M. Roland Courteau. Effectivement !
M. François Pillet, rapporteur. … et dont l’action est, à l’évidence, absolument fondamentale.
Mme Odette Terrade et M. Roland Courteau. Exact !
M. François Pillet, rapporteur. Même si, comme l’ont confirmé la quasi-totalité des personnes qui ont été entendues, des progrès réels ont été réalisés depuis plusieurs années en matière de traitement des affaires de violences conjugales, des efforts importants demeurent à accomplir afin de mieux identifier les victimes et de mieux les protéger.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. François Pillet, rapporteur. La commission des lois a examiné simultanément la proposition de loi relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, de notre collègue M. Roland Courteau, et la proposition de loi, élaborée par les députés, adoptée par l’Assemblée nationale le 25 février 2010. Cette dernière est le fruit des travaux d’une mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, créée par la conférence des présidents de l’Assemblée nationale le 2 décembre 2008, présidée par Mme Danielle Bousquet et ayant pour rapporteur M. Guy Geoffroy. Je tiens ici à souligner la qualité des travaux de nos collègues députés.
Ces deux propositions de loi ont un triple objet commun : mieux protéger, mieux prévenir, mieux réprimer.
La commission des lois, partageant sans réserve les objectifs visés, soumet à vos débats, mes chers collègues, un texte qui recèle des modifications qui ne sont destinées qu’à conforter sur le plan juridique les propositions initiales…
Dès que l’on aborde le problème des violences, on traite habituellement de la prévention et de la sanction.
Le texte qui nous occupe prévoit en tout premier lieu la création d’un instrument juridique profondément novateur : l’ordonnance de protection.
L’objectif de cette ordonnance de protection est de stabiliser temporairement, pour une durée de quatre mois au maximum, ou pendant toute la procédure de divorce ou de séparation de corps, la situation juridique et matérielle de la victime en garantissant sa protection et en organisant provisoirement sa séparation d’avec l’auteur des violences.
Le juge aux affaires familiales, qui se voit confier cette compétence, pourra interdire à l’auteur des violences de rencontrer la victime ; interdire à l’auteur des violences de détenir des armes ; statuer sur la résidence séparée du couple ; attribuer le logement et évincer du domicile l’auteur des violences ; fixer les modalités d’exercice de l’autorité parentale ; fixer la contribution aux charges du ménage ; préciser les conditions de paiement du loyer ou des emprunts.
Le juge aux affaires familiales pourra en outre décider d’autoriser la victime à ne pas révéler son domicile ; protéger une personne majeure menacée de mariage forcé en interdisant, à sa demande, la sortie du territoire ; organiser le droit de visite et d’hébergement et, surtout, organiser la remise de l’enfant à l’autre parent, qui constitue souvent une occasion de réitérer ou d’aggraver certaines violences contre l’autre parent, voire contre l’enfant lui-même.
Après avoir noté que ces initiatives répondaient en particulier à l’article 2 de la proposition de loi de notre collègue Roland Courteau, la commission a souhaité renforcer l’efficience de ces mesures de protection en prévoyant la saisine la plus aisée et la plus rapide qui soit du juge tout en sauvegardant au mieux, compte tenu des objectifs visés, l’examen contradictoire des circonstances et éléments du conflit et des violences qui l’accompagnent.
La commission des lois a par ailleurs veillé à ce que, sans qu’elles prennent le risque de devenir une partie au procès, les associations puissent apporter tout leur concours au soutien de la victime et des enfants.
L’ordonnance de protection, création juridique innovante, devrait constituer un important progrès de notre droit de la famille.
Ce texte renforce également les mesures de prévention contre les violences.
Ainsi, il est prévu qu’un rapport devra être remis par le Gouvernement au Parlement sur les initiatives prises afin de créer un observatoire national des violences faites au sein du couple.
Sur un autre plan, il est précisé que certaines actions de formation consacrées à ce phénomène et à l’égalité entre les hommes et les femmes doivent être confortées par des sensibilisations du grand public à travers les médias et l’école.
