compte rendu intégral
Présidence de Mme Monique Papon
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Anne-Marie Payet,
M. Bernard Saugey.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Rappel au règlement
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour un rappel au règlement.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, mes chers collègues, hier après-midi, à notre grande surprise, alors que nous pensions siéger dans cet hémicycle, nous avons été réunis dans la salle Médicis.
Les gardes républicains n’étaient présents que pour une partie du trajet, interrompu par le déplacement en ascenseur de M. le président du Sénat.
Je le dis tout de suite, je n’ai rien contre la salle Médicis ! Cependant, une fois la séance ouverte, j’ai fait observer à M. le président, après mon collègue Guy Fischer qui s’est exprimé avec une grande éloquence comme à son habitude, qu’il était pour nous surprenant d’être réunis dans cette salle, alors que l’hémicycle était disponible.
Et je me suis permis de demander à M. le président du Sénat le pourquoi de cette étrange situation. Il m’a répondu un peu plus tard, en citant des propos que j’avais tenus – je le confirme – lors d’une réunion d’un groupe de travail. J’avais alors déclaré qu’il serait peut-être bon de pouvoir disposer d’une seconde salle, au cas où la première serait occupée, pour des réunions de commissions, pour recevoir des ministres, pour des auditions, des colloques ou des débats.
Mais hier, chacun était un peu surpris de se retrouver là ; je ne parle pas, bien sûr, des personnels du Sénat, qui sont neutres. Et même pour ceux qui regardaient les images à la télévision, la scène était étrange.
Certes, on me rétorquera que le Sénat peut siéger n’importe où et que, s’il le souhaite, M. le président du Sénat peut nous convoquer salle Médicis.
Mais enfin, pourquoi ?
Je terminerai ma brève intervention – je ne veux en effet pas vous importuner, madame la présidente, vous me connaissez – en m’interrogeant avec Alphonse de Lamartine (Exclamations admiratives) : « Objets inanimés, avez-vous donc une âme » ?
Madame la présidente, mes chers collègues, dans cet hémicycle, nous accomplissons notre tâche de législateur, contribuant tous les jours non seulement à écrire la loi mais aussi à contrôler le Gouvernement, et nous le faisons en ce lieu chargé d’histoire, sous le regard de Saint-Louis et de Charlemagne. (M. Jean-Pierre Sueur désigne tour à tour les statues qui ornent l’hémicycle.)
Or – et je sais que vous partagez ce point de vue, madame la présidente – remplir notre mission sous le regard de Colbert, de Turgot et de Portalis, le si remarquable auteur du code civil, sans compter d’Aguesseau, L’Hospital, Molé et Malesherbes, confère à nos travaux ce je-ne-sais-quoi qui fait que tout est différent.
Ici siégeait Victor Hugo (M. Jean-Pierre Sueur désigne le fauteuil qu’occupait le sénateur de la Seine), qui fut d’abord pair de France, un peu conservateur, il est vrai, avant de défendre toutes les idées progressistes qui lui étaient chères.
Ici siégeait Victor Schœlcher (M. Jean-Pierre Sueur désigne, cette fois, le fauteuil qu’occupait le sénateur inamovible), qui a tant lutté pour l’abolition de l’esclavage.
Siéger dans cet hémicycle a un sens ; ailleurs, dans une de ces salles neutres, banalisées, qui sont à l’hémicycle ce que, pour l’ébéniste, l’aggloméré est au chêne massif, non, madame la présidente, mes chers collègues, cela ne revient pas au même, car ces salles, parce qu’elles ne sont pas parées de la même histoire, ne sont pas porteuses de cette respiration si forte qui, depuis des siècles, fait que notre pays est la France !
Je vous supplie, madame la présidente, de demander à M. le président du Sénat, nonobstant les propos tenus par les uns et les autres lors de réunions de travail, de bien vouloir considérer la dimension sacrée de cet hémicycle, et j’entends par là la dimension sacrée de l’acte républicain. Il faut absolument que l’acte législatif du Sénat de la République soit accompli en totalité dans cet hémicycle. Nous y sommes fortement attachés.
Je vous remercie, madame la présidente, d’être notre avocate auprès de M. le président du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. Monsieur Sueur, je vous donne acte de ce rappel au règlement, que je transmettrai à M. le président du Sénat.
Je suis néanmoins surprise de votre surprise… En effet, la décision de siéger hier dans la salle Médicis avait été prise lors d’une réunion du Bureau et confirmée par la conférence des présidents.
