M. Jean-Claude Danglot. Cet amendement du groupe CRC-SPG vise à supprimer les alinéas 1 et 2 de l’article 5.
Il s’agit de marquer clairement notre opposition au contenu de cet article et de rejeter le passage à la retraite à 62 ans.
Nous avons, depuis plusieurs mois, entendu un docte discours tenu par les ministres, porté par des messages publicitaires à fin évidente de propagande.
Par ailleurs, la réforme proposée serait la seule possible, au motif que le même type de réforme est mis en œuvre ailleurs en Europe.
La discussion vient de montrer abondamment que tout cela n’était qu’un écran de fumée. La vraie raison de la réforme, c’est qu’il faut réformer les retraites pour garantir à la France que les agences de notation continuent de donner à l’abyssale dette publique, creusée par des années et des années de cadeaux fiscaux et de remises de cotisations sociales, la remarquable note AAA.
La commission des affaires sociales n’a pas auditionné Marc Ladreit de Lacharrière, le fondateur et patron de l’agence Fimalac – un établissement qui, d'ailleurs, sert aussi de véhicule aux opérations spéculatives de l’intéressé –, mais je pense qu’elle aurait dû le faire, ne serait-ce que pour avoir le bonheur de lui poser la question et d’entendre sa réponse ! (Sourires sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Cela dit, quelle satisfaction le maintien de la note AAA peut-il bien apporter aux salariés de notre pays, qui gagneront deux ans de chagrin en plus pour une retraite peau de chagrin ?
Pendant ce temps, comme chacun sait, la réforme Balladur continue de faire peser ses conséquences, et le pouvoir d’achat des retraités suit toujours, de manière inaltérable, la même pente, celle de la baisse.
Pendant ce temps, on va allonger le nombre des annuités et reculer l’âge de départ en retraite, mais aussi plafonner un peu plus encore le revenu des retraités.
La démarche n’est pas innocente : il ne faut pas être grand clerc pour deviner que c’est précisément au moment où arriveront à l’âge de la cessation d’activité des salariés, et surtout des femmes salariées, ayant effectué des carrières complètes que la réforme fera pleinement jouer ses effets !
C’est donc tout naturellement que nous confirmons notre opposition nette et claire au contenu de cet article 5 et que nous vous invitons, mes chers collègues, à adopter cet amendement par la voie d’un scrutin public.
Cet article constitue d'ailleurs une véritable bombe à retardement : les jeunes ont compris que, pour eux, la prolongation des études les conduirait à prétendre à une retraite non pas à 62 ans, ni même à 65 ans, mais à 67 ans au moins. Et à quel prix ? Au passage, monsieur le ministre, je salue la mobilisation de cette jeunesse qui vous fait peur. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG. – Mme Christiane Demontès applaudit également.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 773.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC-SPG.
Je rappelle que la commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 10 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 170 |
Pour l’adoption | 152 |
Contre | 186 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Je mets aux voix l'amendement n° 333 rectifié.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade, pour explication de vote sur l'amendement n° 918.
Mme Odette Terrade. À travers cet amendement, nous entendons prévoir que les dispositions de l’article 5 du présent projet de loi ne s’appliquent pas aux ouvriers des parcs et ateliers.
Le statut de cette catégorie d’agents a été très affecté par la réforme issue de la loi d’octobre 2009, que nous avions d’ailleurs dénoncée à l’époque. Les ouvriers des parcs et ateliers auraient dû bénéficier d’un cadre statutaire spécifique commun État-collectivités ; à la place, ils n’ont obtenu qu’un droit d’option dans le cadre d’emploi existant.
Les conditions de leur intégration prévues par loi n’ont pas été fixées. Elles devaient l’être par voie de décrets, mais ces textes n’ont jamais été pris.
En conséquence, règne le flou le plus complet sur les conditions et le maintien de leur rémunération globale, comme sur l’instauration, le cas échéant, d’une indemnité compensatrice, ce qui ne peut entraîner qu’une dégradation des conditions de travail des ouvriers des parcs et ateliers.