Le texte s’attache, dans un autre volet, à organiser et homogénéiser des sanctions spécifiques pour répondre à ce type de violences.
C’est ainsi – et c’est là un point très important – que la violation des obligations imposées au conjoint violent dans le cadre d’une ordonnance de protection sera pénalement sanctionnée.
Le recours au placement sous surveillance électronique mobile de l’auteur des violences avant sa condamnation et après l’exécution de sa peine sera facilité.
Des dispositions de téléprotection complémentaires pourront être proposées à la victime.
L’appréhension de l’auteur des violences par les forces de police et de gendarmerie pourra être effectuée pour une personne mise en examen dès lors qu’il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a manqué aux obligations qui lui incombent, sans attendre que cette inobservation soit avérée.
Les personnes reconnues coupables de menace à l’encontre de leur compagne ou de leur compagnon pourront être condamnées à une peine complémentaire de suivi socio-judiciaire.
S’agissant du recours à la médiation pénale dans le cadre de violences conjugales, il vous est suggéré que, en dehors de l’hypothèse où une victime de violences conjugales a saisi le juge aux affaires familiales d’une demande d’ordonnance de protection, elle puisse être proposée, mais que la victime demeure libre de la refuser.
Bien que des faits constitutifs de harcèlement psychologique puissent, en l’état de notre droit pénal, d’ores et déjà être réprimés, il est apparu à la commission que la loi pouvait opportunément rehausser la voix du législateur en inscrivant dans ses tables un délit spécifique.
La rédaction retenue pour celui-ci a fait l’objet de modifications par rapport à la proposition de loi adoptée par les députés, dans un souci de sécurité juridique, mais également dans l’intérêt des victimes. En effet, un certain nombre de personnes entendues – en particulier celles et ceux qui auront à appliquer ces dispositions – ont souligné le risque que ce nouveau délit puisse être détourné par les auteurs de violences conjugales pour justifier les violences infligées à leur compagne ou leur compagnon par un prétendu harcèlement dont ils feraient l’objet au quotidien.
En ce qui concerne le harcèlement sexuel, la commission, qui ne partage pas les inquiétudes des députés quant à la compatibilité de notre droit pénal avec le droit communautaire, n’a pas souhaité qu’un nouveau texte vienne nuire à la définition acquise et admise pour satisfaisante de ce délit.
Je signalerai enfin que la commission des lois a procédé à certaines harmonisations de peines et, surtout, a adopté un amendement permettant l’application de cette proposition de loi dans les collectivités d’outre-mer, où le phénomène des violences dans le couple présente certainement une acuité particulière.
Au terme de son examen des deux textes, la commission a ainsi constaté que les articles 1er et 2 de la proposition de loi de notre collègue Roland Courteau ainsi qu’une partie de son article 3 étaient satisfaits par la proposition de loi des députés.
Elle a en revanche laissé aux débats en séance publique le soin d’intégrer ou non dans le texte l’institution d’une journée nationale de sensibilisation aux violences au sein du couple.
Enfin, elle a regretté que les dispositions de l’article 4 de la proposition de loi de M. Courteau, qui portent sur l’organisation de formations spécifiques à l’intention des personnels amenés à prendre en charge des victimes de violences conjugales, ne puissent être intégrées du fait de leur irrecevabilité financière.
Pour terminer, nous vous proposons d’élargir l’intitulé de la loi afin qu’il recouvre plus exactement l’ensemble des dispositions qu’elle contient et constitue en lui-même la démonstration de sa portée. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Roland Courteau applaudit également. )
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur pour avis.
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales, rapporteur pour avis. Madame la présidente, madame, monsieur les secrétaires d’État, mes chers collègues, si la commission des affaires sociales a souhaité présenter un avis sur cette proposition de loi, c’est parce qu’elle considère que, au-delà de son aspect juridique, ce texte a un fort retentissement humain et social.
Je ne reviendrai pas sur l’analyse très complète qu’en a livrée l’excellent rapporteur de la commission des lois, François Pillet, et je connais le contenu de l’avis de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, puisque j’ai entendu le rapport de notre collègue Françoise Laborde lors de la réunion de la délégation. Ils auront à eux deux exprimé tout ce que j’aurais pu dire.
