qui produisent les richesses du pays, mais qui en sont dépossédés.
Je souhaite revenir sur deux des principaux arguments du Gouvernement et de l’UMP, repris par M. le rapporteur.
Ainsi, le recul de civilisation que comporte ce projet de loi puiserait sa légitimité dans l’allongement de l’espérance de vie et dans la nécessité de s’aligner sur la législation en vigueur chez certains de nos voisins européens.
Cette argumentation, qui fit espérer au Gouvernement un succès rapide au printemps dernier, est désormais obsolète. Tout d’abord, les organisations syndicales ont su démontrer aux salariés que le Gouvernement avançait des contrevérités. Ensuite, le débat qui s’est tenu à l’Assemblée nationale et dans le pays tout entier a prouvé que ces arguments ne tenaient pas.
Vous avez invoqué en premier lieu, messieurs les ministres, un argument démographique. Contestez-vous que le taux de natalité important que connaît notre pays permet de garantir la pérennité de notre système de retraite ?
Pour justifier le report de l’âge de la retraite, vous déplacez le débat en invoquant l’allongement de l’espérance de vie. Cet argument est assez scandaleux, d’autant plus que vous refusez toujours de prendre en compte de manière collective et non individualisée la pénibilité du travail !
On a beaucoup parlé, dans cet hémicycle, des professions manuelles, des métiers physiques. Mais il existe aussi une nouvelle pénibilité, liée aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, à la vitesse de circulation de l’information et à une certaine dématérialisation des rapports au travail, sans oublier un stress plus intense dû à l’intensification du management participatif.
Décidément, le droit à la retraite à 60 ans doit demeurer un droit fondamental, et ne pas devenir une variable d’ajustement de la productivité des entreprises.
Les recherches et les progrès technologiques permettent de vivre plus longtemps et de mieux profiter de sa retraite. Tant mieux ! N’est-ce pas le sens de la marche de notre civilisation ?
Trouvez-vous anodin d’ajouter encore deux années à une vie de labeur qui a duré quarante ans, voire plus ? Dire cela, c’est mépriser le travail et les travailleurs. Cet argument est intenable. A-t-on reculé l’âge de la retraite parce que l’âge auquel on finit ses études est de plus en plus tardif ?
Ce que vous voulez, en fait, c’est réduire la dépense publique, faire payer la crise aux salariés et, au passage, « servir » ceux de vos amis qui dirigent des compagnies d’assurance et autres organismes de capitalisation.
En second lieu, vous avez établi une comparaison avec les systèmes de retraite en vigueur dans les pays voisins.
Certes, l’Allemagne a décidé de fixer l’âge de la retraite à 67 ans. Mais quand cette disposition s’appliquera-t-elle ? En 2020, 2025 ou 2030. Pourquoi ne dites-vous pas, devant cette assemblée, qu’aujourd’hui les Allemands peuvent partir à la retraite avec 35 annuités ?
M. Jean-Jacques Jégou. Avec quelle décote !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Pourquoi ne dites-vous pas qu’un Espagnol peut toucher 50 % de sa retraite au bout de 15 annuités ?
En réalité, cette réforme sera l’une des plus dures d’Europe. Les salariés de notre pays l’ont compris, et c’est ce qu’ils combattent ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
M. Didier Guillaume. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.
Mme Marie-Christine Blandin. Vous touchez à un acquis social historique, au mépris de la volonté exprimée par les Français, notamment ceux d’entre eux qui ont manifesté, en mettant en scène des comparaisons internationales biaisées qui, si on en étudiait tous les dispositifs, montreraient que ce que vous préparez pour la France nous placera, sous couvert d’une prétendue audace, au rang des plus rétrogrades.
Vous détruisez ce seuil de 60 ans, base éthique, sans un regard pour la société du travail, que vous avez dégradée. Jamais la souffrance au travail n’a été aussi prégnante dans le vécu quotidien : inquiétudes, angoisses, consommation d’anxiolytiques, rivalité entre collègues, hiérarchie aveugle et autoritaire, injonctions contradictoires, compression du temps qui empêche les salariés d’exercer correctement leur mission.
France Télécom, des hôpitaux et même France Télévisions deviennent le lieu de suicides. Ceux qui tiennent vivent en apnée durant leur temps de travail. Pour ces salariés, qui ont tant été pris dans l’étau, vous n’avez pas le droit de reculer l’horizon de la pause méritée...
