Mme Josiane Mathon-Poinat. La démonstration de ma collègue Annie David est claire. J’ajouterai que l’on ne peut pas parler de retraite sans évoquer le travail lui-même. Pour revenir sur ses propos concernant les salaires et le travail social, je prendrai le même exemple, celui du personnel affecté au nettoyage des sièges de cet hémicycle. En effet, monsieur le ministre, au-delà du salaire perçu pour cette tâche, il convient de tenir compte du fait que, sans celui-ci, vous ne seriez pas assis, refusant de vous installer sur un siège sale ! (Protestations sur les travées de l’UMP.)
La valeur du travail social effectué par les personnes les plus en bas de l’échelle peut ainsi se révéler très grande ! Au-delà de la pénibilité du travail, il faut aussi prendre en compte la valeur sociale du travail. Nous n’accepterions pas de travailler dans des lieux poussiéreux, je peux vous l’assurer ! C’est la raison pour laquelle nous proposons la suppression de cet article. Nous refusons que l’addition soit payée uniquement par les salariés et que les revenus du capital soient exempts de cette solidarité !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Mes chers amis, vous n’allez pas apprécier ce qui suit. En effet, j’entends bien remercier M. le ministre. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Isabelle Debré. Tout arrive !
M. Jean Desessard. Oui, il le faut ! Je remercie donc M. le ministre d’avoir répondu ainsi et d’avoir su porter le débat politique. Avoir un débat politique ne peut que rehausser l’institution sénatoriale. Je remercie également Mme David pour ces paroles vraies, vécues et sincères.
M. Jean Bizet. Et nous alors ?
M. Jean Desessard. Monsieur le ministre, vous avez déclaré qu’il ne fallait pas avoir de tabou. Pour vous, la retraite à 60 ans n’en est pas un. Mais je crains que vous n’ayez mal compris ! Le mot se termine par la même syllabe, mais il s’agit d’un « verrou », non d’un tabou ! C’est un verrou social. Pourquoi avons-nous besoin de verrous sociaux ? Parce que nous sommes dans une société de compétition.
Comme vous, nous nous sommes interrogés sur le problème des retraites. Vous avez pu entendre les remarques émanant des écologistes, se demandant comment financer le système des retraites. Il est clair que nous nous sommes posé la question, tout comme vous ! Mais nous avons choisi de maintenir le verrou social, le bouclier social, à 60 ans ! Pourquoi ? Parce que rien n’assure à ceux qui ont exercé un travail pénible toute leur vie qu’ils pourront partir avec toutes les garanties nécessaires ! C’est ça le problème !
En effet, si nous étions persuadés que, compte tenu de l’évolution générale, chacun pourra travailler selon ses propres possibilités, la question ne se poserait pas. Certes, ceux qui ont un travail intéressant peuvent, rappelons-le, exercer leur métier jusqu’à 70 ans, et, monsieur le ministre, vous n’avez pas suffisamment insisté sur ce point : on peut travailler jusqu’à 70 ans aujourd’hui ! Mais quels sont ceux qui choisissent d’aller jusqu’à cet âge ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les sénateurs !
M. Jean Desessard. Ce ne sont pas les ouvriers, vous le savez très bien ! Ce sont au contraire ceux qui ont un bon boulot ! Non seulement un bon boulot, mais aussi un certain pouvoir dans le cadre de leur travail ! À l’inverse, ceux qui n’ont pas de pouvoir et qui subissent celui des autres souhaitent prendre leur retraite !
Mme Annie David. Évidemment !
M. Jean Desessard. Nous sommes dans une société de classe, monsieur le ministre ! C’est bien là le problème ! Ce n’est pas simplement une question de cœur. Je n’insinue pas ici que vous êtes sans cœur. Car vous avez effectivement un cœur, comme nous. Mais le cœur seul ne suffit pas, il faut avoir une vision politique générale ! Il y a ceux qui s’adaptent au système de compétition économique, ceux pour qui l’on ne peut faire autrement. Et il y a les autres, qui mettent en avant d’autres solutions pour équilibrer le système des retraites !
