M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre.
M. Jacques Legendre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a mené depuis le printemps un cycle d’auditions consacré à l’enseignement scolaire. Elle vous a ainsi entendu, monsieur le ministre de l’éducation nationale, ainsi que le nouveau directeur général du ministère et ancien recteur de l’académie de Créteil, Jean-Michel Blanquer, la sociologue Marie Duru-Bellat et les auteurs des deux récents rapports de la Cour des comptes et de l’Institut Montaigne, consacrés respectivement à l’organisation du système éducatif et à l’échec scolaire à l’école primaire. Attachée à la spécificité de l’enseignement agricole, la commission a également reçu Marion Zalay, directrice générale de l’enseignement et de la recherche au ministère de l’agriculture.
À l’issue de ces auditions, un constat s’est imposé : l’école républicaine peine à réduire les inégalités sociales, mais aussi les inégalités territoriales, moins souvent évoquées mais qu’il est essentiel de prendre en compte.
M. René-Pierre Signé. Absolument !
M. Jacques Legendre. Ce diagnostic lucide ne nous condamne cependant ni au fatalisme ni à l’impuissance.
Trois leviers nous paraissent devoir être actionnés en priorité pour favoriser l’instauration d’une authentique égalité des chances entre les élèves : la gouvernance des établissements, l’individualisation de la pédagogie et la rénovation du système d’orientation.
Sur ces trois points, l’expérimentation locale, soigneusement encadrée et conjuguée à une évaluation rigoureuse des dispositifs, paraît un moyen adéquat de déterminer les meilleures pratiques et d’en assurer la diffusion. Cependant, afin de garantir l’équité sur l’ensemble du territoire, ces expérimentations devront s’inscrire dans un cadre national clairement défini.
Tant le déplacement des membres de la commission en Finlande que les derniers rapports de l’OCDE, de la Cour des comptes et de l’Institut Montaigne nous amènent à souligner le rôle que jouent l’organisation territoriale et le pilotage local dans les performances des systèmes éducatifs.
Les pays qui favorisent la constitution de réseaux décentralisés d’établissements dotés d’une large autonomie tendent à bénéficier à la fois d’un plus grand nombre de bons élèves et d’un plus faible taux de décrochage scolaire. Il est important de noter que la recherche de l’excellence n’est pas incompatible avec la réduction de l’échec scolaire. Les deux objectifs peuvent et doivent donc être poursuivis de front.
C’est au niveau de l’école primaire que les plus grands bénéfices peuvent être attendus d’une rénovation de la gouvernance locale. À la différence des collèges et des lycées, les écoles n’ont pas la personnalité juridique ; elles ne disposent ni de l’autonomie financière ni de l’autonomie administrative.
C’est pourquoi, mes chers collègues, nous avions inscrit dans la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales la possibilité de créer à titre expérimental des établissements publics d’enseignement primaire, ou EPEP. Le conseil d’administration d’un EPEP devait comporter des représentants des collectivités territoriales, des enseignants et des parents d’élèves, sur le modèle de celui des établissements du second degré. L’ensemble des parties prenantes auraient ainsi été associées. La coopération entre les communes et l’éducation nationale en aurait été resserrée, pour le plus grand bénéfice des élèves.
Je ne peux que déplorer qu’aucun EPEP n’ait pu voir le jour, faute de la publication du décret en Conseil d’État nécessaire. De même, je regrette que n’ait toujours pas été pris le décret prévu par la loi du 23 avril 2005, qui doit rénover le recrutement, la formation et le statut des directeurs d’école. Il n’est pas acceptable que l’inaction de l’administration freine ainsi la mise en œuvre d’initiatives novatrices voulues par le législateur. Une mission a désormais été confiée à l’un de nos collègues de l’Assemblée nationale pour réfléchir aux évolutions possibles du statut des écoles et de leurs directeurs. Nous souhaitons, monsieur le ministre, qu’elle aboutisse rapidement.
M. René-Pierre Signé. Bravo !
M. Jacques Legendre. L’individualisation de la pédagogie constitue le nouvel horizon des politiques éducatives depuis plusieurs années. Des dispositifs d’aide personnalisée ont progressivement été installés en primaire, puis au lycée professionnel, et le seront bientôt au lycée général et au lycée technologique.
