M. Jacques Blanc. Bravo !
M. Bruno Le Maire, ministre. Les circuits commerciaux présentaient un défaut de transparence. Nous avons, sur votre initiative, mesdames, messieurs les sénateurs, renforcé considérablement l’Observatoire des prix et des marges, à la tête duquel nous placerons – j’en prends ici l’engagement – une personnalité disposant de toute la compétence et de toute l’autorité nécessaires pour mettre fin à un certain nombre d’abus.
En effet, nous ne pouvons pas continuer à accepter qu’un kilo de fruits ou de légumes dont le coût de revient pour le producteur est de 60 centimes d’euro soit vendu à perte par celui-ci à 40 centimes d’euro et se retrouve ensuite commercialisé, dans la grande distribution ou ailleurs, à 1,60 euro, 1,70 euro, voire 2 euros, ce qui ne permet pas à l’agriculteur de couvrir son propre coût de production. Ce n’est pas possible ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
La profession agricole était éclatée entre des interprofessions qui manquaient d’autorité et des organisations professionnelles divisées. Vous avez prévu, dans ce texte de modernisation de l’agriculture et de la pêche, de renforcer les organisations de producteurs et les interprofessions. Dans le domaine agricole plus qu’ailleurs, l’union fait la force !
Or, cette union, c’est vous qui l’avez mise en place, à travers les dispositifs de cette loi de modernisation de l’agriculture. C’est vrai en particulier pour la pêche…
M. Charles Revet, rapporteur. Tout à fait !
M. Bruno Le Maire, ministre. … puisque le présent texte préfigure la mise en place d’une véritable interprofession dans ce domaine. Pour la première fois, il existera – d’ici à la fin de l’année 2010, je l’espère – une interprofession de la pêche, qui permettra de défendre au mieux les intérêts des pêcheurs en France.
Vous le voyez, ce projet de loi vise tout entier à permettre à nos agriculteurs et à nos pêcheurs de mieux défendre leurs intérêts, de mieux défendre la qualité de leur production ainsi que, tout simplement, de mieux défendre leur travail, face à une concurrence accrue en Europe et ailleurs.
Ce texte renforce la compétitivité de l’agriculture française et permet de préserver le modèle auquel nous sommes tous attachés, qui est fondé sur la présence d’agriculteurs et de pêcheurs sur l’ensemble du territoire.
Il répond également à des préoccupations très concrètes. Il vous revient d'ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs, d’avoir pointé ces dernières et d’avoir su y apporter des réponses pertinentes.
Je pense à certaines dispositions, qui ont peut-être échappé au grand public, mais certainement pas aux professionnels agricoles, qui les attendaient depuis longtemps.
Il en est ainsi de la création du GAEC – groupement agricole d’exploitation en commun – entre époux, qui est une manière de reconnaître, très concrètement, la valeur du travail accompli par les conjoints.
Je pense également à la suppression des remises, rabais et ristournes, qui a été décidée sur votre initiative. Le Gouvernement était moins ambitieux sur ce point, et c’est vous qui avez demandé la suppression totale des remises, rabais et ristournes, afin de mieux équilibrer les relations commerciales.
M. Gérard César, rapporteur. C’est vrai !
M. Bruno Le Maire, ministre. Je pense à la taxe sur la spéculation sur les terres agricoles, qui a été affectée à l’installation des jeunes agriculteurs.
M. Charles Revet, rapporteur. Très bien !
M. Bruno Le Maire, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, si vous n’aviez pas réclamé une telle mesure, elle n’aurait sans doute pas existé. Les jeunes agriculteurs vous doivent beaucoup ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Je pense à la réassurance publique. Voilà des décennies que les gouvernements successifs essayaient de mettre en place un tel dispositif, afin de créer les outils assurantiels qui n’existent pas aujourd’hui.