Mme Annie David. Exactement !
M. Jean Desessard. J’illustrerai mon propos par l’exemple suivant : est-on obligé de faire les 3x8 le dimanche pour construire des voitures ?
M. Jean Bizet. Oui !
M. Jean Desessard. Mais non ! À l’échelle de la planète, non ! Si tous les pays décidaient de travailler quatre jours par semaine pour produire des voitures, ce serait un progrès social fantastique ! Mais oui ! Tel est le problème du capitalisme ! Chaque pays, chaque multinationale, veut être compétitif. Mais sur le dos de qui ? Sur le dos des travailleurs, obligés de faire les 3x8 en étant toujours moins bien payés ! (Protestations sur les travées de l’UMP.)
Certes, le progrès social ne peut plus avoir pour cadre un pays unique. Alors encourageons-le dans l’Europe tout entière ! C’est même au sein des institutions internationales que l’on doit défendre le progrès social pour l’ensemble des peuples de la planète !
M. Jean Bizet. Mais prenez donc la direction du monde !
M. Jean Desessard. Il est évident que si les règles sociales et fiscales étaient harmonisées au niveau mondial, nous ne serions pas obligés de travailler le dimanche pour produire des automobiles ! Le problème se situe dans cette compétition à outrance, qui rend difficile la situation d’une grande partie du peuple français et des travailleurs d’Europe et du monde…
Mme Annie David. Une situation dramatique même !
M. Jean Desessard. … et ce au profit d’une poignée seulement ! Pour finir (Enfin ! sur les travées de l’UMP.), le problème se situe dans l’inégalité professionnelle qui règne entre les travailleurs. Certes, monsieur le ministre, vous côtoyez régulièrement les ouvriers, et moi je suis régulièrement au Fouquet’s. Je vous l’accorde ! (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Éric Woerth, ministre. Le Fouquet’s est détenu par des capitaux français, vous savez ! (Sourires.)
Mme Isabelle Debré. Arrêtez la caricature ! Ça suffit, ce n’est pas sérieux !
M. Jean Desessard. Je m’interromps, mais je reprendrai mon raisonnement très intéressant par la suite, car il mérite un peu de temps. Je m’arrête donc ici pour le moment et confirme mon opposition à cet article ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet, pour explication de vote.
Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le ministre, nous ne pouvons accepter que vous sacrifiiez deux années de la vie des salariés au seul prétexte que vous refusez de prendre l’argent là où il est. Or, avec les possibilités de financement que nous avons avancées dans notre proposition de loi et dans les amendements que nous avons déposés, cet allongement injuste aurait pu être évité.
Nos différentes propositions auraient même permis une véritable prise en compte de la pénibilité, qui, contrairement à ce que vous prévoyez dans votre dispositif, ne peut être la simple constatation de la situation d’invalidité des salariés une fois atteint l’âge de la retraite.
Cela me conduit d’ailleurs à vous interroger sur un sujet qui m’est particulièrement cher : le sort des marins, qui mènent actuellement à Marseille une importante lutte…
M. Gérard Longuet. Pour tuer le port !
Mme Isabelle Pasquet. … et que j’entends saluer ici.
Les marins, qui relèvent d’un régime réglementaire, craignent que cette réforme ne les concerne un jour, alors même que la pénibilité de leur métier est reconnue par tous, y compris par vos services, et que des liens de causalité ont été établis entre cette activité professionnelle et la dégradation précoce de la santé de ceux qui l’exercent.
Nous le savons, cette réforme concernera à long terme l’ensemble des salariés puisque son extension aux régimes spéciaux est prévue vers 2017, c’est-à-dire quand les effets de la précédente réforme devraient avoir fini de se faire sentir, pour rependre l’expression utilisée par le rapporteur de l’Assemblée nationale.