Mais je vous remercie de ce moment d’histoire et de poésie. C’est du moins ainsi que je me souviendrai de votre intervention, mon cher collègue. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Pierre Sueur. Merci, madame la présidente.
3
Débat sur les retraites
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur les retraites, organisé à la demande de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale.
La parole est à M. le président de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale.
M. Alain Vasselle, président de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, M. Sueur souhaitait que le choix du lieu de nos travaux manifeste la solennité indispensable à notre mission ; il doit être plus que comblé en cet instant où s’ouvre le débat si important que nous allons consacrer aux retraites.
Cela étant, j’estime que, dans nos travaux, le contenu importe plus que le contenant ! Concentrons-nous donc sur les sujets importants et ne perdons pas de temps avec des considérations de cet ordre. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Notre débat prend place dans un contexte particulier.
Le Gouvernement vient en effet de présenter les grandes lignes du projet de loi qu’il défendra devant le Parlement au mois de septembre prochain. Nous allons donc avoir un échange approfondi entre nous et avec le Gouvernement, sur les voies et moyens disponibles pour résoudre les difficultés considérables que connaît aujourd’hui notre système de retraite.
Avant de laisser la parole aux deux rapporteurs, qui ont beaucoup travaillé sur ce dossier, M. Dominique Leclerc et Mme Christiane Demontès, tous deux membres de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, que j’ai l’honneur de présider, je souhaite rappeler que la MECSS suit de très près, depuis sa création en 2006, l’évolution de notre système de retraite.
Elle a présenté plusieurs rapports portant sur la compensation entre régimes, sur les règles de la réversion et sur l’assurance vieillesse en Suède. J’ai d’ailleurs la faiblesse de penser que le Conseil d’orientation des retraites, le COR, a commencé à s’intéresser aux comptes notionnels du jour où nous avons produit notre rapport. MM. Dominique Leclerc et René Teulade, l’un et l’autre par ailleurs membres du COR, s’en sont fait l’écho et ont attiré l’attention de leurs collègues sur l’intérêt qu’il y aurait à étudier la réforme des retraites en Suède, susceptible d’inspirer, en France, une réforme future à caractère plus systémique.
L’an dernier, avant même l’annonce du rendez-vous de 2010, la MECSS du Sénat avait décidé de retenir l’avenir du système de retraite comme thème principal de travail pour 2010. Nous avions même décidé de lui donner la priorité sur l’hôpital, thème que nous souhaitions pourtant aborder depuis longtemps, considérant qu’il était urgent de se pencher sur le dossier des retraites.
Nous y avons consacré une réflexion approfondie, engagée dès le mois de janvier dernier, qui a nécessité l’organisation d’une quarantaine d’auditions afin de recueillir les analyses et les propositions des partenaires sociaux, des gestionnaires des principaux régimes et des experts.
Notre débat d’aujourd’hui est donc l’aboutissement de ce travail, qui avait, monsieur le ministre, pour objet non pas d’intervenir dans la concertation entre le Gouvernement et les partenaires sociaux, mais d’aborder l’ensemble des questions que soulève aujourd’hui le modèle français de retraite et de formuler des orientations pour l’avenir afin que le Sénat soit pleinement éclairé.
Le Gouvernement a pu, à loisir, piocher dans ce rapport et faire des propositions. D’ailleurs, il a repris certains des leviers sur lesquels nous suggérons qu’il agisse.
Depuis la publication du rapport, nous avons complété nos investigations en nous rendant en Allemagne. La MECSS présentera d’ici au mois de juillet un rapport complémentaire sur les enseignements que nous pouvons tirer du système de retraite allemand.
Très brièvement, en tant que président de la mission et rapporteur général des lois de financement de la sécurité sociale, je souhaite replacer cette question des retraites dans le contexte plus général de la situation particulièrement dégradée des comptes sociaux et du déséquilibre financier.
La Commission des comptes de la sécurité sociale s’est réunie il y a peu. Elle a fait état d’un déficit prévisionnel du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse, le FSV, de 31,1 milliards d’euros en 2010, succédant à un déséquilibre de 23,5 milliards d’euros en 2009. De tels chiffres, jamais atteints dans l’histoire de la sécurité sociale, font planer une menace grave sur la pérennité de notre système et mettent en grande difficulté la gestion de la trésorerie au niveau de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS.