Mais je voudrais tout particulièrement insister sur deux points qui me paraissent essentiels. Le premier est la nécessité impérative d’une formation à l’accueil des victimes dans le respect absolu de leurs droits. Le second tient à l’importance capitale de l’article 17 sur les violences psychologiques.
Je sais la réserve qu’inspire à certains de nos collègues la difficulté de la preuve. Je crois qu’ils ont tort : une bonne approche au cours du dépôt de plainte peut permettre de mesurer rapidement la sincérité de la plaignante.
Pour illustrer mon propos, je prendrai quelques minutes pour vous raconter une histoire que je connais bien, puisqu’elle concerne ma filleule.
En décembre 2007, Justine, vingt-six ans, couturière dans un atelier de robes de mariées, rencontre Alexandre, trente et un ans. Il travaille en intérim et vit chez sa mère.
En janvier 2008, il vient s’installer chez Justine, lui fait raconter son histoire, se montre très vite jaloux et agressif lorsqu’elle parle de ses amis. Elle est amoureuse et prend cette attitude pour une marque d’amour.
Il lui explique que lui-même n’a jamais eu de chance : il a eu une enfance et une adolescence difficiles – ce qui est vrai. Il est très malheureux, mais, grâce à son amour, il va changer.
En attendant, au cours de colères fréquentes, il casse des objets, abîme des meubles ; mais elle va l’apaiser, c’est sûr, puisqu’elle l’aime.
Alexandre propose à Justine d’emménager dans un appartement plus grand où ils pourront recevoir, un week-end sur trois, les trois enfants qu’il a eus d’une précédente union et qui sont placés en famille d’accueil.
Et puis, comme il a des problèmes avec la banque et qu’il ne doit jamais être à découvert, c’est mieux que Justine prenne à sa charge tous les abonnements, et aussi les crédits contractés pour acquérir quelques appareils électroménagers.
Il n’a pas encore eu le temps de donner sa nouvelle adresse à la banque et ses relevés arrivent chez sa mère. Il oublie régulièrement de les récupérer.
D’ailleurs, il aide financièrement sa mère et ne peut contribuer aux charges du ménage autant qu’il le souhaiterait.
Bref, Justine n’a aucune idée de ses revenus, ni de ce qu’il fait de son argent, mais il n’en a jamais à lui donner.
En revanche, il est bien normal qu’il accède au compte de Justine sur Internet, grâce au code personnel qu’elle lui a volontiers confié, et, s’il est inquiet pour son découvert, il fait un virement.
Il décide enfin qu’il est plus pratique de n’avoir qu’un seul médecin traitant – le sien, bien sûr.
Au mois de mars 2008, à l’occasion de l’anniversaire de Justine, il prend des photos d’elle dans une situation qu’il juge compromettante. Il menace régulièrement, par la suite, de les montrer à sa mère, à ses sœurs et, bien sûr, à moi-même.
Il est d’une intelligence supérieure alors que Justine est vraiment une gourde : elle ne sait rien faire, en fait elle est nulle, d’ailleurs ses amis sont nuls aussi, et sa famille l’intimide, et il vaut mieux ne pas aller au baptême du petit neveu.
Malgré tout, ce serait bien d’avoir un enfant qui ferait de lui un vrai père, pas comme avec les trois autres, qu’il a eus trop jeune.
Le 1er juin, ils emménagent dans un nouvel appartement, et Justine découvre qu’elle est enceinte. Les coups commencent à pleuvoir, qui viennent compléter les humiliations, les menaces, les critiques insidieuses et les propos racistes, parce que Justine est d’origine africaine.
Pendant la grossesse, il la frappe, l’empêche de dormir, lui dit qu’il souhaite la mort du bébé, lui donne des coups de pied dans le ventre. Il lui demande de boire de l’alcool pour provoquer une fausse-couche.
À la suite d’une douleur au ventre causée par un objet lancé à toute volée, elle va voir son obstétricien, lui raconte son histoire. Cela n’intéresse pas celui-ci, et il lui dit que tout va bien.