Le cadre formel de la classe ne suffit manifestement plus pour accompagner l’ensemble des élèves vers la réussite scolaire. C’est pourquoi, sans remettre en cause l’uniformité des programmes et des objectifs sur le territoire national, il est nécessaire d’adapter la pédagogie à la diversité des élèves et d’accorder plus d’attention à ceux qui en ont le plus besoin. Nous retrouvons là l’enseignement de Montaigne, qui estimait déjà que « ce n’est pas miracle si, en tout un peuple d’enfants, ceux qui entreprennent d’une même leçon de régenter plusieurs esprits de si diverses mesures et formes, en rencontrent à peine deux ou trois qui rapportent quelque juste fruit ». Cette observation d’un homme du xvie siècle est encore d’actualité !
M. René-Pierre Signé. Elle était prophétique !
M. Jacques Legendre. La relation particulière qui s’instaure entre l’élève et l’enseignant au cours des heures d’aide personnalisée peut permettre aux enfants de prendre confiance en eux et goût à l’étude. Le regard porté par les enseignants sur leurs élèves en difficulté changera également au fur et à mesure que se révélera leur envie d’apprendre. Les conseils de Fénelon – excusez-moi de le citer, je suis un élu de Cambrai ! (Sourires) – retrouvent ici toute leur actualité : « La curiosité des enfants est un penchant de la nature qui va comme au-devant de l’instruction ; ne manquez pas d’en profiter ! »
Toutefois, la réussite des dispositifs dépendra d’une authentique rénovation des méthodes pédagogiques. Les heures d’aide personnalisée ne doivent pas, en effet, décalquer simplement la classe habituelle. Elles doivent, au contraire, promouvoir une façon d’enseigner différente.
Si les enseignants doivent conserver une large autonomie dans le choix des méthodes et des supports, il faut les accompagner dans leur travail de réflexion pédagogique. Ils ne doivent pas être laissés à eux-mêmes. Leur formation initiale et continue devra les préparer à répondre aux besoins différenciés des enfants. Les corps d’inspection auront également un rôle éminent de soutien et de coordination à jouer.
L’orientation est le troisième levier important pour assurer l’égalité des chances et lutter contre le décrochage scolaire.
Quelles que soient les réformes de structure et d’organisation du lycée qui seront entreprises, le décrochage scolaire ne sera pas enrayé sans une refonte d’un système d’orientation éclaté en une vingtaine de réseaux indépendants. Une orientation subie, par défaut et trop souvent irréversible est une des causes majeures de l’échec au lycée et des sorties sans qualification du système scolaire.
C’est pourquoi la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a toujours demandé que soit mise en place une véritable préparation à l’orientation dès le collège. L’institution de parcours de découverte des métiers et des formations à partir de la classe de cinquième et l’option de découverte professionnelle de troisième sont des premiers pas intéressants. Il faudrait sans doute aller plus loin et prévoir que la scolarité de tout collégien lui permette d’aborder les trois dimensions des études : générale, technologique et professionnelle.
À l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, notre assemblée a jeté les bases du service territorialisé d’orientation dont le Président de la République avait appelé de ses vœux la création dans son discours d’Avignon consacré à la politique de la jeunesse. Nous avons souhaité agir sans attendre sur la formation initiale des conseillers d’orientation-psychologues : elle devra davantage prendre en compte la connaissance des filières, des qualifications et des métiers. L’élargissement de leur qualification ne pourra que renforcer leur rôle auprès des élèves et des familles.
Les pouvoirs du délégué interministériel à l’information et à l’orientation ont également été renforcés, et ses missions élargies. Le Sénat a obtenu que le délégué remette au Premier ministre, avant le 1er juillet 2010, un plan de coordination de l’action, aujourd’hui cloisonnée, des opérateurs de l’État. Il examinera ainsi les moyens de rapprocher, sous la tutelle du Premier ministre, l’Office national d’information sur les enseignements et les professions, l’ONISEP, qui dépend de l’éducation nationale, le Centre Inffo, piloté par le ministère de l’emploi, et le Centre d’information et de documentation pour la jeunesse, le CIDJ, placé sous la responsabilité du ministre de la jeunesse. Nous serons très attentifs aux conclusions de ce plan de coordination et à sa mise en œuvre concrète.