En effet, ces déficits cumulés se transforment aussitôt en une dette sociale qu’il faudra bien rembourser un jour ou l’autre.
J’avais déposé, au nom de la commission des affaires sociales, un amendement tendant à augmenter la contribution pour le remboursement de la dette sociale, la CRDS, pour combler une partie de la dette. C’était un petit effort. Éric Woerth, alors ministre des comptes publics, m’avait demandé de retirer cet amendement, indiquant qu’une commission composée de parlementaires de l’Assemblée nationale et du Sénat se pencherait sur la question de la dette.
Une commission a donc été créée ; elle s’est déjà réunie à deux reprises, sous la présidence de M. François Baroin, pour étudier les différentes hypothèses qui permettraient de limiter la dette accumulée en 2009 et 2010, après la dernière reprise par la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES, des dettes plus anciennes.
Les solutions ne sont ni nombreuses ni miraculeuses et elles présentent toutes de graves inconvénients, qu’il s’agisse d’augmenter la CRDS ou de repousser la date de disparition de la CADES. C’est pourquoi, notamment, on a refusé d’augmenter la CRDS lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, craignant l’impact sur le pouvoir d’achat de nos concitoyens et sur la compétitivité des entreprises.
Toutefois, la question qui se pose dès à présent est de savoir comment éviter, ou tout au moins limiter, la reconstitution de nouvelles dettes au cours des années suivantes.
Notre système social est aujourd’hui particulièrement menacé par la dette, qui tend à exploser. Chacun voit bien que les déficits conjoncturels liés à la crise sont devenus structurels et que la reprise de la croissance, malheureusement, ne permettra pas, à elle seule, de les résorber.
Il est donc de notre devoir et de notre responsabilité de conduire une action résolue afin de parvenir à un retour à l’équilibre à moyen terme.
C’est dans ce contexte général que s’inscrit le rendez-vous de 2010 sur les retraites, qui doit constituer un élément essentiel de cette stratégie de retour à l’équilibre des comptes.
Dans cette perspective, il faut que cette réforme soit ambitieuse et agisse sur l’ensemble des paramètres disponibles ; je sais d'ailleurs, monsieur le ministre, que vous en êtes conscient et que vous souhaitez avancer dans ce sens. En effet, nous en sommes certains aujourd'hui – les rapporteurs de la MECSS pourront le confirmer –, aucun levier ne permettra, à lui seul, de régler la situation financière très préoccupante que nous connaissons, les mesures d’âge devant être complétées par de nouvelles recettes, qu’il convient de rechercher.
En effet, le débat s’est cristallisé sur la question de l’âge, mais ce seul paramètre ne nous permettra pas d’agir à la fois sur le flux, en équilibrant les comptes, et sur le stock, en finançant la dette existante.
À cet égard, mes chers collègues, je ne puis que me féliciter que le Gouvernement ait décidé d’annualiser le calcul des exonérations de charges sur les bas salaires, comme nous le lui avions proposé lors de l’examen du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, même si je regrette, une fois de plus, qu’il nous donne raison avec toujours au moins une année de retard.
J’en ai fait l’expérience depuis plusieurs années : le Sénat a toujours tort d’avoir raison trop tôt ! (Sourires.) Et l’on attend que l’Assemblée nationale ou le Gouvernement, lors de l’examen du PLFSS suivant, reprenne la main et retienne en définitive des propositions que nous avions formulées l’année précédente.
Est-il bon de toujours reporter au lendemain ce que l’on peut faire le jour même ? Je n’en suis pas persuadé ! Toutefois, l’essentiel, au fond, est ici que nous soyons écoutés et, pour une fois, entendus, avant que l’Assemblée nationale n’endosse nos propositions…
Monsieur le ministre, vous avez présenté ce matin le contenu de cette réforme des retraites et indiqué qu’un retour à l’équilibre était prévu en 2018. Pouvez-vous nous préciser sur quelles grandes hypothèses économiques repose ce schéma et, surtout, quel sera le montant total cumulé des déficits auxquels nous devrons faire face entre 2011 et 2018 ?
En effet, pour ce qui concerne le transfert de la dette à la CADES, il faut prendre en compte le stock qui résultera des déficits constatés en 2009, 2010 et 2011, certes, mais aussi le flux de la dette, qui se reconstituera jusqu’en 2018. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
Des solutions ont été trouvées, dont l’une serait, semble-t-il, le transfert à la CADES des ressources du Fonds de réserve pour les retraites.