Pourquoi ce médecin n’a-t-il pas réagi ? N’est-ce qu’une question de formation ?
Leur bébé naît le 22 juin 2008. Justine est persuadée que tout va s’arranger avec la venue de cet enfant. Il n’en est rien. Quelques jours après la naissance, la violence reprend.
Un samedi vers 23 heures, le visage et le bras marqués par les coups, les vêtements déchirés, elle se rend au commissariat. Elle n’a pas de certificat médical et on la renvoie sans l’entendre. Est-ce bien normal ?
À son retour, son compagnon triomphant lui dit que, si elle porte plainte, il portera aussi plainte pour diffamation, qu’on ne la croira pas parce qu’il ne lui a rien cassé et qu’en plus on lui retirera son bébé parce qu’on verra bien qu’elle est folle et manipulatrice.
Après de nouvelles violences, elle se rend, un soir, chez sa propre mère, qui lui explique que c’est sa faute, qu’elle a mauvais caractère, qu’elle doit être plus gentille, et qui la renvoie chez elle.
On découvrira plus tard qu’Alexandre appelle sa belle-mère de temps en temps pour se plaindre. Elle le croit : il est tellement gentil, timide et réservé ! Et ses sœurs, qui ne sont pourtant pas des tendres, le croient aussi : il est tellement gentil, timide et réservé !
La boucle est bouclée. Justine ne sait plus à qui parler.
Trois semaines plus tard, le 13 avril 2009, je reçois un SMS de détresse et découvre l’ampleur des dégâts. Je lui conseille d’appeler une association d’aide aux victimes que j’ai déjà contactée. Elle me dit qu’elle n’appellera pas : elle a trop honte, et puis, les associations, c’est pour les cas graves !
Elle ne veut pas le quitter. Ils ont un enfant ensemble, et c’est à elle de maintenir l’équilibre de la famille.
Deux semaines plus tard, nouvelles violences, nouveaux SMS. Je prends rendez-vous et l’accompagne chez un médecin, une jeune femme très à l’écoute qui lui donne quatre jours d’ITT.
Nous nous rendons, dans la foulée, au commissariat pour le dépôt d’une plainte. Justine est accueillie par une inspectrice revêche, agressive, dissuasive. Le dépôt de plainte s’apparente plus à un interrogatoire qu’à une écoute positive.
Je suis présente sans qu’on m’ait demandé mon identité. Je suis effarée par cet accueil. À coup sûr, si je n’avais pas été là, Justine aurait été totalement dissuadée d’aller jusqu’au bout.
Elle est sortie en larmes, de stress, de culpabilité, d’humiliation.
Quelle formation cette inspectrice avait-elle reçue pour se comporter de cette manière ?
Alexandre n’a pas de portable et n’a pu être convoqué au commissariat. Un inspecteur de police appelle Justine pour lui dire d’informer Alexandre qu’il doit le contacter.
Est-ce vraiment le processus normal ? Et si oui, il y a de quoi s’inquiéter !
Justine, très angoissée, transmet le message à Alexandre, rentré pour déjeuner.
D’abord, celui-ci lui intime l’ordre de retirer sa plainte, la rend responsable de tous ses maux, la bouscule, lui tire les cheveux, prend des œufs dans le réfrigérateur et les lance sur les murs et la machine à coudre, où un travail est en cours. Il la menace du pire pour le soir et lui dit que, s’il va en prison, il la tuera ou lui fera enlever le petit.
Justine rappelle l’inspecteur de police pour lui dire qu’elle est en danger et qu’il doit venir apporter la convocation. Il lui répond qu’il n’a pas le temps et qu’il postera la convocation, qui arrivera quand elle arrivera… Cette fois, mon intervention va remettre les choses à leur juste place.
Comment un policier peut-il traiter avec une telle désinvolture une situation aussi grave ?
Alexandre est mis en garde à vue quelques heures, reconnaît les faits et ressort du commissariat avec une convocation en maison de justice, convocation à laquelle il ne se rendra pas, ayant opportunément fait le nécessaire pour être hospitalisé ce jour-là. Depuis lors, il n’a jamais été reconvoqué.