Les pistes de réflexion suggérées à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication par les auditions qu’elle a menées sont tout à fait compatibles avec les réformes que vous conduisez, monsieur le ministre, et que nous soutenons. Elles n’ont cependant pas toutes été pleinement explorées. Si nous souhaitons vaincre l’échec scolaire et assurer l’égalité des chances, il nous faudra, mes chers collègues, faire preuve d’audace et prendre plus résolument le chemin de l’expérimentation, de la pédagogie différenciée et de l’orientation choisie.
Oui, mes chers collègues, la volonté d’instaurer une véritable égalité des chances est partagée sur toutes les travées de notre hémicycle. Réaliser cette ambition n’est pas seulement affaire de moyens. Il y faut sans doute du temps, mais nous ne pouvons nous satisfaire que tant d’élèves restent encore sur le bord du chemin. Voilà pourquoi, monsieur le ministre, nous sommes prêts à accompagner toute action résolue en ce sens. Nous avons eu l’occasion, en étudiant jadis l’origine sociale des bacheliers ou, plus récemment, la composition injuste des classes préparatoires aux grandes écoles – je parle sous le contrôle de mon collègue Yannick Bodin –, de marquer cette volonté, commune à tous les membres de notre commission et au-delà, j’en suis sûr, du Sénat. Il nous faut maintenant continuer à avancer. Monsieur le ministre, nous serons exigeants à votre égard, parce que nous devons l’être pour le bien des enfants de ce pays ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre.
Mme Marie-Agnès Labarre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si l’égalité des chances dans l’enseignement primaire et secondaire était un objectif réellement partagé dans notre pays, nous n’aurions pas à faire ce constat alarmant : selon les comparaisons internationales réalisées par l’OCDE en matière de résultats scolaires, l’écart se creuse en France entre les meilleurs élèves et les plus faibles.
Le rapport de la Cour des comptes de mai 2010 intitulé « L’éducation nationale face à l’objectif de réussite de tous les élèves » révèle que 21 % de nos jeunes éprouvent des difficultés sérieuses en lecture au terme de la scolarité obligatoire. Oui, plus d’un jeune sur cinq n’a pas acquis les bases fondamentales de l’enseignement primaire à 16 ans !
Qui sont ces élèves réputés faibles ? Sont-ils nés au mauvais endroit au mauvais moment ? Ne sont-ils pas plutôt nés, c’est le cas de le dire, dans la mauvaise classe ? La France, toujours selon la Cour des comptes, est l’un des pays où le destin scolaire d’un enfant est fortement corrélé à ses origines sociales.
Quelques chiffres suffisent à le rappeler : en 2008, 78,4 % des élèves issus de catégories sociales favorisées ont obtenu un bac général, contre 18 % des élèves venant d’un milieu social défavorisé ; 20 % d’une classe d’âge sort du système scolaire sans diplôme ou avec le seul brevet. On devine de quels milieux sont issus ces « sans-grade »… Par ailleurs, la hiérarchie entre bac général, bac professionnel et bac technologique correspond à une certaine forme de « hiérarchie sociale ».
En clair, l’éducation nationale échoue à combler les inégalités les plus criantes. Elle les entretient même depuis longtemps, malgré les signaux d’alarme envoyés par les enseignants, qui militent notamment pour un renforcement de la mixité sociale, facteur d’entraînement des élèves issus d’un milieu culturellement pauvre, pour que la France se donne les moyens de ses ambitions proclamées et pour que ces moyens, dont l’affectation est jugée « illisible » par la Cour des comptes, soient correctement répartis, précisément évalués au regard de l’efficacité, pour une forme de discrimination positive, plus de moyens devant être alloués là où les besoins sont les plus grands, là où les fossés à combler sont le plus profonds, pour une amélioration de la formation, qui permette d’apprendre le métier « pour de vrai », et non d’obtenir un diplôme universitaire, fût-il de niveau « bac+5 », ne reflétant, contrairement aux diplômes de sortie de nos regrettées écoles normales d’instituteurs, l’acquisition d’aucune compétence professionnelle.
