M. Jean Desessard. Vous m’avez convaincu, chère collègue !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. En effet, une chose est sûre : il n’est pas de bonnes économies quand elles concernent l’éducation nationale et, donc, les moyens de la réussite pour tous. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste. – Mme Françoise Laborde et M. Jacques Mézard applaudissent également.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Nos collègues du groupe CRC-SPG invoquent le principe d’égalité, protégé par l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, pour contester la constitutionnalité du dispositif de suspension des allocations familiales.
Il est vrai que la suspension des allocations familiales ne peut toucher que les familles qui les reçoivent et qu’elle touche différemment les familles selon leurs revenus. En particulier, le dispositif n’a pas d’impact sur les parents d’un enfant unique qui serait absentéiste.
Cet argument n’est cependant pas suffisant pour démontrer l’irrecevabilité de la proposition de loi.
M. Ivan Renar. Il est nécessaire !
M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture. En effet, l’inégalité de traitement entre les familles invoquée n’est que la conséquence de l’inégalité initiale du régime des allocations familiales.
La constitutionnalité du régime des allocations familiales n’a jamais été remise en cause par le Conseil constitutionnel. Il a, au contraire, rappelé, dans sa décision du 18 décembre 1997 sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, que ce régime répondait à l’exigence de solidarité nationale en faveur de la famille.
Par parallélisme, la suspension des allocations pour des motifs d’intérêt général ne crée pas, en elle-même, d’inégalité contraire à la Constitution.
Plus généralement, le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que le législateur y déroge pour des raisons d’intérêt général, comme l’a maintes fois réaffirmé le Conseil constitutionnel.
L’absentéisme scolaire est bien souvent à la racine de l’exclusion sociale et peut conduire à la délinquance dans le pire des cas. Lutter contre ce fléau est un impératif qui impose d’utiliser tous les instruments à notre disposition, y compris, et en dernier recours, la suspension des allocations familiales.
Il n’est pas contestable que l’octroi des allocations familiales est, dès l’origine, lié au respect de l’assiduité scolaire et que la suspension est légitime en cas de carence des parents.
D’ailleurs, le Conseil constitutionnel n’a pas censuré la suspension des allocations familiales pour les parents d’un mineur placé en centre éducatif fermé, lorsqu’il a examiné, dans sa décision du 29 août 2002, une nouvelle version de l’ordonnance du 2 février 1945.
En outre, il serait inexact d’affirmer que les parents d’un enfant unique absentéiste ne peuvent pas être sanctionnés. Indépendamment de la proposition de loi, ils peuvent en effet être sanctionnés aux termes des articles 227-17 et R. 624-7 du code pénal, pour une contravention ou pour un délit.
C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous demande de voter contre la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
M. Claude Bérit-Débat. Deux poids, deux mesures !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Luc Chatel, ministre. Comme j’ai eu l’occasion de le rappeler tout à l’heure en répondant aux orateurs qui s’étaient exprimés lors de la discussion générale, depuis que, en 1959, a été inscrit dans la loi un lien entre l’assiduité scolaire et le versement des prestations familiales, le Conseil constitutionnel n’a jamais rien eu à redire à de telles dispositions. Vous ne serez donc pas surpris, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, que le Gouvernement appelle à rejeter cette motion.
Madame Gonthier-Maurin, j’émets cet avis d’autant plus volontiers que nous avons de véritables divergences de vues quant à l’action qui doit être menée à l’égard de nos enfants. Je crains d'ailleurs que vos propos n’aient caricaturé ce qui se passe réellement dans les classes en cette rentrée scolaire.
Nous nous retrouvons sur un seul point : très en amont, il faut mener une politique éducative efficace afin d’éviter le décrochage scolaire et l’absentéisme. Toutefois, nous souhaitons pour notre part adapter la scolarité à la situation de chaque enfant. C’est toute la politique d’individualisation que nous menons en cette rentrée, avec l’accompagnement personnalisé, l’aide personnalisée dans le premier degré et les stages de remise à niveau qui sont proposés à 200 000 enfants afin qu’ils ne quittent pas le système éducatif et ne se trouvent pas en situation de décrochage scolaire. C’est de cette façon que nous pourrons véritablement lutter contre les difficultés que rencontrent ces élèves.