Je ne paraphraserai pas Pierre Mauroy, décrivant avec talent et émotion les ouvriers qui « ne peuvent plus arquer ». Je vous lirai simplement quelques vers de Prévert :
« L’effort humain
n’est pas ce beau jeune homme souriant
debout sur sa jambe de plâtre
ou de pierre
et donnant grâce aux puérils artifices du statutaire
l’imbécile illusion
de la joie [...]
L’effort humain porte un bandage herniaire
et les cicatrices des combats
livrés par la classe ouvrière
contre un monde absurde et sans lois [...]
il sent l’odeur de son travail
et il est touché aux poumons ».
J’évoquerai ceux qui, parfois, semblent ne pas avoir souffert, ceux des solvants, ceux des éthers de glycol, des fibres céramiques, ceux des sels de métaux lourds, ceux à qui le médecin dit un jour que cette fatigue est un lymphome, que cette boule est un cancer, ou que ce désordre urinaire est non pas une affaire de vieillesse, mais la destruction des deux reins.
La « troisième vie » évoquée par M. Virapoullé, ce n’est pas un conte de fée, c’est quelquefois les perfusions et l’hôpital. (Mmes Esther Sittler et Marie-Thérèse Bruguière s’exclament.)
Les contaminations lentes, accumulées années après années, nous en avons tous entendu parler. Qui n’a pas une voisine disant son mari condamné, quelques mois seulement après son départ à la retraite ? Alors deux ans, deux ans pour se reposer, cela compte, cela préserve, cela se préserve, cela ne peut se rayer d’un trait de plume idéologique et technocratique !
Quant à votre changement de l’ordre du jour et à vos déclarations en urgence, ce sont de petits procédés qui relèvent d’une très petite conception de la démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Didier Guillaume. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jacky Le Menn, pour explication de vote.
M. Jacky Le Menn. Le Premier ministre Pierre Mauroy nous a offert cet après-midi un grand moment d’émotion. Avec tact et humilité, il a rappelé ce travail important dans lequel brillait comme un joyau la retraite à 60 ans, attendue par des générations.
Sous les habits neufs de son discours, la réponse de l’actuel ministre du travail cachait mal en fin de compte les oripeaux d’un patronat rétrograde, aujourd’hui au MEDEF, hier au CNPF ; avant-hier, c’étaient les maîtres de forges et d’autres avant eux, qui avançaient toujours les mêmes arguments.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Eh oui ! Ils ont de la suite dans les idées !
M. Jacky Le Menn. Ils veulent étrangler l’humain au nom de l’économie.
Jadis, ils expliquaient qu’il fallait mettre les enfants au travail le plus tôt et le plus longtemps possible, et ce sans congés payés et, bien sûr, sans retraite. Travailler douze à treize heures par jour, c’était normal, puisqu’il s’agissait de sauver l’économie !
Qu’est-ce qui a changé depuis lors ? Rien ! On avance des arguments fallacieux pour justifier une loi scélérate, qui retarde l’âge légal du départ à la retraite de 60 à 62 ans.
Ce matin, on nous a même présenté le fameux élixir du bon docteur Éric, grâce auquel plus on vieillit, plus on est en bonne santé, et qui permet d’obtenir des travailleurs centenaires, mais – acceptons-en l’augure – en pleine forme.
C’est toujours le même discours pour expliquer cette volonté tenace du patronat – qui abuse une majorité des membres du Sénat ou est soutenu par elle – de priver les plus faibles de nos concitoyens de droits élémentaires. C’est une continuité de l’histoire. Notre histoire sociale s’est toujours faite en dents de scie.
Sous la présidence de François Mitterrand, le gouvernement de Pierre Mauroy, comme d’autres responsables de notre famille politique avant lui, a mis un coup d’arrêt à cette volonté patronale et a entrepris des marches en avant.
Aujourd’hui, mes chers collègues, la France n’est pas dupe. Elle gronde, elle se mobilise, elle organise des manifestations. Et il y en aura d’autres !