C’est parce que notre groupe partage l’aspiration des parents, des élèves et des enseignants à ce que l’école, le service public de l’éducation deviennent le lieu de la justice et de la réussite pour tous que ses membres estiment que l’école publique doit être repensée pour relever le défi majeur de l’égalité de tous les élèves face au système scolaire, quel que soit leur milieu social, culturel ou économique d’origine.
Nos élèves en échec ont aussi bien mal choisi le moment de se présenter au guichet de la relégation sociale, à l’heure où le Gouvernement multiplie les réformes, dont certaines constituent de véritables provocations au regard de la situation que je viens de décrire.
Ainsi, le Gouvernement applique de façon totalement irresponsable à l’éducation nationale sa révision générale des politiques publiques, la trop fameuse RGPP, qui, selon une logique purement comptable, prévoit le non-remplacement d’un fonctionnaire partant à la retraite sur deux et un cortège de suppressions d’emplois : 16 000 en 2010 et 17 000 envisagées en 2011.
La conséquence immédiate de l’application de cette politique est l’augmentation du nombre d’élèves par classe. Pour se justifier, le ministère affirme que « les études et expériences les plus récentes indiquent que la diminution des effectifs dans les classes n’a pas d’effet avéré sur les résultats des élèves ».
Cette contre-vérité est battue en brèche par une étude de Thomas Piketty et de Mathieu Valdenaire commandée en 2006 par la direction de l’évaluation et de la prospective du ministère. L’évidence s’exprime en ces termes : « l’allégement même d’un seul élève de l’effectif d’une classe conduit à une amélioration notable de la moyenne des enfants, particulièrement en primaire, pour les enfants en difficulté », spécialement dans les zones d’éducation prioritaire.
L’éducation nationale n’avait pas besoin de cette nouvelle cure d’austérité : notre pays ne lui consacre déjà plus que 3,9 % de son PIB, contre 4,5 % en 1995. Cette baisse a fait passer la France du deuxième au onzième rang des pays de l’OCDE.
Cela est d’autant plus révoltant que, en parallèle, de plus en plus de cadeaux sont faits à l’enseignement privé payant, par nature profondément inégalitaire : pas moins de 9 milliards d’euros sont ainsi consacrés chaque année au financement des établissements privés, qui ont bénéficié quant à eux d’un doublement du nombre de postes ouverts aux concours du CAPES en 2010.
Quand le Gouvernement « assouplit » la carte scolaire, le résultat est immédiat : l’apartheid scolaire se renforce. Comme l’a souligné le rapport de l’Inspection générale de l’éducation nationale de juin 2008, cet assouplissement favorise la « ghettoïsation des établissements scolaires », par des stratégies d’évitement des établissements où les résultats scolaires sont les plus faibles, ou qui sont réputés « dangereux ».
La Cour des comptes elle-même met en exergue le fait que « sur les 254 collèges “ambition réussite”, 186 établissements ont perdu des élèves, ce qui s’est traduit par une plus grande concentration dans ces collèges des facteurs inégalitaires contre lesquels doit lutter la politique d’éducation prioritaire ».
Quand le Gouvernement supprime les instituts universitaires de formation des maîtres, il fait des économies comptables à court terme : il sait qu’il multiplie les risques d’affaiblissement de la qualité de l’enseignement, ce dont certains paieront le prix plus tard.
Quand il supprime 3 000 postes dans les RASED, il sait aussi que ce faisant il n’agit pas, comme il ose le prétendre, dans le sens d’une réduction des inégalités et des risques d’échec. Il nie la spécificité et l’utilité d’un accompagnement effectué par des enseignants spécialisés, chargés d’aider les élèves en difficulté en matière d’apprentissage ou d’adaptation à l’école.