Les éleveurs de France – je le dis devant Jean-Paul Emorine, qui a été le maître d’œuvre de cette réassurance publique – ne disposent à ce jour d’aucun outil assurantiel, parce que, faute de réassurance publique, les assureurs privés ne veulent pas leur proposer d’instrument pertinent.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est parce que vous avez exigé une telle réforme et insisté auprès de Bercy, de Matignon et des différents ministères intéressés que la réassurance publique est désormais une réalité. Elle favorisera la création d’outils assurantiels, y compris pour l’élevage et les fourrages, ce qui permettra de doter l’ensemble des filières agricoles d’une assurance. Il s'agit là pour vous d’un véritable succès et pour les agriculteurs d’une avancée majeure. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Je pense également – je manque malheureusement de temps pour évoquer tous les débats que nous avons menés –, aux échanges concrets et très passionnants qui ont été les nôtres sur la reconnaissance de la truffe,…
M. Yvon Collin. C’était indispensable (Sourires.) !
M. Bruno Le Maire, ministre. … sur la clairette de Die, sur les viandes d’Aubrac et de Salers en Lozère. (M. Jacques Blanc s’exclame.)
Cher Jacques Blanc, j’aurais manqué à tous mes devoirs si je n’avais pas cité la Lozère en votre présence ! (Sourires.)
Toutes ces mesures confirment que vous restez, mesdames, messieurs les sénateurs, les meilleurs spécialistes du monde agricole. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Je participais lundi dernier au conseil des ministres de l’agriculture à Bruxelles. Cette réunion m’a conforté dans l’idée que ce texte de loi n’était pas un achèvement, mais plutôt un début, celui d’un nouvel élan pour notre agriculture.
Il y a moins d’un an, les positions françaises sur la régulation européenne des marchés agricoles étaient totalement isolées en Europe. Elles suscitaient des réactions négatives de l’ensemble de nos partenaires de l’Union et de la Commission européenne. Après un an de travail, de discussions, de pédagogie et de convictions, elles sont le point d’équilibre des discussions en Europe !
Le rapport Lyon qui a été adopté par le Parlement européen reprend mot pour mot les propositions formulées par la France et par l’Allemagne en juillet et en août derniers sur la régulation des marchés agricoles. Le rapport du groupe à haut niveau qui a été remis lundi dernier au conseil des ministres de l’agriculture reprend mot pour mot les propositions françaises formulées en juillet et en août derniers et présente nombre de dispositions que vous avez votées, mesdames, messieurs les sénateurs, dans le cadre de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche !
Je pense à la mise en place des contrats entre industriels et producteurs, qui est recommandée par la Commission européenne et par les États membres comme la solution pour la stabilisation du revenu des producteurs. Je pense à la transparence sur les volumes et sur les circuits commerciaux, qui correspondent mot pour mot aux dispositions que vous avez adoptées. Je pense au renforcement des organisations de producteurs et des interprofessions. Je pense à la modification du droit de la concurrence, pour permettre aux producteurs de mieux négocier leurs prix avec les industriels.
Mesdames, messieurs les sénateurs, toutes ces mesures, vous les avez voulues, avec un temps d’avance sur les autres pays européens, dans le cadre de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche. Il s'agit d’un véritable succès pour les représentants du peuple français !
Je le répète, ce texte de loi n’est pas un achèvement, il est un début. Il devra être prolongé par la mise en place de plans de développement des filières. Celles-ci ont toutes besoin de soutien pour se moderniser, innover, investir, se restructurer, être toujours plus compétitives, de façon à maintenir l’activité agricole sur l’ensemble du territoire.
Je présenterai ces plans de développement à partir du mois de septembre prochain pour ce qui concerne le lait, l’élevage, les fruits et légumes, puis les grandes cultures, de façon à accompagner chacune de ces filières dans son nécessaire développement.
Je pense également aux choix sur la politique agricole commune qui se dessineront d’ici à la fin de l’année 2010. Je le répète, nous avons gagné en persuasion. Nous avons fait de nos positions le point d’équilibre des discussions européennes. Il faut maintenant transformer l’essai, poursuivre nos efforts.
Nous le ferons, notamment, en présentant une position commune franco-allemande au mois de septembre prochain. L’agriculture, qui divise depuis vingt ans nos deux pays au plus haut niveau, qui a provoqué des crises politiques majeures entre eux depuis vingt ans, sera désormais un point d’entente entre la France et l’Allemagne.
M. Jacques Blanc. C’est capital !
M. Bruno Le Maire, ministre. Je pense enfin aux négociations internationales, sur lesquelles il n’est pas question de baisser la garde. Nous ne pouvons accepter que l’agriculture soit la variable d’ajustement systématique des discussions internationales, que ce soit avec le Mercosur ou dans le cadre de l’OMC ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Bruno Sido. Très bien !