M. Claude Domeizel. Eh oui !
M. Alain Vasselle, président de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale. Cette mesure sera-t-elle suffisante pour éponger l’ensemble de la dette ainsi constituée, sans prolonger la durée de vie de la CADES ?
Je vous rappelle, mes chers collègues, que la commission des affaires sociales s’est fermement opposée, à plusieurs reprises, à cette prolongation.
Notre collègue président de la commission des lois de l’Assemblée nationale a introduit dans la loi organique un amendement visant à rendre impossible le prolongement de la durée de vie de la CADES et à prévoir que tout transfert de dette à cet organisme serait accompagné de l’affectation d’une nouvelle recette.
Du reste, le Gouvernement s’est plié dans le passé à cette exigence : en 2008, pour financer une partie de la dette transférée à la CADES, il a attribué à cette dernière des recettes de CSG qui alimentaient auparavant le FSV, le Fonds de solidarité vieillesse.
Nous devons respecter ces engagements. Toutefois, dans la conjoncture particulière que nous connaissons, peut-être pourrions-nous trouver des aménagements. C’est ce que nous souhaitons, tout comme le Gouvernement.
Monsieur le ministre, comment se mettra en place le nouveau fonctionnement de la CADES, dont certaines recettes devront servir exclusivement à rembourser la dette émanant de la seule branche vieillesse ?
Je vous remercie de bien vouloir nous apporter toutes les précisions utiles sur ces aspects financiers, qui joueront un rôle essentiel dans le bouclage de la réforme.
Mes chers collègues, je pourrais être bien plus bavard, mais vous souhaitez, me semble-t-il, entendre les rapporteurs, qui évoqueront plus en détail cette réforme. Nous examinerons sans aucun tabou toutes les solutions permettant de rétablir une situation financière devenue insoutenable, car il y va de la pérennité de l’ensemble de notre système de protection sociale. Vous partagez tous cette conviction, je le sais, et il est de même du Gouvernement. C’est pourquoi celui-ci a formulé des propositions qui, je l’espère, retiendront l’attention de tous. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Christiane Demontès, rapporteur.
Mme Christiane Demontès, rapporteur de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il me revient aujourd’hui de rendre compte, avec mon collègue Dominique Leclerc, des travaux que la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale a décidé de consacrer à l’avenir du système de retraite français.
Avant d’aborder le fond, je souhaite remercier l’ensemble de nos collègues qui ont participé, comme l’a souligné le président de notre mission, aux quelque quarante auditions réalisées avec les partenaires sociaux, les responsables des principaux régimes de retraite et les experts en la matière. Ces rencontres se sont d'ailleurs prolongées par un déplacement à Berlin, qui était destiné à nous faire mieux connaître le système de retraite allemand et qui, comme l’a souligné M. Vasselle, fera sans doute l’objet d’un rapport complémentaire.
Permettez-moi de saluer le président de la MECSS, Alain Vasselle, ainsi que la présidente de la commission des affaires sociales, Muguette Dini, qui a été indéfectiblement présente à nos travaux, alors qu’elle suit de nombreux autres dossiers. Permettez-moi également de remercier tout particulièrement nos administrateurs, notamment ceux qui se sont penchés longuement sur ce dossier, de leur grande disponibilité, de leurs réelles compétences et de la parfaite loyauté avec laquelle ils ont retranscrit les conclusions de nos travaux, sachant que les deux corapporteurs sont de sensibilité politique différente.
À l’issue de ces travaux, la MECSS n’entend pas présenter des propositions de réforme risquant d’interférer avec le projet de loi qui doit être déposé. Le Parlement examinera ce texte à partir du mois de septembre, me semble-t-il, et le Sénat exercera alors son pouvoir législatif.
La mission s’est attachée – le rapport en rend compte – à aborder l’ensemble des questions qui se posent aujourd’hui au modèle français de retraite et à examiner sans tabous, comme l’a souligné M. Vasselle, le plus large spectre d’évolutions envisageables.
Je le répète, ce rapport n’est pas un catalogue de propositions. Il n’est pas non plus une simple analyse comptable et financière. En effet, les ajustements comptables ne peuvent tenir lieu de réforme, et une remise à plat de l’ensemble des régimes doit être engagée.