Comment tolérer cette politique éducative qui abandonne les plus faibles ? Ces jeunes en difficulté se trouvent relégués dans des filières injustement mésestimées, réorientés vers un enseignement professionnel et technologique qu’ils n’ont pas choisi pour lui-même, mais parce que c’est là qu’aboutissent tous ceux qui ont vu se fermer devant eux les portes de l’enseignement général. Cette discrimination négative de l’enseignement professionnel et technologique doit aussi être combattue.
Enfin, peut-on dire que la fermeture des petites écoles de moins de deux classes est de nature à faciliter la réussite scolaire ? La France est plus riche qu’au début du xxe siècle, mais elle ne pourrait plus s’offrir ces petites écoles de village ?
Le Gouvernement affiche une politique en faveur de l’égalité des chances mais, en réalité, au-delà des discours et de la communication, il met aujourd'hui en place des mesures profondément inégalitaires dans l’éducation nationale comme dans les autres domaines.
C’est pourquoi je veux, avec plus de vigueur que jamais, réaffirmer l’importance du secteur non économique de la connaissance, de la transmission du savoir. C’est là que résident notre richesse, notre avenir et celui des générations futures. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Bernadette Bourzai.
Mme Bernadette Bourzai. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’interviens à la place de Mme Françoise Cartron, retenue en Gironde.
Je voudrais évoquer la situation de l’école maternelle, en partant d’un constat : seulement 8 % des élèves ayant redoublé la classe de cours préparatoire obtiendront un jour le baccalauréat… Ce seul chiffre illustre l’importance essentielle de l’école maternelle pour la réussite à l’école primaire, bien sûr, mais aussi pour le reste du cursus scolaire. La préscolarisation doit être au cœur de nos réflexions sur une politique d’éducation permettant la réussite de tous les élèves. En effet, l’école maternelle est un lieu privilégié pour agir en vue de la réduction des inégalités sociales.
Le premier facteur de décrochage scolaire tient au langage. Le linguiste Alain Bentolila note ainsi que, « à l’arrivée au CP, les enfants les plus fragiles maîtrisent six fois moins de mots que les meilleurs ». Il est évident que des lacunes dans la construction du langage et dans l’acquisition du vocabulaire ont une influence désastreuse lorsque débute l’apprentissage de la lecture.
Des expériences comme le programme « Parler bambin » ont démontré que la familiarisation des tout jeunes enfants issus de milieux défavorisés avec des outils langagiers complexes et avec la notion de conversation en général accroissait de façon très significative leurs chances de réussite.
Pour de nombreux enfants, en particulier issus de l’immigration, l’école maternelle est aussi le premier point de contact avec la langue française. Elle doit donc être le lieu de l’apprentissage du langage et de la familiarisation de l’enfant avec la culture scolaire. Vous en convenez, monsieur le ministre, puisque lors de la présentation de votre plan de lutte contre l’illettrisme, vous avez affirmé que la maternelle était un rouage essentiel, qui « prépare les conditions d’entrée dans l’écrit ». En conséquence, les inspecteurs des classes de maternelle ont reçu pour consigne de se concentrer sur l’« apprentissage méthodique du vocabulaire, pour combler l’écart entre les milieux sociaux ».
On ne peut que se réjouir de ces déclarations d’intention. Il est cependant dommage que, depuis 2002, l’objectif de « réussite de tous les élèves » ait disparu des programmes de l’école maternelle. Il est surtout dommage, monsieur le ministre, que vos propos soient le miroir inversé de votre politique, comme en témoignent les trois exemples suivants.
Tout d’abord, des chercheurs en sciences de l’éducation comme Agnès Florin ont montré l’effet positif de la scolarisation dès 2 ans pour les enfants issus de milieux défavorisés. Cette scolarisation est d’ailleurs encouragée par la loi d’orientation de 1989, notamment dans les ZEP et les zones de revitalisation rurale. Or que faites-vous ? Vous décidez de ne plus comptabiliser les enfants de 2 à 3 ans pour les décisions d’ouverture de classes. Cela a d’ailleurs valu à l’État une condamnation par la cour administrative d’appel de Bordeaux en février dernier…
Ensuite, dans les fameuses fiches « antipédagogiques » préparées par vos services, la maternelle n’échappe pas aux coups de ciseaux : la scolarisation des enfants de 2 ans est rendue impossible. Vous proposez d’augmenter les effectifs pour diminuer le nombre d’enseignants, alors que toutes les expériences pédagogiques menées actuellement démontrent que l’apprentissage du langage nécessite des structures de taille réduite, permettant la mise en œuvre d’une pédagogie différenciée.