Le 22 septembre dernier, le directeur des affaires maritimes, répondant au courrier qui lui avait été adressé par la principale organisation syndicale des marins, affirmait : « Comme mes services vous l’ont rappelé à plusieurs reprises, dans la droite ligne de ce que le Président de la République et le Gouvernement ont affirmé à l’automne 2007, compte tenu de la pénibilité particulière du métier des marins et des spécificités de cette profession, je vous confirme que le régime spécial de retraite des marins ne fait l’objet d’aucune réforme. Il n’est donc pas concerné par l’actuelle reforme des retraites. »
Monsieur le ministre, ma question est simple : cette dernière affirmation signifie-t-elle, comme je le souhaite vivement, que la profession de marin sera écartée en 2017 du processus d’extension de la réforme aux régimes spéciaux ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les promesses n’engagent que ceux qui y croient !
M. le président. La parole est à M. Ronan Kerdraon, pour explication de vote.
M. Ronan Kerdraon. Monsieur le ministre, l’article 5 est une véritable provocation. Il porte largement l’empreinte du MEDEF et de Mme Parisot, qui réclame le report de l’âge légal de départ à la retraite et qui négocie d’ailleurs directement avec l’Élysée, vous ravalant au rang de simple exécutant.
Mme Nicole Bricq. Oh, la vilaine !
M. Ronan Kerdraon. Les entreprises obtiendraient, en outre, de nouvelles aides financières pour l’emploi des plus de 55 ans : un comble !
À cette mesure s’ajoute celle qui consiste à repousser de 65 ans à 67 ans l’âge à partir duquel il sera possible de toucher une pension sans décote. C’est en cela que ce projet de loi est profondément injuste, car vous pénaliserez tous les salariés aux périodes d’activité incomplètes, c'est-à-dire en majorité des femmes. Je vous ai entendu affirmer hier que vous aimiez les femmes – nous aussi ! –, mais il faut le prouver, monsieur le ministre !
Pour les salariés effectuant des travaux pénibles, ce recul d’âge n’est en rien compensé par de véritables mesures.
En outre, là encore, aucune disposition de nature à améliorer l’emploi, notamment celui des seniors et des jeunes, n’est prévue, alors que chacun sait qu’il s’agit d’une variable fondamentale pour l’équilibre des régimes de retraite.
Parallèlement, l’effort demandé aux hauts revenus et aux entreprises ne couvrira au mieux que 10 % des besoins de financement.
Monsieur le ministre, vous avez fait le choix d’une réforme bien plus brutale que celles qu’on entreprend dans la plupart des autres pays et d’une rigueur telle qu’elle creusera les inégalités, qu’elle risque de compromettre toute reprise économique et qu’elle ouvre la porte à une spirale de régression sociale.
Nous, à gauche, nous refusons catégoriquement de nous inscrire dans cette démarche de remise en cause des droits sociaux. C’est pourquoi nous demandons la suppression de l'article 5.
Jean Desessard vous a qualifié hier de ministre de la réclame. Il a raison ! Mais ce n’est pas tout, monsieur le ministre : vous êtes également le ministre des soldes, les soldes de tous les acquis sociaux conquis par le peuple et votés par la gauche. L'article 5 est la première démarque, l'article 6 la seconde. Où va s’arrêter cette braderie ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je comprends parfaitement les interventions inspirées par cette générosité naturelle que nous partageons tous et qui mettent l’accent sur le sort particulier de telle profession, de telle tranche d’âge ou des travailleurs qui, malheureusement pour eux, se trouvent au bas de l’échelle.
Pour ma part, je veux m’appuyer sur un constat simple : qu’il s’agisse du secteur public ou du secteur privé, notre système de retraite accuse un déficit. D’une dizaine de milliards d'euros aujourd'hui, ce déficit est appelé à croître fortement, au point de devenir assez rapidement insupportable, selon l’avis tout à fait motivé du Conseil d’orientation des retraites.