M. Bruno Le Maire, ministre. Pour conclure, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais rappeler combien défendre ce texte devant vous a été pour moi un plaisir et un honneur. J’ai beaucoup appris de cette discussion, et je tenais à vous en remercier.
Mon dernier mot sera évidemment pour les agriculteurs et pour les pêcheurs de France, pour leur dire toute ma confiance dans leur avenir et dans leur talent. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre.
Mme Marie-Agnès Labarre. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous me permettrez de ne pas partager l’enthousiasme de la majorité…
M. Charles Revet, rapporteur. C’est dommage !
M. Jacques Blanc. Quelle erreur !
Mme Marie-Agnès Labarre. … et de faire entendre une autre tonalité au sujet de ce projet de loi.
Comme vous le savez, je suis déjà intervenue dans cet hémicycle pour m’opposer à l’adoption de ce texte par le Sénat. Force est de le constater, malgré quelques modifications à la marge, le texte qui est issu des travaux de l’Assemblée nationale participe de la même conception libérale de l’agriculture, qui d'ailleurs est identique à la vision de la Commission européenne, contrairement à ce que vous voulez nous faire croire.
À ce titre, je voudrais évoquer les négociations menées autour de l’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada, qui est discuté dans le dos des citoyens européens, alors même qu’il emportera des conséquences importantes sur leur quotidien et sur l’agriculture.
En effet, cet accord pourrait éliminer le droit des agriculteurs à emmagasiner, réutiliser et vendre des semences. Il pourrait donner aux sociétés biotechnologiques, pharmaceutiques, de pesticides, de semences et de céréales de nouveaux et puissants outils leur permettant de décider comment se fera l’agriculture et qui en seront les acteurs. Voilà la vision libérale que défend l’Union européenne dans l’agriculture, comme dans tous les autres secteurs de la société d'ailleurs, et que vous semblez partager !
Au terme de l’examen à la vitesse grand V, puisqu’il n'y a pas eu de navette, de ce projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, la déception du monde agricole peut être grande.
En n’acceptant aucun amendement fondamental à même de modifier la portée, certes limitée, de ce texte, la majorité présidentielle a choisi de verrouiller le débat sur les questions de fond : rien sur les prix d’achat et les revenus des agriculteurs ; rien sur la gestion de l’offre et de la régulation des marchés ; rien sur le modèle agricole que la France affirmait porter au niveau communautaire et dans le cadre des négociations internationales.
Pour nous, la loi de modernisation de l’agriculture aurait dû être l’occasion de réorienter rapidement et massivement l’agriculture vers des systèmes de production écologiquement responsables et susceptibles de permettre aux paysans de vivre décemment. Toutefois, ces objectifs ne semblent pas être ceux du Gouvernement !
Pire, le présent projet de loi prévoit une véritable restructuration globale de l’agriculture française, au nom de l’entreprise et de la compétitivité. Ainsi, l’élimination des petits paysans devrait en être encore accélérée. En effet, il existe toujours dans ce texte de nombreux outils qui soit ne régleront rien aux problèmes des agriculteurs, soit les aggraveront.
Monsieur le ministre, vous glorifiez à cet effet la contractualisation, qui, selon vous, permettra d’assurer une rémunération à tous les agriculteurs. Au moment où la production agricole a besoin de régulation et de maîtrise des volumes produits, cette démarche ne nous apparaît pas comme une solution aux crises agricoles actuelles. La contractualisation ne peut remplacer une politique agricole ; la somme des contrats ne peut aboutir à la maîtrise des volumes et des prix. Nous allons vous le démontrer !
M. le ministre a affirmé dans cette assemblée : « Nous assumons l’idée que la production alimentaire est décidée en fonction du consommateur. Dans cette optique, nous abandonnons les quotas. » Ainsi, en pleine crise financière, qui démontre l’inanité des discours des libéraux, voici la solution que propose le Gouvernement aux agriculteurs n’arrivant plus à vivre de leur travail : le marché, toujours le marché, rien que le marché !
Si la généralisation des contrats constitue en soi une bonne mesure, elle ne peut en aucun cas garantir des prix rémunérateurs aux producteurs. Qu’est-ce qu’un contrat sinon la simple transcription d’un rapport de forces ? Or le rapport de forces entre les producteurs et les industriels n’est évidemment pas à l’avantage des premiers.