Je pourrais continuer à vous raconter le déroulement de cette histoire, mais je m’arrêterai là. Sachez seulement que, après avoir quitté le domicile commun, Justine a été harcelée téléphoniquement, par SMS, par mail et même physiquement. Elle s’est plusieurs fois adressée à la police, qui a de nouveau convoqué Alexandre, ce qui a eu pour effet de calmer les agissements de ce dernier, mais jusqu’à quand ?
Cette histoire appelle, de ma part, trois réflexions, sur lesquelles je veux attirer votre attention.
Premièrement, il est nécessaire que toutes les personnes accueillant des femmes victimes de violences dans leur couple ou ayant affaire à elles aient reçu une véritable formation spécifique. (Mmes Gisèle Printz et Joëlle Garriaud-Maylam applaudissent.)
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Michèle André. Absolument !
Mme Muguette Dini, rapporteur pour avis. À cet égard, j’aimerais avoir, madame la secrétaire d'État, des assurances quant à la mise en œuvre de l’article 10 bis B.
Deuxièmement, il est nécessaire de s’assurer que la loi est respectée par les forces de police et de gendarmerie, car ce n’est pas une victime déjà traumatisée et mal accueillie qui ira se plaindre.
Troisièmement, enfin, – ce point est essentiel pour que cette loi prenne toute sa dimension ! –, il est nécessaire de veiller à la reconnaissance effective des violences psychologiques.
Dans l’histoire que je vous ai racontée, on a affaire au manipulateur type,…
M. Roland Courteau. C’est exactement cela !
Mme Muguette Dini, rapporteur pour avis. … tel qu’il a été décrit par le docteur Geneviève Reichert-Pagnard dans son ouvrage intitulé Crimes impunis ou Néonta : histoire d’un amour manipulé.
Les Canadiens, très attentifs à ce phénomène, estiment que 27 % à 30 % des conjoints sont manipulateurs, auteurs de violences psychologiques ; de fait, ce sont donc sans doute 27 % à 30 % de femmes vivant en couple qui sont victimes de telles violences, ces pourcentages incluant par ailleurs, en grande partie, les victimes de violences physiques.
La brigade de protection de la famille de la gendarmerie du Rhône a élaboré, avec l’aide d’une association d’aide aux victimes, deux documents.
Le premier est un procès-verbal de renseignement judiciaire et de constatations, le second est une enquête de flagrance, procès-verbal d’audition de personne victime. Ces deux documents remarquables, annexés à mon rapport pour avis, permettent de cerner la personnalité de l’auteur de violences psychologiques : ils pourraient être utilement généralisés à toute audition en vue du dépôt de plainte ou sur main courante.
Vous l’aurez compris, madame la secrétaire d'État, monsieur le secrétaire d'État, la commission des affaires sociales a émis, à l’unanimité, un avis favorable sur ce texte. Comme moi, elle souhaite qu’il soit rapidement mis en œuvre, que des moyens soient réellement attribués pour dispenser une bonne formation et que la notion de violences psychologiques ne soit pas entachée de soupçons.
Je rappelle que, au-delà de la femme victime de ces violences, lesquelles risquent de la tuer à petit feu, ce sont aussi des enfants qui souffrent et seront traumatisés à vie par l’humiliation vécue par leur mère.
Par ailleurs, il faudra également rapidement envisager la situation des hommes victimes de violence en couple, en particulier de violences psychologiques. Peut-être sont-ils moins nombreux, mais, pour ceux-là et pour leurs enfants, le traumatisme est le même.
En effet, dès qu’il y a violence au sein du couple, l’enfant est victime.
M. Roland Courteau. Oui !
Mme Muguette Dini, rapporteur pour avis. Quand le couple est séparé, le moment de la remise de l’enfant à l’autre parent est fondamental.
M. Roland Courteau. Oh oui !
Mme Muguette Dini, rapporteur pour avis. En la matière, les améliorations apportées au dispositif de remise de l’enfant dans un espace sécurisé me semblent satisfaisantes. Elles impliquent que des espaces-rencontre soient mis en place dans tous les départements en nombre suffisant.