Mes chers collègues, je vous ai écoutés avec beaucoup de tranquillité. Mais je tiens à dire que la défense de la retraite à 60 ans et l’opposition forte que vous manifestez à cette réforme reposent sur deux mythes.
Le premier mythe, c’est celui qui consiste à croire qu’il est possible de régler le problème des retraites en alourdissant la fiscalité. C’est une erreur grave !
M. Jean Desessard. Et pourquoi ?
M. Jean-Pierre Fourcade. Parce que plus on alourdit la fiscalité, plus on crée du chômage et plus la situation de notre pays devient difficile dans un contexte de mondialisation.
Mme Annie David. Combien d’emplois ont été supprimés l’an dernier ?
M. Jean-Pierre Fourcade. L’idée que vous essayez de développer, selon laquelle on pourra tout régler en taxant les riches, comme vous dites, est fallacieuse. D’ailleurs, tous nos concurrents, que ce soit les pays développés ou les pays émergents – je pense à la Chine, à l’Inde ou au Brésil –,
M. Jean Desessard. Vous voulez aussi nous appliquer la législation sociale de la Chine ?...
M. Jean-Pierre Fourcade. … la refusent parce que, bien évidemment, eux, ils travaillent et ils ont une fiscalité plus modérée que la nôtre. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Pour notre part, nous avons dépassé le seuil des 42 % de prélèvements obligatoires sur les revenus de nos concitoyens. Avec les thèses que vous soutenez, avec le soubassement intellectuel de votre raisonnement, vous arriverez à un taux prélèvement de 43 %, 45 %, 50 % ! (Protestations sur les mêmes travées.)
Mme Nicole Bricq. Et pourquoi pas 80 %, pendant que vous y êtes ?
M. Jean-Pierre Fourcade. Je me souviens d’un débat que j’ai eu avec François Mitterrand et au cours duquel il avait parlé du « flot » de l’augmentation du chômage. Eh bien, là, vous allez développer le flot de l’augmentation de la fiscalité !
Le deuxième mythe, c’est celui du partage du travail, selon lequel plus on maintient des actifs âgés, plus on barre l’accès des jeunes au marché de l’emploi.
M. Jean Desessard. Ce n’est pas un mythe !
Mme Annie David. Quand vous ne serez plus sénateur, il y aura bien quelqu’un d’autre à votre place !
M. Jean-Pierre Fourcade. Malheureusement, il suffit de regarder ce qui se passe dans le monde – pays développés, en développement ou émergents – pour s’apercevoir que c’est faux. Ce qui importe, c’est l’activité, la productivité, le développement dans l’ensemble des activités.
Dans aucun pays du monde – pas même en Suède, au Danemark, en Allemagne ou en Espagne –, il n’a été fait la preuve d’une corrélation entre l’âge de départ à la retraite et l’entrée des jeunes sur le marché du travail.
En réalité, en défendant les limites existantes – départ à la retraite à 60 ans, retraite à taux plein à 65 ans –, vous prenez le risque de pénaliser l’ensemble des jeunes de ce pays.
M. Desessard, que j’ai écouté avec l’intérêt que je manifeste toujours lorsqu’il fait des démonstrations savantes, a évoqué fort à propos les institutions internationales. Comme lui, j’ai pris connaissance du rapport du FMI intitulé : « De la relance à la rigueur ; politiques de revenus et de dépenses dans les économies développées et émergentes ».
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n’est pas le FMI qui nous dicte ce que nous avons à faire !
Mme Nicole Bricq. Je vais vous en parler, moi, du FMI !
M. Jean-Pierre Fourcade. J’en ai notamment retenu les deux phrases suivantes : premièrement, « Une hausse de deux ans de l’âge légal de la retraite suffirait à stabiliser la part des dépenses pour les retraites dans le PIB à son niveau 2010 sur les deux prochaines décennies. » ; deuxièmement « Relever l’âge légal de la retraite doit être le point de départ de la réforme. »
Nous connaissons tous la grande capacité d’analyse économique du directeur général du FMI, Dominique Strauss-Kahn. Je m’appuierai donc sur cette publication récente pour voter contre ces amendements de suppression. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Nicole Bricq. Lisez-la jusqu’au bout !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Éric Woerth, ministre. Je souhaite répondre à Mme Pasquet sur la question des marins.