Qui obligera la grande distribution à accepter des prix rémunérateurs pour les agriculteurs ? Personne, encore moins dans un contexte de marchés structurellement excédentaires du fait du démantèlement des politiques publiques de gestion des marchés et de maîtrise des productions. En effet, la volatilité des prix qui fragilise le monde paysan est l’une des conséquences de la suppression des outils de régulation des productions agricoles à l’échelon tant communautaire que national. C’est ce qu’admet d’ailleurs M. le ministre à demi-mots quand il précise : « La contractualisation, c’est indispensable, c’est la seule réponse à la volatilité des prix, et une des conséquences de la suppression des quotas laitiers. » La misère sociale dans laquelle est plongée une grande partie de l’agriculture est bien l’une des conséquences des politiques de dérégulation de la Commission européenne. Que propose le Gouvernement ? Simplement d’accompagner ce démantèlement !
En effet, loin de les résoudre, la contractualisation aggravera les problèmes des paysans, si elle ne se fait pas sur un volume régulé. En cela, la situation de la production porcine est éclairante : alors que les échanges au sein de cette filière sont contractualisés à près de 93 %, les revenus des paysans se sont dégradés du fait de l’absence d’une régulation des volumes de production. C’est la conséquence de la situation d’excédent structurel que connaît la filière depuis dix ans, avec un taux d’autosuffisance oscillant entre 105 % et 107 %.
Ainsi, en cas de surproduction entretenue par les industriels, la contractualisation ne constitue en rien une véritable et ambitieuse politique agricole. Généralisée par ce projet de loi, elle ne renforcera pas le pouvoir des producteurs et ne garantira pas une meilleure répartition de la valeur ajoutée en leur faveur. Un contrat individuel entre producteur et industriel ne serait utile qu’avec une maîtrise publique de la production et une négociation collective des prix sur la base des coûts de production, y compris ceux du travail.
Or le Gouvernement, soutenu en cela par la Commission européenne, ne souhaite pas aller dans ce sens, au nom de la concurrence libre et non faussée. Ce sont donc les marchés qui font la pluie et le beau temps. Nous l’avons déjà vu lors de l’adoption du prétendu plan « anti-crise » à l’échelon communautaire, où le seul indicateur pris en compte par les libéraux était le cours de la bourse. Un plan censé s’attaquer à la spéculation, acclamé par les marchés… quelle triste ironie !
Pour l’agriculture, il en est de même : si la contractualisation devait permettre de rééquilibrer le rapport de forces entre les producteurs et les acheteurs, assurant aux premiers des prix rémunérateurs, on peut imaginer que les industriels se seraient insurgés contre ce projet de loi. Or, jamais nous ne les avons entendus se plaindre, trop contents qu’ils étaient de la passivité du Gouvernement ! En effet, les industriels auront tendance à ne pas contractualiser tous les volumes pour se laisser un minimum de souplesse, et ce seront les paysans non-contractualisés qui joueront le rôle de variable d’ajustement. On aboutira donc à une inévitable baisse des prix payés aux paysans.
Seule la loi, porteuse de l’intérêt général, pourrait garantir un droit au revenu pour les paysans en interdisant par exemple la vente à perte et en fixant des prix rémunérateurs minimaux. Je le répète : un prix contractualisé n’est pas un prix rémunérateur !
Ce projet de loi met en avant un autre outil, à l'article 9 : le système assurantiel. Tout d’abord, faut-il le rappeler, un système assurantiel ne crée pas de richesses mais répartit la richesse existante. Il ne peut donc jamais remplacer une politique publique et remédier à l’instabilité des prix agricoles. Bien pire, le système aujourd’hui proposé se résume ainsi : beaucoup d’argent public au profit des compagnies d’assurance pour le bénéfice d’une minorité d’agriculteurs. Nous sommes dans la même logique d’élimination : il y aura les agriculteurs qui pourront se payer de bonnes couvertures et ceux qui ne le pourront pas et qui, en cas de problème, devront cesser leur activité. Contre ce système, le groupe CRC-SPG a proposé un système mutualisé de garantie contre les aléas, que la majorité a rejeté.