Pour toutes ces raisons, je vous appelle donc, mesdames, messieurs les sénateurs, à rejeter cette motion.
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 2, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
J’ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, ainsi que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 277 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 171 |
Pour l’adoption | 153 |
Contre | 187 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Mme la présidente. Je suis saisie, par Mme Cartron, MM. Bodin et Domeizel, Mme Blondin, M. Lagauche, Mmes Lepage et Bourzai, M. Bérit-Débat et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n°1 rectifiée.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à lutter contre l'absentéisme scolaire (n° 663, 2009-2010).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Yannick Bodin, auteur de la motion.
M. Yannick Bodin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors d’une réunion de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, le président de cette instance, M. Jacques Legendre, avait invoqué la « nature éducative » de cette proposition de loi, pour se réjouir que notre commission soit saisie au fond. C’était une analyse que nous pouvions partager.
Malheureusement, je dois le dire, d’éducation il est assez peu question ici. (Marques d’étonnement au banc des commissions.) Même si vous avez tout fait pour aborder cette notion dans vos discours, vos efforts ont été vains, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission. En revanche, la sanction et la répression sont présentes. Il s'agit même des maîtres mots de cette proposition de loi ! Celle-ci s’inscrit – disons-le franchement – dans le contexte malsain de ces derniers mois, comme mes collègues l’ont montré.
Les événements qui se sont déroulés ces derniers temps, les déclarations gouvernementales et les mesures annoncées dans plusieurs domaines prouvent que cette proposition de loi participe d’une manœuvre politique globale que nous ne pouvons accepter.
Les élections régionales ont infligé au parti gouvernemental une défaite mémorable qui le pousse à se réapproprier les discours autoritaristes et démagogiques, dans un registre proche, et même parfois identique – n’est-ce pas, monsieur Nègre ? –, de celui de l’extrême droite.
Nous devons combattre cette dérive ! Cela éviterait que notre pays soit montré du doigt par les instances internationales et les autres démocraties, et peut-être même, demain, condamné.
M. Claude Domeizel. Eh oui !
M. Yannick Bodin. Le dernier vote du Parlement européen, émis par une majorité des élus des 27 pays de l’Union européenne, fait tout simplement rejaillir la honte sur la France, alors que nous prétendons souvent constituer un exemple et porter les valeurs universelles de la défense des droits de l’homme et de la femme. Je le répète, aujourd'hui, nous sommes montrés du doigt, et presque condamnés !
Je souhaite donc opposer la question préalable à cette proposition de loi visant à lutter contre l’absentéisme scolaire qui, sous couvert de répondre à une préoccupation éducative, témoigne d’une visée répressive insupportable.
Tout a été dit par mes collègues lors de la discussion générale. Pour ma part, je reprendrai les cinq qualificatifs que j’avais employés lors de notre première rencontre en commission : ce dispositif est inadapté, inefficace, injuste, impraticable, enfin inintelligent – j’avais employé un terme plus sévère, mais comme vous m’avez reproché son caractère quelque peu excessif ou péjoratif, monsieur le président de la commission, j’ai fait un effort !
M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture. Tout à fait ! Ce n’est plus le même mot à la fin de l’énumération.
M. Yannick Bodin. Monsieur le ministre, que disent les élus de mon groupe ? En premier lieu, que ce texte prévoit des mesures inadaptées.
Lorsque M. Sarkozy a annoncé le caractère systématique de la suspension des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire, il a présenté cette mesure, dans un discours à Bobigny, comme une réponse à la violence dans les établissements scolaires. Rappelez-vous, mes chers collègues, il a déclaré : « Nous allons prendre des mesures nécessaires pour protéger les établissements scolaires de la violence. Désormais, la décision de suspendre les allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire injustifié et répétitif d’un élève aura un caractère systématique ».