Ruptures de carrière, manque de reconnaissance, problème des titres et des diplômes, menace de mobilité pour ceux qui resteraient au service de l’État et passeraient, par exemple, au service des directions interdépartementales des routes : il est temps de pallier les carences du Gouvernement et de dissiper le flou qui est préjudiciable à cette catégorie d’agents.
Il est temps de clarifier la situation des ouvriers des parcs et ateliers. Tel était l'objet de cet amendement, défendu avant l’interruption de nos travaux par notre collègue Josiane Mathon-Poinat.
La loi d’octobre 2009 prévoit un décret concernant les pensions des ouvriers des parcs et ateliers. En l’absence d’un tel texte, nous proposons que ces ouvriers soient considérés, au regard de l’article 5 du projet de loi qui nous est soumis, comme bénéficiant d’un régime spécial, puisque leur régime est fixé par voie réglementaire. Nous proposons donc de prévoir que les dispositions de l’article 5 ne leur sont pas applicables.
Les ouvriers des parcs et ateliers relèveraient ainsi des dispositions du dernier alinéa de l’article 20 du projet de loi portant réforme des retraites, qui renvoie à l’horizon 2017 l’étude d’un rapport sur les mesures de relèvement d’âge d’ouverture du droit à pension pour les régimes spéciaux de retraite.
En effet, cette exclusion des pensions des ouvriers des parcs et ateliers du champ d’application de l’article 5 nous semble s’imposer. Outre que nous pensons qu’aucune catégorie de travailleurs ne devrait relever de l’article 5 puisque nous sommes opposés au relèvement de l’âge de départ à la retraite, il nous paraît normal d’exclure systématiquement du champ d’application de cet article tous les travailleurs ayant des conditions de travail pénibles.
En effet, comment peut-on penser relever l’âge de départ à la retraite d’employés déjà fatigués et usés par la rudesse de leur tâche ? C’est inconcevable.
L’espérance de vie en bonne santé de ces travailleurs est trop faible pour qu’on puisse leur infliger deux années de travail supplémentaires. En fin de carrière, ces deux années pèseraient trop lourd.
Que peut signifier le temps de la retraite si l’on ne peut en profiter ? Nous ne voulons pas cautionner cette dérive cynique de notre système de retraite et nous vous invitons, mes chers collègues, à partager notre opposition à la réforme que le Gouvernement essaie de faire passer en force en votant avec nous cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Christiane Demontès, pour explication de vote sur l'article 5.
Mme Christiane Demontès. Monsieur le ministre, avec cet article 5, qui prévoit le passage de l’âge légal de l’ouverture du droit à pension de 60 ans à 62 ans, nous sommes sur l’« un des points durs », pour reprendre votre propre expression, de ce projet de loi.
Pour ma part, je souhaiterais insister à travers cette explication de vote sur trois éléments.
Premièrement, monsieur le ministre, votre argumentation repose de façon récurrente sur l’augmentation de l’espérance de vie de nos concitoyens. Je veux dire ici, au nom de mon groupe, que nous nous réjouissons bien entendu de cette évolution, qui est due, naturellement, aux progrès de la médecine et des conditions de vie.
Néanmoins, même devant l’espérance de vie, nos compatriotes sont inégaux : entre l’ouvrier et le cadre de 50 ans, la différence est de sept ans. En outre, l’allongement de l’espérance de vie ne signifie pas que l’on est en bonne santé durant cette période. Tous les travaux le confirment, certains métiers sont plus pénibles que d’autres. Pour cette raison, le recul de l’âge légal est source d’injustice.
Deuxièmement, nos compatriotes n’ont pas tous commencé à travailler au même âge. Ceux qui sont entrés très tôt dans le monde du travail n’auront donc pas, à 62 ans, 41 ou 42 années de cotisation, mais plutôt 43 ou 44, et parfois plus. De plus, ce phénomène ne joue pas seulement pour le présent : il se reproduira dans les prochaines années pour certains de ceux qui entrent sur le marché du travail. Ce sont eux – ceux qui ont commencé à travailler tôt, donc les carrières longues – qui seront les plus frappés par cette mesure.