Face à la conversion de terres agricoles en terres urbanisables – de 50 000 à 70 000 hectares par an –, face à la spéculation, aux difficultés d’installation et à la concentration foncière, l’absence de véritable volonté politique d’inverser la tendance est patente. Malgré la création d’observatoires départementaux de la consommation des espaces agricoles, aucun objectif chiffré n’est fixé et pratiquement aucun dispositif nouveau n’est prévu. La création d’une taxe sur les plus-values réalisées sur la vente de terrains agricoles devenus constructibles est bien envisagée, mais le niveau de celle-ci est totalement insuffisant pour lutter contre la spéculation foncière près des villes : le taux marginal de taxation de la plus-value est de 10 % dans le meilleur des cas, alors que le prix des terrains peut-être multiplié par plus de 100 à la suite de leur classement en zone constructible. L’amendement du groupe CRC-SPG qui tendait à élever ce taux à 50 % a été lui aussi rejeté par la majorité ; vous en porterez les conséquences.
Tels sont les outils que met en place ce projet de loi : non seulement ils ne permettent pas de répondre aux enjeux agricoles, mais, qui pis est, ils les aggravent.
Ce texte brille aussi par ses manques. Alors que la majorité des paysans, qui se tuent à la tâche, ne gagnent pas suffisamment pour vivre décemment, ce projet de loi ne prévoit aucun volet social. Pourtant, parce qu’ils sont de plus en plus précarisés, les agriculteurs exploitants se suicident plus que les autres professions. Leur taux de suicide est le plus élevé des catégories socioprofessionnelles : 32 pour 100 000, contre 28 pour 100 000 chez les ouvriers et 8 pour 100 000 dans les professions intellectuelles supérieures.
Que propose le Gouvernement ? Rien ! J’ai déjà dit que le législateur aurait été mieux inspiré d’instituer la règle de prix rémunérateurs, afin de garantir à tous les agriculteurs un droit au revenu.
Ce projet de loi aurait dû être l’occasion de s’attaquer au problème de l’accès au métier et au statut d’exploitant. L’accès au métier de paysan est conditionné à l’accès au statut social de chef d’exploitation, qui confère une reconnaissance de l’activité agricole de la personne et donne accès aux droits spécifiques des paysans. Le problème, c’est que l’accès au statut est conditionné à la direction d’une ferme dont l’importance correspond au minimum à une demi-SMI, la surface minimum d’installation. Cette référence pose de nombreux problèmes que notre groupe a déjà évoqués sans obtenir aucune réponse valable de la part du Gouvernement.
Enfin, il est consternant de voir que ce projet de loi ne mentionne nullement l’inscription du modèle agricole français au sein d’un environnement international, particulièrement européen, surtout au regard de l’échéance de 2013 pour la PAC.
Deux crises aujourd’hui démultiplient leurs effets : d’une part, la crise écologique, qui disqualifie notre modèle de développement économique basé sur le productivisme ; d’autre part, la crise économique causée par le néolibéralisme mondialisé, qui a partout dérégulé les échanges.
L’agriculture se trouve au confluent de ces deux crises et il devient urgent d’y apporter une réponse. Le modèle productiviste d’agriculture intensive doit laisser la place à une agriculture soucieuse de son environnement, avec des productions relocalisées. De même, les crises successives que l’agriculture a connues ces dernières années – nous en avons eu un exemple encore récemment avec la crise du lait – montrent que les politiques de dérégulation engagées par l’OMC et soutenues par l’Union européenne doivent prendre fin.
La France doit promouvoir à l’échelon communautaire la mise en œuvre de toutes les mesures permettant de garantir des prix rémunérateurs aux producteurs : la mise en place d’un prix minimum indicatif européen pour chaque production, l’activation de dispositions visant à appliquer le principe de préférence communautaire, une politique douanière européenne garantissant que les produits importés soient fabriqués dans des conditions sociales et environnementales acceptables et payés à un juste prix aux producteurs.
La France doit aussi promouvoir au niveau communautaire la mise en œuvre de mécanismes de régulation, notamment le maintien ou la création de quotas pour certaines productions, et l’activation, en cas de crise exceptionnelle, d’outils de stockage public de productions agricoles et alimentaires.
Enfin, il nous faut mettre en place les outils permettant une véritable planification de la transition écologique de l’agriculture. Nous devons tendre vers une agriculture beaucoup plus diversifiée, réintégrant activités agricole et d’élevage, rapprochant les cycles du carbone et de l’azote, c'est-à-dire une agriculture relocalisée, autonome, valorisant la richesse potentielle des écosystèmes cultivés, en lieu et place de systèmes fondés sur l’usage intensif d’engrais chimiques et de pesticides et sur la motorisation à outrance.