Nous vivrons peut-être ce soir un moment triste avec la disparition de la possibilité légale pour nos concitoyens de prendre leur retraite à 60 ans, afin de jouir d’un repos mérité. Or, parmi ceux qui demandent à bénéficier de cette mesure et qui sont nombreux, 55% à 60 % sont des ouvriers ou des employés, et non des riches plaçant leur argent en Suisse ou spéculant pour faire de l’argent avec de l’argent. La situation de ces employés et ouvriers a été longuement évoquée ce matin sur toutes les travées de l’opposition.
En effet, sous couvert de modernisme, une majorité se dégagera pour suivre cette voie de l’illusion. Soyez cependant certains qu’un jour ou l’autre nous reviendrons majoritaires dans ce pays, et nous reviendrons alors sur cette loi. L’âge légal du départ à la retraite sera ramené à 60 ans, parce qu’on ne peut arrêter le progrès social du peuple ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Bernard Vera applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Voguet, pour explication de vote.
M. Jean-François Voguet. Monsieur le ministre, vous justifiez votre réforme en invoquant le prétexte de l’allongement de la durée de vie de l’ensemble de nos concitoyens.
Ce progrès formidable qu’est l’augmentation de l’espérance de vie est le fruit non seulement de l’intelligence collective des peuples, du travail des médecins, des chercheurs et des laboratoires, mais également des conquêtes sociales, parmi lesquelles la réduction du temps de travail, les congés payés, la retraite à 60 ans, le droit au logement, le droit à l’éducation, la santé, la sécurité sociale, le service public. Tout cela a concouru au fait que nous vivons plus longtemps et c’est heureux.
Pour la première fois dans notre histoire, à partir d’une avancée formidable, nous allons assister à un terrible recul. Pour des milliers de nos concitoyens un progrès va se muer en une régression sociale.
Alors qu’on pourrait vivre plus longtemps après une vie de travail et de formation, qu’on pourrait s’occuper de soi, de ses enfants, de ses petits-enfants, mais aussi des autres dans le cadre du temps gratuit que l’on peut offrir à ses concitoyens et qui est valorisant, qu’on pourrait devenir plus cultivé, plus pertinent ou plus critique, l’âge aidant, vous le refusez, au nom d’un choix de société que M. Virapoullé a très bien exposé.
Vous êtes, vous, pour une société dominée par le chacun pour soi et ses slogans : « travailler plus pour gagner plus ! », « quand on veut, on peut ! ».
Nous serions inégaux les uns par rapport aux autres ; la nature est ainsi. M. le ministre l’a clairement expliqué hier, en disant que le maçon en bonne santé prendra sa retraite à 62 ans et que celui qui est malade pourra la prendre dès 60 ans. Ne pourrions-nous pas plutôt faire en sorte qu’aucun maçon de 60 ans ne soit malade ? C’est là le sens du progrès humain.
Les politiques que vous avez mises en œuvre depuis plusieurs années, nous en voyons aujourd’hui les conséquences incontestables : les riches sont plus riches, les pauvres plus pauvres.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Eh oui !
M. Jean-François Voguet. Nous, nous pensons au contraire que l’émancipation humaine ne peut qu'être le fait de la mise en commun.
Ne me dites pas que je prône ici l’uniformité, l’abandon de l’individualité ou celle de l’individu. Bien au contraire ! Vivre mieux tous ensemble est émancipateur pour chacun. Vous le vérifiez tous les jours autour de vous.
Nous avons la conviction que notre pays a les moyens de garantir une retraite à 60 ans pour tous, laissant la liberté à ceux qui le souhaitent de continuer à travailler plus longtemps. Nous connaissons tous des personnes, notamment dans cet hémicycle, qui souhaitent travailler au-delà de 60 ans ! Et chacun peut le comprendre.
Il est vrai qu’une caissière chez Auchan peut avoir des aspirations différentes et souhaiter partir à la retraite à 60 ans. Je pourrais multiplier les exemples. Nous souhaitons, pour vivre mieux, laisser ce choix à chacun.
Une juste répartition des richesses dans notre société est donc nécessaire. C’est ce que vous refusez par idéologie. Mais, vous le savez bien, la question de la répartition des richesses occupe une place de plus en plus centrale dans le débat de société qui anime notre pays. J’ai la conviction que compte tenu de l’intelligence qui le sous-tend, ce débat finira par emporter l'adhésion collective.
C’est la raison pour laquelle nous ne voterons pas ce texte et participerons fortement aux manifestations de mardi (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et sur quelques travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jack Ralite, pour explication de vote.