Troisièmement, près de 40 % de nos concitoyens qui ont entre 55 ans et 60 ans n’occupent pas un emploi. Ce n’est pas que nos compatriotes ne voudraient pas travailler, c’est que leurs employeurs ne veulent plus d’eux, parce qu’ils coûtent trop cher ou sont trop vieux.
M. Didier Guillaume. Eh oui !
Mme Christiane Demontès. Qu’adviendra-t-il alors d’eux entre 60 et 62 ans ? Ils deviendront de vieux chômeurs. Certes, le coût des pensions baissera. Mais celui du chômage augmentera, comme celui du RSA. Ce sera alors bingo pour l’État, si vous permettez l’expression ! En effet, vous l’aurez compris, mes chers collègues, il s’agit bien d’un transfert de charges vers les départements, opéré par le biais du RSA.
Quatrièmement, j’aborderai l’engagement citoyen, point qui a d’ailleurs été assez peu évoqué, y compris par nous, depuis le début des débats. Mes chers collègues, vous rencontrez tous, dans vos territoires, des responsables d’associations, qu’elles soient sportives, culturelles ou socio-éducatives. Qui sont les administrateurs de ces associations ? Parmi eux, il n’y a guère de jeunes, ce que nous regrettons. En effet, les jeunes ont d’autres préoccupations, en premier lieu l’insertion professionnelle. En réalité, ces associations vivent grâce à de jeunes retraités.
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Christiane Demontès. Nos retraités ont en effet du temps et décident de s’engager bénévolement dans la vie associative, faisant ainsi vivre nos associations.
Pour ces raisons et pour beaucoup d’autres aussi, que mes collègues évoqueront, nous vous invitons à supprimer cet article 5…
M. Didier Guillaume. Oui !
Mme Christiane Demontès. … en votant contre celui-ci ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Didier Guillaume. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Par cet article 5 – que vous voulez faire voter le plus rapidement possible, nous l’avons compris –, vous bravez l’immense majorité de nos concitoyens – vous en avez d’ailleurs conscience et la fébrilité que vous manifestez en témoigne – qui expriment sans ambiguïté leur refus du report de l’âge de la retraite à 62 ans.
Vous les bravez pour répondre aux injonctions des marchés financiers, qui veulent mettre en cause le droit à la retraite, acquis des luttes démocratiques en faveur d’un progrès de civilisation décidé par la gauche en 1981. (Mme Bernadette Dupont s’exclame.) Pourquoi ? J’ai déjà cité votre bréviaire, qui n’est certes pas le mien, mais que je connais très bien pour l’avoir lu attentivement. C’est le petit livre du MEDEF paru parallèlement au programme de Nicolas Sarkozy.
Le programme du candidat Nicolas Sarkozy était identique, mais enrobé d’un discours sur le travail et ceux qui se lèvent tôt, sur l’efficacité et le volontarisme, tous éléments qui pouvaient abuser, mais qui ne s’appliquent pourtant pas à tout ce qui avait été dit sur le sujet.
En revanche, l’essai intitulé « Besoin d’air » du MEDEF, préfacé par Mme Parisot, était particulièrement clair. D’après ce petit livre, l’abaissement de l’âge légal de la retraite de 65 à 60 ans en 1982 est « une erreur historique », et « l’une de ces dangereuses vues de l’esprit que l’on affectionne en France ». Bravo à tous ceux qui se sont battus pour la retraite à 60 ans, une « erreur historique » et une « vue de l’esprit » ! J’avais pourtant cru comprendre que c’était là un combat pour une vie meilleure.
Cet opuscule comportait également un programme, fondé sur le passage à 42 ans des cotisations à partir de 2020 – nous en discuterons ultérieurement – et plus loin, ce que Mme Parisot appelle la « liberté ». « Nous demandons également la liberté », a-t-on pu y lire. Pour le MEDEF, la liberté signifie substituer au régime de retraite actuel un régime par points.