Les marins ne sont pas inclus dans cette réforme, pas plus qu’ils ne l’étaient dans celle des régimes spéciaux. J’ai d’ailleurs l’intention de leur écrire dès aujourd'hui, car j’ai compris qu’ils faisaient grève...
M. Jean Desessard. Bravo, madame Pasquet, vous avez obtenu quelque chose !
M. Éric Woerth, ministre. Certes, c’est leur droit le plus strict, personne n’entend le leur contester, mais je souhaite qu’ils soient parfaitement informés pour prendre une telle décision en conscience.
J’en profite pour rappeler à ceux qui bénéficient des régimes spéciaux, par exemple les salariés de la RATP ou de la SNCF, que le Gouvernement a totalement respecté les engagements qu’il a pris au moment de la réforme des régimes spéciaux en 2007 et que la réforme d’aujourd'hui s’appliquera à eux avec cinq ans de décalage. En d’autres termes, avec ce décalage de cinq ans par rapport au reste de la population, un roulant de la SNCF ou de la RATP qui part aujourd'hui à la retraite à 50 ans partira à 52 ans non pas en 2018, mais en 2025.
Il est normal que tous les Français consentent un effort et travaillent plus longtemps à un moment donné. En ce qui concerne les régimes spéciaux, c’est le même gouvernement qui a procédé en 2007 – ce n’est pas si ancien – à une négociation avec les mêmes partenaires sociaux. Nous respectons cet engagement à la lettre et, en même temps, nous appliquons un décalage de cinq ans. Les régimes spéciaux bénéficient d’un décalage jusqu’en 2017. À cette date, la réforme de 2010 s’appliquera. Le décalage de quatre mois se fera année après année à partir de 2017 : par conséquent, pour cette catégorie, le départ à la retraite à 52 ans se fera bien à partir de 2025.
L’effort est juste et équitablement réparti. Chacun doit bien avoir cela en tête quand il prend des décisions par rapport à notre réforme.
M. le président. La parole est à M. Jacky Le Menn, pour explication de vote.
M. Jacky Le Menn. Hier, nous avons eu droit à l’élixir du bon docteur Éric, grâce auquel se profilent à l’horizon des travailleurs centenaires en pleine santé ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Ce matin, nous avons droit à la rhétorique du docteur Ubu, qui raisonne d’une manière globale sans s’attacher à ce qui intéresse la population, ces gens en chair, en sueur et parfois en sang qui forment le monde du travail.
Je répondrai au passage à Jean-Pierre Fourcade que, pour l’instant, le seul flot que je perçois, c’est celui de la montée de la pauvreté !
Mme Annie David. Oui !
M. Jacky Le Menn. La France compte près d’un million de retraités en dessous du seuil de pauvreté… Sans commentaire !
M. Jean Desessard. Eux, on les met à la poubelle !
M. Jacky Le Menn. Beaucoup d’entre nous, qui siègent aujourd'hui sur les travées de ce beau palais, ont eu l’occasion, dans une vie antérieure, de s’engager dans des associations, les Restos du cœur – c’est mon cas –, le SAMU social, le Secours catholique, etc. Qu’y rencontre-t-on ? On n’y rencontre pas seulement des SDF, mais aussi des gens cassés par le travail, qui sont au bord du gouffre et qu’on essaie de retenir ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
Mmes Gisèle Printz et Patricia Schillinger. Tout à fait !
M. Jacky Le Menn. Alors que j’étais jeune directeur général d’hôpital dans la région parisienne, fraîchement sorti des écoles – celle de la rue Saint-Guillaume, puis l’École nationale de la santé publique, après un petit passage dans celle d’où est issu M. le ministre –,...