Monsieur le ministre, permettez-moi tout de même de signaler le caractère surréaliste du débat de cet après-midi, qui s’ouvre quelques heures après la présentation par le Gouvernement, en l’occurrence par vous-même, de la réforme des retraites. (M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique, s’exclame.)
M. Gérard Longuet. Cela prouve que ce débat est d’une grande actualité !
Mme Christiane Demontès, rapporteur. D'ailleurs, certains d’entre vous, mes chers collègues, seront sans doute tentés d’intervenir non pas sur notre rapport, mais sur le projet présenté ce matin par le Gouvernement. C’est la loi du genre !
M. Claude Domeizel. Évidemment !
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Dans ce rapport, nous rappelons la construction historique de notre système de retraite : organisé globalement en 1945 par le Conseil national de la Résistance, celui-ci a permis, il faut le rappeler, d’assurer aux retraités un niveau de vie quasi équivalent à celui des actifs : régime par répartition, il est fondé sur un pacte intergénérationnel aux termes duquel les actifs paient pour la génération précédente.
Bien sûr, comme pour les actifs, le montant des revenus est très inégal, au-delà de cette moyenne, avec pour certains des retraites très faibles. Vous me permettrez d’avoir en cet instant une pensée particulière pour les femmes, dont la situation, je le crains, risque de ne pas s’arranger.
Mme Raymonde Le Texier. Gagné !
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Toutefois, le taux de pauvreté des plus de 60 ans est aujourd’hui stabilisé à 10 %, soit un niveau inférieur à celui de l’ensemble de la population, qui s’élève à 13 %, et en net recul par rapport au taux de 30 % des années soixante-dix.
Depuis vingt ans, notre système de retraite a fait l’objet de nombreux rapports et de plusieurs réformes : celle qui a été menée par M. Balladur en 1993, celle des régimes complémentaires AGIRC et ARRCO en 1994 et 1996, la création du Fonds de réserve pour les retraites, en 1998, et du Conseil d’orientation des retraites, en 2000, la réforme Fillon, en 2003, enfin la réforme des régimes spéciaux, en 2007 et 2008.
Malgré ces mesures, le déséquilibre financier de notre système s’est accentué. Il est très largement lié à l’évolution démographique : le rapport entre cotisants et retraités est passé de 4 en 1960 à 1,43 aujourd’hui pour le seul régime général, sachant que l’espérance de vie, il faut le reconnaître, a augmenté de six ans depuis les années quatre-vingt, en raison des progrès en matière de santé et de modes de vie.
Il faut cependant garder à l’esprit que, comme le niveau moyen des retraites, l’espérance de vie varie beaucoup dans notre pays en fonction de la situation des uns et des autres, en particulier selon que l’on est cadre ou ouvrier.
La crise financière puis économique de 2008, qui s’est prolongée par une crise sociale et qui se poursuit encore aujourd'hui, a bien entendu eu également des conséquences négatives sur l’équilibre des retraites : la masse salariale a perdu 5,6 points entre 2008 et 2009 et la reprise de la croissance, d’ailleurs incertaine, ne comblera pas cette perte de recettes.
Dans notre rapport, nous analysons également les différents leviers paramétriques pouvant être utilisés afin de revenir à l’équilibre comptable et financier, dont les trois principaux – ceux que l’on évoque le plus souvent – sont l’âge, la durée de cotisation et l’assiette des cotisations.
J’aborderai premièrement l’âge.
Faut-il reculer l’âge légal aujourd'hui fixé à 60 ans ? Ne serait-ce pas pénaliser plus longtemps ceux qui, avant 60 ans, ne sont plus en activité, non pas parce qu’ils ont souhaité cesser le travail mais parce que leurs employeurs n’ont plus voulu d’eux, ce qui est bien souvent le cas ?
L’augmentation du taux d’emploi des plus de 50 ans conditionne la viabilité de toute politique en matière de retraites. A contrario, repousser l’âge légal de départ à la retraite ferait-il reculer mécaniquement l’âge moyen de cessation d’activité des seniors ? Personnellement, j’en doute !
En tout état de cause, quelle que soit la décision prise, le dispositif de cessation anticipée d’activité pour carrière longue doit être maintenu, afin de ne pas pénaliser ceux qui ont commencé à travailler tôt.
J’évoquerai, deuxièmement, la durée de cotisation. Son allongement a été acté par la réforme Fillon de 2003, avec le principe de progressivité et aussi, il faut le reconnaître, une lisibilité plutôt rare dans notre système. Une accélération de cette progressivité rendrait l’avenir de leur retraite illisible et sans doute très anxiogène pour les Français, particulièrement les plus jeunes.