Mme Parisot explique ensuite ce qu’est un régime par points. Je vous en fais grâce, mais écoutez seulement ceci : « chacun pourrait calculer et anticiper le niveau de sa retraite future, racheter des points, travailler plus longtemps et acquérir des droits supplémentaires, décider du moment d’arrêter sa vie professionnelle ». C’est là une mise en cause totale du droit à la retraite à 60 ans ! Et vous mettez en œuvre ce programme sans états d’âme. En tout cas, ceux qui en ont ne le manifestent pas.
En outre, je constate que Mme Parisot, sur son blog, dresse un petit bilan des événements qui se sont déroulés depuis la parution de ces programmes parallèles. Elle se félicite d’avoir imposé le débat économique dans la campagne pour l’élection présidentielle et d’être ainsi à l’origine de décisions économiques majeures prises par le Gouvernement, comme la réduction de l’ISF pour investissements dans une PME, le renforcement du crédit d’impôt recherche et la réforme de la taxe professionnelle.
On peut lire, toujours sur son blog, en mars 2010, alors que le programme du candidat Sarkozy a déjà commencé à être mis en œuvre : « nous nous battons tous les jours pied à pied pour obtenir les réductions nécessaires des charges fiscales et sociales. Nous avons réussi à faire accepter le principe d’une baisse des cotisations assurance chômage en cas de baisse du chômage. Nous avons obtenu que l’augmentation prévue des cotisations retraite soit repoussée. Tous les jours, nous luttons et nous argumentons pour préserver la liberté d’action des chefs d’entreprise dans la conduite de leur entreprise » – on sait ce que ça veut dire. « Notre succès se mesure aussi à la diffusion de nos idées, sans qu’elles ne nous soient forcément attribuées ».
Eh bien, ces idées, je les attribue à Mme Parisot ! En effet, le Président de la République et le Gouvernement exécutent à la lettre le programme créé de concert en 2007 ! (Mme Catherine Procaccia s’impatiente.)
M. Robert del Picchia. Il ne vous reste plus que quarante secondes !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. En revanche, quand Mme Parisot avance que « la diffusion de nos idées a progressé », elle se trompe : les idées du MEDEF n’ont pas progressé dans le peuple ! Elles ont reculé et, aujourd’hui, il vous le manifeste !
Bien évidemment, nous ne voterons pas l’article 5. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Le Texier, pour explication de vote.
Mme Raymonde Le Texier. Avec cet article, nous parvenons au cœur de votre projet de loi, monsieur le ministre, précisément au cœur de son injustice, puisqu’il s’agit de reculer l’âge légal de départ à la retraite. C’est la fin des 60 ans, le passage à 62 ans. Dès la discussion générale, plusieurs de mes collègues vous ont démontré que ce recul n’était ni une fatalité, ni une obligation démographique.
Dès la discussion générale, nous vous avons expliqué que, vu l’état catastrophique de l’emploi des seniors en France, les coûts économisés sur les pensions de retraites seraient automatiquement transférés vers l’assurance chômage, voire les collectivités locales, puisqu’elles sont en charge du RSA. Dès la discussion générale, nous avons dénoncé ce qui constitue le pire de cette mesure, le pire de votre réforme : ce sont les Français qui ont commencé à travailler tôt, le plus souvent dans des métiers difficiles, qui seront le plus pénalisés par ce passage à 62 ans.
M. Didier Guillaume. Eh oui, ce sont toujours les mêmes qui trinquent !
Mme Raymonde Le Texier. Des travailleurs durs à la peine, vous exigez qu’ils prolongent leur peine. De la France qui se lève tôt depuis longtemps, vous exigez qu’elle se lève tôt encore plus longtemps ! En dernière analyse, le recul de l’âge légal de la retraite à 62 ans revient à créer une surtaxe de deux années. Malgré toutes les promesses du Président Sarkozy, vous créez bien un nouvel impôt pour les salariés : l’IDR, l’impôt pour avoir droit à la retraite !
Et cette surtaxe de deux années n’entraînera aucune augmentation des pensions, contrairement à ce qu’a prétendu M. le Premier ministre dimanche soir, à la télévision. En effet, dans le cadre d’une émission diffusée sur M6, un journaliste a présenté un cas assez commun au Premier ministre, celui d’un salarié ayant commencé à travailler à 18 ans. Afin de pouvoir partir à la retraite à 62 ans, il devra donc cotiser 44 ans, soit deux années et demie de plus que le nombre d’années requises pour liquider sa retraite, qui sera de 41,5 années dès 2020.