Les services du ministère de la justice, des caisses d’allocations familiales et les collectivités territoriales doivent s’engager à faire en sorte que les moyens nécessaires soient alloués pour permettre un bon fonctionnement de ces espaces.
M. Roland Courteau. En effet !
Mme Muguette Dini, rapporteur pour avis. Avant de conclure, je voudrais rappeler toute l’importance de campagnes de sensibilisation menées régulièrement.
Madame la secrétaire d'État, monsieur le secrétaire d'État, il est urgent de protéger les femmes et les enfants qui vivent ces grandes détresses. Nous comptons sur vous pour que cette loi s’applique vite et bien. (Applaudissements sur l’ensemble des travées.)
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur de la délégation aux droits des femmes.
Mme Françoise Laborde, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier Michèle André et mes collègues de la délégation aux droits des femmes de m’avoir fait confiance pour élaborer ce rapport d’information, dont je vais vous livrer les principaux éléments.
La loi n’est jamais autant dans son rôle que lorsqu’elle protège le faible contre le fort.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Françoise Laborde, rapporteur de la délégation aux droits des femmes. Le préalable essentiel, pour protéger les victimes des violences conjugales, a d’abord été de reconnaître une réalité longtemps occultée. Ce fut le premier pas le plus difficile à franchir, et que nous avons franchi en adoptant la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs. Il est frappant de constater à quel point cette loi, d’origine sénatoriale, a provoqué un « déclic » à la fois social, judiciaire et législatif. (M. Roland Courteau opine.)
Incontestablement, les deux propositions de loi soumises aujourd'hui à l’examen du Sénat s’inscrivent dans la dynamique de protection créée par la loi de 2006.
Présenté en « rafale », le texte de la commission des lois qui les synthétise prévoit en faveur des victimes de violences au sein des couples plusieurs mesures : une nouvelle procédure accélérée, l’aide juridictionnelle, des soins médico-psychologiques à l’agresseur, son placement sous surveillance électronique, des espaces de rencontre sécurisés, un titre de séjour aux victimes sans papiers, un accès prioritaire au logement social ou universitaire, la formation de tous les personnels susceptibles de leur venir en aide, un contrôle renforcé du contenu des médias, une nouvelle définition du harcèlement de couple, une mobilisation des moyens publics contre les mariages forcés et la confection de plusieurs rapports de contrôle.
Cette énumération suffit à elle seule à justifier la conformité de ces textes au principe de rééquilibrage de l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Globalement, notre délégation souligne que, au travers de cette grande variété de mesures, nous lançons aussi et surtout un signal fort – et jusqu’à présent unanime – de pacification des relations familiales : légiférer dans ce domaine comporte en soi une valeur symbolique et humaine qui va bien au-delà de la simple addition des composantes du texte.
À toutes celles et tous ceux qui auraient souhaité que ce texte soit encore complété sur un certain nombre de points, je rappellerai d’abord qu’un projet de réforme n’est jamais totalement exhaustif. Il repose sur des choix et sur un « ciblage » particulier. C’est une condition de son efficacité.
J’ajoute que, à l’occasion de l’examen de cette réforme, nous adressons un très puissant témoignage de soutien aux associations d’aide aux victimes.
Toutefois, notre mission consiste également à veiller au réalisme et à la simplicité des normes que nous adoptons. Notre délégation a fait preuve d’une certaine fermeté à cet égard, en pensant non seulement au justiciable, mais également aux professionnels du droit et aux magistrats : le besoin de lisibilité de la loi n’a jamais été aussi impérieux.
Nous avons constaté que le dispositif adopté par l’Assemblée nationale comporte trente-cinq articles et modifie neuf codes en vigueur. Voilà qui témoigne de la volonté très positive de traiter les violences conjugales selon une approche transversale !
Par souci de réalisme, la délégation aux droits des femmes a relevé les risques et les effets pervers qu’induit nécessairement une telle complexité et a, en conséquence, recommandé de mobiliser les règles nouvelles pour venir en aide à celles et ceux qui en ont le plus besoin, et non pas aux procéduriers.