Vous le voyez, l’amalgame établi entre absentéisme scolaire et violence montre que le Président de la République aborde ce problème d’un point de vue strictement répressif, et non pas éducatif. En quoi un élève absentéiste serait-il, par principe ou par nature, un délinquant ? Une fois de plus, M. Sarkozy ne veut que frapper l’opinion par une mesure choc dans son domaine de prédilection, à savoir l’insécurité. Il ne cherche pas à comprendre les causes profondes de ce malaise pour tenter ensuite d’y remédier.
Nous nous accordons tous à reconnaître que l’absentéisme scolaire constitue aujourd'hui un véritable problème. Toutefois, celui-ci appelle des solutions adaptées aux élèves, qui doivent relever de la politique d’éducation et non pas de la répression.
Si des élèves choisissent de ne pas se rendre au collège ou au lycée, les raisons de leur comportement sont multiples. En effet, seulement 45 % d’entre eux en France se sentent à leur place en classe, contre 81 % en moyenne, je le répète, dans les pays de l’OCDE.
Les facteurs de malaise peuvent être d’ordre personnel ou institutionnel. Plutôt que de prévoir des mesures strictement répressives, il convient de prendre le problème à la base, à l'échelle des établissements. Car si les parents ont le devoir de veiller à ce que leurs enfants se rendent à l’école, certes, les établissements, de leur côté, doivent disposer des moyens nécessaires pour assurer un accueil optimal des élèves. Cette exigence implique des effectifs de classe convenables, avec des personnels en nombre suffisant, présents pour aider les élèves tout au long de leur scolarité, que ce soit pour les aider dans leurs études, pour leur apporter un soutien psychologique, ou pour les conseiller sur leur orientation. Un élève qui s’absente est souvent en souffrance, et le premier devoir de l’éducateur est de l’accompagner.
Le cas des lycées professionnels, dont nous avons beaucoup discuté, est significatif et prouve l’inadaptation de ce texte. Dans ces établissements, vous le savez, monsieur le ministre, les élèves sont en moyenne plus âgés, leur relation avec leurs parents est différente – sinon carrément inexistante –, et ils sont fréquemment obligés de faire des « petits boulots » pour subvenir à leurs besoins.
Mme Maryvonne Blondin. Eh oui !
M. Yannick Bodin. Pouvons-nous décemment appliquer ce texte dans de telles conditions ? En outre, je le répète, qu’est-il prévu pour les familles à enfant unique ? Le Gouvernement mettra-t-il en prison les parents dont les enfants ne vont pas à l’école, comme c’est le cas en Grande-Bretagne ?
Les élus de mon groupe vous ont dit que l’inefficacité de cette mesure est évidente. Nous l’avons vu, cette réglementation a déjà été mise en place dans d’autres pays européens. Or c’est un échec !
L’exemple britannique, qui brille par sa sévérité – les parents dont les élèves sont absents trop souvent doivent payer de fortes amendes, ou même encourent des peines de prison dans les cas extrêmes –, est significatif : au Royaume-Uni, le taux d’absentéisme est passé de 0,97 % en 2007-2008 à 1,03 % en 2008-2009.
Une réglementation efficace prévoit de prendre des mesures à la racine du problème. Nous savons que l’absentéisme est révélateur des inégalités du système éducatif français : si la moitié des établissements du secondaire enregistrent un taux d’absentéisme inférieur à 2 %, les 10 % d’établissements qui sont les plus en difficulté ont un taux supérieur à 20 %. (Mme Françoise Cartron opine.)
Le décrochage scolaire reste l’une des principales raisons de l’absentéisme scolaire. C’est un problème qui concerne particulièrement certains établissements en difficulté. Comment le Gouvernement espère-t-il parvenir à des résultats égalitaires, alors qu’il ne cesse de supprimer des postes au sein de l’éducation nationale ?
Mme Gisèle Printz. Oui !