Enfin, troisièmement, je dirai un mot de l’assiette des cotisations.
Les cotisations reposent aujourd’hui essentiellement sur les salaires. Les augmenter serait donc toucher au pouvoir d’achat de nos concitoyens. Une telle évolution ne pourrait être que modérée et étalée dans le temps.
En fait, c’est surtout l’élargissement de l’assiette qu’il convient d’envisager. Dans cette perspective, monsieur le ministre, nous demandons qu’un bilan précis, en termes d’emplois, des exonérations des cotisations sociales nous soit transmis.
Si elles doivent être maintenues, ces exonérations pourraient être annualisées – c’est manifestement le choix retenu dans votre projet de loi –, tandis que les exonérations sur les heures supplémentaires seraient réexaminées au vu tant de leur coût que de leurs conséquences sur l’emploi.
D’autres ressources pourraient être mobilisées : les prélèvements sociaux sur les revenus du capital, une taxation supplémentaire des stock-options, et une contribution additionnelle à l’impôt sur le revenu visant les plus hauts contribuables. En outre, même si cette proposition ne figure pas dans le rapport, le bouclier fiscal pourrait être supprimé, à mon avis.
La MECSS a également étudié les autres leviers financiers du système de retraite. Elle souhaite en particulier, j’y insiste, que le Fonds de réserve pour les retraites soit sanctuarisé, car elle considère que son utilisation prématurée serait le symbole éclatant du report du problème sur les générations futures.
Le FRR dispose aujourd’hui d’environ 33 milliards d’euros, qui ont été placés en tenant compte d’un objectif précis, à savoir entamer les décaissements à partir de 2020. Or cette somme est à peine supérieure au montant du déficit total du régime général et du FSV attendu pour la seule année 2010 ! Le Fonds de réserve pour les retraites ne peut donc en aucun cas être une solution pour résorber les déficits actuels. Le ponctionner aujourd’hui serait, en quelque sorte, prélever de l’argent sur le compte en banque de nos enfants pour renflouer notre propre déficit. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
La mission met également en avant la nécessité, dans un souci de clarté, de faire prendre en charge l’ensemble des éléments non contributifs du système de retraite par le Fonds de solidarité vieillesse et d’affecter à celui-ci les ressources correspondantes.
Le rapport insiste enfin sur la nécessité de traiter conjointement la politique de l’emploi et la question des retraites. La pénibilité du travail, notamment ses effets sur l’espérance de vie, relève d’abord de l’organisation du travail et de la responsabilité des entreprises ; elle constitue aussi un paramètre à prendre en compte dans le cadre des retraites, surtout vis-à-vis de personnes qui ont déjà été exposées. À cet égard, la MECSS a été très sensible aux propositions de Serge Volkoff, lequel préconise une approche à la fois individuelle et collective qui permettrait d’identifier les dossiers justifiant des mesures particulières de prise en charge.
Il n’en demeure pas moins que les pouvoirs publics ne pourront éviter une réflexion globale sur le rapport au travail, aujourd’hui dégradé, qui explique l’aspiration d’un grand nombre de salariés à partir plus tôt à la retraite. Le Sénat a d’ailleurs créé une mission d’information sur le mal-être au travail, dont les conclusions seront rendues prochainement.
La politique en faveur de l’emploi des seniors doit être renforcée. À cet égard, il convient de vérifier, et nous l’avons demandé, que la rupture conventionnelle du contrat de travail, qui rencontre un grand succès, ne devienne pas une nouvelle « trappe à seniors », et d’engager une meilleure gestion des ressources humaines pour les salariés en fin de vie active. Cela implique notamment de développer les bilans de compétences au cours de la carrière, de promouvoir la validation des acquis de l’expérience et d’en faciliter l’accès à tous les publics, de favoriser la formation des seniors, d’aménager les tâches, les postes et les horaires en fin de vie active.
En outre, comme nous le rappelons dans le rapport, parce qu’elle a des conséquences sur leur retraite, l’insertion des jeunes sur le marché du travail doit être une priorité. Ainsi, la mobilisation autour des formations professionnelles, que ce soit par la voie scolaire ou par alternance, doit être renforcée et la possibilité de valider des droits au titre de la retraite sur les périodes de stage, examinée.