M. Fillon a déclaré que, dans un tel cas, le salarié toucherait une retraite plus élevée, sous forme de surcote. Cela est parfaitement faux. En effet, seules les annuités supplémentaires cotisées au-delà de l’âge légal de départ en retraite apportent une surcote. Avec votre réforme, pour toucher une surcote, il faudra cotiser au-delà de 62 ans !
Alors qu’aujourd’hui un salarié disposant de tous ses trimestres à 60 ans qui décide de continuer de travailler jusqu’à 62 ans, cumulant ainsi deux ans de surcotisation, obtient une majoration de 10 % de sa pension, 5 % par année supplémentaire. Cette mesure disparaîtra avec l’adoption de votre réforme.
Relatant cet épisode télévisuel, le journal Libération a évoqué « la surcote imaginaire de François Fillon ». Quant à moi, je considère qu’il s’agit d’un lapsus, évidemment révélateur. Il est révélateur du mensonge qui n’est plus tenable. À moins que M. Fillon ne connaisse pas le texte dans le détail, qu’il en ignore les effets les plus pervers, d’où son acharnement à le défendre.
Pour notre part, nous mettrons encore et toujours notre acharnement à défendre les plus modestes, ceux qui commencent à travailler tôt, ceux qui ont les métiers les plus difficiles, ceux qui ont les emplois les plus mal payés, et qui seront pourtant les premières victimes de votre réforme.
Voilà une raison supplémentaire de voter contre l’article 5. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Brigitte Gonthier-Maurin et M. Guy Fischer applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Vera, pour explication de vote.
M. Bernard Vera. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’une des logiques de l’article 5 est de réaliser des économies, afin de remettre à flot les comptes de l’assurance vieillesse.
Seulement, mes chers collègues, qu’appelez-vous donc « économies » ? Économies par rapport à quoi ? Économies au bénéfice de qui ? La raison d’être des cotisations sociales, notamment de celles qui sont collectées pour l’assurance vieillesse, est non pas de faciliter une sorte d’« épargne », mais bien de payer aujourd’hui, immédiatement les prestations servies à ceux qui ont cessé de travailler.
Ainsi, faire des économies, dans ce contexte, revient tout simplement à rationner les pensions versées et à limiter par conséquent le revenu réel de nos retraités. De ce fait, les économies d’aujourd’hui vont rapidement être les dépenses de demain.
Je me permets de rappeler un premier aspect du débat. Nous comptons dans notre pays plus de 12 millions de foyers comptant au moins un retraité, sinon deux. Ces retraités ont perçu en 2008 un total de 228 milliards d’euros de pensions et retraites, c’est-à-dire une somme représentant plus du quart de l’assiette sur le revenu et près de 40 % de la somme apportée par les salariés.
L’un des éléments d’évolution de la situation des retraités réside dans la réduction lente, mais certaine, du nombre des retraités disposant d’un faible revenu. Ainsi, en 2002, plus de 40 % des retraités de notre pays disposaient d’un revenu inférieur à 9 000 euros et percevaient une pension moyenne de 8 100 euros. Mais, en 2008, nous comptons un peu moins de 3 millions de retraités disposant d’un revenu inférieur à 9 400 euros.
Ainsi, ce qui vous inquiète, c’est bel et bien que les pensions moyennes progressent, même si les mesures Balladur les conduisent ensuite dans la nasse du gel définitif du pouvoir d’achat. C’est bel et bien cette progression naturelle des pensions, produit de carrières professionnelles plus accomplies, lancées dans les années soixante et développées plus encore dans les années soixante-dix et quatre-vingt, que votre réforme veut briser.
Je ne sais s’il faudra dire demain qu’on juge une société à ce qu’elle fait pour ses anciens. Mais le fait est que votre réforme va conduire à la diminution du revenu moyen des retraités. Vous risquez fort, du fait des pertes de recettes fiscales – au titre, bien sûr, de l’impôt sur le revenu, mais aussi de la taxe sur la valeur ajoutée – de perdre rapidement le peu que vous aurez confisqué aux retraités de 2015, 2020 ou 2025.