M. Yannick Bodin. Je le répète, monsieur le ministre, et, même si cela ne vous plaît pas, cela ne fait rien : cette année, ce sont encore 16 000 postes qui sont supprimés. Et je ne parle ici que des professeurs, je n’inclus pas les suppressions de postes des autres personnels de l’éducation nationale, par exemple les conseillers principaux d’éducation. À cela s’ajoute l’arrivée dans les classes des professeurs stagiaires sans aucune formation professionnelle, en application de la fameuse réforme de la mastérisation. Le personnel éducatif est en colère. Pis encore, il se sent dépassé et impuissant.
Il faut également reconsidérer le système d’orientation des élèves. L’enseignement professionnel enregistre 15 % d’absentéisme en moyenne. Les élèves concernés, généralement en échec scolaire au collège, ne choisissent pas leur orientation : ils la subissent. L’inadéquation entre le choix initial de la spécialisation et l’attribution finale est fréquente. Chaque adolescent devrait avoir la possibilité de choisir son avenir en fonction de ses choix et de ses aptitudes.
Il est déplorable que l’orientation vers un établissement professionnel soit ressentie comme une punition, alors qu’elle pourrait constituer un choix si l’écoute envers les élèves était plus soutenue. Et après l’on s’étonne du fort taux d’absentéisme dans ces établissements ! Qui est responsable : l’élève ou la collectivité nationale, en particulier le ministère de l’éducation nationale ? Ce processus décisif dans la vie de chaque élève ne doit pas être faussé par des contraintes d’offre, de disponibilité ou par une négligence quelconque. Il convient de refonder tout le système d’orientation afin de créer une réelle construction du parcours scolaire.
Les élus de mon groupe vous ont dit également que l’injustice de cette mesure a été de nombreuses fois soulevée.
Je ne fais d’ailleurs que reprendre les débats de la loi du 2 janvier 2004 relative à l’accueil et à la protection de l’enfance, sous le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin – cela a été rappelé de nombreuses fois, peu importe – : il est proposé d’abroger « le dispositif de sanction fondé sur la suspension des prestations familiales, en raison de son caractère injuste et peu efficace ».
M. Claude Bérit-Débat. Voilà !
M. Yannick Bodin. Les prestations familiales ont en effet vocation à compenser pour partie le coût de l’entretien de l’enfant, qui reste le même quelle que soit l’assiduité scolaire ; elles ne constituent en rien une sorte de récompense. Est-il nécessaire de rappeler que 18 % des moins de dix-huit ans vivent sous le seuil de pauvreté en France ?
Le Gouvernement change aujourd'hui d’avis, comme la majorité du reste. Monsieur le ministre, cela n’a rien d’étonnant : vous changez parfois d’avis plusieurs fois dans la même journée, il suffit d’écouter la radio. Vous changez même parfois de circulaire d’une semaine sur l’autre ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
Les familles qui ont réellement besoin de cette aide sociale seront donc les seules concernées par ce dispositif, ce qui le rend insupportable. Je ne parle même pas de l’article prévoyant la non-compensation par le RSA de sa suspension-suppression. Le devoir de notre République n’est-il pas de donner les mêmes chances à tous ses citoyens, et d’abord aux plus jeunes ?
Cette mesure ne touche donc que l’absentéisme scolaire des plus pauvres. Il est inconcevable de poursuivre la mise en place progressive par le Gouvernement d’une société à deux vitesses. Supprimer les allocations familiales, c’est ajouter la misère à la pauvreté. Qui peut croire que cette mesure aidera les familles en difficulté à retrouver le sens de leur rôle de parents ?
Les élus de mon groupe ont également dit que cette proposition de loi inscrivait un dispositif impraticable.
Le Gouvernement a été contraint de répondre à de nombreuses questions de parlementaires qui l’interrogeaient, par exemple, sur les problèmes de surcharge de travail des caisses d’allocations familiales. Beaucoup de lieux d’accueil du public sont amenés à fermer leurs portes pour assurer leur travail. Cette charge de travail supplémentaire alourdirait encore leurs fonctions, alors que le président du conseil d’administration de la Caisse nationale d’allocations familiales a alerté le Gouvernement, affirmant que le réseau des CAF était « proche de l’implosion ».