Cette agriculture nous permettra de contribuer à la lutte contre le changement climatique, de diminuer l’utilisation de carbone fossile et des autres ressources non renouvelables, de produire des aliments de meilleure qualité, de protéger l’environnement des contaminations diverses et de restaurer la biodiversité.
Cela implique une agriculture plus intensive en travail, reposant à la fois sur des prix rémunérateurs pour payer le travail agricole à son juste prix et une véritable politique foncière volontariste permettant de stopper la course à l’agrandissement des exploitations, voire, dans certaines régions, d’inverser ce phénomène, en facilitant l’installation d’agriculteurs.
Une loi qui ne prendrait pas en compte l’ensemble des aspects que je viens d’évoquer ne résoudrait pas les enjeux auxquels l’agriculture du xxie siècle doit répondre. Loin de « moderniser » la situation, ce texte ne fait que retarder la date où il nous faudra prendre des mesures drastiques pour réparer les dégâts sociaux et environnementaux du libéralisme et du modèle d’agriculture productiviste qui lui est lié.
Dans ces conditions, les sénateurs du groupe CRC-SPG voteront contre un texte de renoncement à une autre ambition agricole que celle que nous promet l’Union européenne ; ils voteront contre un texte muet sur les questions fondamentales des prix et des revenus, de l’installation, des pratiques agricoles, de la recherche, et en recul sur les questions environnementales ; ils voteront contre un texte inquiétant au regard de l’état actuel de l’agriculture européenne et nationale, contre un texte qui tourne le dos aux enjeux alimentaires. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Boyer. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. Jean Boyer. Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, monsieur le président de la commission de l'économie, avocats de notre agriculture (Sourires), mes chers collègues, nous nous prononçons aujourd’hui sur les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche.
Le texte présenté par le Gouvernement tend à répondre à l’urgence de la crise que traverse l’agriculture française.
Certes, depuis l’après-guerre – ce temps où vous n’étiez pas encore né, monsieur le ministre ; je peux en parler, moi qui suis un ancien agriculteur (Sourires) –, l’agriculture a subi des péripéties : elle a connu des mutations successives et des inquiétudes fondées. En 1955, la France comptait 2 300 000 exploitations, aujourd’hui il en reste 580 000. On dénombrait 8 500 000 actifs, aujourd’hui, ils ne sont plus que 1 300 000. Le poids de l’agriculture dans le PIB était de 12 %, il atteint aujourd’hui 2 %.
M. Charles Revet, rapporteur. Un peu plus !
M. Jean Boyer. En revanche – il nous faut être objectifs – la part des subventions dans le revenu brut d’exploitation était de 2 %, elle est aujourd’hui de 80 %.
À cette époque, la mission principale de l’agriculture était de nourrir les hommes. Aujourd’hui, son rôle s’est ouvert et diversifié.
Nous référer à une situation immédiate, c’est rappeler par exemple que le volume de nos exportations a diminué de 20 % entre 2008 et 2009 et que les revenus des agriculteurs, en particulier dans certaines filières comme celle du lait, ont plongé de près de 50 %.
Bref, l’agriculture française est morose, elle est inquiète parce qu’aucun arc-en-ciel n’est visible à l’horizon.
Dans le contexte européen et mondial de cette jungle économique, sociale, et parfois démagogique, il y a le vouloir mais aussi le manque de vérité entre le rapport prix et qualité.
Dans sa version finale, ce texte ne répond pas tout à fait aux défis que le monde agricole français doit relever. Le peut-il ? Non. En effet, la politique agricole n’est pas une politique franco-française. Elle est en fait l’une des rares politiques où les décisions, le cadre et les subventions se décident à l’échelon européen.
Or le texte intervient à un moment où le bilan de santé de la PAC vient de prendre fin, où les contours de la PAC de 2013 ne sont pas encore dessinés et où de fortes incohérences subsistent.
Dans cette période transitoire, ne fallait-il pas innover ? Je sais, monsieur le ministre, qu’il est facile de dire et de critiquer et plus difficile de faire et de construire. Aussi, comme je ne pense pas être un « critiqueur » par nature, je ne me prononcerai pas sur cette question.