N’oubliez pas que, dans notre pays, une bonne part de la dépense fiscale, comme des dépenses sociales, est étroitement liée à la situation des personnes âgées.
Vous avez déjà beaucoup œuvré en ce sens, entre la mise en cause de la demi-part des veuves et le plafonnement des pensions de réversion.
Mais vous aurez demain plus encore à payer en remise d’impositions locales, sans compter que nombre de retraités devront être largement aidés pour répondre au problème de la dépendance ou pour faire face à leurs dépenses de santé.
En d’autres termes, les économies que vous attendez de votre réforme seront englouties dans la multiplication des dépenses d’aide sociale ou des allégements fiscaux qui seront mécaniquement mis en œuvre en raison du faible niveau de revenus des retraités. Bien plus, la stagnation du revenu des retraités conduira l’État à engager encore plus de fonds dans l’allocation de logement et dans les aides personnalisées pour les retraités vivant en HLM.
Ces raisons sont largement suffisantes pour que nous votions contre cette mesure d’économie que vous escomptez faire sur le dos des salariés et des retraités avec cet article. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG. – Mme Claire-Lise Campion applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Mauroy, pour explication de vote.
M. Pierre Mauroy. En ce moment solennel où l’on veut abolir la possibilité de partir à la retraite à 60 ans, je souhaite intervenir. J’étais Premier ministre lorsque nous avons instauré cette mesure. Tout le monde ne l’a pas voulue, mais, nous, nous l’avons ardemment souhaitée et désirée. C’est pourquoi nous voulons que cette faculté soit conservée.
La retraite à 60 ans, c’est une ligne de vie, c’est une ligne de souffrance au travail, c’est une ligne de revendication, c’est une ligne d’espoir. Le régime de retraite par répartition repose sur plusieurs générations. Nous n’avons pas le droit de faire fi du passé.
J’ai des souvenirs de cette époque. La France était plus ouvrière encore qu’elle ne l’est aujourd'hui et nombre d’emplois étaient manuels. Je revois ces ouvriers venir me voir, comme ils allaient voir leurs élus, pour dire : « Je ne peux plus avancer. »
M. Jacky Le Menn. Bien sûr !
M. Pierre Mauroy. Ils s’exprimaient en patois chez moi : « Je ne peux plus arquer ». Ils voulaient un certificat médical, ils venaient nous voir pour nous demander comment sortir de là.
Nous étions alors dans l’opposition : cela a tout de même duré vingt-cinq ans ! Une fois arrivés au pouvoir, nous avons dès 1982 proposé la retraite à 60 ans. Cela a suscité un immense espoir : de toutes les revendications, qu’elles soient ouvrières ou non, celle-ci a été la plus importante. Elle l’est restée. Elle le restera dans l’histoire sociale de la France.
C’est pourquoi, quelles que soient nos convictions et nos idéologies, il n’est pas possible de liquider la retraite à 60 ans de cette façon, en catimini ou presque. (M. le ministre s’étonne.) De plus, ce n’est pas digne d’un système par répartition, qui est essentiellement un système reposant sur plusieurs générations.
La retraite à 60 ans a immédiatement gonflé nos voiles, provoqué des rassemblements, des meetings de 20 000, 25 000, 30 000 personnes ! On ne voit plus cela aujourd'hui. Ce moment est inscrit dans la mémoire collective des Françaises et des Français. On écrit l’histoire non seulement avec l’avenir des propositions, mais aussi avec le passé des revendications, le vécu de l’ensemble de ces travailleurs.
Aussi, nous pensons qu’effacer cette ligne de la retraite à 60 ans est une erreur profonde. Ce n’est pas ce que nous voulons. Certes, nous sommes partisans d’une réforme, de changements, nous savons bien que les conditions ont évolué, que la situation actuelle est différente et justifie les propositions que nous avons avancées pour sauver le système par répartition, mais ce n’est pas une raison pour rayer cette ligne de vie, cette ligne de combat.