Nous voyons que la procédure proposée est extrêmement complexe et nous pouvons ainsi pertinemment nous interroger sur la faisabilité de ce dispositif. Aux dires de plusieurs fonctionnaires ou employés de la CAF avec lesquels je me suis entretenu, chaque dossier mettrait plusieurs mois avant d’aboutir, créant un nouveau nœud bureaucratique et rendant la « sanction » très tardive, c'est-à-dire dépassée dans bien des cas, puisqu’elle interviendrait longtemps après la fin de l’année scolaire. Les foyers français sont de plus en plus nombreux à faire appel aux CAF : n’est-il pas plus opportun de s’attacher à résoudre leurs problèmes économiques que d’en créer de nouveaux ?
Les élus de mon groupe ont encore souligné le caractère inintelligent de cette mesure.
Des mesures quasi identiques existent déjà, mais leur complexité et l’incohérence de leur principe font qu’elles ne sont pas appliquées. La loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances a créé le « contrat de responsabilité parentale » dans les cas d’absentéisme scolaire, de trouble porté au fonctionnement d’un établissement scolaire et de difficulté liée à une carence de l’autorité parentale. Le code de l’action sociale et des familles précise qu’en cas de non-respect des obligations le président du conseil général peut intervenir. Mais l’évaluation de ce dispositif, qui était prévue avant le 30 décembre 2007, n’a toujours pas eu lieu.
La loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance a également créé les conseils pour les droits et devoirs des familles. Le code de l’action sociale et des familles offre plusieurs possibilités d’action. Ainsi, « le maire peut proposer aux parents ou au représentant légal du mineur concerné un accompagnement parental ».
Les membres de la majorité gouvernementale, qui déplorent l’inaction prétendue des présidents des conseils généraux dans les cas d’absentéisme scolaire, vont-ils également faire porter aux maires qui s’investissent déjà très fortement cette responsabilité ? Allons-nous continuer à accumuler les nouveaux dispositifs sans jamais prendre la peine d’analyser leur pertinence ?
On peut même craindre, à juste titre, que les établissements ne soient de plus en plus hésitants à saisir les inspecteurs d’académie, qui eux-mêmes seront très prudents dans la mise en œuvre d’une telle mesure. J’en ai la certitude, monsieur le ministre, à moins, bien sûr, que, comme dans les commissariats, on leur demande de faire du chiffre,…
Mme Maryvonne Blondin. Voilà !
M. Yannick Bodin. … méthode idiote quand on connaît la culture des fonctionnaires de l’éducation nationale. Et, en disant cela, je n’insulte pas les autres agents de l’État.
Actuellement, il existe des ressources internes à l’éducation nationale comme les groupes d’aide à l’insertion, les centres d’information et d’orientation ou encore les projets de lutte contre le décrochage scolaire. « Le rôle des CAF va bien au-delà du versement des prestations. Elles sont notamment très investies dans l’aide à la parentalité : la médiation familiale, l’aide à la scolarité, les réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents ou encore les espaces de rencontres parents-enfants. »
Au lieu de développer ces projets structurés, le Gouvernement préfère une nouvelle fois la politique de la sanction et, surtout, celle de l’annonce médiatique. Et il continue de supprimer des postes essentiels à un développement harmonieux des établissements scolaires.
Le problème de l’absentéisme scolaire est bien réel et il convient de le traiter, mais avec des solutions crédibles et humaines. L’absentéisme scolaire existe, mais ce n’est pas une affaire de police, c’est une affaire d’éducation.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous invite à voter en faveur de cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Ivan Renar applaudit également.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture. Cher collègue Bodin, eh oui, lors d’un débat devant la commission de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat, j’ai affirmé que le problème de la présence ou de l’absence des élèves à l’école était d’ordre scolaire. Je ne sais pas si c’est une erreur ; cela me paraît une évidence.