Enfin, la formation des maîtres est une question essentielle. Comment pouvez-vous prétendre renforcer le rôle de la maternelle dans la lutte contre le décrochage scolaire tout en éloignant encore un peu plus les jeunes enseignants d’une spécialisation adaptée ? Les modes d’apprentissage propres à l’école maternelle exigent de la part de l’enseignant un œil expérimenté, une formation approfondie, une bonne connaissance du développement de l’enfant. Comment un étudiant les acquerra-t-il dans le cadre de la « mastérisation », et en l’absence d’une formation continue spécialisée ?
Longtemps, notre école maternelle a fait figure de modèle. Elle fonctionnait bien, et peut-être n’a-t-elle pas été l’objet de suffisamment d’attention ces dernières années. Or la maternelle est une école à part entière et un lieu privilégié de la réalisation de l’idéal républicain d’égalité des chances. Monsieur le ministre, ne la sacrifiez pas à votre obsession du chiffre ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. René-Pierre Signé. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Daniel Marsin.
M. Daniel Marsin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en matière d’éducation, les apparences sont parfois trompeuses. Les récentes discussions sur l’ouverture sociale des grandes écoles, par l’instauration de quotas de 30 % de boursiers, ne contribuent pas forcément à faire progresser l’égalité des chances. Elles feraient même presque oublier que c’est au fil de la scolarité que les inégalités sociales se creusent.
Sur dix enfants de cadres entrés au collège en 1995, huit étaient encore étudiants dix ans après et un seul avait arrêté ses études sans avoir obtenu le baccalauréat. En revanche, sur dix enfants d’ouvriers, trois avaient continué leurs études jusque dans le supérieur tandis que cinq les avaient interrompues avant le baccalauréat.
Dès lors, la question est de savoir pourquoi ces enfants issus de milieux défavorisés ne parviennent plus à se hisser vers l’enseignement supérieur, comme c’était encore le cas jusque dans les années soixante-dix. Nul n’était besoin alors d’instaurer des quotas pour obtenir des résultats incomparablement meilleurs qu’aujourd’hui !
Le système éducatif français est finalement devenu l’un des plus inéquitables de l’OCDE. Au fil de la scolarité, les inégalités sociales se creusent, et les enfants les plus défavorisés n’acquièrent même plus le socle minimal de connaissances.
Une analyse sur vingt ans des acquis en lecture des élèves de CM2 montre que le score des enfants d’ouvriers a été divisé par deux entre 1997 et 2007, alors que celui des enfants de cadres a légèrement progressé.
L’enquête internationale PISA a par ailleurs signalé que, contrairement à l’un des objectifs de Lisbonne, la proportion d’élèves ou de jeunes rencontrant des difficultés pour lire n’a pas tendance à diminuer, et a même augmenté ces dernières années : 15 % des élèvent arrivent en sixième sans savoir lire correctement et, en 2008, près de 12 % des jeunes âgés de 17 ans manifestaient, au cours de la journée d’appel de préparation à la défense, des difficultés de compréhension en lecture.
Ce problème est grave. Il a déjà et il aura dans le futur des conséquences dramatiques, dans tous les domaines. Un problème de mathématiques mal compris ne sera pas réussi. Un enfant qui ne maîtrise pas correctement la lecture et l’écriture ne pourra ni poursuivre ses études avec succès ni s’insérer dans la vie professionnelle ou, tout simplement, dans la société. Cette même observation vaut aussi pour la maîtrise précoce de l’outil informatique, qui n’est pas garantie pour les enfants dont les parents sont en situation précaire.
Mises en place en 1982, les ZEP, supposées « donner plus à ceux qui ont moins », n’ont pas connu le succès escompté. Un enfant sur deux sortant des collèges « ambition réussite », dont les trois quarts des élèves sont des enfants d’ouvriers ou d’inactifs, ne maîtrise pas les compétences de base en français, selon les données publiées dans la dernière livraison de L’État de l’école.