J’en veux pour preuve l’article 8 du texte de la commission, que j’approuve tout particulièrement et qui vise à modifier la définition du délit de dénonciation calomnieuse.
À de nombreuses reprises, notre délégation a été alertée sur les difficultés que rencontrent des victimes de violences menacées par cette « infraction boomerang ». Avec la nouvelle rédaction, on ne pourra plus considérer qu’il y a calomnie lorsque le juge prononce la relaxe de l’agresseur supposé au bénéfice du doute. Il s’agit donc d’éviter les plaintes systématiques et de libérer la parole des victimes.
Notre délégation a ensuite souhaité que cette réforme, qui résulte de l’initiative parlementaire et a été votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale, ne soit pas, du point de vue politique, affaiblie dans sa portée.
Du point de vue technique, les dispositions prévues n’ont cependant pas toutes été soumises aux « filtres » juridiques qui entourent l’élaboration des projets de loi. Leur insertion harmonieuse dans l’ordre juridique français méritait donc d’être affinée par la commission des lois, dont je salue la qualité des travaux.
En même temps, pour mieux situer la réforme dans son contexte général, notre délégation a tenu à rappeler la complémentarité de celle-ci par rapport aux outils efficaces qui existent d’ores et déjà dans le droit en vigueur.
L’article 1er prévoit notamment la création d’une ordonnance de protection des victimes. Il s’agit de la mesure la plus innovante, qui s’inspire de l’outil phare de la politique de l’Espagne. À cet égard, je signale que, dans ce pays, l’ordonnance est délivrée par le magistrat de permanence après que la victime a rempli un simple imprimé. Je reconnais que la transposition pure et simple d’un tel mécanisme paraissait mal adaptée au droit français et au principe du contradictoire qui demeure l’un de ses piliers fondamentaux.
Je précise que l’ordonnance de protection prévue à l’article 1er ne prétend pas régler définitivement tous les problèmes. Il s’agit d’accorder à la victime le temps nécessaire pour décider de la suite à donner à cette première étape sur le plan civil ou pénal.
Pour bien cadrer ce nouvel outil, et sans minimiser aucunement sa portée, notre délégation a donc recommandé de rappeler aux victimes qu’il s’agit d’un outil temporaire et complémentaire : le droit pénal en vigueur permet d’aboutir à des solutions plus énergiques, à condition de porter plainte.
Pour ce qui concerne les violences psychologiques prévues à l’article 17 du texte, la délégation aux droits des femmes a tout d’abord constaté que la transposition du délit de harcèlement moral au travail dans les relations de couple n’est pas une révolution juridique puisque, depuis 1892, la jurisprudence admet que les violences peuvent ne pas se limiter à des atteintes physiques et prend en compte celles qui sont « de nature à provoquer une sérieuse émotion ». Je signale d’ailleurs au passage que le fait de harceler autrui au téléphone constitue d’ores et déjà le délit d’appels téléphoniques malveillants réitérés prévu par l’article 222-16 du code pénal.
Il s’agit cependant d’une innovation majeure dans notre code pénal, qui soulève deux principales inquiétudes sur son applicabilité.
En premier lieu, le représentant de l’Association nationale des juges de l’application des peines, l’ANJAP, a fait observer que le harcèlement moral étant d’ores et déjà difficile à prouver dans le cadre professionnel, il risque de le devenir encore bien plus dans les relations de couple, qui se développent le plus souvent à l’abri des regards extérieurs et en l’absence de témoins objectifs. Ainsi, les classements sans suite des plaintes risquent de se multiplier.
En second lieu, certaines associations de femmes craignent que des maris violents ne recourent de manière abusive à ce dispositif, en se présentant eux-mêmes comme victimes de harcèlement conjugal. En même temps, elles ont rappelé l’utilisation fréquente du mutisme comme moyen d’intimidation, et on peut effectivement s’interroger sur la difficulté de prendre en compte le silence d’un conjoint au niveau juridique.