M. Yannick Bodin. Vous avez raison, ce n’est pas un problème sécuritaire !
M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture. Si cette proposition de loi est soumise à la commission de la culture et non à une autre commission, par exemple à la commission des lois, c’est parce qu’il ne s’agit pas d’un problème fondamentalement sécuritaire.
M. Claude Bérit-Débat. La réponse est sécuritaire !
M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture. Monsieur Bodin, même en faisant montre d’une relative prudence, vous avez, s’agissant de ce dispositif, employé certains qualificatifs : « inintelligent », « idiot ». J’ai été pendant quinze ans le maire de la cité qui s’honore de fabriquer des bêtises, alors je ne crains pas les débats de nature stylistique ! (Sourires.)
J’en viens au fond. Nous l’avons tous souligné au cours de ce débat : l’absentéisme scolaire est un phénomène aux multiples facettes, dont les causes sont diverses et les effets parfois dévastateurs. C’est bien là le problème ! Il est donc nécessaire d’agir sur plusieurs leviers.
Le volet proprement scolaire est traité dans les réformes de l’enseignement primaire et des lycées professionnels et généraux, mais aussi dans la rénovation en cours du système d’orientation – ce point très important a été souligné à juste titre et par l’un des vôtres – et dans les mesures de suivi et de traitement du décrochage scolaire. Cependant, oublier le rôle que les parents peuvent et doivent jouer dans la lutte contre l’absentéisme scolaire serait une erreur. C’est pourquoi la proposition de loi insiste sur la responsabilisation et l’accompagnement des familles.
Le but principal du texte est d’aider certains parents à prendre conscience des conséquences graves que peuvent entraîner les absences de leur enfant. Il faut mobiliser des parents parfois découragés, parfois en proie à de graves difficultés, en comptant aussi sur un effet de dissuasion. Je suis convaincu que les avertissements adressés par les inspecteurs d’académie et la seule menace d’une suspension seront à eux seuls très efficaces pour diminuer l’absentéisme. Certes, cela ne règle pas tout, il faut également aider les parents, c’est vrai, mais il s’agit là d’un signal fort, marquant que l’on ne peut aller plus loin et qu’il est temps de se ressaisir.
La proposition de loi n’a donc pas pour finalité de punir les parents – quelle idée ! – ou d’améliorer les comptes de la sécurité sociale. Loin des polémiques, en multipliant les occasions d’échanges avec les parents, le texte vise à inciter les parents à une supervision plus attentive et plus active de leurs enfants – la société ne peut pas tout faire ; il est souhaitable que les parents prennent leurs responsabilités et soient incités à le faire –, à stimuler le dialogue entre l’éducation nationale et les parents, à faciliter l’orientation des familles en difficultés vers les dispositifs d’accompagnement et d’aide à la parentalité les plus adéquats.
Voilà les termes du débat. Voilà ce sur quoi nous avons à nous prononcer. Voilà ce sur quoi il faut espérer que nous saurons, ici, promouvoir une mesure qui fera beaucoup baisser l’absentéisme scolaire. Monsieur le ministre, j’ai moi aussi manifesté une certaine surprise devant les chiffres que vous avez cités tout à l’heure. Malheureusement, ils sont exacts. La situation est grave, il faut saisir tous les leviers pour gagner ce combat.
C’est la raison pour laquelle, mes chers collègues, je vous demande de rejeter la motion tendant à opposer la question préalable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Luc Chatel, ministre. Monsieur Bodin, vous nous reprochez de changer d’avis. Ce qui est certain, c’est que, vous, vous ne changez pas de discours : vous êtes passés maîtres dans l’art de la caricature systématique du Gouvernement.
Je ne prendrai qu’un exemple. Vous mettez en avant une réorientation de la politique du Gouvernement, un écran de fumée pour séduire les électeurs de l’extrême droite.