La crise agricole était peut-être l’occasion de soulever le paradoxe, que l’on entend évoquer dans nos communes, nos pays, selon lequel il est absurde de vouloir conjuguer la « défense du pouvoir d’achat », donc, la pression à la baisse des prix à la consommation, avec la garantie de revenus décents pour les producteurs de base, c’est-à-dire les agriculteurs.
La loi répond par un ensemble de mesures diverses, dont beaucoup témoignent d’une nouvelle administration, voire – je le dis sans aucune démagogie, sans esprit de polémique, monsieur le ministre – d’une sur-administration de notre agriculture, qui fait que les complexités administratives sont décourageantes et, parfois, contradictoires.
Toutefois, dans ce projet de loi de modernisation de l’agriculture, plusieurs points nous semblent importants, voire déterminants.
À ce titre, j’évoquerai les circuits courts.
Très sincèrement, nous pensons que cette conception devrait être positive, car elle est fondée sur le bon sens, la transparence, la sécurité alimentaire, mais aussi la valorisation locale.
Il faudra que, avec tout le respect de la légalité souhaité, car il ne s’agit pas de commettre des infractions, l’accès au marché des producteurs locaux puisse se réaliser afin de donner satisfaction à tout le monde.
Monsieur le ministre, on a le sentiment dans la France d’en bas – elle a peut-être tort de penser ainsi –, que dans notre pays, on veut souvent « laver plus blanc que blanc ». Dans l’alimentation, il faut certes avoir une rigidité, mais cette dernière ne doit pas aboutir à une disparité à la fois sanitaire et réglementaire.
Un produit qui a parcouru plus de deux mille kilomètres avant d’arriver dans l’assiette du consommateur peut-il présenter de meilleures garanties qu’un produit transparent, fabriqué à quelques dizaines de kilomètres ?
Dans le débat, j’avais souligné que le souci de transparence était très noble, mais que celle-ci était parfois très difficile à réaliser.
Comparons, par exemple, les conditions de production de porcs en Bretagne, où il n’y a aucun surcoût de bâtiment d’élevage, de transport d’aliments puisque ces derniers arrivent à Brest et où les abattoirs sont compétitifs, et celles de la Haute-Loire, département de la France rurale, à mille deux cents kilomètres, où le volume d’abattage est de seulement 3 500 tonnes par an !
Monsieur le ministre, de crainte de dépasser mon temps de parole, je ne m’étendrai pas davantage sur cette question, même si la sérénité qui caractérise votre forte personnalité est reconnue nationalement ! (Sourires.)
L’observatoire des prix est un autre point positif.
C’est là un apport essentiel au texte, proposé par notre collègue du groupe Union centriste Daniel Dubois.
L’utilité de cet observatoire se mesurera à sa capacité de rendre publique la liste des transformateurs et des distributeurs qui ne jouent pas le jeu de la transparence des prix et des marges. Espérons que l’efficacité de son action ne sera pas écornée par le fort encadrement de certaines procédures !
En dehors de sa capacité de sanction, l’utilité de cet observatoire dépendra de la portée auprès des politiques, des professionnels et du public, de ses analyses et recommandations.
C’est ainsi qu’il aura sa raison d’être. Vous entendez ce message depuis des mois, et vous l’avez fait vôtre, parce que vous avez la volonté de l’appliquer.
Autre mesure que l’on peut souligner dans ce texte, parce qu’elle est une réponse pratique à une distorsion de compétitivité : l’assouplissement des seuils déclenchant les procédures d’autorisation des bâtiments d’élevage.
Notre groupe a proposé en vain une telle mesure, tout en la subordonnant à la mise en place d’un méthaniseur collectif, afin de limiter l’augmentation des effluents.
Le Gouvernement – vous le savez mieux que moi, monsieur le ministre, car je ne l’ai appris, pour ma part, que la semaine dernière –, a finalement accepté cette mesure à l’Assemblée nationale, et nous nous en réjouissons.
Alors que l’abattage des porcs français a stagné pendant de nombreuses années, l’Allemagne a connu une croissance de 35 % en dix ans. Espérons que cette mesure permettra de rattraper notre compétitivité dans ce secteur !
Quant au volet « contractualisation », on ne peut l’aborder qu’en disant que celle-ci constituera un point fort, même si les durées de contrats ne répondent pas à une efficacité pérenne.
Enfin, s’agissant du secteur de la pêche,…