M. Éric Woerth, ministre. On a le droit de faire des études dans cette République, ce n’est pas honteux !
M. Jacky Le Menn. ... et bardé de certitudes – on y procédait à des études de cas où revenaient régulièrement les notions de retours sur investissement, de cash flow, etc. –, je me suis trouvé confronté à la réalité, ce qui m’a notamment conduit à présider un comité d’hygiène et de sécurité. À cette occasion, un représentant du personnel qui se trouvait être un prêtre-ouvrier m’a déclaré ceci : « Monsieur le directeur, ce que vous dites est très bien, mais venez avec nous voir comment vit votre personnel avant qu’il n’arrive dans votre établissement. » Rendez-vous fut pris et j’ai essayé de suivre un peu la vie de ces personnes, notamment des femmes, qui travaillaient dans mes services, à la buanderie, au nettoyage, dans des conditions très difficiles. Je me suis rendu compte que ces femmes – c’était moins vrai pour les hommes – faisaient en fait deux journées de travail : lorsqu’elles arrivaient dans l’établissement que je dirigeais, elles avaient déjà une journée de travail complète derrière elles, généralement accomplie très tôt le matin. S’y ajoutaient des problèmes invraisemblables, qui les épuisaient, pour trouver des lieux où faire garder leurs enfants.
J’ai regardé, ensuite, combien ces salariés étaient payés exactement. Car je n’avais eu auparavant qu’une vue globale des traitements : quelques minutes suffisaient pour signer 2 000 traitements ; tout avait été vérifié par la technostructure interne. Eh bien, quand j’ai vu précisément ce que chacun percevait à la fin du mois, j’ai eu honte !
Je tenais à évoquer ces personnes dans cette discussion, monsieur le ministre, parce que, pour elles, le recul de 60 ans à 62 ans est un véritable drame !
M. Guy Fischer. Voilà la vérité !
M. Jacky Le Menn. Beaucoup d’entre nous retrouvent de telles personnes dans le cadre des associations que j’évoquais au début de mon propos, ou même tout simplement dans leur département.
Vous nous dites qu’on est obligé de prendre des grandes directives nationales. Mais leur application va provoquer des drames dans les familles, les drames qui naissent d’espoirs qui seront déçus.
Cela, monsieur le ministre, vous pouvez raconter ce que vous voulez, mais je ne l’admettrai pas ! Je ne peux pas accepter ce passage de la retraite à 62 ans. J’ai fait partie de ceux qui ont milité pour que la retraite à 60 ans, laquelle constituait la 82e proposition du programme de François Mitterrand. Je voterai donc pour la suppression de cette disposition malhonnête que vous nous proposez ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pour le ministre, il n’y a pas de tabou, et voilà maintenant qu’il faut se débarrasser des mythes !
Ce qui est sûr, c’est qu’il y a des dogmes, et notamment un qui revient sans cesse, décliné de façons diverses, mais toujours dans le même sens : le dogme du FMI, que vous appliquez vous-même et qui veut qu’on fasse payer les salariés, exclusivement les salariés. Ce sont eux qui, partout en Europe, ont payé pour la crise des banques et de la finance. Aujourd'hui, ce sont eux que l’on fait payer pour les retraites !
Par ailleurs, j’apprends que l’Élysée, par l’intermédiaire de Raymond Soubie, nous dit que la réforme sera adoptée entre le 20 et le 23 octobre, que, fin octobre, ce sera quasiment joué, que le Gouvernement ne bougera plus. Et pourquoi ? Parce qu’on ne peut pas faire autrement : encore un dogme !
Ainsi, l’Élysée dicte au Parlement ce qu’il a à faire, il nous ordonne en quelque sorte d’arrêter ; et il vous ordonne à vous, monsieur le ministre, de ne pas bouger.
Il sait bien que les syndicats continueront naturellement à se mobiliser, puisqu’ils ont prévu une journée de mobilisation et qu’ils ne vont pas y renoncer, mais il considère que plusieurs d’entre eux ont vu dans les amendements du Gouvernement des avancées importantes et des progrès significatifs… Ah bon ?