Au regard de l’importance que revêt la maîtrise de la lecture et, plus largement, de la langue française, l’augmentation constatée du nombre de jeunes rencontrant des difficultés de lecture, notamment dans les milieux les plus défavorisés, amène à vous demander, monsieur le ministre, quelles mesures vous comptez prendre pour enrayer ce phénomène aux multiples conséquences dramatiques.
Introduit dans la loi en 2005, le « socle commun de connaissances et de compétences » a érigé la maîtrise de la langue française en priorité absolue. À compter de 2011, la maîtrise des compétences de ce socle sera nécessaire pour obtenir le diplôme national du brevet. Comment comptez-vous parvenir à améliorer suffisamment le niveau d’ici là pour que ce dispositif ne devienne pas un nouvel outil de discrimination à l’encontre des enfants ?
Garantir à tous l’égalité des chances fonde la cohésion sociale qui est à la base de notre pacte républicain. À ce titre, il est indispensable d’assurer une plus large ouverture sociale dans l’ensemble des filières, tant avant qu’après le baccalauréat, en particulier dans celles qui mènent aux études longues et élitistes. La mise en place de dispositifs de sélection des élèves les plus méritants est une politique qui peut porter des fruits. Cette démarche consiste à aider des élèves, notamment ceux qui sont issus de familles modestes et scolarisés dans des établissements de banlieue ou de zones rurales, à lever les obstacles psychologiques, culturels et matériels qui les font renoncer à s’engager dans la voie des études trop spécialisées ou trop longues, alors qu’ils en ont tout à fait les capacités.
Mais, par ailleurs, il ne faut pas non plus négliger la promotion collective par l’école de la République, gage d’une plus grande justice sociale. Aider les plus méritants n’implique pas nécessairement de délaisser tous les autres.
Cela passe notamment par une amélioration de l’orientation, qui doit commencer le plus tôt possible, notamment au lycée, afin que chacun puisse trouver plus facilement sa voie au fil de son parcours. L’orientation ne doit plus être vécue comme une menace, voire comme une sanction, encore moins être discriminante.
Il est donc fondamental, dans cette optique, d’élargir des voies d’insertion aussi indispensables que l’enseignement professionnel et agricole et de revaloriser ces filières. Nous sommes pour l’heure dans une logique de filières hiérarchisées, qui ne prend quasiment pas en compte, ou très mal, la perspective de l’insertion professionnelle. Les premières victimes de cette « culture de la désorientation » sont les enfants issus des classes sociales les moins favorisées. Il me paraît indispensable de développer davantage de passerelles entre la filière générale, la filière professionnelle et les entreprises. Le développement des stages, notamment en entreprise, est essentiel pour une bonne orientation et une meilleure intégration professionnelle des jeunes. Mais, dans ce domaine, trouver un stage est souvent laissé à l’initiative des élèves. De ce fait, ceux qui viennent d’un milieu défavorisé ne disposent pas vraiment des meilleurs atouts pour décrocher les bons stages ! Toutes ces observations nous conduisent à penser qu’une politique éducative efficace passe nécessairement par une politique de la famille véritablement adaptée. Qu’en pensez-vous, monsieur le ministre ?
Le sujet qui nous occupe aujourd’hui est très vaste, et il n’est donc pas possible d’être exhaustif dans le cadre d’un si court débat.
Beaucoup de réformes sont en cours, mais les écarts continuent de se creuser et ils seront de plus en plus difficiles à combler. Un récent rapport de l’Institut Montaigne dresse d’ailleurs un constat très alarmant sur l’échec à l’école primaire. Il présente un certain nombre de solutions qui ont au moins eu le mérite de faire réagir l’ensemble de l’opinion publique. Nous sommes curieux de savoir quelles suites vous comptez donner à ce coup de tonnerre médiatique, monsieur le ministre.
« Après le pain, l’éducation est le premier besoin du peuple », écrivait Danton. Tous ensemble, nous devons redresser la barre de l’égalité des chances au plus vite. Il y va du respect de notre pacte républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Mme Anne-Marie Payet applaudit également.)