Il reste toutefois des catégories, certes moins nombreuses, qui souffriront de ne pas avoir la possibilité de partir à la retraite à 60 ans.
C’est le cas des jeunes. Alors qu’ils ne trouvent pas de travail, on leur annonce qu’ils devront travailler plus longtemps et on recule l’âge de départ à la retraite. En d’autres termes, il leur faudra travailler davantage pour avoir une retraite plus tard. Mais ils n’ont pas d’emploi !
C’est le cas des seniors, qui sont en graves difficultés et qui souhaitent bénéficier de la retraite à 60 ans.
C’est aussi le cas de ceux qui souhaitent qu’il en soit ainsi pour eux.
Pour notre part, nous pensons qu’il s’agit d’un droit presque fondamental.
Mme Annie David. Bien sûr ! Fondamental !
M. Pierre Mauroy. Compte tenu du vécu collectif qui a accompagné l’instauration de la retraite à 60 ans, il faut conserver ce dispositif, même si des modifications doivent intervenir pour répondre à l’ensemble des problèmes de retraites.
Monsieur le ministre, mesdames, messieurs de la majorité, nous vivons un moment où nous prenons conscience qu’entre vous et nous la différence est très grande.
M. Roland Courteau. Oh oui !
M. Pierre Mauroy. Vous oubliez facilement quels ont été les attentes, les revendications, les combats du peuple, en particulier ceux de cette France ouvrière dans une industrialisation en difficultés, qui a mal vieilli, qui s’est effondrée dans les conditions que vous savez, qui a créé le chômage de masse. Dans cette situation, il faut garder cette ligne d’espoir, cette ligne de vie et permettre un départ à la retraite à 60 ans avec les adaptations qu’exigent les changements qui sont intervenus.
Voilà pourquoi, de façon un peu solennelle, en pensant à ces millions de Français qui ont été secoués par cette question, qui ont revendiqué et voulu ce droit qui restera pour eux jusqu’à la fin comme un grand combat de leur vie et un honneur pour récompenser leur travail, nous ne voulons pas abandonner la retraite à 60 ans.
Nous savons bien que la situation change, qu’il faudra évoluer et vous connaissez les propositions que nous formulons en ce sens. Mais nous ne voulons pas l’effacer ainsi, en passant, comme s’il s’agissait d’un simple amendement,...
M. Didier Guillaume. Très bien !
M. Pierre Mauroy. ... d’une simple revendication, comme si c’était une loi comme les autres. Non ! C’est peut-être la loi la plus importante de la Ve République,…
M. Roland Courteau. Bravo !
M. Pierre Mauroy. ... celle qu’attendaient les Français. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Ils veulent garder cette ligne de vie, cette ligne de combat. Ils veulent qu’on leur permette de partir à la retraite à 60 ans. (Mmes et MM. les sénateurs du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG se lèvent en se tournant vers l’orateur et applaudissent longuement.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Éric Woerth, ministre. Monsieur le Premier ministre Mauroy, nous avons un débat de fond. Je comprends votre position, vous défendez le texte de l’époque, je ne reviens pas sur les décisions qui ont alors été prises.
Nous sommes, nous, Gouvernement et majorité – mais c’est aussi le cas de l’opposition –, confrontés à cette réalité : il nous faut prendre nos responsabilités. Vous reconnaissez vous-même que la situation a changé. Nous devons donc modifier un certain nombre d’éléments qui sont constitutifs de notre régime de retraite par répartition.
L’âge de 60 ans, ce n’est pas parce qu’il est rond qu’il est symbolique ou tabou. À l’époque, vous avez baissé l’âge de départ à la retraite. Vous aviez été élus par les Français. Cette décision politique était issue de votre programme Je la respecte, je n’ai pas à la contester. (Mme Patricia Schillinger s’exclame.)
Chacun est placé devant son devoir : le devoir, c’est bien de faire évoluer ce système de retraite (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.), parce que nous voulons faire en sorte que le régime de retraite par répartition soit pérenne.
Mme Annie David. C’est une régression !
M. Roland Courteau. Si ! C’est une marche arrière !