Il regrette que tous les syndicats soient contre la mesure d’âge, alors que c’est pourtant la seule mesure que recommande le FMI. Et voilà : la boucle est bouclée ! Toujours le dogme !
Moi, je vous dis tout de suite que le Président de la République ne va pas dicter au Parlement ce qu’il a à faire ni décider quand le débat prendra fin ! Nous nous battons et nous continuerons de le faire.
Pour en revenir à l’article 5, je veux souligner que, avec ce passage de 60 ans à 62 ans, c’est tout simplement le droit à la retraite que vous mettez à mal. Les salariés se sont battus pour le droit à la retraite à 60 ans. Le jour où la retraite à 60 ans a été instaurée, c’était la joie dans les entreprises, dans les bureaux, dans beaucoup d’endroits où il y a des salariés modestes.
Soit dit entre parenthèses, ceux qui veulent continuer à travailler après 60 ans, personne ne les en empêche ; nous en sommes la preuve !
M. Guy Fischer. Même jusqu’à 70 ans !
M. Jean Desessard. Et pour Dassault, c’est encore bien plus !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pourquoi était-ce la fête ? Parce que, avant la retraite à 60 ans, dans ce monde du travail que vous connaissez si mal, beaucoup d’ouvriers mouraient soit avant même d’être à la retraite, soit juste après leur départ en retraite. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Guy Fischer. Mon père !
Mme Colette Giudicelli. Pourquoi seriez-vous les seuls ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Beaucoup mourraient autour de leur 65e année et ne pouvaient pas jouir de leur retraite. Au fond, cela contribuait à l’équilibre financier, n’est-ce pas ?...
Pour tous ces gens, la retraite à 60 ans a donc signifié le droit d’en profiter en bonne santé au moins pendant quelques années. Nous vous avons déjà expliqué que, en général, à 69 ans, les ouvriers – eux et bien d’autres, du reste – ne sont plus en bonne santé.
Depuis que les salariés ont conquis le droit de partir à la retraite à 60 ans, ils l’ont mis à profit : ils participent beaucoup à la vie sociale, ils s’occupent de leurs petits-enfants – et ils sont d’une grande aide quand, comme c’est souvent le cas, font défaut les structures ou les aides nécessaires pour que les jeunes mères de famille puissent travailler –, ils œuvrent dans des associations de toute sorte…Bref, ils profitent effectivement de leur retraite, les plus modestes pendant un nombre d’années somme toute assez limité, les autres plus longtemps parce qu’ils vivent plus vieux.
Voilà pourquoi vous mettez à mal le droit à la retraite en reportant l’âge de la retraite, que vous calculez, comme de bons assureurs que vous êtes, en fonction de l’âge moyen des décès. (M. le président indique à l’oratrice qu’elle a dépassé son temps de parole.)
Monsieur le ministre, vous nous dites : pas de tabou ! Nous sommes d’accord à 100 %. Parlons donc de ce qui a effectivement changé ! Vous, vous ne cessez de répéter que l’espérance de vie augmente. Je ne reviens pas sur les conditions dans lesquelles les gens vivent plus vieux… (Marques d’impatience sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Il faut conclure !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais qu’est-ce ce qui a changé depuis 1945, depuis 1981 ?
La productivité a considérablement augmenté. Donc, parlons-en puisqu’il ne doit pas y avoir de tabou ! Et quoi d’autre ? Les revenus financiers captent une part grandissante de la richesse produite ! Donc, parlons-en : pourquoi ces revenus ne contribuent-ils pas à financer le régime de protection sociale ?
Vous savez que, depuis vingt ans, le rapport entre la rémunération du travail et la rémunération du capital a évolué de manière continue au détriment du travail. Alors, parlons d’un rééquilibrage et faisons participer les revenus du capital au financement de la retraite à 60 ans ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)